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| = césure
MUS_2/MUS74
Alfred de MUSSET
POÉSIES NOUVELLES
1836-1852
SOUVENIR
J'espérais bien pleurer, mais je croyais souffrir, 6+6 a
En osant te revoir, place à jamais sacrée, 6+6 b
O la plus chère tombe et la plus ignoe 6+6 b
Où dorme un souvenir ! 6 a
5 Que redoutiez-vous donc de cette solitude, 6+6 a
Et pourquoi, mes amis, me preniez-vous la main, 6+6 b
Alors qu'une si douce et si vieille habitude 6+6 a
Me montrait ce chemin ? 6 b
Les voilà, ces coteaux, ces bruyères fleuries, 6+6 a
10 Et ces pas argentins sur le sable muet, 6+6 b
Ces sentiers amoureux, remplis de causeries, 6+6 a
Où son bras m'enlaçait. 6 b
Les voilà, ces sapins à la sombre verdure, 6+6 a
Celte gorge profonde aux nonchalants détours, 6+6 b
15 Ces sauvages amis dont l'antique murmure 6+6 a
A bercé mes beaux jours. 6 b
Les voilà, ces buissons où toute ma jeunesse, 6+6 a
Comme un essaim d'oiseaux, chante au bruit de mes pas. 6+6 b
Lieux charmants, beau désert où passa ma mtresse, 6+6 a
20 Ne m'attendiez-vous pas ? 6 b
Ah ! laissez-les couler, elles me sont bien chères, 6+6 a
Ces larmes que soulève un cœur encor blessé ! 6+6 b
Ne les essuyez pas, laissez sur mes paupières 6+6 a
Ce voile du passé ! 6 b
25 Je ne viens point jeter un regret inutile 6+6 a
Dans l'écho de ces bois témoins de mon bonheur. 6+6 b
Fière est cette forêt dans sa beauté tranquille, 6+6 a
Et fier aussi mon cœur. 6 b
Que celui-là se livre à des plaintes amères, 6+6 a
30 Qui s'agenouille et prie au tombeau d'un ami. 6+6 b
Tout respire en ces lieux ; les fleurs des cimetières 6+6 a
Ne poussent point ici. 6 b
Voyez ! la lune monte à travers ces ombrages. 6+6 a
Ton regard tremble encor, belle reine des nuits ; 6+6 b
35 Mais du sombre horizon déjà tu te dégages, 6+6 a
Et tu t'épanouis. 6 b
Ainsi de celle terre, humide encor de pluie, 6+6 a
Sortent, sous tes rayons, tous les parfums du jour ; 6+6 b
Aussi calme, aussi pur, de mon âme attendrie 6+6 a
40 Sort mon ancien amour. 6 b
Que sont-ils devenus, les chagrins de ma vie ? 6+6 a
Tout ce qui m'a fait vieux est bien loin maintenant ; 6+6 b
El rien qu'en regardant celle vallée amie, 6+6 a
Je redeviens enfant. 6 b
45 O puissance du temps ! ô légères années ! 6+6 a
Vous emportez nos pleurs, nos cris et nos regrets ; 6+6 b
Mais la pitié vous prend, et sur nos fleurs faes 6+6 a
Vous ne marchez jamais. 6 b
Tout mon cœur te bénit, bonté consolatrice ! 6+6 a
50 Je n'aurais jamais cru que l'on pût tant souffrir 6+6 b
D'une telle blessure, et que sa cicatrice 6+6 a
Fût si douce à sentir. 6 b
Loin de moi les vains mots, les frivoles penes, 6+6 a
Des vulgaires douleurs linceul accoutumé, 6+6 b
55 Que viennent étaler sur leurs amours passées 6+6 a
Ceux qui n'ont point aimé. 6 b
Dante, pourquoi dis-tu qu'il n'est pire misère 6+6 a
Qu'un souvenir heureux dans les jours de douleur ? 6+6 b
Quel chagrin t'a dicté cette parole amère, 6+6 a
