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| = césure
MUS_1/MUS19
Alfred de MUSSET
PREMIÈRES POÉSIES
1829-1835
Octave
Fragment
Ni ce moine rêveur, ni ce vieux charlatan, 6+6 a
N'ont deviné pourquoi Mariette est mourante. 6+6 b
Elle est frappée au cœur, la belle indifférente ; 6+6 b
Voilà son mal, — elle aime.Il est cruel pourtant 6+6 a
5 De voir entre les mains d'un cafard et d'un âne, 6+6 a
Mourir cette superbe et jeune courtisane. 6+6 a
Mais chacun a son jour, et le sien est venu ; 6+6 a
Pour moi, je ne crois guère à ce mal inconnu. 6+6 a
Tenez, — la voyez-vous, seule, au pied de ces arbres, 6+6 a
10 Chercher l'ombre profonde et la frcheur des marbres, 6+6 a
Et plonger dans le bain ses membres en sueur ? 6+6 a
Je gagerais mes os qu'elle est frappée au cœur. 6+6 a
Regardez : — c'est ici, sous ces longues charmilles, 6+6 a
Qu'hier encor, dans ses bras, loin des rayons du jour, 6+6 b
15 Ont pâli les enfants des plus nobles familles. 6+6 a
Là s'exerçait dans l'ombre un redoutable amour ; 6+6 b
Là, cette Messaline ouvrait ses bras rapaces 6+6 a
Pour changer en vieillards ses frêles favoris, 6+6 b
Et, répandant la mort sous des baisers vivaces, 6+6 a
20 Buvait avec fureur ses éléments chéris, 6+6 b
L'or et le sang. —
Hélas ! c'en est fait, Mariette, 6+6 a
Maintenant te voi solitaire et muette. 6+6 a
Tu te mires dans l'eau ; sur ce corps si van 6+6 a
Tes yeux cherchent en vain ta fatale beauté. 6+6 a
25 Va courir maintenant sur les places publiques. 6+6 a
Tire par les manteaux tes amants magnifiques. 6+6 a
Ceux qui, l'hiver dernier, t'ont bâti ton palais, 6+6 a
T'enverront demander ton nom par leurs valets. 6+6 a
Le médecin s'éloigne en haussant les épaules ; 6+6 a
30 Il soupire, il se dit que l'art est impuissant. 6+6 b
Quant au moine stupide, il ne sait que deux rôles, 6+6 a
L'un pour le criminel, l'autre pour l'innocent ; 6+6 b
Et, voyant une femme en silence s'éteindre, 6+6 a
Ne sachant s'il devait ou condamner ou plaindre, 6+6 a
35 D'une bouche tremblante il les a dits tous deux. 6+6 a
Maria ! Maria ! superbe créature, 6+6 b
Tu seras ce chasseur imprudent que les dieux 6+6 a
Aux chiens qu'il nourrissait jetèrent en pâture. 6+6 b
Sous le tranquille abri des citronniers en fleurs, 6+6 a
40 L'infortunée endort le poison qui la mine ; 6+6 b
Et, comme Madeleine, on voit sur sa poitrine 6+6 b
Ruisseler les cheveux ensemble avec les pleurs. 6+6 a
Était-ce un connaisseur en matière de femme, 6+6 a
Cet écrivain qui dit que, lorsqu'elle sourit, 6+6 b
45 Elle vous trompe ; elle a pleuré toute la nuit ? 6+6 b
Ah ! s'il est vrai qu'un œil plein de joie et de flamme, 6+6 a
Une bouche riante, et de légers propos, 6+6 a
Cachent des pleurs amers et des nuits de sanglots ; 6+6 a
S'il est vrai que l'acteur ait l'âme déchie 6+6 a
50 Quand le masque est fardé de joyeuses couleurs, 6+6 b
Qu'est-ce donc quand la joue est ardente et plome, 6+6 a
Quand le masque lui-même est inondé de pleurs ? 6+6 b
Je ne sais si jamais l'éternelle justice 6+6 a
A du plaisir des dieux fait un plaisir permis ; 6+6 b
55 Mais, s'il m'était donné de dire à quel supplice 6+6 a
Je voudrais condamner mon plus fier ennemi, 6+6 b
C'est toi, pâle souci d'une amour dédaignée, 6+6 a
Désespoir misérable et qui meurs ignoré, 6+6 b
Oui, c'est toi, ce serait ta lame empoisonnée 6+6 a
60 Que je voudrais briser dans un cœur abhorré ! 6+6 b
Savez-vous ce que c'est que ce mal solitaire ? 6+6 a
Ce qu'il faut en souffrir seulement pour s'en taire ? 6+6 a
Pour que toute une mer d'angoisses et de maux 6+6 a
Demeure au fond du crâne, entre deux faibles os ?… 6+6 a
65 Et comment voudrait-il, l'insensé, qu'on le plaigne ? 6+6 a
Sois méprisé d'un seul, c'est à qui t'oubliera. 6+6 b
D'ailleurs, l'inexorable orgueil n'est-il pas là ? 6+6 b
L'orgueil, qui craint les yeux, et, sur son flanc qui saigne, 6+6 a
Retient, comme César, jusque sous le couteau, 6+6 a
70 De ses débiles mains les plis de son manteau. 6+6 a
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Sur les flots engourdis de ces mers indolentes, 6+6 a
Le nonchalant Octave, insolemment paré, 6+6 b
Ferme et soulève, au bruit des valses turbulentes, 6+6 a
75 Ses yeux, ses beaux yeux bleus, qui n'ont jamais pleuré. 6+6 b
C'est un chétif enfant ;il commence à paraître, 6+6 a
Personne jusqu'ici ne l'avait aperçu. 6+6 b
On raconte qu'un jour, au pied de sa fenêtre, 6+6 a
La belle Mariette en gondole l'a vu. 6+6 b
80 Une vieille ce soir l'arrête à son passage : 6+6 a
« Hélas ! a-t-elle dit d'une tremblante voix, 6+6 b
Elle voudrait vous voir une dernière fois. » 6+6 b
Mais Octave, à ces mots, découvrant son visage, 6+6 a
A laissé voir un front où la joie éclatait : 6+6 a
85 « Mariette se meurt ! est-on sûr qu'elle meure ? 6+6 b
Dit-il. — Le médecin lui donne encore une heure. 6+6 b
Alors, réplique-t-il, porte-lui ce billet. » 6+6 a
Il écrivit ces mots du bout de son stylet : 6+6 a
« Je suis femme, Maria ; tu m'avais offene. 6+6 a
90 Je puis te pardonner, puisque tu meurs par moi. 6+6 b
Tu m'as vengée ! adieu. — Je suis la fiane 6+6 a
De Petruccio Balbi qui s'est noyé pour toi. » 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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