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NER_3/NER21
Gérard de NERVAL
ÉLÉGIES NATIONALES ET SATIRES POLITIQUES
1826
ÉLÉGIES NATIONALES
Fontainebleau
I
O mes concitoyens, que notre histoire est belle ! 6+6 a
De quels récits brillans elle enivre nos cœurs ! 6+6 b
Que de fois elle y va, par ses accens vainqueurs, 6+6 b
D’un courage endormi réveiller l’étincelle ! 6+6 a
5 Dans ses feuillets brûlans si l’œil erre parfois, 6+6 a
Un charme impérieux de plus en plus l’engage, 6+6 b
Et l’entraîne de page en page, 8 b
De triomphe en triomphe, et d’exploits en exploits : 6+6 a
On ne respire plus ; la paupière attendrie 6+6 a
10 Roule une larme de plaisir, 8 b
Et, plein du noble orgueil qui vient de le saisir, 6+6 b
Tout le Français palpite, et dit : « C’est ma patrie ! » ! 6+6 a
Mais, plus on fut sensible à ses honneurs passés» 6+6 a
Plus du revers qui suit la lecture est amère ; 6+6 b
15 Plus on gémit de voir ses beaux jours effacés, 6+6 a
Et ses aigles sacrés traînés dans la poussière. 6+6 b
Que l’on maudit alors les citoyens ingrats ! 6+6 a
Qui trafiquèrent de ses larmes ; 8 b
Car en ce temps l’honneur ne quitta point ses armes, 6+6 b
20 Et son abaissement ne la dégrada pas : 6+6 a
Non, ses mourans efforts, consignés dans l’histoire, 6+6 a
Y brilleront d’assez d’éclat 8 b
Pour lui recomposer une nouvelle gloire : 6+6 a
Mais, pour les hommes vils qui vendirent l’état, 6+6 b
25 Clio gardera-t-elle une page assez noire ? 6+6 a
Ah ! si du dernier scélérat, 8 b
Dans ses tableaux vengeurs la place est assignée, 6+6 a
Plus bas, plus bas encor, qu’elle ose les placer ; 6+6 b
Et, quel que soit leur rang, que la page indignée 6+6 a
30 Ne reçoive leurs noms, que pour les dénoncer ! 6+6 b
II
Oui, sans la trahison de ces hommes perfides, 6+6 a
Qui, par l’or des tyrans depuis long-temps soumis, 6+6 b
Livrèrent, sans combats, au joug des ennemis 6+6 b
Leurs concitoyens intrépides, 8 a
35 Contre nos légions, en vain les potentats 6+6 a
Eussent amoncelé des millions de soldats… 6+6 a
Loin des nobles remparts promis à la vengeance 6+6 a
On eût vu, sans honneur, s’éloigner leurs drapeaux, 6+6 b
Ou leur barbare espoir n’eût conquis dans la France, 6+6 a
40 Que des prisons et des tombeaux. 8 b
Infructueux efforts des braves ! 8 a
Coups d’un bras affaibli, dont le glaive est brisé ! 6+6 b
Derniers élancemens d’un courage épuisé, 6+6 b
Qui se débat dans les entraves !… 8 a
45 Que pouviez-vous, hélas ! contre le sort cruel, 6+6 a
Quand il eut prononcé son arrêt inflexible ?… 6+6 b
La chute est belle, mais terrible 8 b
Pour celui qui tombe du ciel ! 8 a
O Français ! cette lutte avec la destinée, 6+6 a
50 Conserva cependant votre honneur tout entier ; 6+6 b
Et plus d’une grande journée, 8 a
Vint joindre à des cyprès un éclatant laurier : 6+6 b
Jamais, en vos jours de victoire, 8 a
Il n’eût été si noble et si bien mérité,… 6+6 b
55 Tant votre défaite eut de gloire, 8 a
Votre chute de majesté ! 8 b
III
Mais silence ! silence ! une imposante image 6+6 a
Se déroule devant nos yeux ; 8 b
L’aigle national, précipité des cieux, 6+6 b
60 Se débat au sein de l’orage ; 8 a
Frappé d’un trait empoisonné, 8 a
Bientôt il roule dans la poudre, 8 b
A son ongle échappe la foudre, 8 b
Et son front s’est découronné. 8 a
65 Ne cherchez plus aux cieux le héros, que naguère 6+6 a
Le sort intronisa roi des rois de la terre ; 6+6 a
Ce sceptre colossal est tombé de ses mains : 6+6 a
Et l’on ne verra plus, au signal qu’il leur donne, 6+6 b
Se prosterner devant son trône, 8 b
70 toute une cour de souverains. 8 a
C’est en vain qu’il menace et qu’il résiste encore, 6+6 a
Sa grandeur a passé comme un vain météore, 6+6 a
Comme un son qui dans l’air a long-temps éclaté ; 6+6 a
Peut-être que ce bruit, de la puissance humaine, 6+6 b
75 Avait frappé l’écho d’une rive lointaine 6+6 b
Mais les vents ont tout emporté ! 8 a
Il est temps ! il est temps ! jetez des cris d’ivresse, 6+6 a
Rois, qui rampiez à ses genoux ; 8 b
Vengez-vous de votre bassesse 8 a
80 En le rabaissant jusqu’à vous ! 8 b
Il s’est livré lui-même à la fureur commune, 6+6 a
Osez le déchirer… car il est sans appui ; 6+6 b
Et les lâches flatteurs qui grandirent sous lui, 6+6 b
L’ont renié dans l’infortune ! 8 a
IV
85 Napoléon frémit, mais n’est point abattu… 6+6 a
