Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
MUS_1/MUS18
Alfred de MUSSET
PREMIÈRES POÉSIES
1829-1835
Les vœux stériles
Puisque c'est ton métier,misérable poète, 6+6 a
Même en ces temps d'orage, la bouche est muette 6+6 a
Tandis que le bras parle,et que la fiction 6+6 a
Dispart comme un songeau bruit de l'action ; 6+6 a
5 Puisque c'est ton métierde faire de ton âme 6+6 a
Une prostituée,et que, joie ou douleur, 6+6 b
Tout demande sans cesseà sortir de ton cœur ; 6+6 b
Que du moins l'histrion,couvert d'un masque infâme, 6+6 a
N'aille pas, dégradantta pensée avec lui, 6+6 a
10 Sur d'ignobles tréteauxla mettre au pilori ; 6+6 a
Que nul plan, nul détour,nul voile ne l'ombrage. 6+6 a
Abandonne aux vieillardssans force et sans courage 6+6 a
Ce travail d'araignée,et tous ces fils honteux 6+6 a
Dont s'entoure en tremblantl'orgueil qui craint les yeux. 6+6 a
15 Point d'autel, de trépied,point d'arrière aux profanes ! 6+6 a
Que ta muse, brisantle luth des courtisanes, 6+6 a
Fasse vibrer sans peurl'air de la liberté ; 6+6 a
Qu'elle marche pieds nus,comme la Vérité. 6+6 a
Ô Machiavel ! tes pasretentissent encore 6+6 a
20 Dans les sentiers désertsde San Casciano. 6+6 b
Là, sous des cieux ardentsdont l'air sèche et dévore, 6+6 a
Tu cultivais en vainun sol maigre et sans eau. 6+6 b
Ta main, lasse le soird'avoir creusé la terre, 6+6 a
Frappait ton pâle frontdans le calme des nuits. 6+6 b
25 Là, tu fus sans espoir,sans proches, sans amis ; 6+6 b
La vile oisiveté,fille de la misère, 6+6 a
A ton ombre en tous lieuxse trnait lentement, 6+6 c
Et buvait dans ton cœurles flots purs de ton sang : 6+6 c
« Qui suis-je ? écrivais-tu ;qu'on me donne une pierre, 6+6 a
30 Une roche à rouler ;c'est la paix des tombeaux 6+6 a
Que je fuis, et je tendsdes bras las du repos. » 6+6 a
C'est ainsi, Machiavel,qu'avec toi je m'écrie : 6+6 a
Ô médiocrité,celui qui pour tout bien 6+6 b
T'apporte à ce tripotdégtant de la vie, 6+6 a
35 Est bien poltron au jeu,s'il ne dit : Tout ou rien. 6+6 b
Je suis jeune ; j'arrive.A moitié de ma route, 6+6 a
Déjà las de marcher,je me suis retourné. 6+6 b
La science de l'hommeest le mépris sans doute ; 6+6 a
C'est un droit de vieillardqui ne m'est pas donné. 6+6 b
40 Mais qu'en dois-je penser ?Il n'existe qu'un être 6+6 a
Que je puisse en entieret constamment conntre, 6+6 a
Sur qui mon jugementpuisse au moins faire foi, 6+6 a
Un seul !… Je le méprise.Et cet être, c'est moi. 6+6 a
Qu'ai-je fait ? qu'ai-je appris ?— Le temps est si rapide. 6+6 a
45 L'enfant marche joyeux,sans songer au chemin ; 6+6 b
Il le croit infini,n'en voyant pas la fin. 6+6 b
Tout à coup il rencontreune source limpide, 6+6 a
Il s'arrête, il se penche,il y voit un vieillard. 6+6 a
Que me dirai-je alors ?Quand j'aurai fait mes peines, 6+6 b
50 Quand on m'entendra dire :Hélas ! il est trop tard ; 6+6 a
Quand ce sang, qui bouillonneaujourd'hui dans mes veines 6+6 b
Et s'irrite en criantcontre un lâche repos, 6+6 a
S'arrêtera, glacéjusqu'au fond de mes os… 6+6 a
Ô vieillesse ! à quoi doncsert ton expérience ? 6+6 a
55 Que te sert, spectre vain,de te courber d'avance 6+6 a
