Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
MUS_2/MUS35
Alfred de MUSSET
POÉSIES NOUVELLES
1836-1852
ROLLA
I
Regrettez-vous le temps le ciel sur la terre 6+6 a
Marchait et respiraitdans un peuple de dieux ? 6+6 b
Vénus Astarté,fille de l'onde amère, 6+6 a
Secouait, vierge encor,les larmes de sa mère, 6+6 a
5 Et fécondait le mondeen tordant ses cheveux ? 6+6 b
Regrettez-vous le temps les Nymphes lascives 6+6 c
Ondoyaient au soleilparmi les fleurs des eaux, 6+6 d
Et d'un éclat de rireagaçaient sur les rives 6+6 c
Les Faunes indolentscouchés dans les roseaux ? 6+6 d
10 les sources tremblaientdes baisers de Narcisse ? 6+6 e
, du nord au midi,sur la création 6+6 f
Hercule promenaitl'éternelle justice 6+6 e
Sous son manteau sanglant,taillé dans un lion ? 6+6 f
les Sylvains moqueurs,dans l'écorce des chênes, 6+6 g
15 Avec les rameaux vertsse balançaient au vent, 6+6 h
Et sifflaient dans l'échola chanson du passant ? 6+6 h
tout était divin,jusqu'aux douleurs humaines, 6+6 g
le monde adoraitce qu'il tue aujourd'hui, 6+6 i
quatre mille dieuxn'avaient pas un athée, 6+6 j
20 tout était heureux,excepté Prométhée, 6+6 j
Frère né de Satan,qui tomba comme lui ? 6+6 i
Et quand tout fut changé,le ciel, la terre et l'homme, 6+6 k
Quand le berceau du mondeen devint le cercueil, 6+6 l
Quand l'ouragan du Nordsur les débris de Rome 6+6 k
25 De sa sombre avalancheétendit le linceul — 6+6 l
Regrettez-vous le temps d'un siècle barbare 6+6 m
Naquit un siècle d'or,plus fertile et plus beau ? 6+6 n
le vieil universfendit avec Lazare 6+6 m
De son front rajeunila pierre du tombeau ? 6+6 n
30 Regrettez-vous le temps nos vieilles romances 6+6 o
Ouvraient leurs ailes d'orvers leur monde enchanté ? 6+6 p
tous nos monumentset toutes nos croyances 6+6 o
Portaient le manteau blancde leur virginité ? 6+6 p
, sous la main du Christ,tout venait de rentre ? 6+6 q
35 le palais du prince,et la maison du prêtre, 6+6 q
Portant la même croixsur leur front radieux, 6+6 b
Sortaient de la montagneeu regardant les cieux ? 6+6 b
Cologne et Strasbourg,Notre-Dame et Saint-Pierre, 6+6 a
S'agenouillant au loindans leurs robes de pierre, 6+6 a
40 Sur l'orgue universeldes peuples prosternés 6+6 r
Entonnaient l'hosannades siècles nouveau-nés ? 6+6 r
Le temps se faisaittout ce qu'a dit l'histoire ; 6+6 s
sur les saints autelsles crucifix d'ivoire 6+6 s
Ouvraient des bras sans tache,et blancs comme le lait ; 6+6 t
45 la Vie était jeune, la Mort espérait ? 6+6 t
O Christ ! je ne suis pasde ceux que la prière 6+6 a
Dans tes temples muetsamène à pas tremblants ; 6+6 u
Je ne suis pas de ceuxqui vont à ton Calvaire, 6+6 a
En se frappant le cœur,baiser les pieds sanglants ; 6+6 u
50 Et je reste deboutsous tes sacrés portiques, 6+6 v
Quand ton peuple fidèle,autour des noirs arceaux, 6+6 d
Se courbe en murmurantsous le vent des cantiques, 6+6 v
Comme au souffle du nordun peuple de roseaux. 6+6 d
Je ne crois pas, ô Christ !à la parole sainte : 6+6 w
55 Je suis venu trop tarddans on monde trop vieux. 6+6 b
D'un siècle sans espoirnt un siècle sans crainte ; 6+6 w
Les comètes du nôtreont dépeuplé les cieux. 6+6 b
Maintenant le hasardpromène au sein des ombres 6+6 x
De leurs illusionsles mondes réveillés ; 6+6 r
60 L'esprit des temps passés,errant sur leurs décombres, 6+6 x
Jette au gouffre éterneltes anges mutilés. 6+6 r
Les clous du Golgothate soutiennent à peine ; 6+6 y
Sous ton divin tombeaule sol s'est dérobé : 6+6 p
Ta gloire est morte, ô Christ !et sur nos croix d'ébène 6+6 y
65 Ton cadavre célesteen poussière est tombé ! 6+6 p
Eh bien ! qu'il soit permisd'en baiser la poussière. 6+6 a
Au moins crédule enfantde ce siècle sans foi, 6+6 z
Et de pleurer, ô Christ !sur cette froide terre 6+6 a
Qui vivait de ta mort,et qui mourra sans toi ! 6+6 z
70 Oh ! maintenant, mon Dieu,qui lui rendra la vie ? 6+6 a
Du plus pur de ton sangtu l'avais rajeunie, 6+6 a
Jésus ! ce que lu fis,qui jamais le fera ? 6+6 b
Nous, vieillards nés d'hier,qui nous rajeunira ? 6+6 b
Nous sommes aussi vieuxqu'au jour de ta naissance. 6+6 c
75 Nous attendons autant,nous avons plus perdu. 6+6 d
Plus livide et plus froid,dans son cercueil immense 6+6 c
Pour la seconde foisLazare est étendu. 6+6 d
donc est le Sauveur,pour entr'ouvrir nos tombes ? 6+6 e
donc le vieux saint Paul,haranguant les Romains, 6+6 f
80 Suspendant tout un peupleà ses haillons divins ? 6+6 f
donc est le Cénacle, donc les Catacombes ? 6+6 e
Avec qui marche doncl'auréole de feu ? 6+6 g
Sur quels pieds tombez-vous,parfums de Madelaine ? 6+6 y
donc vibre dans l'airune voix pins qu'humaine ? 6+6 y
85 Qui de nous, qui de nousva devenir un Dieu ? 6+6 g
La Terre est aussi vieille,aussi dégénérée, 6+6 j
Elle branle une fêteaussi désespérée, 6+6 j
Que lorsque Jean parutsur le sable des mers, 6+6 h
Et que la moribonde,à sa parole sainte, 6+6 w
90 Tressaillant tout à coupcomme une femme enceinte, 6+6 w
Sentit bondir en elleun nouvel univers. 6+6 h
Les jours sont revenusde Claude et de Tibère ; 6+6 a
Tout ici, comme alors,est mort avec le temps, 6+6 u
Et Saturne est au boutdu sang de ses enfants ; 6+6 u
95 Mais l'espérance humaineest tasse d'être mère, 6+6 a
Et, le sein tout meurtrid'avoir tant allaité, 6+6 p
Elle fait Son reposde sa stérilité. 6+6 p
