Métrique en Ligne
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F = "e" féminin
| = césure
MUS_1/MUS20
Alfred de MUSSET
PREMIÈRES POÉSIES
1829-1835
Les secrètes pensées de Rafael
Gentilhomme français
Fragment
Ô vous, race des dieux, phalange incorruptible, 6+6 a
Électeurs brevetés des morts et des vivants ; 6+6 b
Porte-clefs éternels du mont inaccessible, 6+6 a
Guindés, guédés, bridés, confortables pédants ! 6+6 b
5 Pharmaciens du bon goût, distillateurs sublimes, 6+6 a
Seuls vraiment immortels, et seuls autorisés ; 6+6 b
Qui, d'un bras dédaigneux, sur vos seins magnanimes, 6+6 a
Secouant le tabac de vos jabots usés, 6+6 b
Avez toussé, — soufflé, — passé sur vos lunettes 6+6 a
10 Un parement brossé, pour les rendre plus nettes, 6+6 a
Et, d'une main soigneuse ouvrant l'in-octavo, 6+6 a
Sans partialité, sans malveillance aucune, 6+6 b
Sans vouloir faire cas ni des ha ! ni des ho ! 6+6 a
Avez lu posément — la Ballade à la lune !!! 6+6 b
15 Maîtres, maîtres divins, où trouverai-je, hélas ! 6+6 a
Un fleuve où me noyer, une corde où me pendre, 6+6 b
Pour avoir oublié de faire écrire au bas : 6+6 a
Le public est prié de ne pas se méprendre… 6+6 b
Chose si peu cteuse et si simple à présent, 6+6 a
20 Et qu'à tous les piliers on voit à chaque instant ! 6+6 a
Ah ! povero, ohi ! — Qu'a pensé le beau sexe ? 6+6 a
On dit, maîtres, on dit qu'alors votre sourcil, 6+6 b
En voyant cette lune, et ce point sur cet i, 6+6 b
Prit l'effroyable aspect d'un accent circonflexe ! 6+6 a
25 Et vous, libres penseurs, dont le sobre dîner 6+6 a
Est un conseil d'État,immortels journalistes ! 6+6 b
Vous qui voyez encor, sur vos antiques listes, 6+6 b
Errer de loin en loin le nom d'un abonné ! 6+6 a
Savez-vous le Pater, et les péchés des autres 6+6 a
30 Ont-ils grâce à vos yeux ; quand vous comptez les vôtres ? 6+6 a
— Ô vieux sir John Falstaff ! quel rire eût soule 6+6 a
Ton large et joyeux corps, gonflé de vin d'Espagne, 6+6 b
En voyant ces buveurs, troublés par le champagne, 6+6 b
Pour tuer une mouche apporter un pavé ! 6+6 a
35 Salut, jeunes champions d'une cause un peu vieille, 6+6 a
Classiques bien rasés, à la face vermeille, 6+6 a
Romantiques barbus, aux visages blêmis ! 6+6 a
Vous qui des Grecs défunts balayez le rivage, 6+6 b
Ou d'un poignard sanglant fouillez le moyen âge, 6+6 b
40 Salut ! — J'ai combattu dans vos camps ennemis. 6+6 a
Par cent coups meurtriers devenu respectable, 6+6 a
Vétéran, je m'assois sur mon tambour crevé. 6+6 b
Racine, rencontrant Shakspeare sur ma table, 6+6 a
S'endort près de Boileau qui leur a pardonné. 6+6 b
45 Mais toi, moral troupeau, dont la docte cervelle 6+6 a
S'est séchée en silence aux leçons de Thénard, 6+6 b
Enfants régénérés d'une mère immortelle, 6+6 a
Qui savez parler vers, prose et naïf dans l'art, 6+6 b
Ô jeunesse du siècle ! intrépide jeunesse ! 6+6 a
50 Quitteras-tu pour moi le Globe ou les Débats ? 6+6 b
Lisez un paresseux, enfant de la paresse… 6+6 a
Muse, reprends ta lyre, et rouvre-moi tes bras. 6+6 b
France, ô mon beau pays ! j'ai de plus d'un outrage 6+6 a
Offensé ton céleste, harmonieux langage, 6+6 a
55 Idiome de l'amour, si doux qu'à le parler 6+6 a
Tes femmes sur la lèvre en gardent un sourire ; 6+6 b
Le miel le plus do qui sur la triste lyre 6+6 b
De la bouche et du cœur ait pu jamais couler ! 6+6 a
Mère de mes aïeux, ma nourrice et ma mère, 6+6 a
60 Me pardonneras-tu ? Serai-je digne encor 6+6 b
De faire sous mes doigts vibrer la harpe d'or ? 6+6 b
Ce ne sont plus les fils d'une terre étrangère 6+6 a
Que je veux célébrer, ô ma belle cité ! 6+6 a
Je ne sortirai pas de ce bord enchan 6+6 a
65 Où, près de ton palais, sur ton fleuve penchée, 6+6 a
Fille de l'Occident, un soir tu t'es couchée… 6+6 a
Lecteur, puisqu'il faut bien qu'à ce mot redou 6+6 a
Tôt ou tard, à présent, tout honnête homme en vienne, 6+6 b
