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NER_3/NER26
Gérard de NERVAL
ÉLÉGIES NATIONALES ET SATIRES POLITIQUES
1826
POÉSIES DIVERSES
La Gloire
Le temps, comme un torrent, roule sur les cités ; 6+6 a
Rien n’échappe à l’effort de ses flots irrités : 6+6 a
En vain quelques vieillards, sur le bord du rivage, 6+6 b
Derniers et seuls débris qui restent d’un autre âge, 6+6 b
5 Roidissant contre lui leur effort impuissant, 6+6 a
S’attachent, comme un lierre, au siècle renaissant : 6+6 a
De leurs corps un moment le flot du temps se joue, 6+6 b
Et, sans les détacher, les berce et les secoue ; 6+6 b
Puis bientôt, tout gonflés d’un orgueil criminel, 6+6 a
10 Les entraîne sans bruit dans l’abîme éternel. 6+6 a
O chimère de l’homme ! ô songe de la vie ! 6+6 b
O vaine illusion, d’illusions suivie ! 6+6 b
Qu’on parle de grandeur et d’immortalité… 6+6 a
Mortels, pourquoi ces bruits de votre vanité ? 6+6 a
15 Qu’est-ce ? Un roi qui s’éteint, un empire qui tombe ? 6+6 b
Un poids plus ou moins lourd qu’on jette dans la tombe 6+6 b
À de tels accidens, dont l’homme s’est troublé, 6+6 a
Le ciel s’est-il ému ? le sol a-t-il tremblé ?… 6+6 a
Non, le ciel est le même, et dans sa paix profonde 6+6 b
20 N’a d’aucun phénomène épouvanté le monde : 6+6 b
Eh ! qu’importe au destin de la terre et des cieux 6+6 a
Que le sort ait détruit un peuple ambitieux, 6+6 a
Ou bien qu’un peu de chair d’un puissant qu’on révère 6+6 b
Ait d’un nouvel engrais fertilisé la terre ! 6+6 b
25 Et vous croyez, mortels, que Dieu, par ses décrets, 6+6 a
Règle du haut des cieux vos petits intérêts, 6+6 a
Et choisissant en vous des vengeurs, des victimes, 6+6 b
Prend part à vos vertus aussi bien qu’à vos crimes, 6+6 b
Vous montre tour à tour ses bontés, son courroux, 6+6 a
30 Vous immole lui-même, ou s’immole pour vous ?… 6+6 a
O vanité de l’homme, aveuglement stupide, 6+6 b
D’un atome perdu dans les déserts du vide, 6+6 b
Qui porte jusqu’aux cieux sa faible vanité, 6+6 a
Et veut d’un peu plus d’air gonfler sa nullité ! 6+6 a
35 Hélas ! dans l’univers, tout passe, tout retombe 6+6 b
Du matin de la vie à la nuit de la tombe ! 6+6 b
Nous voyons, sans retour, nos jours se consumer, 6+6 a
Sans que le flambeau mort puisse se rallumer ; 6+6 a
Tout meurt, et le pouvoir, et le talent lui même, 6+6 b
40 Ainsi que le vulgaire, a son heure suprême. 6+6 b
Une idée a pourtant caressé mon orgueil, 6+6 a
Je voudrais qu’un grand nom décore mon cercueil ; 6+6 a
Tout ce qui naît s’éteint, il est vrai, mais la gloire 6+6 b
Ne meurt pas tout entière, et vit dans la mémoire ; 6+6 b
45 Elle brave le temps, aux siècles révolus 6+6 a
Fait entendre les noms de ceux qui ne sont plus ; 6+6 a
Et, quand un noble son dans les airs s’évapore, 6+6 b
Elle est l’écho lointain qui le redit encore. 6+6 b
Il me semble qu’il est un sort bien glorieux : 6+6 a
50 C’est de ne point agir comme ont fait nos aïeux, 6+6 a
De ne point imiter, dans la commune ornière, 6+6 b
Des serviles humains la marche moutonnière. 6+6 b
Un cœur indépendant, d’un feu pur embrasé, 6+6 a
Rejette le lien qui lui fut imposé, 6+6 a
55 Va, de l’humanité lavant l’ignominie, 6+6 b
Arracher dans le ciel ces dons qu’il lui dénie, 6+6 b
S’élance, étincelant, de son obscurité, 6+6 a
Et s’enfante lui même à l’immortalité. 6+6 a
Dans mon esprit charmé, revenez donc encore 6+6 b
60 Douces illusions que le vulgaire ignore : 6+6 b
Ah ! laissez quelque temps résonner à mon cœur 6+6 a
Ces sublimes pensers de gloire et de grandeur ; 6+6 a