II
De tous les débauchésde la ville du monde 6+6 i
le libertinageest à meilleur marché, 6+6 p
100 De la plus vieille en vice,et de la plus féconde, 6+6 i
Je veux dire Paris,— le plus grand débauché 6+6 p
Était Jacques Rolla ;— jamais dans les tavernes, 6+6 j
Sous les rayons tremblantsdes blafardes lanternes, 6+6 j
Plus indocile enfantne s'était accoudé 6+6 p
105 Sur une table chaude,ou sur un coup de dé. 6+6 p
Ce n'était pas Rollaqui gouvernait sa vie, 6+6 a
C'étaient ses passions ;il les laissait aller 6+6 p
Comme un pâtre assoupiregarde l'eau couler. 6+6 p
Elles vivaient ; — son corpsétait l'hôtellerie 6+6 a
110 s'étaient attablésces pâles voyageurs ; 6+6 k
Tantôt pour y briserles lits et les murailles, 6+6 l
Pour s'y chercher dans l'ombre,et s'ouvrir les entrailles 6+6 l
Comme des cerfs en rutet des gladiateurs ; 6+6 k
Tantôt pour y chanteren s'enivrant ensemble, 6+6 m
115 Comme de gais oiseauxqu'un coup de vent rassemble, 6+6 m
Et qui, pour vingt amours,n'ont qu'un arbuste en fleurs 6+6 k
Le père de Rolla,gentillâtre imbécile, 6+6 n
L'avait fait élevercomme un riche héritier. 6+6 p
Sans songer que lui-même,à sa petite ville, 6+6 n
120 Il avait de son bienmangé plus de moitié. 6+6 p
En sorte que Rolla,par un beau soir d'automne, 6+6 k
Se vit à dix-neuf ansmtre de sa personne, — 6+6 k
Et n'ayant dans la mainni talent ni métier. 6+6 p
Il t trouvé d'ailleurstout travail impossible ; 6+6 o
125 Un gagne-pain quelconque,un métier de valet, 6+6 t
Soulevait sur sa lèvreun rire inextinguible. 6+6 o
Ainsi, mordant à mêmeau peu qu'il possédait, 6+6 t
Il resta grand seigneur,tel que Dieu l'avait fait. 6+6 t
Hercule, fatiguéde sa tâche éternelle, 6+6 p
130 S'assit un jour, dit-on,entre un double chemin. 6+6 q
Il vit la Voluptéqui lui tendait la main : 6+6 q
Il suivit la Vertu,qui lui sembla plus belle. 6+6 p
Aujourd'hui rien n'est beau,ni le mal ni le bien. 6+6 q
Ce n'est pas notre tempsqui s'arrête et qui doute ; 6+6 r
135 Les siècles, en passant,ont fait leur grande route 6+6 r
Entre les deux sentiers,dont il ne reste rien. 6+6 q
Rolla fit à vingt ansce qu'avaient fait ses pères. 6+6 s
Ce qu'on voit aux abordsd'une grande cité, 6+6 p
Ce sont des abattoirs,des murs, des cimetières ; 6+6 s
140 C'est ainsi qu'en entrantdans la société, 6+6 p
On trouve ses égouts.— La virginité sainte- 6+6 w
S'y cache à tous les yeuxsous une triple enceinte ; 6+6 w
On voile la pudeur,mais la corruption 6+6 f
Y baise en plein soleilla prostitution. 6+6 f
145 Les hommes dans leur seinn'accueillent leur semblable, 6+6 t
Que lorsqu'il a trempédans le fleuve fangeux 6+6 b
L'acier chaste et brûlantdu glaive redoutable 6+6 t
Qu'il a reçu du cielpour se défendre d'eux. 6+6 b
Jacque était grand, loyal,intrépide et superbe. 6+6 u
150 L'habitude, qui faitde la vie un proverbe, 6+6 u
Lui donnait la nausée.— Heureux ou malheureux, 6+6 b
Il ne fit rien comme elle,et garda pour ses dieux 6+6 b
L'audace et la fierté,qui sont ses sœurs nées. 6+6 v
Il prit trois bourses d'or,et, durant trois années, 6+6 v
155 Il vécut au soleilsans se douter des lois ; 6+6 w
Et jamais fils d'Adam,sous la sainte lumière, 6+6 a
N'a, de l'est au couchant,promené sur la terre 6+6 a
Un plus large méprisdes peuples et des rois. 6+6 w
Seul, il marchait tout nudans cette mascarade 6+6 x
160 Qu'on appelle la vie,en y parlant tout haut. 6+6 n
Tel que la robe d'ordu jeune Alcibiade, 6+6 x
Son orgueil indolent,du palais au ruisseau, 6+6 n
Trnait derrière luicomme un royal manteau. 6+6 n
Ce n'était pour personneun objet de mystère 6+6 a
165 Qu'il t trois ans à vivre,et qu'il mangeât sou bien. 6+6 q
Le monde souriaiten le regardant faire, 6+6 a
Et lui, qui le faisait,disait à l'ordinaire 6+6 a
Qu'il se ferait sauterquand il n'aurait plus rien. 6+6 q
C'était un noble cœur,naïf comme l'enfance, 6+6 c
170 Bon comme la pitié,grand comme l'espérance. 6+6 c
Il ne voulut jamaiscroire à sa pauvreté. 6+6 p
L'armure qu'il portaitn'allait pas à sa taille ; 6+6 z
Elle était bonne au pluspour un jour de bataille, 6+6 z
Et ce jour-là fut courtcomme une nuit d'été. 6+6 p
175 Lorsque dans le désertla cavale sauvage, 6+6 a
Après trois jours de marche,attend un jour d'orage, 6+6 a
Pour boire l'eau du cielsur ses palmiers poudreux ; 6+6 b
Le soleil est de plomb,les palmiers en silence 6+6 c
Sous leur ciel embrasépenchent leurs longs cheveux ; 6+6 b
180 Elle cherche son puitsdans le désert immense, 6+6 c
Le soleil l'a séché ;sur le rocher brûlant 6+6 h
Les lions hérissésdorment en grommelant. 6+6 h
Elle se sent fléchir ;ses narines qui saignent 6+6 b
S'enfoncent dans le sable,et le sable altéré 6+6 p
185 Vient boire avidementson sang décoloré. 6+6 p
Alors elle se couche,et ses grands yeux s'éteignent, 6+6 b
Et le pâle désertroule sur son enfant 6+6 h
Les flots silencieuxde son linceul mouvant. 6+6 h
Elle ne savait pas,lorsque les caravanes 6+6 c
190 Avec leurs chamelierspassaient sous les platanes, 6+6 c
Qu'elle n'avait qu'à suivreet qu'à baisser le front, 6+6 d
Pour trouver à Bagdadde frches écuries, 6+6 e
Des râteliers dorés,des luzernes fleuries, 6+6 e
Et des puits dont le cieln'a jamais vu le fond. 6+6 d
195 Si Dieu nous a tiréstous de la même fange, 6+6 g
Certe, il a dû pétrirdans une argile étrange 6+6 g
