Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
MUS_2/MUS49
Alfred de MUSSET
POÉSIES NOUVELLES
1836-1852
IDYLLE
A quoi passer la nuit | quand on soupe en carême ? 6+6 a
Ainsi, le verre en main, | raisonnaient deux amis. 6+6 b
Quels entretiens choisir, | honnêtes et permis, 6+6 b
Mais gais, tels qu'un vieux vin | les conseille et les aime ? 6+6 a
RODOLPHE
5 Parlons de nos amours ; | la joie et la beauté 6+6 a
Sont mes dieux les plus chers, | après la liberté. 6+6 a
Ébauchons, en trinquant, | une joyeuse idylle. 6+6 a
Par les bois et les prés, | les bergers de Virgile 6+6 a
Fêtaient la poésie | à toute heure, en tout lieu ; 6+6 a
10 Ainsi chante au soleil | la cigale dorée. 6+6 b
D'une voix plus modeste, | au hasard inspirée, 6+6 b
Nous, comme le grillon, | chantons au coin du feu. 6+6 a
ALBERT
Faisons ce qui te plaît. | Parfois, en celle vie, 6+6 a
Une chanson nous berce, | et nous aide à souffrir ; 6+6 b
15 Et, si nous offensons | l'antique poésie, 6+6 a
Son ombre même est douce | à qui la sait chérir. 6+6 b
RODOLPHE
Rosalie est le nom | de la brune fillette 6+6 a
Dont l'inconstant hasard | m'a fait maître et seigneur. 6+6 b
Son nom fait mon délice, | et, quand je le répète, 6+6 a
20 Je le sens, chaque fois, | mieux gravé dans mon cœur. 6+6 b
ALBERT
Je ne puis sur ce ton | parler de mon amie. 6+6 a
Bien que son nom aussi | soit doux à prononcer, 6+6 b
Je ne saurais sans honte | à tel point l'offenser, 6+6 b
Et dire, en un seul mot, | le secret de ma vie. 6+6 a
RODOLPHE
25 Que la fortune abonde | en caprices charmants ! 6+6 a
Dès nos premiers regards | nous devînmes amants. 6+6 a
C'était un mardi gras, | dans une mascarade. 6+6 a
Nous soupions ; — la Folie | agita ses grelots, 6+6 b
Et notre amour naissant | sortit d'une rasade, 6+6 a
30 Comme autrefois Vénus | de l'écume des flots. 6+6 b
ALBERT
Quels mystères profonds | dans l'humaine misère ! 6+6 a
Quand, sous les marronniers, | à côté de sa mère, 6+6 a
Je la vis, à pas lents, | entrer si doucement, 6+6 a
(Son front était si pur, | son regard si tranquille !) 6+6 b
35 Le ciel m'en est témoin, | dès le premier moment, 6+6 a
Je compris que l'aimer | était peine inutile ; 6+6 b
Et cependant mon cœur | prit un amer plaisir 6+6 a
A sentir qu'il aimait, | et qu'il allait souffrir. 6+6 a
RODOLPHE
Depuis qu'à mon chevet | rit cette tète folle, 6+6 a
40 Elle en chasse à la fois | le sommeil et l'ennui ; 6+6 b
Au bruit de nos baisers | le temps joyeux s'envole, 6+6 a
Et noire lit de fleurs | n'a pas encore un pli. 6+6 b
ALBERT
Depuis que dans ses yeux | ma peine a pris naissance, 6+6 a
Nul ne sait le tourment | dont je suis déchiré. 6+6 b
45 Elle-même l'ignore, | — et ma seule espérance 6+6 a
Est qu'elle le devine | un jour, quand j'en mourrai. 6+6 b
RODOLPHE
Quand mon enchanteresse | entr'ouvre sa paupière, 6+6 a
Sombre comme la nuit, | pur comme la lumière, 6+6 a
Sur l'émail de ses yeux | brille un noir diamant. 6+6 a
ALBERT
50 Comme sur une fleur | une goutte de pluie, 6+6 b
Comme une pâle étoile | au fond du firmament, 6+6 a
Ainsi brille en tremblant | le regard de ma mie. 6+6 b
RODOLPHE
Son front n'est pas plus grand | que celui de Vénus. 6+6 a
Par un nœud de ruban | deux bandeaux retenus 6+6 a
55 L'entourent mollement | d'une fraîche auréole ; 6+6 a
Et, lorsqu'au pied du lit | tombent ses longs cheveux, 6+6 b
On croirait voir le soir, | sur ses flancs amoureux, 6+6 b
Se dérouler gaîment | la mantille espagnole. 6+6 a
ALBERT
Ce bonheur à mes yeux | n'a pas été donné 6+6 a
60 De voir jamais ainsi | la tête bien-aimée. 6+6 b
Le chaste sanctuaire | où siège sa pensée 6+6 b
D'un diadème d'or | est toujours couronné. 6+6 a
RODOLPHE
Voyez-la, le matin |-, qui gazouille et sautille ; 6+6 a
Son cœur est un oiseau, | — sa bouche est une fleur. 6+6 b
65 C'est là qu'il faut saisir | cette indolente fille, 6+6 a
