Métrique en Ligne
MUS_1/MUS3
Alfred de MUSSET
PREMIÈRES POÉSIES
1829-1835
Les marrons du feu
PROLOGUE
Mesdames et messieurs, c'est une comédie, 6+6 a
Laquelle, en vérité, ne dure pas longtemps ; 6+6 b
Seulement que nul bruit, nulle dame étourdie 6+6 a
Ne fasse aux beaux endroits tourner les assistants. 6+6 b
5 La pièce, à parler franc, est digne de Molière ; 6+6 c
Qui le pourrait nier ? Mon groom et ma portière, 6+6 c
Qui l'ont lue en entier, en ont été contents. 6+6 b
Le sujet vous plaira, seigneurs, si Dieu nous aide ; 6+6 a
Deux beaux fils sont rivaux d'amour. La signora 6+6 b
10 Doit être jeune et belle, et si l'actrice est laide, 6+6 a
Veuillez bien l'excuser. — Or, il arrivera 6+6 b
Que les deux cavaliers, grands teneurs de rancune, 6+6 c
Vont ferrailler d'abord. — N'en ayez peur aucune ; 6+6 c
Nous savons nous tuer, personne n'en mourra. 6+6 b
15 Mais ce que cette affaire amènera de suites, 6+6 a
C'est ce que vous saurez, si vous ne sifflez pas. 6+6 b
N'allez pas nous jeter surtout de pommes cuites 6+6 a
Pour mettre nos rideaux et nos quinquets à bas. 6+6 b
Nous avons pour le mieux repeint les galeries. — 6+6 c
20 Surtout considérez, illustres seigneuries, 6+6 c
Comme l'auteur est jeune, et c'est son premier pas. 6+6 b
LES MARRONS DU FEU
PERSONNAGES
L'Abbé ANNIBAL DESIDERIO.
RAFAEL GARUCI.
PALFORIO, hôtelier.
Matelots.
Valets.
Musiciens.
Porteurs, etc.
LA CAMARGO, danseuse.
LÆTITIA, sa camériste.
ROSE.
CYDALISE.
L'amour est la seule chose ici-bas qui ne
veuille d'autre acheteur que lui-même.
— C'est le trésor que je veux donner ou enfouir
à jamais, tel que ce marchand qui, dédaignant
tout l'or du Rialto, et se raillant des rois, jeta
sa perle dans la mer, plutôt que de la vendre
moins qu'elle ne valait.
Schiller.
Scène I
— Le bord de la mer. — Un orage.
UN MATELOT
Au secours ! il se noie ! au secours, monsieur l'hôte ! 6+6 a
PALFORIO
Qu'est-ce ? qu'est-ce ?
LE MATELOT
Un bateau d'échoué sur la côte. 6+6 a
PALFORIO
Un bateau, juste ciel ! Dieu l'ait en sa merci ! 6+6 a
25 C'est celui du seigneur Rafael Garuci. 6+6 a
En dehors.
Au secours !
LE MATELOT
Ils sont trois ; on les voit se débattre. 6+6 a
PALFORIO
Trois ! Jésus ! Courons vite, on nous paîra pour quatre 6+6 a
Si nous en tirons un. — Le seigneur Rafael ! 6+6 a
Nul n'est plus magnifique ! et plus grand sous le ciel ! 6+6 a
Exeunt.
Rafael est apporté, une guitare cassée à la main.
RAFAEL
30 Ouf ! — A-t-on pas trouvé là-bas une ou deux femmes 6+6 a
Dans la mer ?
DEUXIÈME MATELOT
Oui, seigneur.
RAFAEL
Ce sont deux bonnes âmes. 6+6 a
Si vous les retirez, vous me ferez plaisir. 6+6 a
Ouf !
Il s'évanouit.
DEUXIÈME MATELOT
Sa main se raidit. — Il tremble. — Il va mourir. 6+6 a
Entrons-le là dedans.
Ils le portent dans une maison.
TROISIÈME MATELOT
Jean, sais-tu qui demeure 6+6 a
Là ?
JEAN
35 C'est la Camargo, par ma barbe ! ou je meure. 6+6 a
TROISIÈME MATELOT
La danseuse ?
JEAN
Oui, vraiment, la même qui jouait 6+6 a
Dans le Palais d'Amour.
PALFORIO, rentrant.
Messeigneurs, s'il vous plaît, 6+6 a
Le seigneur Rafael est-il hors, je vous prie ? 6+6 a
TROISIÈME MATELOT
Oui, monsieur.
PALFORIO
L'a-t-on mis dans mon hôtellerie, 6+6 a
Ce glorieux seigneur ?
TROISIÈME MATELOT
40 Non ; on l'a mis ici. 6+6 a
UN VALET, sortant de la maison.
De la part du seigneur Rafael Garuci, 6+6 a
Remerciements à tous, et voilà de quoi boire. 6+6 a
MATELOTS
Vive le Garuci !
PALFORIO
Que Dieu serve sa gloire ! 6+6 a
Cet excellent seigneur a-t-il rouvert les yeux, 6+6 a
S'il vous plaît ?
UN VALET
45 Grand merci, mon brave homme, il va mieux. 6+6 a
Holà ! retirez-vous ! Ma maîtresse vous prie 6+6 a
De laisser en repos dormir Sa Seigneurie. 6+6 a
Scène II
— Chez la Camargo.
RAFAEL, couché sur une chaise longue, LA CAMARGO, assise.
CAMARGO
Rafael, avouez que vous ne m'aimez plus. 6+6 a
RAFAEL
Pourquoi ? — d'où vient cela ? — Vous me voyez perclus, 6+6 a
50 Salé comme un hareng ! — Suis-je, de grâce, un homme 6+6 a
A vous faire ma cour ? — Quand nous étions à Rome, 6+6 a
L'an passé —
CAMARGO
Rafael, avouez, avouez 6+6 a
Que vous ne m'aimez plus.
RAFAEL
Bon, comme vous avez 6+6 a
L'esprit fait ! — Pensez-vous, madame, que j'oublie 6+6 a
Vos bontés ?
CAMARGO
55 C'est le vrai défaut de l'Italie, 6+6 a
Que ses soleils de juin font l'amour passager. 6+6 a
— Quel était près de vous ce visage étranger 6+6 a
Dans ce yacht ?
RAFAEL
Dans ce yacht ?
CAMARGO
Oui.
RAFAEL
C'était, je suppose, 6+6 a
Laure.
CAMARGO
Non.
RAFAEL
C'était donc la Cydalise, — ou Rose. — 6+6 a
Cela vous déplaît-il ?
CAMARGO
60 Nullement. — La moitié 6+6 a
D'un violent amour, c'est presque une amitié, 6+6 a
N'est-ce pas ?
RAFAEL
Je ne sais. D'où nous vient cette idée ? 6+6 a
Philosopherons-nous ?
CAMARGO
Je ne suis pas fâchée 6+6 a
De vous voir. — A propos, je voulais vous prier 6+6 a
De me permettre…
RAFAEL
A vous ? — Quoi ?
CAMARGO
65 De me marier. 6+6 a
RAFAEL
De vous marier ?
CAMARGO
Oui.
RAFAEL
Tout de bon ? — Sur mon âme, 6+6 a
Vous m'en voyez ravi. — Mariez-vous, madame ! 6+6 a
CAMARGO
Vous n'en aurez nulle ombre, et nul déplaisir ?
RAFAEL
Non. — 6+6 a
Et du nouvel époux peut-on dire le nom ? 6+6 a
Foscoli, je suppose ?
CAMARGO
70 Oui, Foscoli lui-même. 6+6 a
RAFAEL
Parbleu ! j'en suis charmé ; c'est un garçon que j'aime, 6+6 a
Bonne lignée, et qui vous aime fort aussi. 6+6 a
CAMARGO
Et vous me pardonnez de vous quitter ainsi ? 6+6 a
RAFAEL
De grand cœur ! Écoutez, votre amitié m'est chère ; 6+6 a
75 Mais parlons franc. Deux ans ! c'est un peu long. Qu'y faire ? 6+6 a
C'est l'histoire du cœur. — Tout va si vite en lui ! 6+6 a
Tout y meurt comme un son, tout, excepté l'ennui ! 6+6 a
Moi qui vous dis ceci, que suis-je ? une cervelle 6+6 a
Sans fond. — La tête court, et les pieds après elle ; 6+6 a
80 Et quand viennent les pieds, la tête au plus souvent 6+6 a
Est déjà lasse, et tourne où la pousse le vent ! 6+6 a
Tenez, soyons amis, et plus de jalousie. 6+6 a
Mariez-vous. — Qui sait ? s'il nous vient fantaisie 6+6 a
De nous reprendre, eh bien ! nous nous reprendrons, — hein ? 6+6 a
CAMARGO
Très bien.
