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NER_2/NER16
Gérard de NERVAL
NAPOLÉON ET LA FRANCE GUERRIÈRE
1826
La Mort de L’Exilé
Toi qui semblas un dieu, quoique fils de la Terre, 6+6 a
Qui pourra de ta vie expliquer le mystère ? 6+6 a
Un matin, tu brillas comme un soleil nouveau, 6+6 a
Mais le soir, las enfin de lasser la victoire, 6+6 b
5 Trop chargé de grandeurs, de triomphes, de gloire, 6+6 b
Tu roulas contre un roc avec tout ton fardeau. 6+6 a
Là tu viens de t’asseoir ; et ta tâche est finie : — 6+6 a
Du crêpe de la nuit la terre est rembrunie ; 6+6 a
Au repos bienfaisant tu vas enfin céder,… 6+6 a
10 Jusqu’à ce que la voix du maître qui t’éveille 6+6 b
A la fin de la nuit vienne te demander 6+6 a
Compte du travail de la Veille. 8 b
Mais avant d’accueillir ce sommeil précieux, 6+6 a
Vers le jour qui n’est plus tu reportes les yeux, 6+6 a
15 Et ton esprit, plongeant dans ta course passée, 6+6 a
Tantôt veut secouer un triste souvenir, 6+6 b
Tantôt d’un plus brillant aime à s’entretenir, 6+6 b
Et semble en écouter l’enivrante pene. 6+6 a
Ah ! pleure tes grandeurs qui ne reviendront plus, 6+6 a
20 Ton pouvoir, tes honneurs, sont à jamais perdus, 6+6 a
Et ce charme puissant, insoluble problème, 6+6 a
Ce talisman vainqueur, que seul tu possédais, 6+6 b
Qui triomphait des rois, des peuples, du ciel même, 6+6 a
Dans les mains d’un mortel ne rentra jamais. 6+6 b
25 Un athlète fameux voulut briser un chêne ; 6+6 a
Mais il ne pensait pas que le tronc divisé, 6+6 b
Resserrant les éclats qu’il écarte avec peine, 6+6 a
Retiendrait son bras épuisé : 8 b
De ses efforts en vain déployant la puissance, 6+6 a
30 Par lés cris de sa rage il trahit sa souffrance, 6+6 a
L’écho seul du désert répondit à sa voix : 6+6 a
Et le soir, s’approchant de l’arbre qui l’enchaîne, 6+6 b
Un animal le vit, et déchira sans peine 6+6 b
Le vainqueur des lions et des monstres des bois. 6+6 a
35 De ton orgueil trom telle fut l’imprudence, 6+6 a
Attaché comme lui, sans force, sans défense, 6+6 a
Il fallut sous les fers plier ton bras vainqueur ; 6+6 a
Déchiré sans combat par des monstres perfides, 6+6 b
L’athlète de Crotone expira sans honneur : — 6+6 a
40 Et toi, ne sens-tu pas, comme des loups avides, 6+6 b
Toutes les passions qui déchirent ton cœur. 6+6 a
A son arbre attaché, quelle fut sa pene 6+6 a
Quand il se ressouvint de sa vigueur passée, 6+6 a
Dont les premiers essais étonnaient l’univers ?… 6+6 a
45 Et toi, que pensas-tu, quand battu par l’orage, 6+6 b
Tu te vis, de si loin, jeté sur le rivage, 6+6 b
Comme un débris vomi par l’écume des mers ? 6+6 a
*
Mais pourquoi par le temps laisser ronger tes armes ? 6+6 a
Pourquoi laisser couler ton âme dans les larmes ? 6+6 a
50 Reprends le glaive encor, sors de ton long repos : 6+6 a
N’as-tu donc plus le bras qui lance le tonnerre, 6+6 b
N’as-tu plus le sourcil qui fait trembler la terre, 6+6 b
N’as-tu plus le regard qui produit les héros ? 6+6 a
Lève-toi ! c’est assez gémir dans le silence ! 6+6 a
55 De tes lâches gardiens crains-tu la vigilance ? 6+6 a