60 Celle offense au malheur ? 6 b
En est-il donc moins vrai que la lumière existe, 6+6 a
Et faut-il l'oublier du moment qu'il fait nuit ? 6+6 b
Est-ce bien toi, grande âme immortellement triste, 6+6 a
Est-ce toi qui l'as dit ? 6 b
65 Non, par ce pur flambeau dont la splendeur m'éclaire 6+6 a
Ce blasphème van ne vient pas de ton cœur. 6+6 b
Un souvenir heureux est peut-être sur terre 6+6 a
Plus vrai que le bonheur. 6 b
Eh quoi ! l'infortu qui trouve une étincelle 6+6 a
70 Dans la cendre brûlante où dorment ses ennuis, 6+6 b
Qui saisit celte flamme, et qui fixe sur elle 6+6 a
Ses regards éblouis ; 6 b
Dans ce passé perdu quand son âme se noie, 6+6 a
Sur ce miroir bri lorsqu'il rêve en pleurant, 6+6 b
75 Tu lui dis qu'il se trompe, et que sa faible joie 6+6 a
N'est qu'un affreux tourment ! 6 b
Et c'est à ta Françoise, à ton ange de gloire, 6+6 a
Que tu pouvais donner ces mots à prononcer, 6+6 b
Elle qui s'interrompt, pour conter son histoire, 6+6 a
80 D'un éternel baiser ! 6 b
Qu'est-ce donc, juste Dieu, que la pensée humaine, 6+6 a
Et qui pourra jamais aimer la vérité, 6+6 b
S'il n'est joie ou douleur si juste et si certaine, 6+6 a
Dont quelqu'un n'ait douté ? 6 b
85 Comment vivez-vous donc, étranges créatures ? 6+6 a
Vous riez, vous chantez, vous marchez à grands pas ; 6+6 b
Le ciel et sa beauté, le monde et ses souillures 6+6 a
Ne vous dérangent pas. 6 b
Mais lorsque, par hasard, le destin vous ramène 6+6 a
90 Vers quelque monument d'un amour oublié, 6+6 b
Ce caillou vous arrête, et cela vous fait peine 6+6 a
Qu'il vous heurte le pié. 6 b
El vous criez alors que la vie est un songe. 6+6 a
Vous vous tordez les bras comme en vous réveillant, 6+6 b
95 Et vous trouvez fâcheux qu'un si joyeux mensonge 6+6 a
Ne dure qu'un instant. 6 b
Malheureux ! cet instant où votre âme engourdie 6+6 a
A secoué les fers qu'elle traîne ici-bas, 6+6 b
Ce fugitif instant fut toute votre vie ; 6+6 a
100 Ne le regrettez pas ! 6 b
Regrettez la torpeur qui vous cloue à la terre, 6+6 a
Vos agitations dans la fange et le sang, 6+6 b
Vos nuits sans espérance et vos jours sans lumière ; 6+6 a
C'est là qu'est le néant ! 6 b
105 Mais que vous revient-il de vos froides doctrines ? 6+6 a
Que demandent au ciel ces regrets inconstants 6+6 b
Que vous allez semant sur vos propres ruines 6+6 a
A chaque pas du Temps ? 6 b
Oui, sans doute, tout meurt ; ce monde est un grand rêve, 6+6 a
110 El le peu de bonheur qui nous vient en chemin, 6+6 b
Nous n'avons pas plutôt ce roseau dans la main, 6+6 b
Que le vent nous l'enlève. 6 a
Oui, les premiers baisers, oui, les premiers serments 6+6 a
Que deux êtres mortels échangèrent sur terre, 6+6 b
115 Ce fut au pied d'un arbre effeuillé par les vents 6+6 a
Sur un roc en poussière. 6 b
Ils prirent à témoin de leur joie éphémère 6+6 a
Un ciel toujours voi qui change à tout moment, 6+6 b
Et des astres sans nom, que leur propre lumière 6+6 a
120 Dévore incessamment. 6 b