RAFAEL
85 Par saint Joseph ! je vous donne la main 6+6 a
Pour aller à l'église, et monter en carrosse ! 6+6 a
Vive l'hymen ! — Ceci, c'est mon présent de noce, 6+6 a
Il l'embrasse.
Et j'y joindrai ceci, pour souvenir de moi. 6+6 a
CAMARGO
Quoi ! votre éventail ?
RAFAEL
Oui. N'est-il pas beau, ma foi ? 6+6 a
90 Il est large à peu près comme un quartier de lune, — 6+6 a
Cousu d'or comme un paon — frais et joyeux comme une 6+6 a
Aile de papillon, — incertain et changeant 6+6 a
Comme une femme. — Il a des paillettes d'argent 6+6 a
Comme Arlequin. — Gardez-le, il vous fera peut-être 6+6 a
95 Penser à moi ; c'est tout le portrait de son maître. 6+6 a
CAMARGO
Le portrait en effet. — Ô malédiction ! 6+6 a
Misère ! — Oh ! par le ciel, honte et dérision !… 6+6 a
Homme stupide, as-tu pu te prendre à ce piège 6+6 a
Que je t'avais tendu ? — Dis ! — Qui suis-je ? Que fais-je ? 6+6 a
100 Va, tu parles avec un front mal essuyé 6+6 a
De nos baisers d'hier. — Oh ! c'est honte et pitié ! 6+6 a
Va, tu n'es qu'une brute, et tu n'a qu'une joie 6+6 a
Insensée, en pensant que je lâche ma proie ! 6+6 a
Quand je devrais aller, nu-pieds, t'attendre au coin 6+6 a
105 Des bornes, si caché que tu sois et si loin, 6+6 a
J'irai. — Crains mon amour, Garuc', il est immense 6+6 a
Comme la mer ! — Ma fosse est ouverte, mais pense 6+6 a
Que je viendrai d'abord par le dos t'y pousser. 6+6 a
Qui peut lécher peut mordre, et qui peut embrasser 6+6 a
110 Peut étouffer. — Le front des taureaux en furie, 6+6 a
Dans un cirque, n'a pas la cinquième partie 6+6 a
De la force que Dieu met aux mains des mourants. 6+6 a
Oh ! je te montrerai si c'est après deux ans, 6+6 a
Deux ans de grincements de dents et d'insomnie, 6+6 a
115 Qu'une femme pour vous s'est tachée et honnie, 6+6 a
Qu'elle n'a plus au monde, et pour n'en mourir pas, 6+6 a
Que vous, que votre col où pendre ses deux bras, 6+6 a
Qu'elle porte un amour à fond, comme une lame 6+6 a
Torse, qu'on ôte plus du cœur sans briser l'âme ; 6+6 a
120 Si c'est alors qu'on peut la laisser, comme un vieux 6+6 a
Soulier qui n'est plus bon à rien.
RAFAEL
Ah ! les beaux yeux ! 6+6 a
Quand vous vous échauffez ainsi, comme vous êtes 6+6 a
Jolie !
CAMARGO
Oh ! laissez-moi, monsieur, ou je me jette 6+6 a
Le front contre ce mur !
RAFAEL, l'attirant.
Là là, modérez-vous. 6+6 a
125 Ce mur vous ferait mal ; ce fauteuil est plus doux. 6+6 a
Ne pleurez donc pas tant. — Ce que j'ai dit, mon ange, 6+6 a
Après votre demande, était-il donc étrange ? 6+6 a
Je croyais vous complaire, en vous parlant ainsi ; 6+6 a
Mais — je n'en pensais pas une parole.
CAMARGO
Oh ! si ! 6+6 a
Si, vous parliez franc.
RAFAEL
130 Non. L'avez-vous bien pu croire ? 6+6 a
Vous me faisiez un conte, et j'ai fait une histoire. 6+6 a
Calmez-vous. — Je vous aime autant qu'au premier jour, 6+6 a
Ma belle ! — mon bijou ! — mon seul bien ! — mon amour ! 6+6 a
CAMARGO
Mon Dieu, pardonnez-lui s'il me trompe !
RAFAEL
Cruelle ! 6+6 a
135 Doutez-vous de ma flamme, en vous voyant si belle ? 6+6 a
Il tourne la glace.
Dis, l'amour, qui t'a fait l'œil si noir, ayant fait 6+6 a
Le reste de ton corps d'une goutte de lait ? 6+6 a
Parbleu ! quand ce corps-là de sa prison s'échappe, 6+6 a
Gageons qu'il passerait par l'anneau d'or du pape ! 6+6 a
CAMARGO
Allez voir s'il ne vient personne.
RAFAEL, à part.
140 Ah ! quel ennui ! 6+6 a
CAMARGO, seule un moment, le regardant s'éloigner.
Cela ne se peut pas. — Je suis trompée ! Et lui 6+6 a
Se rit de moi. Son pas, son regard, sa parole, 6+6 a
Tout me le dit. Malheur ! Oh ! je suis une folle ! 6+6 a
RAFAEL, revenant.
Tout se taît au dedans comme au dehors. — Ma foi, 6+6 a
Vous avez un jardin superbe.
CAMARGO
145 Écoutez-moi ; 6+6 a
J'attends de votre amour une marque certaine. 6+6 a
RAFAEL
On vous la donnera.
CAMARGO
Ce soir, je pars pour Vienne ; 6+6 a
M'y suivrez-vous ?
RAFAEL
Ce soir ! — Était-ce pour cela 6+6 a
Qu'il fallait regarder si l'on venait ?
CAMARGO
Holà ! 6+6 a
LÆTITIA ! Lafleur ! Pascariel !
LÆTITIA, entrant.
150 Madame ? 6+6 a
CAMARGO
Demandez des chevaux pour ce soir.
Exit LÆTITIA.
RAFAEL
Sur mon âme, 6+6 a
Vous avez des vapeurs, madame, assurément. 6+6 a
CAMARGO
Me suivrez-vous ?
RAFAEL
Ce soir ! à Vienne ? — Non vraiment, 6+6 a
Je ne puis.
CAMARGO
Adieu donc, Garuci. Je vous laisse. — 6+6 a
155 Je pars seule. — Soyez plus heureux en maîtresse. 6+6 a
RAFAEL
En maîtresse ? heureux ? moi ? — Ma parole d'honneur, 6+6 a
Je n'en ai jamais eu.
CAMARGO, hors d'elle.
Qu'étais-je donc ?
RAFAEL
Mon cœur, 6+6 a
Ne recommencez pas à vous fâcher.
CAMARGO
Et celle 6+6 a
De tantôt ? Quels étaient ces gens ? — Que faisait-elle, 6+6 a
160 Cette femme ? — J'ai vu ! — Voudrais-tu t'en cacher ? 6+6 a
Quelque fille, à coup sûr. — J'irai lui cravacher 6+6 a
La figure !
RAFAEL
Ah ! tout beau, ma belle Bradamante. 6+6 a
Tout à l'heure, voyez, vous étiez si charmante. 6+6 a
CAMARGO
Tout à l'heure j'étais insensée, — à présent 6+6 a
Je suis sage !
RAFAEL
165 Eh ! mon Dieu ! l'on vous fâche en faisant 6+6 a
Vos plaisirs ! — J'étais là, près de vous. — Vous me dites 6+6 a
D'aller là regarder si l'on vient. — Je vous quitte, 6+6 a
Je reviens. — Vous partez pour Vienne ! Par la croix 6+6 a
De Jésus, qui saurait comment faire ?
CAMARGO
Autrefois, 6+6 a
170 Quand je te disais : « Va ! » c'était à cette place ! 6+6 a
Montrant son lit.
Tu t'y couchais — sans moi. — Tu m'appelais par grâce ! 6+6 a
Moi, je ne venais pas. — Toi, tu priais. — Alors 6+6 a
J'approchais lentement, — et tes bras étaient forts 6+6 a
Pour me faire tomber sur ton cœur ! — Mes caprices 6+6 a
175 Étaient suivis alors, — et tous étaient justices. 6+6 a
Tu ne te plaignais pas ; — c'était toi qui pleurais ! 6+6 a
Toi qui devenais pâle, et toi qui me nommais 6+6 a
Ton inhumaine ! — Alors, étais-je ta maîtresse ? 6+6 a
RAFAEL, se jetant sur le lit.