Ces vaincus d’autrefois ne te connaissent plus : 6+6 a
Mais redeviens toi-même, et reparais leur maître !… 6+6 b
Ils gardent sans effroi ce que tu sembles être, 6+6 b
Et s’enfuiront encor devant ce que tu fus ! 6+6 a
60 Mais ton âme n’a plus sa brûlante énergie, 6+6 a
Ton talisman sans force a perdu sa magie 6+6 a
Et les fers ont u ta vie et ton ardeur : 6+6 a
Ainsi le roi des bois devient doux et docile, 6+6 b
Et se laisse guider par le chasseur habile, 6+6 b
65 Qui sut enchaîner sa fureur. 8 a
Tu n’es plus à présent qu’un mortel ordinaire, 6+6 a
Faible dans l’infortune et sensible aux malheurs ; 6+6 b
Plus d’encens ! plus d’autels pour l’enfant de la terre !… 6+6 a
On ne peut désormais t’accorder que des pleurs. 6+6 b
70 Il fallait rester grand en restant à ta place, 6+6 a
Au lieu de te plier, te briser sous le sort, 6+6 b
Tu pouvais eu héros défier sa menace : 6+6 a
N’avais-tu pas toujours un asile ?… la mort ! 6+6 b
La mort, mais elle est là : c’est Dieu qui te rappelle ; 6+6 a
75 Il va te délivrer de l’écorce mortelle ! 6+6 a
Qui cachait ton âme de feu : 8 a
Lui seul peut prononcer l’éloge ou l’anathème. — 6+6 b
Quand sur les rois détruits tu régnais, dieu toi-même, 6+6 b
Songeais-tu qu’il était un Dieu ? 8 a
80 Maintenant tu frémis, et ta vue incertaine 6+6 a
Sonde l’éternité ; 6 b
Et ton œil, éga dans la céleste plaine, 6+6 a
Pénètre avec horreur dans son immensité. 6+6 b
Ne crains rien : notre Dieu, c’est un Dieu qui pardonne, 6+6 a
85 La clémence qui l’environne, 8 a
Et son éternelle bonté, 8 b
Sont sa plus brillante couronne, 8 a
Le plus bel attribut de sa divinité. 6+6 b
Il te pardonnera ; qu’importe que sur terre 6+6 a
90 Il t’ait vu consumer un temps si précieux, 6+6 b
A ramasser en tas quelque peu dépoussière 6+6 a
Que le souffle du Nord fit voler dans tes yeux. 6+6 b
La mort vient : — Et semblable à la mourante flamme, 6+6 a
Dans ton cœur défaillant tu sens trembler ton âme, 6+6 a
95 Et tes cils, tout chargés du long sommeil des morts, 6+6 a
Vacillent sur tes yeux, s’abaissent ; tu t’endors ! — ! 6+6 a
Adieu ! — Mais en quittant sa dépouille grossière, 6+6 a
Ton âme arrête encor, et se porte en arrière ; 6+6 a
Tu crains… Que peux-tu craindre au moment du trépas ? 6+6 a
100 Non personne jamais n’occupera ta place ; 6+6 b
Eh ! quel fils de la Terre osera sur ta trace, 6+6 b
S’élancer jusqu’aux cieux pour retomber si bas ? 6+6 a
*
O vous qu’il étonna dans sa noble carrière, 6+6 a
Contemplez le héros au moment du sommeil ; 6+6 b
105 De sa chute on le vit se relever naguère…, 6+6 a
Mais, hélas ! cette fois, c’est sa chute dernière, 6+6 a
Et son repos tardif n’aura plus de réveil. 6+6 b
Ah ! contemplez encor au moment qu’il expire, 6+6 a
Cette tête où siégea le destin d’un empire, 6+6 a
110 Cette bouche où tonna sa formidable voix, 6+6 a
Ce front vaste foyer de ses projets immenses, 6+6 b
Cette main dont l’effort écrasait des puissances, 6+6 b
Élevait des guerriers, ou pesait sur des rois. 6+6 a
Mais sa bouche est muette, et sa main impuissante, 6+6 a
115 Son front n’enferme plus une pensée ardente, 6+6 a