Et sécher aux rayonsd'un soleil irrité 6+6 p
Cet être, quel qu'il soit,ou l'aigle, ou l'hirondelle, 6+6 p
Qui ne saurait plierni son cou ni son aile, 6+6 p
200 Et qui n'a pour tout bienqu'un mot : la liberté. 6+6 p
III
Est-ce sur de la neige,ou sur une statue, 6+6 h
Que celte lampe d'or,dans l'ombre suspendue, 6+6 h
Fait onduler l'azurde ce rideau tremblant ? 6+6 h
Non, la neige est plus pâle,et le marbre est moins blanc. 6+6 h
205 C'est un enfant qui dort.— Sur ses lèvres ouvertes 6+6 j
Voltige par instantsun faible et doux soupir ; 6+6 k
Un soupir plus légerque ceux des algues vertes 6+6 j
Quand le soir sur les mersvoltige le Zéphir, 6+6 k
Et que, sentant fléchirses ailes embaumées 6+6 v
210 Sous les baisers ardentsde ses fleurs bien-aimées, 6+6 v
Il boit sur ses bras nusles perles des roseaux. 6+6 d
C'est un enfant qui dortsous ces épais rideaux, 6+6 d
Un enfant de quinze ans,— presque une jeune femme ; 6+6 l
Rien n'est encor formédans cet être charmant. 6+6 h
215 Le petit chérubinqui veille sur son âme 6+6 l
Doute s'il est son frère,ou s'il est son amant. 6+6 h
Ses longs cheveux éparsla couvrent tout entière. 6+6 a
La croix de son collierrepose dans sa main, 6+6 q
Comme pour témoignerqu'elle a fait sa prière, 6+6 a
220 Et qu'elle va la faireen s'éveillant demain. 6+6 q
Elle dort, regardez :— quel front noble et candide ! 6+6 m
Partout, comme un lait pursur une onde limpide, 6+6 m
Le ciel sur la beautérépandit la pudeur. 6+6 n
Elle dort toute nueet la main sur son cœur. 6+6 n
225 N'est-ce pas que la nuitla rend encor plus belle ? 6+6 p
Que ces molles clartéspalpitent autour d'elle 6+6 p
Comme si, malgré lui,le sombre Esprit du soir 6+6 o
Sentait sur ce beau corpsfrémir son manteau noir ? 6+6 o
Les pas silencieuxdu prêtre dans l'enceinte 6+6 w
230 Font tressaillir le cœurd'une terreur moins sainte, 6+6 w
O vierge ! que le bruitde tes soupirs légers. 6+6 r
Regardez cette chambreet ces frais orangers, 6+6 r
Ces livres, ce métier,cette branche bénite 6+6 p
Qui se penche en pleurantsur ce vieux crucifix ; 6+6 q
235 Ne chercherait-on pasle rouet de Marguerite 6+6 p
Dans ce mélancoliqueet chaste paradis ? 6+6 q
N'est-ce pas qu'il est pur,le sommeil de l'enfance ? 6+6 c
Que le ciel lui donnasa beauté pour défense ? 6+6 c
Que l'amour d'une viergeest une piété 6+6 p
240 Comme l'amour céleste,et qu'en approchant d'elle, 6+6 p
Dans l'air qu'elle respireon sent frissonner l'aile 6+6 p
Du séraphin jalouxqui veille à son côté ? 6+6 p
Si ce n'est pas ta mère,ô pâle jeune fille, 6+6 n
Quelle est donc cette femmeassise à ton chevet, 6+6 t
245 Qui regarde l'horlogeet l'âtre qui pétille, 6+6 n
En secouant la tète,et d'un air inquiet ? 6+6 t
Qu'attend-elle si tard ?— Pour qui, si c'est la mère, 6+6 a
S'en va-t-elle entr'ouvrir,depuis quelques instants, 6+6 u
Ta porte et ton balconsi ce n'est pour ton père ? 6+6 a
250 Et ton père, Marie,est mort depuis longtemps. 6+6 u
Pour qui donc ces flacons,celte table fumante, 6+6 s
Que de ses propres mainselle vient de servir ? 6+6 k
Pour qui donc ces flambeaux,et qui donc va venir ?… 6+6 k
Qui que ce soit, tu dors,tu n'es pas son amante. 6+6 s
255 Les songes de tes nuitssont plus purs que le jour, 6+6 t
Et trop jeunes encorpour te parler d'amour. 6+6 t
A qui donc ce manteauque cette femme essuie ? 6+6 a
Il est couvert de boueet dégouttant de pluie ; 6+6 a
C'est le tien, Maria,c'est celui d'un enfant. 6+6 h
260 Tes cheveux sont mouillés.Tes mains et ton visage . 6+6 a
Sont devenus vermeilsau froid souffle du vent. 6+6 h
donc t'en allais-tupar cette nuit d'orage ? 6+6 a
Cette femme n'est pasta mère, assurément. 6+6 h
Silence ! on a parlé.Des femmes inconnues 6+6 u
265 Ont entr'ouvert la porte,et d'autres, demi-nues, 6+6 u
Les cheveux en désordre,et se trnant aux murs, 6+6 v
Traversaient en sueurdes corridors obscurs. 6+6 v
Une lampe a bougé ;— les restes d'une orgie, 6+6 a
Aux dernières lueursde sa morne clarté, 6+6 p
270 Sont apparus au fondd'un boudoir écarté. 6+6 p
Les verres se heurtaientsur la nappe rougie ; 6+6 a
La porte est retombéeau bruit d'un rire affreux. 6+6 b
C'est une vision,n'est-il pas vrai, Marie ? 6+6 a
C'est un rêve insenséqui m'a frappé les yeux. 6+6 b
275 Tout repose, tout dort ;— cette femme est ta mère. 6+6 a
C'est le parfum des fleurs,c'est une huile légère 6+6 a
Qui baigne tes cheveux,et la chaste rougeur 6+6 n
Qui couvre ton beau frontvient du sang de ton cœur. 6+6 n
Silence ! quelqu'un frappe,et sur les dalles sombres 6+6 x
280 Un pas retentissantfait tressaillir la nuit. 6+6 i
Une lueur tremblanteapproche avec deux ombres… 6+6 x
C'est toi, maigre Rolla ?que viens-tu faire ici ? 6+6 i
O Faust ! n'étais-tu pasprêt à quitter la terre, 6+6 a
Dans cette nuit d'angoisse l'archange déchu, 6+6 d
285 Sous son manteau de feu,comme une ombre légère, 6+6 a
T'emporta dans L'espaceà ses pieds suspendu ? 6+6 d
N'avais-tu pas criéton dernier anathème, 6+6 x
Et, quand tu tressaillisau bruit des chants sacrés, 6+6 r
N'avais-tu pas frappé,dans ton dernier blasphème, 6+6 x
290 Ton front sexagénaireà tes murs délabrés ? 6+6 r
Oui, le poison tremblaitsur ta lèvre livide ; 6+6 m
La Mort, qui t'escortaitdans tes œuvres sans nom. 6+6 f
Avait à les côtésdescendu jusqu'au fond 6+6 f