Mon inhumaine, allons ! Ma reine ! ma déesse ! 6+6 a
180 Je vous attends, voyons ! Les champs clos sont rompus ! 6+6 a
M'osez-vous tenir tête ?
CAMARGO, dans ses bras.
Ah ! tu ne m'aimes plus ! 6+6 a
Scène III
Devant la maison de la Camargo.
L'abbé ANNIBAL DESIDERIO, descendant de sa chaise ; musiciens, porteurs.
L'ABBÉ
Holà ! dites, marauds, — est-ce pas là que loge 6+6 a
La Camargo ?
UN PORTEUR
Seigneur, c'est là. — Proche l'horloge 6+6 a
Saint-Vincent, tout devant ; ces rideaux que voici, 6+6 a
C'est sa chambre à coucher.
L'ABBÉ
185 Voilà pour toi, merci. 6+6 a
Parbleu ! cette soirée est propice, et je pense 6+6 a
Que mes feux pourraient bien avoir leur récompense. 6+6 a
La lune ne va pas tarder à se lever ; 6+6 a
La chose au premier coup peut ici s'achever. 6+6 a
190 Têtebleu ! c'est le moins qu'un homme de ma sorte 6+6 a
Ne s'aille pas morfondre à garder une porte ; 6+6 a
Je ne suis pas des gens qu'on laisse s'enrouer. 6+6 a
— Or, vous autres coquins, qu'allez-vous nous jouer ? 6+6 a
— Piano, signor basson ; — amoroso ! la dame 6+6 a
195 Est une oreille fine ! — Il faudrait à ma flamme 6+6 a
Quelque mi bémol, — hein ? Je m'en vais me cacher 6+6 a
Sous ce contrevent-là ; c'est sa chambre à coucher, 6+6 a
N'est-ce pas ?
UN PORTEUR
Oui, Seigneur.
L'ABBÉ
Je ne puis trop vous dire 6+6 a
D'aller bien lentement. — C'est un cruel martyre 6+6 a
200 Que le mien ! Têtebleu ! je me suis ruiné 6+6 a
Presque à moitié, le tout pour avoir trop donné 6+6 a
A mes divinités de soupers et d'aubades. 6+6 a
MUSICIENS
Andantino, Seigneur !
Musique.
L'ABBÉ
Tous ces airs-là sont fades. 6+6 a
Chantez tout bonnement : « Belle Philis », ou bien : 6+6 a
« Ma Clymène ».
MUSICIENS
Allegro, Seigneur !
Musique.
L'ABBÉ
205 Je ne vois rien 6+6 a
A cette fenêtre. — Hum !
La musique continue.
Point. — C'est une barbare. 6+6 a
— Rien ne bouge. — Allons, toi, donne-moi ta guitare. 6+6 a
Il prend une guitare.
Fi donc ! pouah !
Il en prend une autre.
Hum ! je vais chanter, moi. — Ces marauds 6+6 a
Se sont donné, je crois, le mot pour chanter faux. 6+6 a
Il chante.
Pour tant de peine et tant d'émoi…
Hum ! mi, mi, la.
Pour tant de peine et tant d'émoi…
Mi, mi. — Bon.
Pour tant de peine et tant d'émoi,
Où vous m'avez jeté, Clymène,
Ne me soyez point inhumaine,
Et, s'il se peut, secourez-moi,
Pour tant de peine !
210 Quoi ! rien ne remue ! 6+6 a
Va-t-elle me laisser faire le pied de grue ? 6+6 a
Têtebleu ! nous verrons !
Il chante.
De tant de peine mon amour…
RAFAEL, sortant de la maison et s'arrêtant sur le pas de la porte.
Ah ! ah ! monsieur l'abbé 6+6 a
Desiderio ! — Parbleu ! vous êtes mal tombé. 6+6 a
L'ABBÉ
Mal tombé, monsieur ! — Mais, pas si mal. Je vous chasse, 6+6 a
Peut-être ?
RAFAEL
215 Point du tout ; je vous laisse la place. 6+6 a
Sur ma parole, elle est bonne à prendre, et, de plus, 6+6 a
Toute chaude.
L'ABBÉ
Monsieur, monsieur, pour faire abus 6+6 a
Des oreilles d'un homme, il ne faut pas une heure ; — 6+6 a
Il ne faut qu'un mot.
RAFAEL
Vrai ? j'aurais cru, que je meure, 6+6 a
220 Les vôtres sur ce point moins promptes, aux façons 6+6 a
Dont les miennes d'abord avaient pris vos chansons. 6+6 a
L'ABBÉ
Tête et ventre ! monsieur, faut-il qu'on vous les soupe ? 6+6 a
RAFAEL
Là, tout beau, sire ! Il faut d'abord, moi, que je soupe. 6+6 a
Je ne me suis jamais battu sans y voir clair, 6+6 a
Ni couché sans souper.
L'ABBÉ
225 Pour quelqu'un de bel air, 6+6 a
Vous sentez le mauvais soupeur, mon gentilhomme. 6+6 a
Le touchant.
Ce vieux surtout mouillé ! Qu'est-ce donc qu'on vous nomme ? 6+6 a
RAFAEL
On me nomme seigneur Vide-bourse, casseur 6+6 a
De pots ; c'est, en anglais, Blockhead, maître tueur 6+6 a
230 D'abbés. — Pour le seigneur Garuci, c'est son père 6+6 a
Le plus communément qui couche avec ma mère. 6+6 a
L'ABBÉ
S'il y couche demain, il court, je lui prédis, 6+6 a
Risque d'avoir pour femme une mère sans fils. 6+6 a
Votre logis ?
RAFAEL
Hôtel du Dauphin bleu. La porte 6+6 a
A droite, au petit Parc.
L'ABBÉ
Vos armes ?
RAFAEL
235 Peu m'importe ; 6+6 a
Fer ou plomb, balle ou pointe.
L'ABBÉ
Et votre heure ?
RAFAEL
Midi. 6+6 a
L'abbé le salue et retourne à sa chaise.
Ce petit abbé-là m'a l'air bien dégourdi. 6+6 a
Parbleu ! c'est un bon diable ; il faut que je l'invite 6+6 a
A souper. — Hé, monsieur, n'allez donc pas si vite ! 6+6 a
L'ABBÉ
Qu'est-ce, monsieur ?
RAFAEL
240 Vos gens s'ensauvent, comme si 6+6 a
La fièvre à leurs talons les emportait d'ici. 6+6 a
Demeurez pour l'amour de Dieu, que je vous pose 6+6 a
Un problème d'algèbre. Est-ce pas une chose 6+6 a
Véritable, et que voit quiconque a l'esprit sain, 6+6 a
245 Que la table est au lit ce qu'est la poire au vin ? 6+6 a
De plus, deux gens de bien, à s'aller mettre en face 6+6 a
Sans s'être jamais vu, ont plus mauvaise grâce, 6+6 a
Assurément, que, quand il pleut, une catin 6+6 a
A descendre de fiacre en souliers de satin. 6+6 a
250 Donc, si vous m'en croyez, nous souperons ensemble ; 6+6 a
Nous nous connaîtrons mieux pour demain. Que t'en semble, 6+6 a
Abbé ?
L'ABBÉ
Parbleu ! marquis, je le veux, et j'y vais. 6+6 a
Il sort de sa chaise.
RAFAEL
Voilà les musiciens qui sont déjà trouvés ; 6+6 a
Et pour la table, — holà, Palforio ! l'auberge ! 6+6 a
Frappant.
255 Cette porte est plus rude à forcer qu'une vierge. 6+6 a
Palforio, manant tripier, sac à boyaux ! 6+6 a
Vous verrez qu'à cette heure ils dorment, les bourreaux ! 6+6 a
Il jette une pierre dans la vitre.
PALFORIO, à la fenêtre.
Quel est le bon plaisir de votre courtoisie ? 6+6 a
RAFAEL
Fais-nous faire à souper. Certes, l'heure est choisie 6+6 a
260 Pour nous laisser ainsi casser tous tes carreaux ! 6+6 a
Dépêche, sac à vin ! — Pardieu ! si j'étais gros 6+6 a
Comme un muid, comme toi, je dirais qu'on me porte 6+6 a
En guise d'écriteau sur le pas de ma porte ; 6+6 a
On saurait où me prendre au moins.