Et puisque le grand homme est au séjour des morts, 6+6 a
Il n’en restera plus bientôt que la mémoire 6+6 b
Et le ver du cercueil aura rongé son corps, 6+6 a
Quand l’Envie à son tour voudra ronger sa gloire. 6+6 b
120 Dans le triste réduit, où le roi prisonnier 6+6 a
Après tant de chagrins exhala l’existence, 6+6 b
Les preux, frappés encor de son accent dernier , 6+6 a
Les yeux fixés sur lui, gémissent en silence : 6+6 b
Mais aux portes s’entend un bruit long et confus, 6+6 a
125 Soudain la Renommée embouche la trompette, 6+6 b
L’écho redit ses sons, et partout il répète 6+6 b
Ces mots : il n’est plus, il n’est plus ! 8 a
N’est-ce qu’un bruit trompeur et l’accent du mensonge ?… 6+6 a
Sans le croire on l’entend : mais le bruit se prolonge, 6+6 a
130 Le temps, comme un vain son, ne l’a point dissipé, 6+6 a
Et sur tant de grandeur la mort a donc frappé ! 6+6 a
Les uns ont tressailli d’une barbare joie, 6+6 a
D’autres, pleurant sa perte, au chagrin sont en proie, 6+6 a
Quelques-uns même encor ne peuvent consentir 6+6 a
135 A croire un coup du sort qu’ils étaient loin de craindre : 6+6 b
« Comme si le soleil pouvait jamais s’éteindre, 6+6 b
« Et comme si le Dieu pouvait jamais mourir ! » 6+6 a
*
Il n’est plus ; mais la gloire a droit de le défendre 6+6 a
Du blâme qui souvent plane autour des tombeaux, 6+6 b
140 Le grand homme en mourant a couvert ses défauts 6+6 b
Du rapide laurier qui grandit sur sa cendre. 6+6 a
Quoique, ressortant plus sur un fond radieux, 6+6 a
Des faiblesses sans doute entachent sa mémoire, 6+6 b
Honte à vous qui voulez rabaisser cette gloire 6+6 b
145 Dont l’éclat aveugla vos yeux : 8 a
Ne portez pas si haut ces yeux faits pour la terre ; 6+6 c
Reptiles impuissans, rampez dans la poussière,… 6+6 c
L’aigle était dans les cieux ! 6 a
Avant sa mort, craignant un revers de fortune, 6+6 a
150 L’Europe, mesurant le long gouffre des mers 6+6 b
Et la lenteur d’une vie importune, 4+6 a
Frémissait au bruit de ses fers : 8 b
Mais le champ désormais étant libre à l’injure, 6+6 a
Ta mémoire est en butte à des flots d’imposture, 6+6 a
155 Des nocturnes oiseaux les lamentables cris 6+6 a
Viennent insulter l’aigle à son heure dernière, 6+6 b
Comme un vent empesté, planent sur ses débris, 6+6 a
Et croassent long-temps autour de sa poussière. 6+6 b
*
« Il n’est plus, disent-ils, ce tyran des mortels, 6+6 a
160 « Dans un honteux exil à son tour il succombe, 6+6 b
« Ce lâche contempteur des ordres éternels, 6+6 a
« Qui voulait de la terre obtenir des autels, 6+6 a
« Et qui n’en obtint qu’une tombe. 8 b
« Le Hasard, ce seul dieu qu’il voulût adorer, 6+6 a
165 « De la coupe des biens se plut à l’enivrer ; 6+6 a
« Mais il la vida tout entière, 8 a
« Alors sa Fortune cessa ; 8 b
« Puis il l’emplit du sang des peuples de la terre…, 6+6 a
« Et la coupe se renversa ! 8 b
170 « Comme un songe d’enfer, il pesait sur le monde, 6+6 a
« Balayait en passant son espoir renversé, 6+6 b
« Ainsi qu’un vent du nord dans la plaine féconde 6+6 a
« Promenant son souffle glacé : 8 b
« La palme qu’il portait était toute sanglante, 6+6 a