La spirale sans finde ton long suicide ; 6+6 m
295 Et, trop vieux pour s'ouvrir,ton cœur s'était brisé 6+6 p
Comme un roc en hiver,par la froidure usé. 6+6 p
Ton heure était venue,athée à barbe grise ; 6+6 e
L'arbre de ta scienceétait déraciné. 6+6 p
L'ange exterminateurte vit avec surprise 6+6 e
300 Faire jaillir encor,pour te vendre au Damné, 6+6 p
Une goutte de sangde ton bras décharné. 6+6 p
Oh ! sur quel océan,sur quelle grotte obscure, 6+6 y
Sur quel bois d'aloèset de frais oliviers, 6+6 p
Sur quelle neige intacteau sommet des glaciers, 6+6 p
305 Souffle-t-il à l'auroreune brise aussi pure, 6+6 y
Un vent d'est aussi pleindes larmes du printemps, 6+6 u
Que celui qui passasur ta tête blanchie, 6+6 a
Quand le ciel te donnade ressaisir la vie 6+6 a
Au manteau virginald'un enfant de quinze ans ! 6+6 u
310 Quinze ans ! — O Roméo !l'âge de Juliette ! 6+6 z
L'âge vous vous aimiez ! le vent du malin, 6+6 q
Sur l'échelle de soie,au chant de l'alouette, 6+6 z
Beait vos longs baiserset vos adieux sans fin ! 6+6 q
Quinze ans ! — l'âge céleste l'arbre de la vie, 6+6 a
315 Sous la tiède oasisdu désert embaumé, 6+6 p
Baigne ses fruits dorésde myrrhe et d'ambroisie, 6+6 a
Et pour féconder l'air,comme un palmier d'Asie, 6+6 a
N'a qu'à jeter au ventson voile parfumé ! 6+6 p
Quinze ans ! — l'âge la femme,au jour de sa naissance, 6+6 c
320 Sortit des mains de Dieusi blanche d'innocence, 6+6 c
Si riche de beauté,que son père immortel 6+6 a
De ses phalanges d'oren fit l'âge éternel ! 6+6 a
Oh ! la fleur de l'Éden,pourquoi l'as-tu fanée, 6+6 j
Insouciante enfant,belle Ève aux blonds cheveux ? 6+6 b
325 Tout trahir et tout perdreétait ta destinée ; 6+6 j
Tu fis ton Dieu mortel,et tu l'en aimas mieux. 6+6 b
Qu'on te rende le ciel,tu le perdras encore. 6+6 b
Tu sais trop bien qu'ailleursc'est-toi que l'homme adore ; 6+6 b
Avec lui de nouveautu voudrais t'exiler, 6+6 p
330 Pour mourir sur son cœur,et pour l'en consoler ! 6+6 p
Rolla considéraitd'un œil mélancolique 6+6 c
La belle Mariondormant dans son grand lit ; 6+6 i
Je ne sais quoi d'horribleet presque diabolique 6+6 c
Le faisait jusqu'aux osfrissonner malgré lui. 6+6 i
335 Marion ctait cher.— Pour lui payer sa nuit, 6+6 i
Il avait dépensésa dernière pistole. 6+6 d
Ses amis le savaient.Lui-même, en arrivant, 6+6 h
Il s'était pris la main,et donné sa parole 6+6 d
Que personne au grand journe le verrait vivant. 6+6 h
340 Trois ans, — les trois plus beauxde la belle jeunesse, 6+6 e
Trois ans de volupté,de délire et d'ivresse, 6+6 e
Allaient s'évanouircomme un songe léger, 6+6 p
Comme le chant lointaind'un oiseau passager. 6+6 p
Et celte triste nuit,— nuit de mort, — la dernière, — 6+6 a
345 Celle l'agonisantfait encor sa prière 6+6 a
Quand sa lèvre est muette, pour le condamné 6+6 p
Tout est si près de Dieuque tout est pardonné, — 6+6 p
Il venait la passerchez une fille infâme, 6+6 l
Lui ! chrétien, homme, filsd'un homme ! Et cette femme, 6+6 l
350 Cet être misérable,un brin d'herbe, un enfant, 6+6 h
Sur son cercueil ouvertdormait en l'attendant. 6+6 h
O chaos éternel !prostituer l'enfance ! 6+6 c
Ne valait-il pas mieux,sur ce lit sans défense, 6+6 c
Balafrer ce beau corpsau tranchant d'une faux, 6+6 d
355 Prendre ce cou de neigeet lui tordre les os ? 6+6 d
Ne valait-il pas mieuxlui poser sur la face 6+6 g
Un masque de chaux viveavec un gant de fer, 6+6 h
Que d'en faire un ruisseaulimpide à la surface, 6+6 g
Réfléchissant les fleurset l'étoile qui passe, 6+6 g
360 Et d'en salir le fonddes poisons de l'enfer ! 6+6 h
Oh ! qu'elle est belle encor !quel trésor, ô nature ! 6+6 y
Oh ! quel premier baiserl'Amour se préparait ! 6+6 t
Quels doux fruits t portés,quand sa fleur sera mûre, 6+6 y
Cette beauté céleste,et quelle flamme pure 6+6 y
365 Sur cette chaste lampeun jour s'éveillerait ! 6+6 t
Pauvreté ! Pauvreté !c'est loi la courtisane. 6+6 i
C'est toi qui dans ce litas poussé cet enfant 6+6 h
Que la Grèce t jetésur l'autel de Diane ! 6+6 i
Regardeelle a priéce soir en s'endormant… 6+6 h
370 Prié ! — Qui donc, grand Dieu !C'est toi qu'en cette vie 6+6 a
Il faut qu'à deux genouxelle conjure et prie ; 6+6 a
C'est toi qui, chuchotantdans le souffle du vent, 6+6 h
Au milieu des sanglotsd'une insomnie amère, 6+6 a
Es venue un beau soirmurmurer à sa mère : 6+6 a
375 Ta fille est belle et vierge,et tout cela se vend ! 6+6 h
Pour aller au sabbat,c'est toi qui l'as lavée, 6+6 j
Comme on lave les mortspour les mettre au tombeau ; 6+6 n
C'est loi qui, celte nuit,quand elle est arrivée, 6+6 j
Aux lueurs des éclairs,courais sous son manteau ! 6+6 n
380 Hélas ! qui peut savoirpour quelle destinée, 6+6 j
En lui donnant du pain,peut-être elle était née ? 6+6 j
D'un être sans pudeurce n'est pas là le front. 6+6 f
Rien d'impur ne germaitsous cette frche aurore. 6+6 b
Pauvre fille ! à quinze ans,ses sens dormaient encore ; 6+6 b
385 Son nom était Marie,et non pas Marion. 6+6 f
Ce qui l'a dégradée,hélas ! c'est la misère, 6+6 a
Et non l'amour de l'or.— Telle que la voilà, 6+6 b
Sous les rideaux honteuxde ce hideux repaire, 6+6 a
Dans cet infâme lit,elle donne à sa mère, 6+6 a
390 En rentrant au logis,ce qu'elle a gagné là. 6+6 b
Vous ne la plaignez pas,vous, femmes de ce monde ! 6+6 i
Vous qui vivez gmentdans une horreur profonde 6+6 i