PALFORIO
Excusez-moi, 6+6 a
Très excellent seigneur.
RAFAEL
265 Allons, démène-toi. 6+6 a
Vite ! va mettre en l'air ta marmitonnerie. 6+6 a
Donne-nous ton meilleur vin et ta plus jolie 6+6 a
Servante ; embroche tout : tes oisons, tes poulets, 6+6 a
Tes veaux, tes chiens, tes chats, ta femme et tes valets ! 6+6 a
270 — Toi, l'abbé, passe donc ; en joie ! et pour nous battre 6+6 a
Après, nous taperons, vive Dieu ! comme quatre. 6+6 a
Scène IV
La loge de la Camargo. On la chausse.
CAMARGO
Il ira. — Laissez-moi seul, et ne manquez pas 6+6 a
Qu'on me vienne avertir quand ce sera mon pas. 6+6 a
— C'est la règle, ô mon cœur ! — Il est sûr qu'une femme 6+6 a
275 Met dans une âme aimée une part de son âme. 6+6 a
Sinon, d'où pourrait-elle et pourquoi concevoir 6+6 a
La soif d'y revenir, et l'horreur d'en déchoir ? 6+6 a
Au contraire un cœur d'homme est comme une marée 6+6 a
Fuyarde des endroits qui l'ont mieux attirée. 6+6 a
280 Voyez qu'en tout lien, l'amour à l'un grandit 6+6 a
Et par le temps empire, à l'autre refroidit. 6+6 a
L'un, ainsi qu'un cheval qu'on pique à la poitrine, 6+6 a
En insensé toujours contre la javeline 6+6 a
Avance, et se la pousse au cœur jusqu'à mourir. 6+6 a
285 L'autre, dès que ses flancs commencent à s'ouvrir, 6+6 a
Qu'il sent le froid du fer, et l'aride morsure 6+6 a
Aller chercher le cœur au fond de la blessure, 6+6 a
Il prend la fuite en lâche, et se sauve d'aimer. 6+6 a
Ah ! que puissent mes yeux quelque part allumer 6+6 a
290 Une plaie à la mienne en misère semblable, 6+6 a
Et je serai plus dure et plus inexorable 6+6 a
Qu'un pauvre pour son chien, après qu'un jour entier 6+6 a
Il a dit : « Pour l'amour de Dieu ! » sans un denier. 6+6 a
— Suis-je pas belle encor ? — Pour trois nuits mal dormies, 6+6 a
295 Ma joue est-elle creuse ? ou mes lèvres blêmies ? 6+6 a
Vrai Dieu ! ne suis-je plus la Camargo ? — Sait-on 6+6 a
Sous mon rouge, d'ailleurs, si je suis pâle ou non ? 6+6 a
Va, je suis belle encor ! C'est ton amour, perfide 6+6 a
Garuci, que déjà le temps efface et ride, 6+6 a
300 Non mon visage. — Un nain contrefait et boiteux, 6+6 a
Voulant jouer Phœbus, lui ressemblerait mieux, 6+6 a
Qu'aux façons d'une amour fidèle et bien gardée 6+6 a
L'allure d'une amour défaillante et fardée. 6+6 a
Ah ! c'est de ce matin que ton cœur m'est connu, 6+6 a
305 Car en le déguisant tu me l'as mis à nu. 6+6 a
Certes, c'est un loisir magnifique et commode 6+6 a
Que la paisible ardeur d'une intrigue à la mode ! 6+6 a
— Qu'est-ce alors ? — C'est un flot qui nous berce rêvant ! 6+6 a
C'est l'ombre qui s'enfuit d'une fumée au vent ! 6+6 a
310 Mais que l'ombre devienne un spectre, et que les ondes 6+6 a
S'enfoncent sous les pieds, vivantes et profondes, 6+6 a
Le mal aimant recule, et le bon reste seul. 6+6 a
Oh ! que dans sa douleur ainsi qu'en un linceul 6+6 a
Il se couche à cette heure et dorme ! La pensée 6+6 a
315 D'un homme est de plaisirs et d'oublis traversée ; 6+6 a
Une femme ne vit et ne meurt que d'amour ; 6+6 a
Elle songe une année à quoi lui pense un jour ! 6+6 a
LÆTITIA, entrant.
Madame, on vous attend à la troisième scène. 6+6 a
CAMARGO
Est-ce la Monanteuil, ce soir, qui fait la reine ? 6+6 a
LÆTITIA
320 Oui, madame, et monsieur de Monanteuil, Sylvain. 6+6 a
CAMARGO
Fais porter cette lettre à l'hôtel du Dauphin. 6+6 a
Scène V
Une salle à manger très riche.
GARUCI, à table avec l'Abbé ANNIBAL ; Musiciens.
RAFAEL
Oui, mon abbé, voilà comme, une après-dînée, 6+6 a
Je vis, pris, et vainquis la Camargo, l'année 6+6 a
Dix-sept cent soixante-un de la nativité 6+6 a
De Notre-Seigneur.
L'ABBÉ
325 — Triste, oh ! triste, en vérité ! 6+6 a
RAFAEL
Triste, abbé ? — Vous avez le vin triste ? — Italie, 6+6 a
Voyez-vous, à mon sens, c'est la rime à folie. 6+6 a
Quant à mélancolie, elle sent trop les trous 6+6 a
Aux bas, le quatrième étage, et les vieux sous. 6+6 a
330 On dit qu'elle a des gens qui se noient pour elle. 6+6 a
— Moi, je la noie.
Il boit.
L'ABBÉ
Et quand vous eûtes cette belle 6+6 a
Camargo, vous l'aimiez fort ?
RAFAEL
Oh ! très fort ; — et puis 6+6 a
A vous dire le vrai, je m'y suis très bien pris. 6+6 a
Contre un doublon d'argent un cœur de fer s'émousse. 6+6 a
335 Ce fut, le premier mois, l'amitié la plus douce 6+6 a
Qui se puisse inventer. Je m'en allais la voir, 6+6 a
Comme ça, tout au saut du lit, — ou bien le soir 6+6 a
Après le spectacle. — Oh ! c'était une folie, 6+6 a
Dans ce temps-là ! — Pauvre ange ! — Elle était bien jolie. 6+6 a
340 Si bien, qu'après un mois, je cessai d'y venir. 6+6 a
Elle de remuer terre et ciel, — moi de fuir. — 6+6 a
Pourtant je fus trouvé ; — reproches, pleurs, injure, 6+6 a
Le reste à l'avenant. — On me nomma parjure, 6+6 a
C'est le moins. — Je rompis tout net. — Bon. — Cependant 6+6 a
345 Nous nous allions fuyant et l'un l'autre oubliant. — 6+6 a
Un beau soir, je ne sais comment se fit l'affaire, 6+6 a
La lune se levait cette nuit-là si claire, 6+6 a
Le vent était si doux, l'air de Rome est si pur : — 6+6 a
C'était un petit bois qui côtoyait un mur, 6+6 a
350 Un petit sentier vert, — je le pris, — et, Jean comme 6+6 a
Devant, je m'en allai l'éveiller dans son somme. 6+6 a
L'ABBÉ
Et vous l'avez reprise ?
RAFAEL, cassant son verre.
Aussi vrai que voilà 6+6 a
Un verre de cassé. — Mon amour s'en alla 6+6 a
Bientôt. — Que voulez-vous ? moi, j'ai donné ma vie 6+6 a
355 A ce dieu fainéant qu'on nomme fantaisie. 6+6 a
C'est lui qui, triste ou fou, de face ou de profil, 6+6 a
Comme un polichinel me traîne au bout d'un fil ; 6+6 a
Lui qui tient les cordons de ma bourse, et la guide 6+6 a
De mon cheval ; jaloux, badaud, constant, perfide, 6+6 a
360 En chasse au point du jour dimanche, et vendredi 6+6 a
Cloué sur l'oreiller jusque et passé midi. 6+6 a
Ainsi je vais en tout, — plus vain que la fumée 6+6 a
De ma pipe, — accrochant tous les pavés. — L'année 6+6 a
Dernière, j'étais fou de chiens d'abord, et puis 6+6 a
365 De femmes. — Maintenant, ma foi, je ne le suis 6+6 a
De rien. — J'en ai bien vu, des petites princesses ! 6+6 a
La première surtout m'a mangé de caresses : 6+6 a
Elle m'a tant baisé, pommadé, ballotté ! 6+6 a
C'est fini, voyez-vous, celle-là m'a gâté. 6+6 a
370 Quant à la Camargo, vous la pouvez bien prendre 6+6 a
Si le cœur vous en dit ; mais je me veux voir pendre 6+6 a
Plutôt que si ma main de sa nuque approchait. 6+6 a
L'ABBÉ
Triste !
