Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
MUS_2/MUS68
Alfred de MUSSET
POÉSIES NOUVELLES
1836-1852
UNE SOIRÉE PERDUE
J'étais seul, l'autre soir, | au Théâtre-Français, 6+6 a
Ou presque seul ; l'auteur | n'avait pas grand succès. 6+6 a
Ce n'était que Molière, | et nous savons de reste 6+6 a
Que ce grand maladroit | qui fit un jour Alceste 6+6 a
5 Ignora le bel art | de chatouiller l'esprit, 6+6 a
Et de servir à point | un dénoûment bien cuit. 6+6 a
Grâce à Dieu, nos auteurs | ont changé de méthode, 6+6 a
Et nous aimons bien mieux | quelque drame à la mode, 6+6 a
Où l'intrigue, enlacée | et roulée en feston, 6+6 a
10 Tourne comme un rébus | autour d'un mirliton. 6+6 a
J'écoutais cependant | cette simple harmonie, 6+6 a
Et comme le bon sens | fait parler le génie, 6+6 a
l'admirais quel amour | pour l'âpre vérité 6+6 a
Eut cet homme si fier | en sa naïveté, 6+6 a
15 Quel grand et vrai savoir | des choses de ce monde, 6+6 a
Quelle mâle gaîté, | si triste et si profonde 6+6 a
Que, lorsqu'on vient d'en rire, | on devrait en pleurer ! 6+6 a
Et je me demandais : | Est-ce assez d'admirer ? 6+6 a
Est-ce assez de venir, | un soir, par aventure, 6+6 a
20 D'entendre au fond de l'âme | un cri de la nature, 6+6 a
D'essuyer une larme, | et de partir ainsi, 6+6 a
Quoi qu'on fasse d'ailleurs, | sans en prendre souci ? 6+6 a
Enfoncé que j'étais | dans celte rêverie, 6+6 a
Çà et là, toutefois, | lorgnant la galerie, 6+6 a
25 Je vis que, devant moi, | se balançait gaîment 6+6 a
Sous une tresse noire | un cou svelte et charmant ; 6+6 a
Et, voyant cet ébène | enchâssé dans l'ivoire, 6+6 a
Un vers d'André Chénier | chanta dans ma mémoire, 6+6 a
Un vers presque inconnu, | refrain inachevé, 6+6 a
30 Frais comme le hasard, | moins écrit que rêvé. 6+6 a
J'osai m'en souvenir, | même devant Molière ; 6+6 a
Sa grande ombre, à coup sûr, | ne s'en offensa pas ; 6+6 b
Et, tout en écoutant, | je murmurais tout bas, 6+6 b
Regardant cette enfant | qui ne s'en doutait guère : 6+6 a
35 « Sous votre aimable tête | un cou blanc, délicat, 6+6 a
« Se plie, et de la neige | effacerait l'éclat, » 6+6 a
Puis je songeais encore | (ainsi va la pensée) 6+6 a
Que l'antique franchise, | à ce point délaissée, 6+6 a
Avec notre finesse | et notre esprit moqueur, 6+6 a
40 Ferait croire, après tout, | que nous manquons de cœur : 6+6 a
Que c'était une triste | et honteuse misère 6+6 a
Que celle solitude | à l'entour de Molière, 6+6 a
Et qu'il est pourtant temps, | comme dit la chanson, 6+6 a
De sortir de ce siècle, | ou d'en avoir raison ; 6+6 a
45 Car à quoi comparer | cette scène embourbée, 6+6 a
Et l'effroyable honte | où la muse est tombée ? 6+6 a
La lâcheté nous bride, | et les sols vont disant 6+6 a
Que sous ce vieux soleil | tout est fait à présent ; 6+6 a
Comme si les travers | de la famille humaine 6+6 a
50 Ne rajeunissaient pas | chaque an, chaque semaine. 6+6 a
Noire siècle a ses mœurs, | partant, sa vérité ; 6+6 a
Celui qui l'ose dire | est toujours écouté. 6+6 a
Ah ! j'oserais parler, | si je croyais bien dire. 6+6 a
J'oserais ramasser | le fouet de la satire, 6+6 a
55 Et l'habiller de noir, | cet homme aux rubans verts, 6+6 a
Qui se lâchait jadis | pour quelques mauvais vers. 6+6 a
S'il rentrait aujourd'hui | dans Paris, la grand'ville, 6+6 a
Il y trouverait mieux | pour émouvoir sa bile 6+6 a
Qu'une méchante femme | et qu'un méchant sonnet ; 6+6 a
60 Nous avons autre chose | à mettre au cabinet. 6+6 a
O notre maître à tous ! | si ta tombe est fermée, 6+6 b
Laisse-moi dans ta cendre, | un instant ranimée, 6+6 b
Trouver une étincelle, | et je vais l'imiter ! 6+6 a
Apprends-moi de quel ton, | dans la bouche hardie, 6+6 a
65 Parlait la vérité, | ta seule passion, 6+6 b
Et pour me faire entendre, | à défaut du génie, 6+6 a
J'en aurai le courage | et l'indignation ! 6+6 b
Ainsi je caressais | une folle chimère. 6+6 a
Devant moi cependant, | à côté de sa mère, 6+6 a
70 L'enfant restait toujours, | et le cou svelte et blanc 6+6 a
Sous les longs cheveux noirs | se bercail mollement. 6+6 a
Le spectacle fini, | la charmante inconnue 6+6 a
Se leva. Le beau cou, | l'épaule à demi nue, 6+6 a
Se voilèrent ; la main | glissa dans le manchon ; 6+6 a
75 El lorsque je la vis | au seuil de sa maison 6+6 a
S'enfuir, je m'aperçus | que je l'avais suivie. 6+6 a
Hélas ! mon cher ami, | c'est là toute ma vie. 6+6 a
Pendant que mon esprit | cherchait sa volonté, 6+6 a
Mon corps savait la sienne, | et suivait la beauté ; 6+6 a
80 Et quand je m'éveillai | de cette rêverie, 6+6 a
Il ne m'en restait plus | que l'image chérie : 6+6 a
« Sous votre aimable tête, | un cou blanc, délicat, 6+6 a
» Se plie, et de la neige | effacerait l'éclat. » 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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