De tout ce qui n'est pasriche et gai comme vous ! 6+6 k
Vous ne la plaignez pas,vous, mères de familles, 6+6 l
395 Qui poussez les verrousaux portes de vos filles, 6+6 l
Et cachez un amantsous le lit de l'époux ! 6+6 k
Vos amours sont dorés,vivants et poétiques ; 6+6 v
Vous en parlez du moins,— vous n'êtes pas publiques. 6+6 v
Vous n'avez jamais vule spectre de la Faim 6+6 q
400 Soulever en chantantles draps de votre couche, 6+6 n
Et, de sa lèvre blêmeeffleurant votre bouche, 6+6 n
Demander un baiserpour un morceau de pain. 6+6 q
O mon siècle ! est-il vraique ce qu'on te voit faire. 6+6 a
Se soit vu de tout temps ?O fleuve impétueux, 6+6 b
405 Tu portes à la merdes cadavres hideux ; 6+6 b
Us flottent en silence,et cette vieille terre 6+6 a
Qui voit l'humanitévivre et mourir ainsi, 6+6 i
Autour de son soleiltournant dans son orbite, 6+6 p
Vers son père immorteln'en monte pas plus vite, 6+6 p
410 Pour lâcher de l'atteindre,et de s'en plaindre à lui. 6+6 i
Eh bien ! lève-loi donc,puisqu'il en est ainsi, 6+6 i
Lève-toi les seins nus,belle prostituée. 6+6 j
Le vin coule et pétille,et la brise du soir 6+6 o
Berce les rideaux blancsdans ton joyeux miroir. 6+6 o
415 C'est une belle nuit,— c'est moi qui l'ai payée. 6+6 j
Le Christ, à son soupersentit moins de terreur 6+6 n
Que je ne sens au miende gaité dans le cœur. 6+6 n
Allons ! vive l'amourque l'ivresse accompagne ! 6+6 o
Que tes baisers brûlantssentent le vin d'Espagne ! 6+6 o
420 Que l'esprit du vertigeet des bruyants repas 6+6 p
A l'ange du plaisirnous porte dans ses bras ! 6+6 p
Allons ! chantons Bacchus,l'amour et la folie ! 6+6 a
Buvons au temps qui passe,à la mort, à la vie ! 6+6 a
Oublions et buvons ;— vive la liberté ! 6+6 p
425 Chantons l'or et la nuit,la vigne et la beauté ! 6+6 p
IV
Dors-tu content, Voltaire,et ton hideux sourire 6+6 q
Voltige-t-il encorsur tes os décharnés ? 6+6 r
Ton siècle était, dit-on,trop jeune pour te lire ; 6+6 q
Le nôtre doit te plaire,et tes hommes sont nés. 6+6 r
430 Il est tombé sur nous,cet édifice immense 6+6 c
Que de tes larges mainstu sapais nuit et jour. 6+6 t
La Mort devait l'attendreavec impatience, 6+6 c
Pendant quatre-vingts ansque tu lui fis ta cour ; 6+6 t
Vous devez vous aimerd'un infernal amour. 6+6 t
435 Ne quittes-tu jamaisla couche nuptiale 6+6 r
vous vous embrassezdans les vers du tombeau, 6+6 n
Pour t'en aller tout seulpromener ton front pâle 6+6 r
Dans un cltre désertou dans un vieux château ? 6+6 n
Que le disent alorstous ces grands corps sans vie, 6+6 a
440 Ces murs silencieux,ces autels désolés, 6+6 r
Que pour l'éternitéton souffle a dépeuplés ? 6+6 r
Que te disent les croix ?que te dit le Messie ? 6+6 a
Oh ! saigne-t-il encor,quand, pour le déclouer, 6+6 p
Sur son arbre tremblant,comme une fleur flétrie, 6+6 a
445 Ton spectre dans la nuitrevient le secouer ? 6+6 p
Crois-tu ta missiondignement accomplie, 6+6 a
Et, comme l'Éternel,à la création, 6+6 f
Trouves-tu que c'est bien,et que ton œuvre est bon ? 6+6 f
Au festin de mon hôtealors je te convie. 6+6 a
450 Tu n'as qu'à te lever ;— quelqu'un soupe ce soir 6+6 o
Chez qui le Commandeurpeut frapper et s'asseoir. 6+6 o
Entends-tu soupirerces enfants qui s'embrassent ? 6+6 s
On dirait, dans l'étreinte leurs bras nus s'enlacent, 6+6 s
Par une double vieun seul corps animé. 6+6 p
455 Des sanglots inouïs,des plaintes oppressées, 6+6 v
Ouvrent en frissonnantleurs lèvres insensées. 6+6 v
En les baisant au frontle Plaisir s'est pâmé. 6+6 p
Ils sont jeunes et beaux,et, rien qu'à les entendre, 6+6 t
Comme un pavillon d'orle ciel devrait descendre : 6+6 t
460 Regarde ! — ils n'aiment pas ;ils n'ont jamais aimé 6+6 p
les ont-ils appris,ces mots si pleins de charmes, 6+6 u
Que la volupté seule,au milieu de ses larmes, 6+6 u
A le droit de répandreet de balbutier ? 6+6 p
O femme ! étrange objetde joie et de supplice ! 6+6 e
465 Mystérieux autel,, dans le sacrifice, 6+6 e
On entend tour à tourblasphémer et prier ! 6+6 p
Dis-moi, dans quel écho,dans quel air vivent-elles, 6+6 v
Ces paroles sans nom,et pourtant éternelles, 6+6 v
Qui ne sont qu'un délire,et depuis cinq mille ans 6+6 u
470 Se suspendent encoreaux lèvres des amants ? 6+6 u
O profanation !point d'amour, et deux anges ! 6+6 w
Deux cœurs purs comme l'or,que les saintes phalanges 6+6 w
Porteraient à leur pèreen voyant leur beauté ! 6+6 p
Point d'amour ! et des pleurs !et la nuit qui murmure, 6+6 y
475 El le vent qui frémit,et toute la nature 6+6 y
Qui pâlit de plaisir,qui boit la volupté ! 6+6 p
Et des parfums fumants,et des flacons à terre, 6+6 a
Et des baisers sans nombre,et peut-être, ô misère ! 6+6 a
Un malheureux de plusqui maudira le jour… 6+6 t
480 Point d'amour ! et partoutle spectre de l'amour ! 6+6 t
Cltres silencieux,vtes des monastères, 6+6 s
C'est vous, sombres caveaux,vous qui savez aimer ! 6+6 p
Ce sont vos froides nefs,vos pavés et vos pierres 6+6 s
Que jamais lèvre en feun'a baisés sans pâmer. 6+6 p
485 Oh ! venez donc rouvrirvos profondes entrailles 6+6 l
A ces deux enfants-làqui cherchent le plaisir 6+6 k
Sur, un lit qui n'est bonqu'à dormir ou mourir ; 6+6 k
Frappez-leur donc le cœursur vos saintes murailles, 6+6 l
Que la haire sanglantey fasse entrer ses clous. 6+6 k