Vers le commun tombeaudes hommes, si la mort 6+6 a
Se tait en y rentrant,lorsque la vie en sort ? 6+6 a
N'existait-il donc pasà cette loterie 6+6 a
Un joueur par le sortassez bien abattu 6+6 b
60 Pour que, me rencontrantsur le seuil de la vie, 6+6 a
Il me dît en sortant :N'entrez pas, j'ai perdu ! 6+6 b
Grèce, ô mère des arts,terre d'idolâtrie, 6+6 a
De mes vœux insenséséternelle patrie, 6+6 a
J'étais né pour ces temps les fleurs de ton front 6+6 a
65 Couronnaient dans les mersl'azur de l'Hellespont. 6+6 a
Je suis un citoyende tes siècles antiques ; 6+6 a
Mon âme avec l'abeilleerre sous tes portiques. 6+6 a
La langue de ton peuple,ô Grèce, peut mourir ; 6+6 a
Nous pouvons oublierle nom de tes montagnes ; 6+6 b
70 Mais qu'en fouillant le seinde tes blondes campagnes 6+6 b
Nos regards tout à coupviennent à découvrir 6+6 a
Quelque dieu de tes bois,quelque Vénus perdue 6+6 a
La langue que parlaitle cœur de Phidias 6+6 b
Sera toujours vivanteet toujours entendue ; 6+6 a
75 Les marbres l'ont apprise,et ne l'oublieront pas. 6+6 b
Et toi, vieille Italie, sont ces jours tranquilles 6+6 a
sous le toit des coursRome avait abrité 6+6 b
Les arts, ces dieux amis,fils de l'oisiveté ? 6+6 b
Quand tes peintres alorss'en allaient par les villes, 6+6 a
80 Élevant des palais,des tombeaux, des autels, 6+6 a
Triomphants, honorés,dieux parmi les mortels ; 6+6 a
Quand tout, à leur parole,enfantait des merveilles, 6+6 a
Quand Rome combattaitVenise et les Lombards, 6+6 b
Alors c'étaient des tempsbienheureux pour les arts ! 6+6 b
85 Là, c'était Michel-Ange,affaibli par les veilles, 6+6 a
Pâle au milieu des morts,un scalpel à la main, 6+6 a
Cherchant la vie au fondde ce néant humain, 6+6 a
Levant de temps en tempssa tête appesantie, 6+6 a
Pour jeter un regardde colère et d'envie 6+6 a
90 Sur les palais de Rome,, du pied de l'autel, 6+6 a
A ses rivaux de loinsouriait Raphaël. 6+6 a
Là, c'était le Corrège,homme pauvre et modeste, 6+6 a
Travaillant pour son cœur,laissant à Dieu le reste ; 6+6 a
Le Giorgione, superbe,au jeune Titien 6+6 a
95 Montrant du sein des mersson beau ciel vénitien ; 6+6 a
Bartholomé, pensif,le front dans la poussière, 6+6 a
Brisant son jeune cœursur un autel de pierre, 6+6 a
Interrogé tout bassur l'art par Raphaël, 6+6 a
Et bornant sa réponseà lui montrer le ciel… 6+6 a
100 Temps heureux, temps aimés !Mes mains alors peut-être, 6+6 a
Mes lâches mains, pour vousauraient pu s'occuper ; 6+6 b
Mais aujourd'hui pour qui ?dans quel but ? sous quel mtre ? 6+6 a
L'artiste est un marchand,et l'art est un métier. 6+6 b
Un pâle simulacre,une vile copie, 6+6 a
105 Naissent sous le soleilardent de l'Italie 6+6 a
Nos œuvres ont un an,nos gloires ont un jour ; 6+6 a
Tout est mort en Europe,— oui, tout, — jusqu'à l'amour. 6+6 a
Ah ! qui que vous soyez,vous qu'un fatal génie 6+6 a
Pousse à ce malheureuxmétier de poésie, 6+6 a
110 Rejetez loin de vous,chassez-moi hardiment 6+6 a
Toute sincérité ;gardez que l'on ne voie 6+6 b
Tomber de votre cœurquelques gouttes de sang ; 6+6 a
Sinon, vous apprendrezque la plus courte joie 6+6 b
Cte cher, que le sageest ami du repos, 6+6 a
