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MUS_2/MUS48
Alfred de MUSSET
POÉSIES NOUVELLES
1836-1852
SUR LA NAISSANCE DU COMTE DE PARIS
De tant de jours de deuil, de crainte et d'espérance, 6+6 a
De tant d'efforts perdus, de tant de maux soufferts, 6+6 b
En es-tu lasse enfin, pauvre terre de France, 6+6 a
El de tes vieux enfants l'éternelle inconstance 6+6 a
5 Laissera-t-elle un jour le calme à l'univers ? 6+6 b
Comprends-tu tes destins et sais-tu ton histoire ? 6+6 a
Depuis un demi-siècle as-tu compté tes pas ? 6+6 b
Est-ce assez de grandeur, de misère et de gloire, 6+6 a
Et, sinon par pitié pour la propre mémoire, 6+6 a
10 Par fatigue du moins t'arrêteras-tu pas ? 6+6 b
Ne te souvient-il plus de ces temps d'épouvante, 6+6 a
Où de quatre-vingt-neuf résonna le tocsin ? 6+6 b
N'était-ce pas hier, et la source sanglante 6+6 a
Où Paris baptisa sa liberté naissante, 6+6 a
15 La sens-tu pas encor qui coule de ton sein ? 6+6 b
A-t-il rassasié ta fierté vagabonde, 6+6 a
A-t-il pour les combats assouvi ton penchant, 6+6 b
Cet homme audacieux qui traversa le monde, 6+6 a
Pareil au laboureur qui traverse son champ. 6+6 b
20 Armé du soc de fer qui déchire et féconde ? 6+6 a
S'il te fallait alors des spectacles guerriers, 6+6 a
Est-ce assez d'avoir vu l'Europe dévastée, 6+6 b
De Memphis à Moscou la terre disputée, 6+6 b
Et l'étranger deux fois assis à nos foyers, 6+6 a
25 Secouant de ses pieds la neige ensanglantée ? 6+6 b
S'il te faut aujourd'hui des éléments nouveaux, 6+6 a
En est-ce assez pour loi d'avoir mis en lambeaux 6+6 a
Tout ce qui porte un nom, gloire, philosophie, 6+6 b
Religion, amour, liberté, tyrannie, 6+6 b
30 D'avoir fouillé partout, jusque dans les tombeaux ? 6+6 a
En est-ce assez pour toi des vaines théories, 6+6 a
Sophismes monstrueux dont on nous a bercés, 6+6 b
Spectres républicains, sortis des temps passés, 6+6 b
Abus de tous les droits, honteuses rêveries 6+6 a
35 D'assassins en délire ou d'enfants insensés ? 6+6 b
En est-ce assez pour toi d'avoir, en cinquante ans, 6+6 a
Vu tomber Robespierre et passer Bonaparte, 6+6 b
Charles dix pour l'exil partir en cheveux blancs, 6+6 a
D'avoir imité Londre, Athènes, Rome et Sparte, 6+6 b
40 Et d'être enfin Français n'est-il pas bientôt temps ? 6+6 a
Si ce n'est pas assez, prends (on glaive et la lance. 6+6 a
Réveille tes soldats, dresse tes échafauds ; 6+6 b
En guerre ! et que demain le siècle recommence, 6+6 a
Afin qu'un jour du moins le meurtre et la licence, 6+6 a
45 Repus de notre sang, nous laissent le repos ! 6+6 b
Mais si Dieu n'a pas fait la souffrance inutile, 6+6 a
Si des maux d'ici-bas quelque bien peut venir ; 6+6 b
Si l'orage apaisé rend le ciel plus tranquille ; 6+6 a
S'il est vrai qu'en tombant sur un terrain fertile, 6+6 a
50 Les larmes du passé fécondent l'avenir ; 6+6 b
Sache donc profiter de ton expérience, 6+6 a
Toi qu'une jeune reine, en ses louchants adieux, 6+6 b
Appelait autrefois plaisant pays de France ! 6+6 a
Connais-toi donc toi-même, ose donc être heureux, 6+6 b
55 Ose donc franchement bénir la Providence ! 6+6 a
Laisse dire à qui veut que ton grand cœur s'abat, 6+6 a
Que la paix t'affaiblit, que tes forces s'épuisent : 6+6 b
Ceux qui le croient le moins sont ceux qui te le disent. 6+6 b
Ils le savent debout, ferme, et prêt au combat, 6+6 a
60 Et, ne pouvant briser ta force, ils la divisent. 6+6 b
Laisse-les s'agiter, ces gens à passion, 6+6 a
De nos vieux harangueurs modernes parodies ; 6+6 b
Laisse-les étaler leurs froides comédies, 6+6 b
Et, les deux bras croisés, te prêcher l'action ; 6+6 a
65 Leur seule vérité, c'est leur ambition. 6+6 a
Que t'importent des mots, des phrases ajustées ? 6+6 a
As-tu vendu ton blé, ton bétail et ton vin ? 6+6 b
Es-tu libre ? Les lois sont-elles respectées ? 6+6 a
Crains-tu de voir ton champ pillé par le voisin ? 6+6 b
70 Le maître a-t-il son toit, et l'ouvrier son pain ? 6+6 b
Si nous avons cela, le reste est peu de chose. 6+6 a
Il en faut plus pourtant ; à travers nos remparts, 6+6 b
De l'univers jaloux pénètrent les regards. 6+6 b
Paris remplit le monde, et, lorsqu'il se repose, 6+6 a
75 Pour que sa gloire veille, il a besoin des arts. 6+6 b
Où les vit-on fleurir mieux qu'au siècle où nous sommes ? 6+6 a
Quand vit-on au travail plus de mains s'exercer ? 6+6 b
Quand fûmes-nous jamais plus libres de penser ? 6+6 b
On veut nier en vain les choses et les hommes ; 6+6 a
80 Nous aurons à nos fils une page à laisser. 6+6 b
Le bruit de nos canons retentit aujourd'hui ; 6+6 a
Que l'Europe l'écoute, elle doit le connaître ! 6+6 b
France, au milieu de nous un enfant vient de naître, 6+6 b
Et si ma faible voix se fait entendre ici, 6+6 a
85 C'est devant son berceau que je te parle ainsi. 6+6 a
Son courageux aïeul est ce roi populaire 6+6 a
Qu'on voit depuis huit ans, sans crainte et sans colère, 6+6 a
En pilote hardi nous montrer le chemin. 6+6 b
Son père est près du trône, une épée à la main ; 6+6 b
90 Tous les infortunés savent quelle est sa mère. 6+6 a
Ce n'est qu'un fils de plus que le ciel t'a donné, 6+6 a
France, ouvre-lui tes bras sans peur, sans flatterie ; 6+6 b
Soulève doucement ta mamelle meurtrie, 6+6 b
Et verse en souriant, vieille mère-patrie, 6+6 b
95 Une goutte de lait à l'enfant nouveau-né. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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