490 Trempez-leur donc le frontdans les eaux baptismales ; 6+6 x
Dites-leur donc un peuce qu'avec leurs genoux 6+6 k
Il leur faudrait userde pierres sépulcrales, 6+6 x
Avant de souonnerqu'on aime comme vous ! 6+6 k
Oui, c'est un vaste amourqu'au fond de vos calices 6+6 y
495 Vous buviez à plein cœur,moines mystérieux ! 6+6 b
La tête du Sauveurerrait sur vos cilices 6+6 y
Lorsque le doux sommeilavait fermé vos yeux, 6+6 b
Et, quand l'orgue chantaitaux rayons de l'aurore, 6+6 b
Dans vos vitraux dorésvous la cherchiez encore. 6+6 b
500 Vous aimiez ardemment !oh ! vous étiez heureux ! 6+6 b
Vois-tu, vieil Arouet ?cet homme plein de vie, 6+6 a
Qui de baisers ardentscouvre ce sein si beau, 6+6 n
Sera couché demaindans un étroit tombeau. 6+6 n
Jetterais-lu sur luiquelques regards d'envie ? 6+6 a
505 Sois tranquille, il t'a lu.Rien ne peut lui donner 6+6 p
Ni consolation,ni lueur d'espérance. 6+6 c
Si l'incrédulitédevient une science, 6+6 c
On parlera de Jacque,et, sans la profaner, 6+6 p
Dans ta tombe ce soirtu pourrais l'emmener. 6+6 p
510 Penses-tu cependantque si quelque croyance, 6+6 c
Si le plus léger fille retenait encor, 6+6 z
Il viendrait sur ce litprostituer sa mort ? 6+6 z
Sa mort ! — Ah ! laisse-luila plus faible pensée 6+6 j
Qu'elle n'est qu'un passageà quelque lieu d'horreur, 6+6 n
515 Au plus affreux, qu'importe ?il n'en aura pas peur ; 6+6 n
Il la relèvera,la jeune fiancée, 6+6 j
Il la regardera,dans l'espace élancée, 6+6 j
Porter au Dieu vivantla clef d'or de son cœur ! 6+6 n
Voilà pourtant ton œuvre,Arouet, voilà l'homme 6+6 k
520 Tel que lu l'as voulu.— C'est dans ce siècle-ci, 6+6 i
C'est d'hier seulementqu'on peut mourir ainsi. 6+6 i
Quand Brulus s'écriasur les débris de Rome : 6+6 k
— Vertu, tu n'es qu'un nom !il ne blasphéma pas 6+6 p
Il avait tout perdu,sa gloire et sa patrie, 6+6 a
525 Son beau rêve adoré,sa liberté chérie, 6+6 a
Sa Portia, son Cassius,son sang et ses soldats ; 6+6 p
Il ne voulait plus croireaux choses de la terre. 6+6 a
Mais quand il se vit seul,assis sur une pierre, 6+6 a
En songeant à la mort,il regarda les cieux. 6+6 b
530 Il n'avait rien perdudans cet espace immense ; 6+6 c
Son cœur y respiraitun air plein d'espérance ; 6+6 c
Il lui restait encorson épée et ses dieux.. 6+6 b
Et que nous reste-t-il,à nous, les déicides ? 6+6 b
Pour qui travailliez-vous,démolisseurs stupides. 6+6 b
535 Lorsque vous disséquiezle Christ sur son autel ? 6+6 a
Que vouliez-vous semersur sa céleste tombe, 6+6 c
Quand vous jetiez au ventla sanglante colombe 6+6 c
Qui tombe en tournoyantdans l'abîme éternel ? 6+6 a
Vous vouliez pétrir l'hommeà votre fantaisie ; 6+6 a
540 Vous vouliez faire un monde.Eh bien ! vous l'avez fait. 6+6 t
Votre monde est superbe,et votre homme est parfait ! 6+6 t
Les monts sont nivelés,la plaine est éclaircie ; 6+6 a
Vous avez sagementtaillé l'arbre de vie ; 6+6 a
Tout est bien balayésur vos chemins de fer ; 6+6 h
545 Tout est grand, tout est beau,—mais on meurt dans voire air. 6+6 h
Vous y faites vibrerde sublimes paroles ; 6+6 d
Elles flottent au loindans les vents empestés. 6+6 r
Elles ont ébranléde terribles idoles ; 6+6 d
Mais les oiseaux du cielen sont épouvantés. 6+6 r
550 L'hypocrisie est morte,on ne croit plus aux prêtres ; 6+6 e
Mais la vertu se meurt,on ne croit plus à Dieu. 6+6 g
Le noble n'est plus fierdu sang de ses ancêtres ; 6+6 e
Mais il le prostitueau fond d'un mauvais lieu. 6+6 g
On ne mutile plusla pensée et la scène, 6+6 y
555 On a mis au plein ventl'intelligence humaine ; 6+6 y
Mais le peuple voudrades combats de taureau. 6+6 n
Quand on est pauvre et fier,quand on est riche et triste, 6+6 f
On n'est plus assez foupour se faire trappiste ; 6+6 f
Mais on fait comme Escousse,on allume un réchaud. 6+6 n
V
560 Quand Rolla sur les toitsvit le soleil partre, 6+6 q
Il alla s'appuyerau bord de la fenêtre. 6+6 q
De pesants chariotscommençaient à rouler. 6+6 p
Il courba son front pâle,et resta sans parler. 6+6 p
En longs ruisseaux de sangse déchiraient les nues ; 6+6 u
565 Tel, quand Jésus cria,des mains du ciel venues 6+6 u
Fendirent en lambeauxle voile aux plis sanglants. 6+6 u
Un groupe délaisséde chanteurs ambulants 6+6 u
Murmurait sûr la placeune ancienne romance. 6+6 c
Ah ! comme les vieux airsqu'on chantait à douze ans 6+6 u
570 Frappent droit dans le cœuraux heures de souffrance ! 6+6 c
Comme ils dévorent tout !comme on se sent loin d'eux ! 6+6 b
Comme on baisse la têteen les trouvant si vieux ! 6+6 b
Sont-ce là tes soupirs,noir Esprit des ruines ? 6+6 h
Ange des souvenirs,sont-ce là tes sanglots ? 6+6 d
575 Ah ! comme ils voltigeaient,frais et légers oiseaux, 6+6 d
Sur le palais dorédes amours enfantines ! 6+6 h
Comme ils savent rouvrirles fleurs des temps passés, 6+6 r
Et nous ensevelir,eux qui nous ont bercés ! 6+6 r
Rolla se détournapour regarder Marie. 6+6 a
580 Elle se trouvait lasse,et s'était rendormie. 6+6 a
Ainsi tous deux fuyaientles cruautés du sort, 6+6 a
L'enfant dans le sommeil,et l'homme dans la mort. 6+6 a
Quand le soleil se lèveaux beaux jours de l'automne, 6+6 k
Les neiges sous ses pasparaissent s'embraser. 6+6 p
585 Les épaules d'argentde la Nuit qui frissonne 6+6 k
Se couvrent de rougeursous son premier baiser. 6+6 p
Tel frissonne le corpsd'une chaste pucelle, 6+6 p