Tout mourait autour d'eux, l'oiseau dans le feuillage, 6+6 a
La fleur entre leurs mains, l'insecte sous leurs piés, 6+6 b
La source desséchée où vacillait l'image 6+6 a
De leurs traits oubliés ; 6 b
125 Et sur tous ces débris joignant leurs mains d'argile, 6+6 a
Étourdis des éclairs d'un instant de plaisir, 6+6 b
Ils croyaient échapper à cet Être immobile 6+6 a
Qui regarde mourir ! 6 b
Insensés ! dit le sage. — Heureux ! dit le poëte. 6+6 a
130 Et quels tristes amours as-tu donc dans le cœur, 6+6 b
Si le bruit du torrent te trouble et t'inquiète, 6+6 a
Si le vent le fait peur ? 6 b
J'ai vu sous le soleil tomber bien d'autres choses 6+6 a
Que les feuilles des bois et l'écume des eaux, 6+6 b
135 Bien d'autres s'en aller que le parfum des roses 6+6 a
Et le chant des oiseaux. 6 b
Mes yeux ont contemplé des objets plus funèbres 6+6 a
Que Juliette morte au fond de son tombeau, 6+6 b
Plus affreux que le toast à l'ange des ténèbres 6+6 a
140 Porté par Roméo. 6 b
J'ai vu ma seule amie, à jamais la plus chère, 6+6 a
Devenue elle-même un sépulcre blanchi, 6+6 b
Une tombe vivante, où flottait la poussière 6+6 a
De notre mort chéri, 6 b
145 De notre pauvre amour, que dans la nuit profonde 6+6 a
Nous avions sur nos cœurs si doucement bercé ! 6+6 b
C'était plus qu'une vie, hélas ! c'était un monde 6+6 a
Qui s'était effacé ! 6 b
Oui, jeune et belle encor, plus belle, osait-on dire, 6+6 a
150 Je l'ai vue, et ses yeux brillaient comme autrefois. 6+6 b
Ses lèvres s'entr'ouvraient, et c'était un sourire, 6+6 a
Et c'était une voix ; 6 b
Mais non plus cette voix, non plus ce doux langage, 6+6 a
Ces regards adorés dans les miens confondus ; 6+6 b
155 Mon cœur, encor plein d'elle, errait sur son visage, 6+6 a
Et ne la trouvait plus. 6 b
Et pourtant j'aurais pu marcher alors vers elle, 6+6 a
Entourer de mes bras ce sein vide et glacé, 6+6 b
Et j'aurais pu crier : Qu'as-tu fait, infidèle, 6+6 a
160 Qu'as-tu fait du passé ? 6 b
Mais non : il me semblait qu'une femme inconnue 6+6 a
Avait pris par hasard celte voix et ces yeux ; 6+6 b
Et je laissai passer cette froide statue, 6+6 a
En regardant les cieux. 6 b
165 Eh bien ! ce fut sans doute une horrible misère 6+6 a
Que ce riant adieu d'un être inanimé. 6+6 b
Eh bien ! qu'importe encore ? O nature ! ô ma mère ! 6+6 a
En ai-je moins aimé ? 6 b
La foudre maintenant peut tomber sur ma tète, 6+6 a
170 Jamais ce souvenir ne peut m'être arraché ; 6+6 b
Comme le matelot brisé par la tempête, 6+6 a
Je m'y tiens attaché. 6 b
Je ne veux rien savoir, ni si les champs fleurissent, 6+6 a
Ni ce qu'il adviendra du simulacre humain, 6+6 b
175 Ni si ces vastes cieux éclaireront demain 6+6 b
Ce qu'ils ensevelissent. 6 a
Je me dis seulement : A cette heure, en ce lieu, 6+6 a
Un jour, je fus aimé, j'aimais, elle était belle. 6+6 b
J'enfouis ce trésor dans mon âme immortelle, 6+6 b
180 Et je remporte à Dieu ! 6 a
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