RAFAEL
Encor triste, abbé ?
Aux musiciens.
Hé ! messieurs de l'archet, 6+6 a
En ut ! égayez donc un peu sa courtoisie. 6+6 a
Musique.
Ma foi ! voilà deux airs très beaux.
Il parle en se promenant, pendant que l'orchestre joue piano.
375 La poésie, 6+6 a
Voyez-vous, c'est bien. — Mais la musique, c'est mieux, 6+6 a
Pardieu ! voilà deux airs qui sont délicieux ; 6+6 a
La langue sans gosier n'est rien. — Voyez le Dante ; 6+6 a
Son Séraphin doré ne parle pas, — il chante ! 6+6 a
380 C'est la musique, moi, qui m'a fait croire en Dieu. 6+6 a
— Hardi, ferme, poussez ; crescendo !
Mais, parbleu ! 6+6 a
L'abbé s'est endormi. — Le voilà sous la table. 6+6 a
C'est vrai qu'il a le vin mélancolique en diable. 6+6 a
Ô doux, ô doux sommeil ! ô baume des esprits ! 6+6 a
385 Reste sur lui, sommeil ! dormir quand on est gris, 6+6 a
C'est, après le souper, le premier bien du monde. 6+6 a
PALFORIO, entrant.
Une lettre, seigneur.
RAFAEL, après avoir lu.
Que le ciel la confonde ! 6+6 a
Dites que je n'irai, certes, pas. — Attendez ! 6+6 a
Si — c'est cela — parbleu ! — je — non — si fait, restez. 6+6 a
Dites que l'on m'attende.
Exit Palforio.
390 Hé, l'abbé ! Sur mon âme, 6+6 a
Il ronfle en enragé.
L'ABBÉ
Pardonnez-moi, madame ; 6+6 a
Est-ce que je dormais ?
RAFAEL
Hé ! voulez-vous avoir 6+6 a
La Camargo, l'ami ?
L'Abbé, se levant.
Tête et ventre ! ce soir ? 6+6 a
RAFAEL
Ce soir même. — Écoutez bien : — elle doit m'attendre 6+6 a
395 Avant minuit. — Il est onze heures, — il faut prendre 6+6 a
Mon habit.
L'abbé se déboutonne.
Me donner le vôtre.
L'abbé ôte son manteau.
Vous irez 6+6 a
A la petite porte, et là vous tousserez 6+6 a
Deux fois ; toussez un peu.
L'ABBÉ
Hum ! hum !
RAFAEL
C'est à merveille. 6+6 a
Nous sommes à peu près de stature pareille. 6+6 a
Changeons d'habit.
Ils changent.
400 Parbleu ! cet habit de cafard 6+6 a
Me donne l'encolure et l'air d'un Escobard. 6+6 a
Le marquis Annibal ! l'abbé Garuci ! — Certe, 6+6 a
Le tour est des meilleurs. Or donc, la porte ouverte, 6+6 a
On vous introduira piano. — Mais n'allez pas 6+6 a
405 Perdre la tête là. — Prenez-la dans vos bras, 6+6 a
Et tout d'abord du poing renversez la chandelle. — 6+6 a
L'alcôve est à main droite en entrant. — Pour la belle, 6+6 a
Elle ne dira mot, ne réponds rien. —
L'ABBÉ
J'y vais. 6+6 a
Marquis, c'est à la vie, à la mort. — Si jamais 6+6 a
410 Ma maîtresse te plaît, à tel jour, à telle heure 6+6 a
Que ce soit, écris-moi trois mots, et que je meure 6+6 a
Si tu ne l'as le soir !
Il sort.
RAFAEL, lui crie par la fenêtre.
L'abbé, si vous voulez 6+6 a
Qu'on vous prenne pour moi tout à fait, embrassez 6+6 a
La servante en entrant. — Holà ! marauds, qu'on dise 6+6 a
415 A quelqu'un de m'aller chercher la Cydalise ! 6+6 a
Scène VI
Chez la Camargo.
CAMARGO, entrant.
Déchausse-moi. — J'étouffe. — A-t-on mis mon billet ? 6+6 a
LÆTITIA
Oui, madame.
CAMARGO
Et qu'a-t-on répondu ?
LÆTITIA
Qu'il viendrait. 6+6 a
CAMARGO
Était-il seul ?
LÆTITIA
Avec un abbé.
CAMARGO
Qui se nomme 6+6 a
LÆTITIA
Je ne sais pas. — Un gros joufflu, court, petit homme. 6+6 a
CAMARGO
Lætitia ?
LÆTITIA
Madame ?
CAMARGO
420 Approchez un peu. — J'ai, 6+6 a
Depuis le mois dernier, bien pâli, bien changé, 6+6 a
N'est-ce pas ? Je fais peur. — Je ne suis pas coiffée ; 6+6 a
Et vous me serrez tant, je suis tout étouffée. 6+6 a
LÆTITIA
Madame a le plus beau teint du monde ce soir. 6+6 a
CAMARGO
425 Vous croyez ? — Relevez ce rideau. — Viens t'asseoir 6+6 a
Près de moi. — Penses-tu, toi, que, pour une femme, 6+6 a
C'est un malheur d'aimer, — dans le fond de ton âme ? 6+6 a
LÆTITIA
Un malheur, quand on est riche !
L'ABBÉ, dans la rue.
Hum !
CAMARGO
N'entends-tu pas 6+6 a
Qu'on a toussé ? — Pourtant ce n'était point son pas. 6+6 a
LÆTITIA
430 Madame, c'est sa voix. — Je vais ouvrir la porte. 6+6 a
CAMARGO
Versez-moi ce flacon sur l'épaule.
La Camargo reste un moment seule, en silence. LÆTITIA rentre, accompagnée de l'abbé sous le manteau de Garuci, puis se retire aussitôt. Le coin du manteau accroche en passant la lampe et la renverse.
L'ABBÉ, se jetant à son cou.
Oh !
La Camargo est assise ; elle se lève et va à son alcôve. L'abbé la suit dans l'obscurité. Elle se retourne et lui tend la main ; il la saisit.
CAMARGO
Main-forte ! 6+6 a
Au secours ! Ce n'est pas lui !
Tous deux restent immobiles un instant.
L'ABBÉ
Madame, en pensant 6+6 a
CAMARGO
Au guet ! — Mais quel est donc cet homme ?
L'ABBÉ, lui mettant son mouchoir sur la bouche.
Ah ! tête et sang ! 6+6 a
Ma belle dame, un mot. — Je vous tiens, quoi qu'on fasse. 6+6 a
435 Criez si vous voulez ; mais il faut qu'on en passe 6+6 a
Par mes volontés.
CAMARGO, étouffant.
Heuh !
L'ABBÉ
Écoute ! — Si tu veux 6+6 a
Que nous passions une heure à nous prendre aux cheveux, 6+6 a
A ton gré, je le veux aussi, mais je te jure 6+6 a
Que tu n'y peux gagner beaucoup, — et sois bien sûre 6+6 a
440 Que tu n'y perdras rien. — Madame, au nom du ciel, 6+6 a
Vous allez vous blesser. — Si mon regret mortel 6+6 a
De vous offenser, si…
CAMARGO, arrachant la boucle de sa ceinture et l'en frappant au visage.
Tu n'es qu'un misérable 6+6 a
Assassin. — Au secours !
L'ABBÉ
Soyez donc raisonnable. 6+6 a
Madame ! calmez-vous. — Voulez-vous que vos gens 6+6 a
445 Fassent jaser le peuple, ou venir les sergents ? 6+6 a
Nous sommes seuls, la nuit, — et vous êtes trompée 6+6 a
Si vous pensez qu'on sort à minuit sans épée. 6+6 a
Lorsque vous m'aurez fait éventrer un valet 6+6 a
Ou deux, m'en croira-t-on moins heureux, s'il vous plaît ? 6+6 a
450 Et n'en prendra-t-on pas le soupçon légitime 6+6 a
Qu'étant si criminel, j'ai commis tout le crime ? 6+6 a
CAMARGO
Et qui donc es-tu, toi, qui me parles ainsi ? 6+6 a
L'ABBÉ
Ma foi ! je n'en sais rien. — J'étais le Garuci 6+6 a
Tout à l'heure ; à présent…
CAMARGO, le menant à l'endroit de la fenêtre où donne la lune.