Et, sur la pourpre vive | où le rire pétille, 6+6 a
De son souffle enivrant | respirer la fraîcheur. 6+6 b
ALBERT
Une fois seulement, | j'étais le soir près d'elle ; 6+6 a
Le sommeil lui venait, | et la rendait plus belle ; 6+6 a
70 Elle pencha vers moi | son front plein de langueur, 6+6 a
Et, comme on voit s'ouvrir | une rose endormie, 6+6 b
Dans un faible soupir, | des lèvres de ma mie, 6+6 b
le sentis s'exhaler | le parfum de son cœur. 6+6 a
RODOLPHE
Je voudrais voir qu'un jour | ma belle dégourdie, 6+6 a
75 Au cabaret voisin | de Champagne étourdie, 6+6 a
S'en vînt, en jupon court, | se glisser dans tes bras. 6+6 b
Qu'adviendrait-il alors | de ta mélancolie ? 6+6 a
Car enfin toute chose | est possible ici-bas. 6+6 b
ALBERT
Si le profond regard | de ma chère maîtresse, 6+6 a
80 Un instant par hasard, | s'arrêtait sur le tien. 6+6 b
Qu'adviendrait-il alors | de cette folle ivresse ? 6+6 a
Aimer est quelque chose, | et le reste n'est rien. 6+6 b
RODOLPHE
Non, l'amour qui se tait | n'est qu'une rêverie. 6+6 a
Le silence est la mort, | et l'amour est la vie ; 6+6 a
85 Et c'est un vieux mensonge | à plaisir inventé, 6+6 a
Que de croire au bonheur | hors de la volupté ! 6+6 a
Je ne puis partager | ni plaindre la souffrance. 6+6 a
Le hasard est là-haut | pour les audacieux ; 6+6 b
Et celui dont la crainte | a tué l'espérance 6+6 a
90 Mérite son malheur | et fait injure aux dieux. 6+6 b
ALBERT
Non, quand leur âme immense | entra dans la nature, 6+6 a
Les dieux n'ont pas tout dit | à la matière impure 6+6 a
Qui reçut dans ses flancs | leur forme et leur beauté. 6+6 a
C'est une vision | que la réalité. 6+6 a
95 Non, des flacons brisés, | quelques vaines paroles 6+6 a
Qu'on prononce au hasard | et qu'on croit échanger, 6+6 b
Entre deux froids baisers | quelques rires frivoles, 6+6 a
El d'un être inconnu | le contact passager, 6+6 b
Non, ce n'est pas l'amour, | ce n'est pas même un rêve ; 6+6 a
100 Et la satiété, | qui succède au désir, 6+6 b
Amène un tel dégoût | quand le cœur se soulève, 6+6 a
Que je ne sais, au fond, | si c'est peine ou plaisir. 6+6 b
RODOLPHE
Est-ce peine ou plaisir, | une alcôve bien close, 6+6 a
El le punch allumé, | quand il fait mauvais temps ? 6+6 b
105 Est-ce peine on plaisir, | l'incarnai de la rose, 6+6 a
La blancheur de l'albâtre, | et l'odeur du printemps ? 6+6 b
Quand la réalité | ne serait qu'une image, 6+6 a
El le contour léger | des choses d'ici-bas, 6+6 b
Me préserve le ciel | d'en savoir davantage ! 6+6 a
110 Le masque est si charmant | que j'ai peur du visage, 6+6 a
El, même en carnaval, | je n'y toucherais pas. 6+6 b
ALBERT
Une larme en dit plus | que tu n'en pourrais dire. 6+6 a
RODOLPHE
Une larme a son prix ; | c'est la sœur d'un sourire. 6+6 a
Avec deux yeux bavards | parfois j'aime à jaser ; 6+6 a
115 Mais le seul vrai langage, | au monde, est un baiser. 6+6 a
ALBERT
Ainsi donc, à ton gré, | dépense ta paresse. 6+6 a
O mon pauvre secret, | que nos chagrins sont doux ! 6+6 b
RODOLPHE
Ainsi donc, à ton gré, | promène la tristesse. 6+6 a
O mes pauvres soupers, | comme on médit de vous ! 6+6 b
ALBERT
120 Prends garde seulement | que ta belle étourdie 6+6 a
Dans quelque honnête ennui | ne perde sa gaîté. 6+6 b
RODOLPHE
Prends garde seulement | que la rose endormie 6+6 a
Ne trouve un papillon | quelque beau soir d'été. 6+6 b
ALBERT
Dos premiers feux du jour | j'aperçois la lumière. 6+6 a
RODOLPHE
125 Laissons notre dispute, | et vidons notre verre. 6+6 a
Nous aimons, c'est assez, | chacun a sa façon. 6+6 b
J'en ai connu plus d'une, | et j'en sais la chanson. 6+6 b
Le droit est au plus fort | en amour comme en guerre, 6+6 a
Et la femme qu'on aime | aura toujours raison. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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