Quand dans les soirs d'étéle sang lui porte au cœur. 6+6 n
Tel, le moindre désirqui l'effleure de l'aile 6+6 p
590 Met un voile de pourpreà la sainte pudeur. 6+6 n
Roi du monde, ô soleil !la terre est ta mtresse. 6+6 e
Ta sœur dans ses bras nusl'endort à ton côté ; 6+6 p
Tu n'as voulu pour toil'éternelle jeunesse 6+6 e
Qu'afin de lui verserl'éternelle beauté ! 6+6 p
595 Vous qui volez là-bas,légères hirondelles, 6+6 v
Dites-moi, dites-moi,pourquoi vais-je mourir ? 6+6 k
Oh ! l'affreux suicide !oh ! si j'avais des ailes, 6+6 v
Par ce beau ciel si purje voudrais les ouvrir ! 6+6 k
Dites-moi, terre et cieux,qu'est-ce donc que l'aurore ? 6+6 b
600 Qu'importe un jour de plusà ce vieil univers ? 6+6 h
Dites-moi, verts gazons,dites-moi, sombres mers, 6+6 h
Quand des feux du matinl'horizon se colore, 6+6 b
Si vous n'éprouvez rien,qu'avez-vous donc en vous 6+6 k
Qui fait bondir le cœuret fléchir les genoux ? 6+6 k
605 O terre, à ton soleilqui donc t'a fiancée ? 6+6 j
Que chantent tes oiseaux ?que pleure ta rosée ? 6+6 j
Pourquoi de tes amoursviens-tu m'entretenir ? 6+6 k
Que me voulez-vous tous,à moi qui vais mourir ? 6+6 k
Et pourquoi donc aimer ?Pourquoi ce mot terrible 6+6 o
610 Revenait-il sans cesseà l'esprit de Rolla ? 6+6 b
Quels étranges accords,quelle voix invisible 6+6 o
Venaient le murmurer,quand la mort était là ? 6+6 b
A lui, qui, débauchéjusques à la folie, 6+6 a
Et dans les cabaretsvivant au jour le jour, 6+6 t
615 Aussi facilementqu'il méprisait la vie 6+6 a
Faisait gloire et métierde mépriser l'amour ? 6+6 t
A lui, qui regardaitce mot comme une injure, 6+6 y
Et, comme un vieux soldatvous montre une blessure, 6+6 y
Montrait avec orgueille rocher de son cœur, 6+6 n
620 n'avait pas germéla plus chétive fleur ! 6+6 n
A lui, qui n'avait euni logis ni mtresse, 6+6 e
Qui vivait en plein air,en défiant son sort, 6+6 a
Et qui laissait le ventsecouer sa jeunesse, 6+6 e
Comme une feuille sècheau pied d'un arbre mort ! 6+6 a
625 Et maintenant que l'hommeavait vidé son verre, 6+6 a
Qu'il venait dans un bouge,à son heure dernière, 6+6 a
Chercher un lit de mort l'on pût blasphémer ; 6+6 p
Quand tout était fini,quand la nuit éternelle 6+6 p
Attendait de ses joursla dernière étincelle, 6+6 p
630 Qui donc au moribondosait parler d'aimer ? 6+6 p
Lorsque le jeune aiglon,voyant partir sa mère, 6+6 a
En la suivant des yeuxs'avance au bord du nid, 6+6 i
Qui donc lui dit alorsqu'il peut quitter la terre, 6+6 a
Et sauter dans le cieldéployé devant lui ? 6+6 i
635 Qui donc lui parle bas,l'encourage et l'appelle ? 6+6 p
Il n'a jamais ouvertsa serre ni son aile ; 6+6 p
Il sait qu'il est aiglon ;— le vent passe, il le suit. 6+6 i
Il nt sous le soleildes âmes dégradées, 6+6 v
Comme il nt des chacals,des chiens et des serpents, 6+6 u
640 Qui meurent dans la fange leurs mères sont nées, 6+6 v
Le ventre tout gonfléde leurs œufs malfaisants. 6+6 u
La nature a besoinde leurs sales lignées, 6+6 v
Pour engraisser la terreautour de ses tombeaux, 6+6 d
Chercher ses diamants,et nourrir ses corbeaux. 6+6 d
645 Mais quand elle pétritses nobles créatures, 6+6 j
Elle qui voit là-hautcomme on vit ici-bas, 6+6 p
Elle sait des secretsqui les font assez pures 6+6 j
Pour que le monde entierne les lui souille pas. 6+6 p
Le moule en est d'airain,si l'espèce en est rare. 6+6 m
650 Elle peut les plongerdans ses plus noirs marais ; 6+6 k
Elle sait ce que vautson marbre de Carrare, 6+6 m
Et que les eaux du cielne l'entament jamais. 6+6 k
Il peut s'assimilerau débauché vulgaire, 6+6 a
Celui que le ciseaude la commune mère 6+6 a
655 A taillé dans les flancsde ses plus purs granits. 6+6 r
Il peut pendant trois ansétouffer sa pensée. 6+6 j
Dans la nuit de son cœurla vipère glacée 6+6 j
Déroule tôt ou tardses anneaux infinis. 6+6 r
Nègres de Saint-Domingue,après combien d'années 6+6 v
660 De farouche silenceet de stupidité, 6+6 p
Vos peuplades sans nombre,au soleil enchnées, 6+6 v
Se sont-elles de terreenfin déracinées, 6+6 v
Au souffle de la haineet de la liberté ? 6+6 p
C'est ainsi qu'aujourd'huis'éveillent tes pensées, 6+6 v
665 O Rolla ! c'est ainsique bondissent tes fers, 6+6 h
Et que devant tes yeuxdes torches insensées 6+6 v
Courent à l'infini,traversant des déserts. 6+6 h
Écrase maintenantles débris de ta vie ; 6+6 a
Écorche tes pieds nussur tes flacons brisés ; 6+6 r
670 Et, dans le dernier toastde ta dernière orgie, 6+6 a
Étouffe le néantdans tes bras épuisés. 6+6 r
Le néant ! le néant !vois-tu son ombre immense 6+6 c
Qui ronge le soleilsur son axe enflammé ? 6+6 p
L'ombre gagne ! il s'éteint,— l'éternité commence. 6+6 c
675 Tu n'aimeras jamais,toi qui n'as point aimé. 6+6 p
Rolla, pâle et tremblant,referma la croisée. 6+6 j
Il brisa sur sa tigeun pauvre dahlia. 6+6 b
J'aime, lui dit la fleur,et je meurs embrasée 6+6 j
Des baisers du zéphir,qui me relèvera. 6+6 b
680 — J'ai jeté loin de moi,quand je me suis parée, 6+6 j
Les éléments impursqui souillaient ma frcheur. 6+6 n
Il m'a baisée au frontdans ma robe dorée ; 6+6 j
Tu peux m'épanouir,et me briser le cœur. 6+6 n
J'aime ! — voilà le motque la nature entière 6+6 a
685 Crie au vent qui l'emporte,à l'oiseau qui le suit ! 6+6 w
Sombre et dernier soupirque poussera la terre, 6+6 a