Viens ici. — Sur ta vie 6+6 a
455 Et le sang de tes os, réponds. — Que signifie 6+6 a
Ce chiffre ?
L'ABBÉ
Ah ! pardonnez, madame, je suis fou 6+6 a
D'amour de vous. — Je suis venu sans savoir . 6+6 a
Ah ! ne me faites pas cette mortelle injure, 6+6 a
Que de me croire un cœur fait à cette imposture. 6+6 a
460 Je n'étais plus moi-même, et le ciel m'est témoin 6+6 a
Que de vous mériter nul n'a pris plus de soin. 6+6 a
CAMARGO
Je te crois volontiers en effet la cervelle 6+6 a
Troublée. — Et cette plaque enfin, d'où te vient-elle ? 6+6 a
L'ABBÉ
De lui.
CAMARGO
Lui ! — L'as-tu donc égorgé ?
L'ABBÉ
Moi ? Non point ; 6+6 a
465 Je l'ai laissé très vif, une bouteille au poing. 6+6 a
CAMARGO
Quel jeu jouons-nous donc ?
L'ABBÉ
Eh ! madame, lui-même 6+6 a
Ne pouvait-il pas seul trouver ce stratagème ? 6+6 a
Et ne voyez-vous point que lui seul m'a donné 6+6 a
Ce dont je devais voir mon amour couronné ? 6+6 a
470 Et quel autre que lui m'eût dit votre demeure ? 6+6 a
M'eût prêté ces habits ? m'eût si bien marqué l'heure ? 6+6 a
CAMARGO
Rafael ! Rafael ! le jour que de mon front 6+6 a
Mes cheveux sur mes pieds un à un tomberont, 6+6 a
Que ma joue et mes mains bleuiront comme celles 6+6 a
475 D'un noyé, que mes yeux laisseront mes prunelles 6+6 a
Tomber avec mes pleurs, alors tu penseras 6+6 a
Que c'est assez souffert, et tu t'arrêteras ! 6+6 a
L'ABBÉ
Mais…
CAMARGO
Et quel homme encor me met-il à sa place ? 6+6 a
De quelle fange est l'eau qu'il me jette à la face ? 6+6 a
480 Viens, toi. — Voyons, lequel est écrit dans tes yeux, 6+6 a
Du stupide, ou du lâche, ou si c'est tous les deux ? 6+6 a
L'ABBÉ
Madame !
CAMARGO
Je t'ai vu quelque part.
L'ABBÉ
Chez le comte 6+6 a
Foscoli.
CAMARGO
C'est cela. — Si ce n'était de honte, 6+6 a
Ce serait de pitié qu'à te voir ainsi fait 6+6 a
485 Comme un bouffon manqué, le cœur me lèverait ! 6+6 a
Voyons, qu'avais-tu bu ? dans cette violence, 6+6 a
Pour combien est l'ivresse, et combien l'impudence ? 6+6 a
Va, je te crois sans peine, et lui seul sûrement 6+6 a
Est le joueur ici qui t'a fait l'instrument. 6+6 a
490 Mais, écoute. — Ceci vous sera profitable. — 6+6 a
Va-t-en le retrouver, s'il est encore à table ; 6+6 a
Dis-lui bien ton succès, et que lorsqu'il voudra 6+6 a
Prêter à ses amis des filles d'Opéra 6+6 a
L'ABBÉ
D'Opéra ! — Hé parbleu ! vous seriez bien surprise 6+6 a
495 Si vous saviez qu'il soupe avec la Cydalise. 6+6 a
CAMARGO
Quoi ! Cydalise !
L'ABBÉ
Hé oui ! Gageons que l'on entend 6+6 a
D'ici les musiciens, s'il fait un peu de vent. 6+6 a
Tous deux prêtent l'oreille à la fenêtre.
On entend une symphonie lente dans l'éloignement.
CAMARGO
Ciel et terre ! c'est vrai !
L'ABBÉ
C'est ainsi qu'il oublie 6+6 a
Auprès d'elle, qui n'est ni jeune ni jolie, 6+6 a
500 La perle de nos jours ! Ah ! madame, songez 6+6 a
Que vos attraits surtout par là sont outragés ; 6+6 a
Songez au temps, à l'heure, à l'insulte, à ma flamme ; 6+6 a
Croyez que vos bontés…
CAMARGO
Cydalise !
L'ABBÉ
Eh ! madame, 6+6 a
Ne daignerez-vous pas baisser vos yeux sur moi ? 6+6 a
Si le plus absolu dévouement…
CAMARGO
505 Lève-toi. 6+6 a
As-tu le poignet ferme ?
L'ABBÉ
Hai…
CAMARGO
Voyons ton épée. 6+6 a
L'ABBÉ
Madame, en vérité, vous vous êtes coupée. 6+6 a
CAMARGO
Hé quoi ! pâle avant l'heure, et déjà faiblissant ? 6+6 a
L'ABBÉ
Non pas, mais têtebleu ! voulez-vous donc du sang ? 6+6 a
CAMARGO
510 Abbé, je veux du sang ! J'en suis plus altérée 6+6 a
Qu'une corneille au vent d'un cadavre attirée. 6+6 a
Il est là-bas, dis-tu ? cours-y donc, — coupe-lui 6+6 a
La gorge, et tire-le par les pieds jusqu'ici. 6+6 a
Tords-lui le cœur, abbé, de peur qu'il n'en réchappe. 6+6 a
515 Coupe-le en quatre, et mets les morceaux dans la nappe ; 6+6 a
Tu me l'apporteras, et puisse m'écraser 6+6 a
La foudre, si tu n'as par blessure un baiser ! 6+6 a
Tu tressailles, Romain ? C'est une faute étrange 6+6 a
Si tu te crois ici conduit par ton bon ange ! 6+6 a
520 Le sang te fait-il peur ? Pour t'en faire un manteau 6+6 a
De cardinal, il faut la pointe d'un couteau. 6+6 a
Me jugeais-tu le cœur si large, que j'y porte 6+6 a
Deux amours à la fois, et que pas un n'en sorte ? 6+6 a
C'est une faute encor ; mon cœur n'est pas si grand, 6+6 a
525 Et le dernier venu ronge l'autre en entrant. 6+6 a
L'ABBÉ
Mais, madame, vraiment, c'est… Est-ce que ?… Sans doute 6+6 a
C'est un assassinat. — Et la justice ?
CAMARGO
Écoute. 6+6 a
Je t'en supplie à deux genoux.
L'ABBÉ
Mais je me bats 6+6 a
Avec lui demain, moi. Cela ne se peut pas ; 6+6 a
Attendez à demain, madame.
CAMARGO
530 Et s'il te tue ? — 6+6 a
Demain ! et si j'en meurs ? — Si je suis devenue 6+6 a
Folle ? — Si le soleil, se prenant à pâlir, 6+6 a
De ce sombre horizon ne pouvait pas sortir ? 6+6 a
On a vu quelquefois de telles nuits au monde. — 6+6 a
535 Demain ! le vais-je attendre à compter par seconde 6+6 a
Les heures sur mes doigts, ou sur les battements 6+6 a
De mon cœur, comme un juif qui calcule le temps 6+6 a
D'un prêt ? — Demain ensuite, irai-je pour te plaire 6+6 a
Jouer à croix ou pile, et mettre ma colère 6+6 a
540 Au bout d'un pistolet qui tremble avec ta main ? 6+6 a
Non pas. — Non ! Aujourd'hui est à nous, mais demain 6+6 a
Est à Dieu !
L'ABBÉ
Songez donc…
CAMARGO
Annibal, je t'adore ! 6+6 a
Embrasse-moi !
Il se jette à son cou.
L'ABBÉ
Démons !!!
CAMARGO
Mon cher amour, j'implore 6+6 a
Votre protection. — Voyez qu'il se fait tard. — 6+6 a
545 Me refuserez-vous ? — Tiens, tiens, prends ce poignard. 6+6 a
Qui te verra passer ? Il fait si noir !
L'ABBÉ
Qu'il meure, 6+6 a
Et vous êtes à moi ?
CAMARGO
Cette nuit.
L'ABBÉ
Dans une heure. 6+6 a
Ah ! je ne puis marcher. — Mes pieds tremblent. — Je sens, 6+6 a
Je — je vois…
CAMARGO
Annibal, je suis prête, et j'attends. 6+6 a
Scène VII
À l'auberge.
RAFAEL est assis avec ROSE et CYDALISE
RAFAEL, chantant.