115 Que les indifférentssont d'excellents bourreaux. 6+6 a
Heureux, trois fois heureux,l'homme dont la pensée 6+6 a
Peut s'écrire au tranchantdu sabre ou de l'épée ! 6+6 a
Ah ! qu'il doit mépriserces rêveurs insensés 6+6 a
Qui, lorsqu'ils ont pétrid'une fange sans vie 6+6 b
120 Un vil fantôme, un songe,une froide effigie, 6+6 b
S'arrêtent pleins d'orgueil,et disent : C'est assez ! 6+6 a
Qu'est la pensée, hélas !quand l'action commence ? 6+6 a
L'une recule l'autreintrépide s'avance. 6+6 a
Au redoutable aspectde la réalité, 6+6 a
125 Celle-ci prend le fer,et s'apprête à combattre ; 6+6 b
Celle-là, frêle idole,et qu'un rien peut abattre, 6+6 b
Se détourne, en voilantson front inanimé. 6+6 a
Meurs, Weber ! meurs courbésur ta harpe muette ; 6+6 a
Mozart t'attend. — Et toi,misérable poète, 6+6 a
130 Qui que tu sois, enfant,homme, si ton cœur bat, 6+6 a
Agis ! jette ta lyre ;au combat, au combat ! 6+6 a
Ombre des temps passés,tu n'est pas de cet âge. 6+6 a
Entend-on le nocherchanter pendant l'orage ? 6+6 a
A l'action ! au mal !Le bien reste ignoré. 6+6 a
135 Allons ! cherche un égalà des maux sans remède. 6+6 b
Malheur à qui nous fitce sens dénaturé ! 6+6 a
Le mal cherche le mal,et qui souffre nous aide. 6+6 b
L'homme peut haïr l'homme,et fuir, mais malgré lui, 6+6 a
Sa douleur tend la mainà la douleur d'autrui : 6+6 a
140 C'est tout. Pour la pitié,ce mot dont on nous leurre, 6+6 a
Et pour tous ces discoursprostitués sans fin, 6+6 b
Que l'homme au cœur joyeuxjette à celui qui pleure, 6+6 a
Comme le riche jetteau mendiant son pain, 6+6 b
Qui pourrait en vouloir ?et comment le vulgaire, 6+6 a
145 Quand c'est vous qui souffrez,pourrait-il le sentir, 6+6 b
Lui que Dieu n'a pas faitcapable de souffrir ? 6+6 b
Allez sur une place,étalez sur la terre 6+6 a
Un corps plus mutiléque celui d'un martyr, 6+6 a
Informe, dégtant,trné sur une claie, 6+6 b
150 Et soulevant déjàl'âme prête à partir ; 6+6 a
La foule vous suivra.Quand la douleur est vraie, 6+6 b
Elle l'aime. Vos maux,dont on vous saura gré, 6+6 a
Feront horreur à tous,à quelques-uns pitié. 6+6 a
Mais changez de façon :découvrez-leur une âme 6+6 a
155 Par le chagrin brisée,une douleur sans fard, 6+6 b
Et dans un jeune cœurdes regrets de vieillard ; 6+6 b
Dites-leur que sans mère,et sans sœur, et sans femme, 6+6 a
Sans savoir verser,avant que de mourir, 6+6 a
Les pleurs que votre seinpeut encor contenir, 6+6 a
160 Jusqu'au soleil couchantvous n'irez point peut-être. 6+6 a
Qui trouvera le tempsd'écouter vos malheurs ? 6+6 b
On croit au sang qui coule,et l'on doute des pleurs. 6+6 b
Votre ami passera,mais sans vous reconntre. 6+6 a
— Tu te gonfles, mon cœur ?… Des pleurs, le croirais-tu 6+6 a
165 Tandis que j'écrivaisont baigné mon visage. 6+6 b
Le fer me manque-t-il,ou ma main sans courage 6+6 b
A-t-elle lâchementglissé sur mon sein nu ? 6+6 a
— Non, rien de tout cela.Mais si loin que la haine 6+6 a
De cette destinéeaveugle et sans pudeur 6+6 b
170 Ira, j'y veux aller.— J'aurai du moins le cœur 6+6 b
De la mener si basque la honte l'en prenne. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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