Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
MOR_6/MOR209
Jean MORÉAS
IPHIGÉNIE
1904
IPHIGÉNIE
Tragédie en cinq actes
Cet ouvrage a été représenté pour la première fois à Orange, sur le Théâtre antique, le 24 août 1903, et à Paris, sur la scène de l'Odéon, le 10 décembre 1903 par les artistes de Comédie-Française et de l'Odéon.
DISTRIBUTION
Personnages : Acteurs qui ont créé les rôles : A Orange :
MM.
AGAMEMNON : SILVAIN
ACHILLE : Albert LAMBERT
MÉNÉLAS : CASTELLI
LE VIEILLARD : BOYER
Le petit ORESTE : Le petit MARTIN
MMmes
IPHIGÉNIE : Louise SILVAIN
CLYTEMNESTRE : Aimée TESSANDIER
1re CHOREUTE : Madeleine ROCH
2e CHOREUTE : NAU
3e CHOREUTE : Vera SERGINE
4e CHOREUTE : Berthe BELVAL
A Paris :
MM.
AGAMEMNON : SILVAIN
ACHILLE : FENOUX
MÉNÉLAS : GORDES
LE VIEILLARD : BOYER
Le petit ORESTE : Le petit ROTH
MMmes
IPHIGÉNIE : Louise SILVAIN
CLYTEMNESTRE : Aimée TESSANDIER
1re CHOREUTE : Madeleine ROCH
2e CHOREUTE : MAILLE
3e CHOREUTE : SYLVIE
4e CHOREUTE : RABUTEAU
Chœur des femmes de Chalcis. — Suivantes de Clytemnestre.
Soldats de l’escorte d’Achille.
La scène est à Aulis, dans le camp des Grecs, devant la demeure d’ Agamemnon, au bord d’une mer calme.
ACTE I
SCÈNE PREMIÈRE
AGAMEMNON, LE VIEILLARD
AGAMEMNON
O vieillard, hâtons-nous :l’heure fuit.
LE VIEILLARD
Quel souci 6+6 a
T’occupe, Agamemnon ?
AGAMEMNON
Approche.
LE VIEILLARD
Me voici, 6+6 a
Et certes ma vieillesse,encore vigilante, 6+6 a
N’alourdit pas mes yeux.
AGAMEMNON
Cette étoile brillante 6+6 a
5 Qui traverse le ciela-t-elle parcouru 6+6 a
La moitié de sa route ?Elle vogue et s’élance 6+6 b
Près des Pléiades, vois.Je n’ai pas entendu 6+6 a
Gazouiller les oiseaux,et les vents font silence 6+6 b
Sur l’Euripe. Le jourest encor loin.
LE VIEILLARD
Pourquoi 6+6 a
10 As-tu quitté ta couche,Agamemnon, mon roi ? 6+6 a
Certes, le jour est loin :dans Aulis tout Sommeille. 6+6 a
Rentrons.
AGAMEMNON
Ah ! Qu’une vieà la tienne pareille 6+6 a
Est douce. L’homme obscur,que n’a pas ébloui 6+6 a
La gloire, vit heureux,ô vieillard, mais celui 6+6 a
15 Qui cherche les honneursest moins digne d’envie, 6+6 a
Hélas !
LE VIEILLARD
Mais n’est-ce pointle plus beau de la vie ? 6+6 a
On le dit.
AGAMEMNON
On le dit :c’est qu’à la vérité 6+6 a
Cela flatte d’abord ;mais, de cette beauté, 6+6 a
La base en est fragileet la chance diverse. 6+6 a
20 Tantôt c’est l’un des dieux,vieillard, qui nous traverse 6+6 a
Pour un soin négligé ;puis les opinions 6+6 a
Sujettes à tourneret les dissensions 6+6 a
Des hommes malcontentsnous viennent, de coutume, 6+6 a
Changer un peu de mielen beaucoup d’amertume. 6+6 a
LE VIEILLARD
25 Qu’un autre en soit touché :je blâme, quant à moi, 6+6 a
De semblables discoursdans la bouche d’un roi. 6+6 a
Non, non, tu ne fus pasengendré par ton père 6+6 a
Pour gter tous les biensd’un sort toujours prospère. 6+6 a
Comme tu sens la joie,il te faudra souffrir. 6+6 a
30 La volonté des dieux,il la faudra subir ; 6+6 a
Car mortel tu naquis..mais un souci te presse : 6+6 a
Ne t’ai-je vu tantôtte réveiller soudain ? 6+6 b
Tu fis briller la lampeet, soupirant sans cesse, 6+6 a
Tu traçais cet écritque tu tiens dans ta main. 6+6 b
35 Tu pleures, ô mon roi !Quelle est donc ta souffrance ? 6+6 a
De ma fidélitétu connais la constance. 6+6 a
Parle.