550 Trivelin ou Scaramouche, 7 a
Remplis ton verre à moitié, 7 b
Si tu le bois tout entier, 7 b
Je dirai que tu te mouches 7 a
Du pied. 2 b
555 Je ne sais pas au fond de quelle pyramide 6+6 a
De bouteilles de vin, au cœur de quel broc vide 6+6 a
S'est caché le démon qui doit me griser, mais 6+6 a
Je désespère encor de le trouver jamais. 6+6 a
CYDALISE
A toi, mon prince !
RAFAEL
A toi ! Buvons à mort, déesse ! 6+6 a
560 Ma foi, vive l'amour ! Au diable ma maîtresse ! 6+6 a
La vie est à descendre un rude grand chemin ; 6+6 a
Gai donc, la voyageuse, au coup du pèlerin ! 6+6 a
CYDALISE
Chante, je vais danser.
RAFAEL
Bien dit. — Ah ! la jolie 6+6 a
Jambe !
Il se couche aux pieds de Rose et prélude.
Je suis Hamlet aux genoux d'Ophélie. 6+6 a
565 Mais, reine, ma folie est plus douce, et mes yeux 6+6 a
Sous vos longs sourcils noirs invoquent d'autres dieux. 6+6 a
Il chante.
Si, dans les antres de Gnide 7 a
Au bras de Vénus porté, 7 b
Le vieux Jupiter, que ride 7 a
570 Sa vieille immortalité, 7 b
Dans la céleste furie 7 a
Me laissait finir sa vie, 7 a
Qui jamais ne finira ; 7 a
Dieux immortels, que je meure ! 7 b
575 J'aimerais mieux un quart d'heure 7 b
Chez la Blanche Lydia. 7 a
Que j'aime ces beaux seins qui battent la campagne ! 6+6 a
Au menuet, danseuse ! — et vous, du vin d'Espagne ! 6+6 a
À Rose.
Et laissez vos regards avec le vin couler. 6+6 a
580 Dieu merci, ma raison commence à s'en aller ! 6+6 a
CYDALISE
Tu me laisses danser toute seule ?
RAFAEL
Ma reine, 6+6 a
Cela n'est pas bien dit.
Il se lève.
Cette table nous gêne. 6+6 a
Il la renverse du pied.
PALFORIO, entrant.
Seigneur, je ne puis dire autre chose, sinon 6+6 a
Que de vous déranger je demande pardon ; 6+6 a
585 Mais vous faites un bruit bien fort, et qui fait mettre 6+6 a
Autour de ma maison le monde à la fenêtre. 6+6 a
Veuillez crier moins haut.
RAFAEL
Ah ! parbleu ! je crierai, 6+6 a
Maître porte-bedaine, autant que je voudrai. 6+6 a
Holà ! hé ! ohé ! ho !
PALFORIO
Seigneur, je vous supplie 6+6 a
D'observer qu'il est tard.
RAFAEL
590 Allons, paix, vieille truie. 6+6 a
Je suis abbé, d'abord. — Si vous dites un mot, 6+6 a
Je vous excommunie. — Arrière, toi, pied-bot ! 6+6 a
Il danse en chantant.
Monsieur l'abbé, où courez-vous ? 8 a
Vous allez vous casser le cou. 8 a
PALFORIO
595 Seigneur, si vous criez, j'irai chercher la garde ; 6+6 a
J'en demande pardon à votre honneur.
RAFAEL
Prends garde, 6+6 a
Que mon pied n'aille voir tes chausses.
PALFORIO
Aïe ! à moi ! 6+6 a
Je suis mort.
RAFAEL
Ventrebleu ! je suis ici chez toi ; 6+6 a
J'y suis pour mon plaisir, et n'en sortirai mie. 6+6 a
PALFORIO
600 Seigneur, excusez-moi ; c'est mon hôtellerie, 6+6 a
Et vous en sortirez. — A la garde !
RAFAEL
lui jetant une bouteille à la tête.
Tiens.
PALFORIO
Ah ! 6+6 a
Il tombe.
CYDALISE
Vous l'avez tué !
RAFAEL
Non.
CYDALISE
Si fait.
RAFAEL
Non.
ROSE
Si fait.
RAFAEL
Bah ! 6+6 a
Il le secoue.
Hé ! Palforio, vieux porc ! Il sait mieux que personne 6+6 a
Où vont après leur mort les gredins. — Je m'étonne 6+6 a
605 Que Satan ou Pluton, dès la première fois, 6+6 a
Dans cette nuque chauve ait enfoncé les doigts. 6+6 a
Ma foi, bonsoir ; le drôle a soufflé sa chandelle. 6+6 a
Adieu, ventre sans tête. — Il faut partir, ma belle. 6+6 a
Les sergents nous feraient payer les pots. — Allons. 6+6 a
610 C'est dur de nous quitter si tôt. — Allons, partons. 6+6 a
Je le croyais plus ferme, et que les vieilles âmes 6+6 a
Se rouillaient à l'étui comme les vieilles lames. 6+6 a
CYDALISE
Paix ! on vient.
VOIX
Au guet !
RAFAEL
Hein ! Je crois que les bourreaux 6+6 a
Sont gens, Dieu me pardonne, à quérir les prévôts. 6+6 a
615 Ne les attendons pas, mon ange. — Cette issue 6+6 a
Secrète nous conduit, par la petite rue, 6+6 a
A mon hôtel.
VOIX
C'est là.
CYDALISE
Mon Dieu ! si l'on entrait ! 6+6 a
RAFAEL
Allons, le mantelet, le loup et le bonnet ; 6+6 a
Par ici, par ici ! bonsoir, mes Cydalises. 6+6 a
CYDALISE
Bonsoir, mon prince.
UN SERGENT
entrant.
620 Arrête ! En voilà deux de prises. 6+6 a
CYDALISE
Mon prince, sauvez-vous.
LE SERGENT
Qu'on le retienne.
RAFAEL
Il pleut 6+6 a
Un peu, mais c'est égal. — Ma foi, sauve qui peut ! 6+6 a
Il saute par la fenêtre.
UN SOLDAT
Sergent, nous n'avons rien. — Votre homme est passé maître 6+6 a
Dans le saut périlleux. — Il a pris la fenêtre. 6+6 a
LE SERGENT
625 Oh ! oh ! tenez-le bien. — Que vois-je ? L'hôtelier 6+6 a
Est mort. Courez tous vite, et sus le meurtrier ! 6+6 a
Scène VIII
Une rue au bord de la mer.
RAFAEL, descend le long d'un treillis ; ANNIBAL, passe dans le fond.
RAFAEL
Peste soit des barreaux ! Hé, rendez-moi ma veste, 6+6 a
Mon camarade ! Où donc vous sauvez-vous si preste ? 6+6 a
Eh bien ! et vos amours, — que font-ils ?
L'ABBÉ
Le voilà ! 6+6 a
RAFAEL
630 On me poursuit, mon cher. — Je vous dirai cela ; 6+6 a
Mais rendez-moi l'habit.
L'ABBÉ
On crie. — On vous appelle ! 6+6 a
Têtebleu ! qu'est-ce donc ?
RAFAEL
Bon ! une bagatelle. 6+6 a
Je crois que j'ai tué quelqu'un là-bas.
L'ABBÉ
Vraiment ! 6+6 a
RAFAEL
Je vous dirai cela ; mais l'habit seulement. 6+6 a
L'ABBÉ
635 L'habit ? non de par Dieu ! Je ne veux pas du vôtre. 6+6 a
Les sergents me prendraient pour vous.
RAFAEL
Le bon apôtre ! 6+6 a
Plusieurs gens traversent le théâtre.
Attendez. — Donnez-moi ce manteau. — Bon. — Je vais 6+6 a
Dire à ces gredins-là deux petits mots.
L'ABBÉ
Jamais 6+6 a
Je n'oserai tuer cet homme.
Il s'assoit sur une pierre.
LE SERGENT
Holà ! je cherche 6+6 a
Le seigneur Rafael.
RAFAEL
640 A moins qu'il ne se perche 6+6 a
Sur quelque cheminée en manière d'oiseau, 6+6 a
Qu'il n'entre dans la terre, ou qu'il ne saute à l'eau ; 6+6 a
Vous l'aurez à coup sûr. Le connaissez-vous ?
LE SERGENT
Certe, 6+6 a
J'ai son signalement. — C'est une plume verte 6+6 a
Avec des bas orange.