Car, qui peut imposer de borne à l’espérance ? 6+6 b
Il croit à sa fortune, il croit à la vengeance, 6+6 b
Et de mille pensers son cœur est combattu : 6+6 a
Il semble cependant qu’une plus vive flamme ! 6+6 a
90 Rallume son courage au milieu des revers, 6+6 b
Et que l’adversité qui frappe sur son âme 6+6 a
En ait fait jaillir des éclairs : 8 b
« Amis, dit-il, un jour viendra pour la vengeance, 6+6 a
Puisque la trahison la livre à ses tyrans, 6+6 b
95 Craignons de déchirer la France 8 a
En la défendant plus long-temps : 8 b
À notre épuisement, qu’on croit une défaite, 6+6 a
L’Italie offre encore une noble retraite, 6+6 a
Qu’on m’y suive et bientôt… »
Il n’a point achevé. 6+6 a
100 Car, au lieu d’enflammer, il ne fait que confondre ; 6+6 b
Et dans tous les regards, qui craignent de répondre, 6+6 b
Son œil cherchait l’espoir… et ne l’a pas trouvé. 6+6 a
Infidèle à sa gloire, en un moment flétrie, 6+6 a
Un guerrier a livré son maître et sa patrie ; 6+6 a
105 On l’apprend… Aussitôt tout est muet, glacé ; 6+6 a
Soit découragement, soit trahison, soit crainte, 6+6 b
Par un souffle de mort la valeur semble éteinte, 6+6 b
Et dans des cœurs français l’honneur semble effacé : 6+6 a
Que peut Napoléon, si rien ne le seconde ? 6+6 a
110 Partout abandonné, paralysé, trahi ; 6+6 b
Il voit que c’en est fait, que son règne est fini, 6+6 b
Et d’un seul trait de plume il abdique le monde ! 6+6 a
V
Le héros va partir ; mais il cherche des yeux 6+6 a
Quels seront les objets de ses derniers adieux : 6+6 a
115 Exilé loin d’un fils, d’une épouse qu’il aime, 6+6 a
Serait-il sans parens, comme sans diadème ? 6+6 a
Non ! près de lui restés, quelques braves soldats, 6+6 a
Pour la dernière fois se pressent sur ses pas. 6+6 a
Ces preux, feuillets vivans d’une héroïque histoire, 6+6 a
120 Semblent représenter tout un siècle de gloire ; 6+6 a
Et, de mille combats magnanimes débris, 6+6 a
Sur leurs corps mutilés les porter tous écrits : 6+6 a
Les voilà ses parens ! La voilà sa famille ! 6+6 a
Une larme muette en leurs yeux roule et brille, 6+6 a
125 Tous leurs fronts sont levés, tous leurs bras étendus 6+6 a
Vers celui que sans doute ils ne reverront plus… 6+6 a
Touché de leur douleur, que lui-même il partage, 6+6 a
Napoléon s’arrête, et leur tient ce langage : 6+6 a
« Soldats, cédant aux coups du sort victorieux, 6+6 a
130 J’abandonne l’empire, et vous fais mes adieux ; 6+6 a
J’a’ guidé vos drapeaux aux champs de la victoire 6+6 a
M’avez-vous secondé ?… J’en appelle à l’histoire ! — 6+6 a
Mais ces temps ne sont plus, et trahissant leur foi, 6+6 a
Tous les rois mes sujets ont armé contre moi : 6+6 a
135 Les Français aux tyrans sont livrés par des traîtres, 6+6 a
Et même quelques-uns veulent de nouveaux maîtres : 6+6 a
Long-temps peut-être encor je pouvais avec vous 6+6 a
Des destins conjurés balancer le courroux,… 6+6 a
Mais la France eût souffert, et je lui sacrifie 6+6 a
140 Ma couronne, ma gloire, et, s’il le faut, ma vie : 6+6 a
Son bonheur est le mien… Je pars ; vous, mes amis, 6+6 a
Au monarque nouveau demeurez tous soumis ; 6+6 a
Ne plaignez pas mon sort ; loin des honneurs suprêmes 6+6 a
Je pourrai vivre heureux si vous l’êtes vous-mêmes. — 6+6 a
145 Mes ennemis diront que j’aurais dû mourir, 6+6 a
Mais il est d’un grand cœur de savoir tout souffrir… 6+6 a
D’ailleurs je puis encore attendre quelque gloire : 6+6 a
J’eus part à vos hauts faits, j’en écrirai l’histoire. » ! 6+6 a
« Je voudrais, sur mon cœur, pouvoir vous presser tous, 6+6 a
150 Votre aigle est près de moi, je l’embrasse pour vous : 6+6 a
Aigle, de nos exploits sublime spectatrice, 6+6 a
Que dans tout l’avenir ce baiser retentisse ! — 6+6 a
Vous, ne m’oubliez pas, voilà mon dernier vœu… 6+6 a
Mes amis ! mes enfans ! et toi, mon aigle… adieu ! » 6+6 a
VI
155 Tous les soldats debout gémissaient sur leurs armes ; 6+6 a
Le héros se dérobe à leurs cris, à leurs larmes, 6+6 a
Ce spectacle touchant, ces sublimes douleurs, 6+6 a
Aux étrangers présens ont arraché des pleurs : 6+6 a
O tableau déchirant ! ô regret magnanime ! 6+6 a
160 Celui qui vous causa fut-il le dieu du crime ? 6+6 a
Français, fut-il un monstre au mal seul empressé ? 6+6 a
Fut-il ?… mais il suffit… Vos pleurs ont prononcé ! 6+6 a
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