C'est, après le dîner, une faiblesse humaine 6+6 b
70 Que de dormir une heure en attendant le thé. 6+6 a
Vous le savez, hélas ! alors que les gazettes 6+6 a
Ressemblent aux greniers dans les temps de disettes, 6+6 a
Ou lorsque, par malheur, on a, sans y penser, 6+6 a
Ouvert quelque pamphlet fatal à l'insomnie, 6+6 b
75 Quelques Mémoires sur*** — Essai de poésie 6+6 b
— Ô livres précieux ! serait-ce vous blesser 6+6 a
Que de poser son front sur vos célestes pages, 6+6 a
Tandis que du calice embaumé de l'opium, 6+6 b
Comme une goutte d'eau qu'apportent les orages 6+6 a
80 Tombe ce fruit des cieux appesomnium ! 6+6 b
Depuis un grand quart d'heure incliné sur sa chaise, 6+6 a
Rafael (mon héros) sommeillait doucement. 6+6 b
Remarquez bien, lecteur, et ne vous en déplaise, 6+6 a
Que c'est tout l'oppo d'un héros de roman. 6+6 b
85 Ses deux bras sont croisés ; — une ample redingote, 6+6 a
Simplicité touchante, enferme sous ses plis 6+6 b
Son corps plus délicat qu'un menton de dévote, 6+6 a
Et ses membres vermeils par le bain assouplis. 6+6 b
Dans ses cheveux, huilés d'un baptême à la rose, 6+6 a
90 Le zéphir mollement balance ses pieds nus, 6+6 b
Et son barbet grognon, qui près de lui repose, 6+6 a
Supporte fièrement ses deux pieds étendus ; 6+6 b
Tandis qu'à ses côtés, sous le vase d'albâtre 6+6 a
Où dort dans les glaçons le bourgogne mousseux, 6+6 b
95 Le pudding entamé, de sa flamme bleuâtre, 6+6 a
Salamandre joyeuse, égaye encor les yeux. 6+6 b
Son parfum, qui se mêle au tabac de Turquie, 6+6 a
Croise autour des lambris son brouillard azuré, 6+6 b
Qui s'enfuit comme un songe, et s'éteint par degré. 6+6 b
100 Trois cigares le soir, quand le jeu vous ennuie, 6+6 a
Son un moyen divin pour mettre à mort le temps. 6+6 a
Notre âme (si Dieu veut que nous ayons une âme) 6+6 b
N'est pas assurément une plus douce flamme, 6+6 b
Un feu plus vif, formé de rayons plus ardents, 6+6 a
105 Que ce sylphe léger qui plonge et se balance 6+6 a
Dans le bol où le punch rit sur son trépied d'or. 6+6 b
Le grog est fashionable, et le vieux vin de France 6+6 a
Réveille au fond du cœur la gté qui s'endort. 6+6 b
— Mais quel homme, fût-il né dans la Sibérie 6+6 a
110 Des baisers engourdis de deux êtres glacés ; 6+6 b
Eût-on sous un cilice étouffé de sa vie 6+6 a
La sève languissante et les germes usés ; 6+6 b
Se fût-il dans la cendre abreuvé dès l'enfance 6+6 a
De végétaux sans suc et d'herbes sans chaleur ; 6+6 b
115 Quel homme, au triple aspect du punch, du vin de France, 6+6 a
Et du cigarero, ne sentirait son cœur, 6+6 b
Plein d'une joie ardente et d'une molle ivresse, 6+6 a
S'ouvrir au paradis des rêves de jeunesse ?… 6+6 a
Reine, reine des cieux, ô mère des amours, 6+6 a
120 Noble, pâle beauté, douce Aristocratie ! 6+6 b
Fille de la richesse… ô toi, toi qu'on oublie, 6+6 b
Que notre pauvre France aimait dans ses vieux jours ! 6+6 a
Toi que jadis, du haut de son paratonnerre, 6+6 a
Le roturier Franklin foudroya sur la terre 6+6 a
125 Où le colon grillé gouverne en liberté 6+6 a
Ses noirs, et son tabac par les lois prohibé ; 6+6 a
Toi qui créas Paris, tuas Athène et Sparte, 6+6 a
Et, sous le dais sanglant de l'impérial pavois, 6+6 b
Comme autrefois César, endormis Bonaparte 6+6 a
130 Aux murmures lointains des peuples et des rois ! — 6+6 b
Toi qui, dans ton printemps, de roses couronnée, 6+6 a
Et comme Iphigénie, à l'autel entrnée, 6+6 a
Jeune, tombas frappée au cœur d'un coup mortel… 6+6 a
— As-tu quitté la terre et regagné le ciel ? 6+6 a
135 Nous te retrouverons, perle de Cléopâtre, 6+6 a
Dans la source féconde, à la teinte rougeâtre, 6+6 a
Qui dans ses flots profonds un jour te consuma… 6+6 a
« Hé ! hé ! dit une voix, parbleu ! mais le voilà. 6+6 a
— Messieurs, dit Rafael ; entrez, j'ai fait un somme. » 6+6
mètre profil métrique : 6+6
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