RAFAEL
645 En vérité ! — Parbleu ! 6+6 a
Vous n'aurez point de peine, et vous jouez beau jeu. 6+6 a
Combien vous donne-t-on ?
LE SERGENT
Hai…
RAFAEL
Trouvez-vous qu'en somme 6+6 a
Votre prévôt vous ait assez payé votre homme ? 6+6 a
Le bon sire est-il doux ou dur sur les écus ? 6+6 a
LE SERGENT
650 Mais, il n'en mourrait pas pour donner un peu plus. 6+6 a
Mais je n'y pense pas. — Le ventre à la besogne, 6+6 a
Et non le dos. — Mieux vaut la hart que la vergogne, 6+6 a
Et puis, l'homme pendu, nous avons le pourpoint. 6+6 a
RAFAEL
Sans compter les revers, s'il met l'épée au poing. 6+6 a
LE SERGENT
J'ai de bons pistolets.
RAFAEL
Voyons. — Et puis ?
LE SERGENT
655 Ma canne 6+6 a
De sergent.
RAFAEL
Bon. — Et puis ?
LE SERGENT
Ce poignard de Toscane. 6+6 a
RAFAEL
Très excellent. — Et puis ?
LE SERGENT
J'ai cette épée.
RAFAEL
Et puis ? 6+6 a
LE SERGENT
Et puis ! je n'ai plus rien.
RAFAEL, le rossant.
Tiens, voilà pour tes cris, 6+6 a
Et pour tes pistolets.
LE SERGENT
Aïe ! aïe !
RAFAEL
Et pour ta canne, 6+6 a
660 Et pour ton fin poignard en acier de Toscane. 6+6 a
LE SERGENT
Aïe ! aïe ! je suis mort !
RAFAEL
Le seigneur Garuci 6+6 a
Est sans doute au logis. — On y va par ici. 6+6 a
Il le chasse.
C'est du don Juan, ceci.
Revenant.
Que dis-tu du bonhomme, 6+6 a
Sauvons-nous maintenant. — Moi, je retourne à Rome. 6+6 a
L'abbé va à lui, et lui met son poignard dans la gorge.
Êtes-vous fou, l'abbé ? — L'abbé ?
Il tombe.
665 Je n'y suis pas. 6+6 a
Ah ! malédiction ! Mais tu me le paieras. 6+6 a
Il veut se relever.
Mon coup de grâce, abbé ! Je suffoque ! Ah ! misère ! 6+6 a
Mon coup, mon dernier coup, mon cher abbé. La terre 6+6 a
Se roule autour de moi ! — miserere ! — Le ciel 6+6 a
670 Tourne. Ah, chien d'abbé, va ! par le Père éternel !… 6+6 a
Qu'attends-tu donc là, toi, fantôme, qui demeures 6+6 a
Avec ces yeux ouverts ?
L'ABBÉ
Moi ? J'attends que tu meures. 6+6 a
RAFAEL
Damnation ! Tu vas me laisser là crever 6+6 a
Comme un païen, gredin, et ne pas m'achever ! 6+6 a
675 Je ne te ferai rien ; viens m'achever. — Un verre 6+6 a
D'eau pour l'amour de Dieu ! — Tu diras à ma mère 6+6 a
Que je donne mes biens à mon bouffon Pippo. 6+6 a
Il meurt.
L'ABBÉ
Va, ta mort est ma vie, insensé ! — Ton tombeau 6+6 a
Est le lit nuptial où va ma fiancée 6+6 a
680 S'étendre sous le dais de cette nuit glacée ! 6+6 a
Maintenant le hibou tourne autour des falots. 6+6 a
L'esturgeon monstrueux soulève de son dos 6+6 a
Le manteau bleu des mers, et regarde en silence 6+6 a
Passer l'astre des nuits sur leur miroir immense. 6+6 a
685 La sorcière, accroupie et murmurant tout bas 6+6 a
Des paroles de sang, lave pour les sabbats 6+6 a
La jeune fille nue ; Hécate aux trois visages 6+6 a
Froisse sa robe blanche aux joncs des marécages ; 6+6 a
Écoutez. — L'heure sonne ! et par elle est compté 6+6 a
690 Chaque pas que le temps fait vers l'éternité. 6+6 a
Va dormir dans la mer, cendre ; et que ta mémoire 6+6 a
S'enfonce avec ta vie au cœur de cette eau noire ; 6+6 a
Il jette le cadavre dans la mer.
Vous, nuages, crevez ! essuyez ce chemin ! 6+6 a
Que le pied, sans glisser, puisse y passer demain. 6+6 a
Scène IX
Chez la Camargo.
LA CAMARGO est à son clavecin, en silence ; on entend frapper à petits coups.
CAMARGO
Entrez.
L'abbé entre. Il lui présente son poignard.
La Camargo le considère quelque temps, puis se lève.
A-t-il souffert beaucoup ?
L'ABBÉ
695 Bon ! c'est l'affaire 6+6 a
D'un moment.
CAMARGO
Qu'a-t-il dit ?
L'ABBÉ
Il a dit que la terre 6+6 a
Tournait.
CAMARGO
Quoi ! rien de plus ?
L'ABBÉ
Ah ! qu'il donnait son bien 6+6 a
A son bouffon Pippo.
CAMARGO
Quoi ! rien de plus ?
L'ABBÉ
Non, rien. 6+6 a
CAMARGO
Il porte au petit doigt un diamant. De grâce, 6+6 a
Allez me le chercher.
L'ABBÉ
Je ne le puis.
CAMARGO
700 La place 6+6 a
Où vous l'avez laissé n'est pas si loin.
L'ABBÉ
Non, mais 6+6 a
Je ne le puis.
CAMARGO
Abbé, tout ce que je promets ; 6+6 a
Je le tiens.
L'ABBÉ
Pas ce soir.
CAMARGO
Pourquoi ?
L'ABBÉ
Mais…
CAMARGO
Misérable ! 6+6 a
Tu ne l'as pas tué.
L'ABBÉ
Moi ! que le ciel m'accable 6+6 a
705 Si je ne l'ai pas fait, madame, en vérité ! 6+6 a
CAMARGO
En ce cas, pourquoi non ?
L'ABBÉ
Ma foi ! je l'ai jeté 6+6 a
Dans la mer.
CAMARGO
Quoi ! ce soir, dans la mer ?
L'ABBÉ
Oui, madame. 6+6 a
CAMARGO
Alors, c'est un malheur pour vous ; car, sur mon âme, 6+6 a
Je voulais cet anneau.
L'ABBÉ
Si vous me l'aviez dit, 6+6 a
Au moins…
CAMARGO
710 Et sur quoi donc t'en croirai-je, maudit ? 6+6 a
Sur quel honneur vas-tu me jurer ? Sur laquelle 6+6 a
De tes deux mains de sang ? Où la marque en est-elle ? 6+6 a
La chose n'est pas sûre, et tu te peux vanter. — 6+6 a
Il fallait lui couper la main, et l'apporter. 6+6 a
L'ABBÉ
715 Madame, il faisait nuit… La mer était prochaine. 6+6 a
Je l'ai jeté dedans.
CAMARGO
Je n'en suis pas certaine. 6+6 a
L'ABBÉ
Mais, madame, ce fer est chaud, et saigne encor. 6+6 a
CAMARGO
Ni le sang ni le feu ne sont rares.
L'ABBÉ
Son corps 6+6 a
N'est pas si loin, madame, il se peut qu'on se charge 6+6 a
CAMARGO
720 La nuit est trop épaisse, et l'Océan trop large. 6+6 a
L'ABBÉ
Mais je suis pâle, moi ! tenez.
CAMARGO
Mon cher abbé, 6+6 a
L'étais-je pas ce soir, quand j'ai joué Thisbé 6+6 a
Dans l'opéra ?
L'ABBÉ
Madame, au nom du ciel !
CAMARGO
Peut-être 6+6 a
Qu'en y regardant bien, vous l'aurez. — Ma fenêtre 6+6 a
Donne sur la mer.
Elle sort.
L'ABBÉ
725 Mais… — Elle est partie, ô Dieu ! 6+6 a
J'ai tué mon ami, j'ai mérité le feu, 6+6 a
J'ai taché mon pourpoint, et l'on me congédie. 6+6 a
C'est la moralité de cette comédie. 6+6 a
mètre profils métriques : 7, 8, 6+6, (2)
forme globale type : suite de strophes
schéma : 347[aa] 1[abbab] 1[abab] 1[abba]
forme globale type du poème inséré (1) : suite périodique
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