175 « Ses guirlandes étaient des fers, 8 b
« Et son sceptre imprimait une tache infamante 6+6 a
« Au front des rois de l’univers ; 8 b
« Sa gloire qui brûlait la terre palpitante, 6+6 c
« Était de sang toute fumante, 8 c
180 « Et ses rayons de feu n’étaient que des éclairs. 6+6 b
« Mais les hivers du Nord arrêtèrent sa rage, 6+6 a
« Le tonnerre au néant le força de rentrer, 6+6 b
« La mer le revomit dans une île sauvage, 6+6 a
« Où le sol le porta, mais pour le dévorer. 6+6 b
185 « Tigre cruel, l’horreur de toute la nature, 6+6 a
« Dans un étroit cachot l’on sut te captiver, 6+6 b
« Là tu viens d’expirer faute de nourriture, 6+6 a
« Car il t’aurait fallu tout le monde en pâture, 6+6 a
« Et tout le sang pour t’abreuver ! » 8 b
*
190 En insultes ainsi déborde l’impudence 6+6 a
Mais un autre motif le guidait aux combats 6+6 b
Que celui de régner sur de vastes états, 6+6 b
Ce fut par le désir d’une juste défense, 6+6 a
Par celui de venger et d’agrandir la France, 6+6 a
195 Qu’il remplit vingt pays des flots de ses soldats. 6+6 b
Cependant, si toujours à conquérir la terre, 6+6 a
A rabaisser l’orgueil de ses puissans rivaux, 6+6 b
Il eût borné tous ses travaux, 8 b
Sans doute il n’eût é qu’un conquérant vulgaire : 6+6 a
200 Mais il fut des talens et le guide et l’appui, 6+6 a
Il encourageait le génie, 8 b
Ornait de monumens la France rajeunie, 6+6 b
Et les arts régnaient avec lui. 8 a
Admirez en tous lieux ces superbes portiques, 6+6 a
205 Ces monumens sacrés, ces palais magnifiques, 6+6 a
Dont il remplissait ses états ; 8 a
Il fut grand dans la paix comme dans la victoire ; 6+6 b
O Français, contemplez ces colonnes de gloire, 6+6 b
Dont le bronze orgueilleux retrace vos combats : 6+6 a
210 Gloire au législateur, il terrasse le crime, 6+6 a
Il montre à l’innocence un sévère vengeur, 6+6 b
Et Thémis, reprenant son pouvoir qu’il ranime, 6+6 a
Entoure le héros d’une sainte splendeur : 6+6 b
Gloire à lui qui fut grand, et de toutes les gloires, 6+6 a
215 A lui qui nous combla de maux et de bienfaits, 6+6 b
A lui qui fut vainqueur de toutes les victoires, 6+6 a
Mais ne put se vaincre jamais. 8 b
*
Extrême en ses grandeurs comme en ses petitesses, 6+6 a
N’allons pas comparer à César, à Sylla, 6+6 b
220 Dans ses vertus ou ses faiblesses, 8 a
Ce qu’il fut… ou ce qu’il sembla : 8 b
N’égalons donc à rien celui que rien n’égale, 6+6 a
Qu’il tombât dans l’abîme, ou volât au soleil, 6+6 b
Sur un rocher désert, dans la pourpre royale, 6+6 a
225 Ou plus haut, ou plus bas, il était sans pareil ! 6+6 b
Le superbe tombeau qu’il fit jadis construire, 6+6 a
Ainsi que son immense empire, 8 a
Est demeuré vide de lui : 8 a
On tailla dans le roc sa demeure dernière, 6+6 b
230 Et sous une modeste pierre 8 b
Sa cendre repose aujourd’hui ; 8 a
Mais ses gloires, toujours aux nôtres enches, 6+6 a
Lui promettent un nom qui ne doit pas finir, 6+6 b
Monument éternel, enfant du souvenir, 6+6 b
235 Qui ne croulera pas sous le poids des années, 6+6 a
Mais grandira dans l’avenir ! 8 b
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