AGAMEMNON
Ô race d’Atrée,ô sang trop malheureux ! 6+6 a
Des filles de Lédadestin trop rigoureux ! 6+6 a
Sacrifice fatal !
LE VIEILLARD
Que dit-il ? Quel délire 6+6 a
Égare son esprit ?
AGAMEMNON
40 Vainement je soupire ; 6+6 a
Les plaintes n’y font rien.
LE VIEILLARD
Un horrible secret 6+6 a
Le tourmente.
AGAMEMNON
A présent,à quoi sert mon regret ? 6+6 a
Maudite ambition,tu forces la nature ! 6+6 a
D’un homme plein de foitu sais faire un parjure, 6+6 a
45 Et même ta fureur,d’un couteau criminel, 6+6 a
Contre son propre sangarme un bras paternel. 6+6 a
LE VIEILLARD
Tu parles de malheurs,d’horreurs, de sacrifices ; 6+6 a
Je tremble, mais je veuxque tu m’en éclaircisses. 6+6 a
AGAMEMNON
Tu sais comment Hélène,ingrate et sans pudeur, 6+6 a
50 Abandonnant sa filleet son époux, naguère, 6+6 b
Loin de Sparte a suivile Troyen ravisseur, 6+6 a
Ce funeste Pâris,enfanté par sa mère 6+6 b
Sous le présage vraid’un songe plein d’horreur ; 6+6 a
Tu sais que Ménélas,attestant la promesse 6+6 a
55 Autrefois consentie,a soulevé la Grèce. 6+6 a
Les plus illustres chefs,de leurs armes vêtus, 6+6 a
Conduisant leurs guerriers,soudain sont accourus ; 6+6 a
De chars et de chevauxils couvrent ce rivage ; 6+6 a
Ils brûlent de vengernotre commun outrage. 6+6 a
60 Je les commande tous,et c’est pour mon malheur, 6+6 a
Vieillard, que j’ai reçucet éclatant honneur. 6+6 a
Eh quoi ! Nous nous flattonsde mettre Troie en cendre 6+6 a
Déjà de ses débrisnous comblons le Scamandre, 6+6 a
Lorsque toujours les vents,suspendus sur les eaux, 6+6 a
65 Dans le calme du portretiennent nos vaisseaux ! 6+6 a
Pourquoi cette disgrâceet quel est ce prodige ? 6+6 a
Les rois sont inquiets,tout le camp s’en afflige. 6+6 a
sont ces beaux exploitsqui nous étaient promis ? 6+6 a
Le ciel va-t-il combattreavec nos ennemis ? 6+6 a
70 L’un accuse Apollonde nous être contraire, 6+6 a
L’autre Arès, l’autre Zeus,qui tonne sur la terre ; 6+6 a
Mais le fils de Thestor,Calchas, le plus fameux 6+6 a
Parmi tous les devinsfavorisés des dieux, 6+6 a
Proclame qu’Artémis,d’une offense secrète 6+6 a
75 Contre les Grecs outrée,à ces bords nous arrête, 6+6 a
Et que sans balancernous devons promptement 6+6 a
Apaiser d’Artémisle fier ressentiment, 6+6 a
Qu’à son autel enfinil faut qu’on sacrifie 6+6 a
LE VIEILLARD
Achève, Agamemnon.
AGAMEMNON
Ma fille Iphigénie ! 6+6 a
LE VIEILLARD
Malheureux, qu’ai-je appris ?