Quand elle tomberadans l'éternelle nuit ! 6+6 w
Oh ! vous le murmurezdans vos sphères sacrées, 6+6 v
Étoiles du matin,ce mot triste et charmant ! 6+6 h
690 La plus faible de vous,quand Dieu vous a créées, 6+6 v
A voulu traverserles plaines éthérées, 6+6 v
Pour chercher le soleil,son immortel amant. 6+6 h
Elle s'est élancéeau sein des nuits profondes. 6+6 l
Mais une autre l'aimaitelle-même ; — et les mondes 6+6 l
695 Se sont mis en voyageautour du firmament. 6+6 h
Jacque était immobile,et regardait Marie. 6+6 a
Je ne sais ce qu'avaitcette femme endormie 6+6 a
D'étrange dans ses traits,de grand, de déjà vu. 6+6 d
Il se sentait frémird'un frisson inconnu. 6+6 d
700 N'était-ce pas sa sœur,cette prostituée ? 6+6 j
Les murs de cette chambreobscure et délabrée 6+6 j
N'étaient-ils pas aussifaits pour l'ensevelir ? 6+6 k
Ne la sentait-il passouffrir de sa torture, 6+6 y
Et saigner des douleursdont il allait mourir ? 6+6 k
705 — Oui, dans celle chétiveet douce créature 6+6 y
La Résignationmarche à pas languissants. 6+6 u
Sa souffrance est ma sœur,— oui, voilà la statue 6+6 h
Que je devais trouversur ma tombe étendue, 6+6 h
Donnant d'un doux sommeiltandis que j'y descends. 6+6 u
710 Oh ! ne l'éveille pas !la vie est à la terre ; 6+6 a
Mais ton sommeil est pur,— ton sommeil est à Dieu ! 6+6 g
Laisse-moi le baisersur la longue paupière ; 6+6 a
C'est à lui, pauvre enfant,que je veux dire adieu ; 6+6 g
Lui qui n'a pas vendusa robe d'innocence, 6+6 c
715 Lui que je puis aimer,et n'ai point acheté ; 6+6 p
Lui qui se croit encoreaux jours de ton enfance, 6+6 c
Lui qui rêve ! — et qui n'ade toi que ta beauté. 6+6 p
Oh, mon Dieu ! n'est-ce pasune forme angélique 6+6 c
Qui flotte mollementsous ce rideau léger ? 6+6 p
720 S'il est vrai que l'amour,ce cygne passager, 6+6 p
N'ait besoin pour dorerson chant mélancolique 6+6 c
Que des contours divinsde la réalité, 6+6 p
Et de ce qui voltigeautour de la beauté ; 6+6 p
S'il est vrai qu'ici-bason le trompe sans cesse, 6+6 e
725 Et que lui qui le sait,de peur de se guérir, 6+6 k
Doive éternellementne prendre à sa mtresse 6+6 e
Que les illusionsqu'il lui faut pour souffrir ; 6+6 k
Qu'ai-je à chercher ailleurs ?la jeunesse et la vie 6+6 a
Ne sont-elles pas làdans toute leur frcheur ? 6+6 n
730 Amour ! lu peux venir.Que t'importe Marie ? 6+6 a
Pendant que sur sa tigeelle est épanouie, 6+6 a
Si tu n'es qu'un parfum,sors de ta triste fleur ! 6+6 n
Lentement, doucement,à côté de Marie, 6+6 a
Les yeux sur ses yeux bleus,leur frche haleine unie, 6+6 a
735 Rolla s'était couché :son regard assoupi 6+6 i
Flottait, puis remontait,puis mourait malgré lui. 6+6 i
Marie en soupirantentr'ouvrit sa paupière. 6+6 a
— Je faisais, lui dit-elle,un rêve singulier. 6+6 p
J'étais là, dans ce lit ;je croyais m'éveiller ; 6+6 p
740 La chambre me semblaitcomme un grand cimetière 6+6 a
Tout plein de tertres vertset de vieux ossements. 6+6 u
Trois hommes dans la neigeapportaient une bière ; 6+6 a
Us la posèrent là' pour faire leur prière ; 6+6 a
Puis la bière s'ouvrit,et je vous vis dedans. 6+6 u
745 Un gros flot de sang noirvous coulait sur la face. 6+6 g
Vous vous êtes levépour venir à mon lit ; 6+6 w
Vous m'avez pris la main,et puis vous avez dit : 6+6 w
«Qu'est-ce que lu fais là ?pourquoi prends-tu ma place ? 6+6 g
Alors j'ai regardé,j'étais sur un tombeau. 6+6 n
750 — Vraiment ? répondit Jacque ;eh bien ! ma chère amie, 6+6 a
Ton rêve est assez vraidu moins, s'il n'est pas beau. 6+6 n
Tu n'auras pas besoindemain d'être endormie 6+6 a
Pour en voir un pareil ;je me tuerai ce soir. 6+6 o
Marie en souriantregarda son miroir. 6+6 o
755 Mais elle vit Rollasi pâle derrière elle, 6+6 p
Qu'elle en resta muetteet plus pâle que lui. 6+6 i
Ah ! dit-elle en tremblant,qu'avez-vous aujourd'hui ? 6+6 i
— Ce que j'ai ? dit Rolla,tu ne sais pas, ma belle, 6+6 p
Que je suis ruinédepuis hier au soir ? 6+6 o
760 C'est pour te dire adieuque je venais te voir. 6+6 o
Tout le monde le sait,il faut que je me lue. 6+6 h
— Vous avez donc joué ?— Non, je suis ruiné. 6+6 p
— Ruiné ? dit Marie,et, comme une statue, 6+6 h
Elle fixait à terreun grand œil étonné. 6+6 p
765 Ruiné ? ruiné ?vous n'avez pas de mère ? 6+6 a
Pas d'amis ? de parents ?personne sur la terre ? 6+6 a
Vous voulez vous tuer ?pourquoi vous tuez-vous ? 6+6 k
Elle se retournasur le bord de sa couche. 6+6 n
Jamais son doux regardn'avait été si doux. 6+6 k
770 Deux ou trois questionsflottèrent sur sa bouche ; 6+6 n
Mais n'osant pas les faire,elle s'en vint poser 6+6 p
Sa tète sur la sienneet lui prit un baiser. 6+6 p
— Je voudrais pourtant biente faire une demande, 6+6 m
Murmura-t-elle enfin ;moi, je n'ai pas d'argent, 6+6 h
775 Et sitôt que j'en ai,ma mère me le prend. 6+6 h
Mais j'ai mon collier d'or,veux-tu que je le vende ? 6+6 m
Tu prendras ce qu'il vaut,et tu l'iras jouer. 6+6 p
Rolla lui réponditpar un léger sourire. 6+6 q
Il prit un flacon noirqu'il vida sans rien dire ; 6+6 q
780 Puis, se penchant sur elle,il baisa son collier. 6+6 p
Quand elle soulevasa tête appesantie, 6+6 a
Ce n'était déjà plusqu'un être inanimé. 6+6 p
Dans ce chaste baiserson âme était partie. 6+6 a
Et, pendant un moment,tous deux avaient aimé. 6+6 p
mètre profil métrique : 6+6
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