Métrique en Ligne
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corpus Pamela Puntel
Victor NADAL
Réponse d'un vieux Breton à son fils
poème publié dans LE CONTEUR VAUDOIS (1871)
1871
Réponse d'un vieux Breton à son fils
O mon fils bien-aimé, ta lettre est donc venue ! 6+6 a
Elle a, comme un oiseau, voyagé dans la nue, 6+6 a
Et, comme un jour la manne au pays d'Israël, 6+6 b
Pour nous ranimer tous elle nous vient du ciel. 6+6 b
5 Quand le facteur parut sur le seuil de la porte, 6+6 a
Ta mère s'arrêta, plus blanche qu'une morte, 6+6 a
Et je saisis la feuille en pâlissant aussi. 6+6 b
Mon enfant sain et sauf, ô doux Jésus ! merci. 6+6 b
Ta lettre et tes baisers sont arrivés dimanche : 6+6 a
10 Voilà pour quelque temps du bonheur sur la planche, 6+6 a
Et nous pourrons dormir tranquilles, en pensant 6+6 b
Que le Christ imploré protégera l'absent. 6+6 b
Ici, quand on a su que tu venais d'écrire, 6+6 a
Tout le monde a voulu s'enquérir et te lire. 6+6 a
15 Le vieux sonneur lui-même est venu ce matin : 6+6 b
Il veut faire, dit-il, un immense festin 6+6 b
Le jour où son cadet reviendra de la guerre. 6+6 a
Mais celui qu'il invite est couché dans la terre, 6+6 a
Et je n'ai pas osé détromper le vieillard. 6+6 b
20 Pourtant, il apprendra le malheur tôt ou tard. 6+6 b
Qui sait ? Avant la fin de la grande débâcle, 6+6 a
Si Dieu ne vient en aide avec quelque miracle, 6+6 a
Les gars de Saint-Servan mourront jusqu'au dernier. 6+6 b
Dans les camps, le meilleur docteur, c'est l'aumônier. 6+6 b
25 Crois-moi, celui-là seul a les mains assez sûres 6+6 a
Pour fermer savamment les plus larges blessures. 6+6 a
Entends la sainte messe avant d'aller au feu. 6+6 b
Mon fils, on peut servir la République et Dieu. 6+6 b
Et puis, plus d'un soldat survit à la bataille, 6+6 a
30 Et tu nous reviendras, n'est-ce pas ? La médaille 6+6 a
Que Monsieur le recteur suspendit à ton cou 6+6 b
Éloignera la balle ou parera le coup. 6+6 b
Nous avons tous les soirs la visite d' Yvonne, 6+6 a
Durant chaque veillée, elle pleure et me donne 6+6 a
35 Encor plus de soucis que Germaine, ta sœur. 6+6 b
Et surtout ne soit pas jaloux de son danseur, 6+6 b
Il est jugé. Depuis que la France agonise. 6+6 a
Il se cache, et chacun le laisse et le méprise. 6+6 a
Puis on ne danse plus, et l'on reste chez soi. 6+6 b
40 Ah ! j'oubliais… Yvonne est bien digne de toi, 6+6 b
Elle a mis dans un coin de son bahut de chêne 6+6 a
Ses bagues, son collier, sa croix d'or et sa chaine, 6+6 a
Et de tous ces bijoux elle n'aime à présent 6+6 b
Que l'humble médaillon dont tu lui fis présent. 6+6 b
45 Moi, j'ai trouvé cela joli ; car la fillette, 6+6 a
Se sachant fort gentille, était un peu coquette. 6+6 a
Nous nous portons tous bien, je ne sais de nouveau 6+6 b
Que ceci : notre vache est prête à faire un veau. 6+6 b
J'ai peur que notre toit s'effondre sous la neige. 6+6 a
50 Comme tu dois souffrir du froid ! Te reverrai-je, 6+6 a
Cher enfant ? Oui, bientôt. Pourquoi pas ; après tout ? 6+6 b
S'il meurt des combattants, il en reste debout. 6+6 b
Plus d'une tête échappe au noir canon qui tonne, 6+6 a
Et la guerre ressemble au premier vent d'automne 6+6 a
55 Qui n'ose en un seul jour dépouiller le verger. 6+6 b
Sois donc heureux, toi, qui voulais tant voyager ! 6+6 b
Tu nous raconteras, après cette campagne, 6+6 a
Ce qu'on dit à Paris des gars de la Bretagne, 6+6 a
Comment on flétrissait le régime déchu. 6+6 b
60 Dis, n'as-tu pas touché la main du grand Trochu ? 6+6 b
Obéis sans broncher au plus vaillant des nôtres, 6+6 a
Car de tels citoyens peuvent servir d'apôtres. 6+6 a
Quand nous nous reverrons, tu nous diras aussi 6+6 b
Comment on peut manger un vieux biscuit durci : 6+6 b
65 Ce n'est pas que je veuille user de la recette, 6+6 a
Mon Dieu non, mais auprès d'une vaste omelette, 6+6 a
En face d'un grand plat de jambon et de choux, 6+6 b
Un pareil souvenir ne peut qu'être fort doux. 6+6 b
Monsieur Paul, tu sais bien, le fils de notre comte, 6+6 a
70 Nous disait samedi, ce qui n'est pas un conte, 6+6 a
Qu'un certain Beaumanoir, avec trente Bretons, 6+6 b
— A Saint-Servan, peut-être ils ont des rejetons, — 6+6 b
Attaqua trente Anglais, tous braves gentilhommes, 6+6 a
Et les vainquit. La France, à l'époque où nous sommes, 6+6 a
75 Plutôt que d'en laisser égorger tant des siens, 6+6 b
Devrait bien proposer ce duel aux Prussiens. 6+6 b
Ils ont beau se nommer premiers soldats du monde, 6+6 a
Je doute que Guillaume à ce défi réponde. 6+6 a
Ce jour-là, pour champ clos, je donnerais mon pré. 6+6 b
80 Dût le sang des vaincus faire tache, et, malgré 6+6 b
Tout ce qu'un tel combat a d'hostile et de sombre, 6+6 a
S'il fallait des Bretons, je t'en voudrais du nombre. 6+6 a
Parle-nous de Marcel ; j'ai deviné, je crois, 6+6 b
Que ta sœur pense à lui depuis le jour des Rois. 6+6 b
85 Maman a le cœur gros et la paupière humide 6+6 a
Maintenant, nos repas sont courts… ta place est vide ! 6+6 a
Adieu, mon bien-aimé, courage et bon espoir ; 6+6 b
Récite avec ferveur ta prière du soir. 6+6 b
Bats-toi comme un lion, c'est la mode bretonne, 6+6 a
90 Sois digne du pays, des parents et d' Yvonne, 6+6 a
Sois fier de ton devoir et fort de ton amour, 6+6 b
Et quand les roulements sonores du tambour 6+6 b
Donneront le signal de la lutte suprême, 6+6 a
Songe que je te suis, et songe qu'elle t'aime. 6+6 a
95 Et souviens-toi, mon fils, s'il faut nous dire adieu 6+6 b
Qu'un martyr peut toujours paraitre devant Dieu ! 6+6 b
VICTOR NADAL.
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
schéma : 48((aa))
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