AGAMEMNON
80 Cet oracle odieux 6+6 a
Épouvante la terreet fait injure aux cieux. 6+6 a
A peine je l’entends,qu’aussitôt je décide 6+6 a
De quitter et le spectreet la lance homicide, 6+6 a
De renvoyer l’arméeet de ne plus songer 6+6 a
85 Que d’un frère j’avaisl’injustice à venger. 6+6 a
Quoi ! Moi-même tranchercette charmante vie 6+6 a
Et voir couler le sangde mon Iphigénie ! 6+6 a
L’insensé Ménélas,chez qui le déplaisir 6+6 a
D’Hélène et de son litn’éteint pas le désir, 6+6 a
90 Y nourrissant sans cesseune affreuse éloquence, 6+6 a
Dans mon cœur ébranlévainquit la résistance. 6+6 a
J’écrivis à la reineet mandai qu’en ces lieux 6+6 a
Notre fille devaitincontinent se rendre, 6+6 b
Que pour elle brûlaitd’une flamme trop tendre 6+6 b
95 De la nymphe Thébisle fils audacieux : 6+6 a
Je vantais sa valeur,sa naissance divine, 6+6 a
Et j’ajoutais qu’avantde porter la ruine 6+6 a
Dans les sacrés rempartsde la forte Ilion, 6+6 a
Achille souhaitaitd’avoir dans sa maison 6+6 a
100 Une épouse du sangd’Atrée et de Tyndare. 6+6 a
Ô vieillard, c’est ainsiqu’imposteur et barbare, 6+6 a
Je trompais une mèreet je n’hésitais pas 6+6 a
D’apprêter à ma filleun indigne trépas. 6+6 a
Mais un heureux retourenfin me fait conntre 6+6 a
105 Que, me voulant pieux,j’allais cesser de l’être. 6+6 a
Mon message ancien,je le veux effacer 6+6 a
Par ce nouvel écritque tu m’as vu tracer 6+6 a
Au milieu de la nuit.Prends, va trouver la reine ? 6+6 a
Que ma fille jamaisne sorte de Mycène 6+6 a
110 Que jamais, l’embrassantsur ce funeste bord, 6+6 a
Pour grandir mes exploitsje ne cause sa mort ! 6+6 a
LE VIEILLARD
Frustré de cet hymen,dis-moi, crois-tu qu’Achille 6+6 a
A tes nouveaux desseinsse montrera docile ? 6+6 a
Je crains l’emportementde son cœur offensé. 6+6 a
AGAMEMNON
115 Achille ignore tout,l’hymen est supposé. 6+6 a
Seuls avec moi, mon frèreet le perfide Ulysse 6+6 a
Et le divin Calchasconnaissent l’artifice. 6+6 a
LE VIEILLARD
Eh quoi ! Flatter ainside l’espoir d’un époux 6+6 a
Ta fille ! Quoi, cruel !L’attirer parmi nous 6+6 a
120 Pour la faire servirde victime à la Grèce ! 6+6 a
AGAMEMNON
Hélas ! Conseils pervers,détestable promesse ! … 6+6 a
Ami, j’étais de douteet d’ennui consumé : 6+6 a
Dans quel fond de malheurje me suis abîmé ! 6+6 a
Mais cours et hâte-toi ;ne cède pas à l’âge ; 6+6 a
125 Évite les ruisseauxet les sources qu’ombrage 6+6 a
Une épaisse verdureopposée au soleil, 6+6 a
Et ne te laisse pascharmer par le sommeil. 6+6 a
LE VIEILLARD
Sois sans crainte.
AGAMEMNON
Vieillard,encore un mot : écoute. 6+6 a
A tous les carrefours,chaque fois que la route 6+6 a
130 Se bifurque, prends gardeet veille que le char 6+6 a
Qui porte mon enfantn’échappe à ton regard. 6+6 a
Et s’il vient à passer,saisis à la crinière 6+6 a
Les vigoureux chevaux,les tournant en arrière 6+6 a
Vers les portes d’Argos.
LE VIEILLARD
Tu seras obéi, 6+6 a
135 Ou bien des immortelsje me verrai haï. 6+6 a
AGAMEMNON
Prends et montre ce sceaucomme sûr témoignage 6+6 a
De ta fidélité.Mais trêve, et va soudain, 6+6 b
Car la nuit se retireet déjà le matin 6+6 b
Se lève sur la meret blanchit le rivage. 6+6 a
(ils sortent.)