Laissez-moi croire enfin, si le reste succombe, 6+6 b
Que je puis arracher quelque chose à la tombe, 6+6 b
65 Que, même après ma mort, mon nom toujours vivant, 6+6 a
Dans la postérité retentira souvent ; 6+6 a
Puisque ce corps terrestre est fait pour la poussière, 6+6 b
Et qu’il faut le quitter au bout de la carrière, 6+6 b
Qu’un rayon de la gloire, à tous les yeux surpris, 6+6 a
70 Comme un flambeau des temps, luise sur ses débris. 6+6 a
Il me semble en effet que je sens dans mon âme 6+6 b
La dévorante ardeur d’une céleste flamme, 6+6 b
Quelque chose de beau, de grand, d’audacieux, 6+6 a
Qui dédaigne la terre et qui remonte aux cieux : 6+6 a
75 Quelquefois, dans le vol de ma pensée altière, 6+6 b
Je veux abandonner la terrestre poussière ; 6+6 b
Je veux un horizon plus pur, moins limité, 6+6 a
Où l’âme, sans efforts, respire en liberté ; 6+6 a
Mais, dans le cercle étroit de l’humaine pensée, 6+6 b
80 L’âme sous la matière est toujours affaissée, 6+6 b
Et, sitôt qu’il veut prendre un essor moins borné, 6+6 a
L’esprit en vain s’élance, il se sent enchaîné. 6+6 a
Puisqu’à l’humanité notre âme est asservie, 6+6 b
Et qu’il nous faut payer un tribut à la vie, 6+6 b
85 Choisissons donc au moins la plus aimable erreur, 6+6 a
Celle qui nous promet un instant de douceur. 6+6 a
Oh ! viens me consoler, amour, belle chimère ! 6+6 b
Emporte mes chagrins sur ton aile légère ; 6+6 b
Et si l’illusion peut donner le bonheur, 6+6 a
90 Remplis-en, combles-en le vide de mon cœur ! 6+6 a
Je ne te connais pas, amour,… du moins mon âme 6+6 b
N’a jamais éprouvé ton ardeur et la flamme 6+6 b
Il est vrai que mon cœur, doucement agité, 6+6 a
En voyant une belle a souvent palpité ; 6+6 a
95 Mais je n’ai point senti, d’un être vers un être, 6+6 b
L’irrésistible élan que tous doivent connaître ; 6+6 b
De repos, de bonheur, mon esprit peu jaloux, 6+6 a
Jusqu’ici, se livrant à des rêves moins doux, 6+6 a
Poursuivit une idée encor plus illusoire, 6+6 b
100 Et mon cœur n’a battu que pour le mot de gloire. 6+6 b
Suprême déité, reine de l’univers, 6+6 a
Gloire, c’est ton nom seul qui m’inspira des vers, 6+6 a
Qui ralluma mon cœur d’une plus vive flamme, 6+6 b
Et dans un air plus pur fit respirer mon âme ; 6+6 b
105 J’aimai, je désirai tes célestes attraits, 6+6 a
Tes lauriers immortels, et jusqu’à tes cyprès. 6+6 a
On parle des chagrins qu’à tes amans tu donnes, 6+6 b
Et des poisons mêlés aux fleurs de tes couronnes ; 6+6 b
Mais qui peut trop payer tes transports, tes honneurs ? 6+6 a
110 Un seul de tes regards peut sécher bien des pleurs. 6+6 a
Qu’importe que l’orgueil des nullités humaines 6+6 b
Voue à de froids dédains nos travaux et nos peines, 6+6 b
Qu’importent leurs clameurs, si la postérité 6+6 a
Nous imprime le sceau de l’immortalité, 6+6 a
115 Si son arrêt plus sûr nous illustre et nous venge : 6+6 b
Tandis que le Zoïle, au milieu de sa fange, 6+6 b
Traînant dans l’infamie un nom déshonoré, 6+6 a
Jette en vain les poisons dont il est dévoré. 6+6 a
Si la vie est si courte et nous paraît un songe, 6+6 b
120 La gloire est éternelle et n’est pas un mensonge ; 6+6 b
Car sans doute il est beau d’arracher à l’oubli 6+6 a
Un nom qui, sans honneur, serait enseveli, 6+6 a
De pouvoir dire au temps : « Je brave ton empire, 6+6 b
» Respecte dans ton cours mes lauriers et ma lyre, 6+6 b
125 » Je suis de tes fureurs l’impassible témoin, 6+6 a
» Toute ma gloire est là : tu n’iras pas plus loin. » 6+6 a
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