Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
MUS_4/MUS121
Alfred de MUSSET
POÉSIES POSTHUMES
1824-1857
Charles-Quint au monastère de Saint-Just
L’empereur vit, un soir, | le soleil s’en aller ; 6+6 a
Il courba son front triste, | et resta sans parler. 6+6 a
Puis, comme il entendit | ses horloges de cuivre, 6+6 b
Qu’il venait d’accorder, | d’un pied boiteux se suivre, 6+6 b
5 Il pensa qu’autrefois, | sans avoir réussi, 6+6 a
D’accorder les humains | il avait pris souci. 6+6 a
— Seigneur, Seigneur ! dit-il, | qui m’en donna l’envie ? 6+6 b
J’ai traversé la mer | onze fois dans ma vie ; 6+6 b
Dix fois les Pays-Bas ; | l’Angleterre trois fois ; 6+6 a
10 Ai-je assez fait la guerre | à ce pauvre François ! 6+6 a
J’ai vu deux fois l’Afrique | et neuf fois l’Allemagne, 6+6 b
Et voici que je meurs | sujet du roi d’Espagne ! 6+6 b
Eh ! que faire à régner ? | je n’ai plus d’ennemi ; 6+6 a
Chacun s’est dans la tombe, | à son tour, endormi. 6+6 a
15 Comme un chien affamé, | l’oubli tous les dévore ; 6+6 b
Déjà le soir d’un siècle | à l’autre sert d’aurore. 6+6 b
Ai-je donc, plus habile | à plus longtemps souffrir, 6+6 a
Seul parmi tant de rois, | oublié de mourir ? 6+6 a
Ou, dans leurs doigts roidis | quand la coupe fut pleine, 6+6 b
20 Quand le glaive de Dieu, | pour niveler la plaine, 6+6 b
Décima les grands monts, | étais-je donc si bas, 6+6 a
Que l’archange, en passant, | alors ne me vit pas ? 6+6 a
M’en vais-je donc vieillir | à compter mes campagnes, 6+6 b
Comme un pasteur ses bœufs | descendant des montagnes, 6+6 b
25 Pour qu’on lise en mon cœur | les leçons du passé, 6+6 a
Comme en un livre pâle | et bientôt effacé ? 6+6 a
Trop avant dans la nuit | s’allonge ma journée. 6+6 b
Dieu sait à quels enfants | l’Europe s’est donnée ! 6+6 b
Sur quels bras va poser | tout ce vieil univers, 6+6 a
30 Qu’avec ses cent États, | avec ses quatre mers, 6+6 a
Je portais dans mon sein | et dans ma tête chauve ! 6+6 b
Philippe ! — que saint Just | de ses crimes le sauve ! 6+6 b
Car du jour qu’héritier | de son père, il sentit 6+6 a
Que pour sa grande épée | il était trop petit, 6+6 a
35 N’a-t-il pas échangé | le ciel contre la terre, 6+6 b
Contre un bourreau masqué | son confesseur austère ? 6+6 b
La France ! — oh ! quel destin, | en ses jeux si profond, 6+6 a
Mit la duègne orgueilleuse | aux mains d’un roi bouffon, 6+6 a
Qui s’en va, rajustant | son pourpoint à sa taille, 6+6 b
40 Aux oisifs carrousels | se peindre une bataille ! 6+6 b
Ah ! quand mourut François, | quel sage s’est douté 6+6 a
Que du seul Charles-Quint | il mourait regretté ? 6+6 a
Avec son dernier cri | sonna ma dernière heure. 6+6 b
Où trouver maintenant | personne qui me pleure ? 6+6 b
45 Mon fils me laisse ici | m’achever ; car enfin 6+6 a
Qui lui dira si c’est | de vieillesse ou de faim ? 6+6 a
Il me donne la mort | pour prix de sa naissance ! 6+6 b
Mes bienfaits l’ont guéri | de sa reconnaissance. 6+6 b
Il s’en vient me pousser | lorsque j’ai trébuché. — 6+6 a
50 C’est bien. — Je vais tomber. | — Le soleil s’est couché ! 6+6 a
O terre ! reçois-moi ; | car je te rends ma cendre ! 6+6 b
Je vins nu de ton sein, | nu j’y vais redescendre. 6+6 b
C’est ainsi que parla | cet homme au cœur de fer ; 6+6 a
Puis, se voyant dans l’ombre, | il eut peur de l’enfer ! 6+6 a
55 — O mon Dieu ! si, cherchant | un pardon qui m’efface, 6+6 b
Je trouvais la colère | écrite sur ta face, 6+6 b
Comme ce soir, mon œil, | cherchant le jour qui fuit, 6+6 a
Dans le ciel dépeuplé | ne trouve que la nuit ! 6+6 a
Quoi ! pas un rêve, un signe, | un mot dit à l’oreille, 6+6 b
60 Dont l’écho formidable | alors ne se réveille ! 6+6 b
Non ! — Rien à vous, Seigneur, | ne peut être caché. 6+6 a
Kyrie eleison ! | car j’ai beaucoup péché ! » 6+6 a
Alors, avec des pleurs | il disait sa prière, 6+6 b
Les genoux tout tremblants | et le front sur la pierre. 6+6 b
65 Tout à coup il s’arrête, | il se lève, et ses yeux 6+6 a
Se clouaient à la terre | et sa pensée aux cieux. 6+6 a
Voici que, sur l’autel | couvert de draps funèbres, 6+6 b
Les lugubres flambeaux | ont rompu les ténèbres 6+6 b
Et les prêtres debout, | comme de noirs cyprès, 6+6 a
70 S’assemblent, étonnés | des sinistres apprêts. 6+6 a
Et les vieux serviteurs | disaient : — Qui donc va naître 6+6 b
Ou mourir ? — et pourtant | priaient sans le connaître ; 6+6 b
Car les sombres clochers | s’agitaient à grand bruit, 6+6 a
Et semblaient deux géants | qui pleurent dans la nuit. 6+6 a
75 Tous frappaient leur poitrine | et respiraient à peine. 6+6 b
Sous les larmes d’argent | le sépulcre d’ébène 6+6 b
S’ouvrait, lit nuptial | par la mort apprêté, 6+6 a
Où la vie en ses bras | reçoit l’éternité. 6+6 a
Alors un spectre vint, | se traînant aux murailles, 6+6 b
80 Livide, épouvanter | les mornes funérailles. 6+6 b
Maigre et les yeux éteints, | et son pied, sur le seuil 6+6 a
De granit, chancelait | dans les plis d’un linceul. 6+6 a
— Qui d’entre vous, dit-il, | me respecte et m’honore ? 6+6 b
(Et sa voix sur l’écho | de la voûte sonore 6+6 b
85 Frappait comme le pas | d’un hardi cavalier.) 6+6 a
Qu’il s’en vienne avec moi | dormir sous un pilier ! 6+6 a
Je m’y couche, et j’attends | que m’y suive qui m’aime. 6+6 b
Pour ceux qui m’ont haï, | je les suivrai mot-même ; 6+6 b
Ils y sont. — Prions donc | pour mes crimes passés ; 6+6 a
90 Pleurons et récitons | l’hymne des trépassés ! 6+6 a
Il marcha vers sa tombe, | et pâlit : — Qui m’arrête, 6+6 b
Dit-il ? Ne faut-il pas | un cadavre à la fête ? 6+6 b
Et le cercueil cria | sous ses membres glacés, 6+6 a
Puis le chœur entonna | l’hymne des trépassés. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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