SCÈNE II
LE CHŒUR
140 Loin de Chalcis je suis née, 8 a
Traversant l’Euripe écumeux, 8 b
Une barque ici m’a portée. 8 a
Sur le rivage sablonneux 8 b
D’Aulis me voici donc venue 8 a
145 Voir tous ces héros assemblés, 8 b
Les uns à la tête chenue, 8 a
Les autres aux cheveux bouclés. 8 b
L’un tient ses flèches toujours prêtes, 8 a
L’autre porte un bouclier clair. 8 b
150 Que de casques et que d’aigrettes 8 a
Brillent et frémissent dans l’air ! 8 b
Et ces héros veulent se rendre 8 a
— Nos maris nous l’ont raconté 8 b
En Asie, afin de reprendre 8 a
155 Cette Hélène, dont la beauté 8 b
Ayant brûlé de flammes vives 8 a
Pâris, qui gardait des troupeaux, 8 b
Pâris l’enleva sur les rives 8 a
De l’Eurotas plein de roseaux. 8 b
160 Mon cœur battait, et mon visage, 8 a
La pudeur l’avait empourpré, 8 b
Mais j’ai traversé le bocage 8 a
Au culte d’Artémis sacré ; 8 b
Et j’ai vu le roi de Mycène 8 a
165 Avec son frère Ménélas, 8 b
Ménélas, le mari d’Hélène ; 8 a
J’ai vu Nestor, Protésilas, 8 b
Nirée, Ulysse, Idoménée ; 8 a
J’ai vu Patrocle et Mérion, 8 b
170 Les Ajax, l’un fils d’Oïlée 8 a
Et l’autre fils de Télamon. 8 b
Enfin j’ai vu, près de la grève, 8 a
Contre un char se montrer vainqueur 8 b
Du vertueux Chiron l’élève, 8 a
175 Achille, rapide coureur. 8 b
Encor que l’armure guerrière 8 a
Chargeât sa poitrine et son dos, 8 b
Faisant le tour de la carrière, 8 a
Il l’emportait sur les chevaux. 8 b
SCÈNE III
LE VIEILLARD, MÉNÉLAS, LE CHŒUR
LE VIEILLARD
180 Oses-tu, Ménélas,un acte détesté ? 6+6 a
MÉNÉLAS
Arrière, tu fais voirtrop de fidélité. 6+6 a
LE VIEILLARD
Est-il à mépriser,qui s’attache à son mtre ? 6+6 a
MÉNÉLAS
Faisant ce que tu fais,tu pleureras peut-être. 6+6 a
LE VIEILLARD
Non, tu ne devais pas,portant la main sur moi, 6+6 a
185 Conntre des secretsqui n’étaient pas à toi. 6+6 a
MÉNÉLAS
A ton tour, devais-tute charger d’un message 6+6 a
Qui de la Grèce allaitabattre le courage ? 6+6 a
LE VIEILLARD
Rends-moi ce que tu m’asdérobé. Je suis las 6+6 a
De tous ces vains propos.
MÉNÉLAS
Je ne le rendrai pas. 6+6 a
LE VIEILLARD
Je ne te lâche point.
MÉNÉLAS
190 Eh ! Faut-il que je brise 6+6 a
Du sceptre que voici,vieillard, ta tête grise ? 6+6 a
LE VIEILLARD
Mourant pour la vertu,je mourrai plein d’honneur. 6+6 a
Frappe.
MÉNÉLAS
Je n’aime pasl’esclave beau parleur. 6+6 a
Retiens ta langue.
SCÈNE IV
LES MÊMES, AGAMEMNON
AGAMEMNON
Eh bien,êtes-vous en démence ? 6+6 a
195 Quel est donc le motifde tant de violence ? 6+6 a
LE VIEILLARD
J’allais quitter ces lieux,j’étais prêt à partir 6+6 a
Vers les remparts d’Argosafin de t’obéir, 6+6 a
O Roi, quand Ménélasn’a pas craint de commettre 6+6 a
Une lâche actionen m’arrachant la lettre. 6+6 a
200 J’ai défendu tes droitsautant que je l’ai pu ; 6+6 a
Mais il est dans sa fleur,et je suis tout rompu 6+6 a
Par la triste vieillesse.
AGAMEMNON
Es-tu si téméraire, 6+6 a
Ménélas ? Parle.
MÉNÉLAS
Metsun frein à ta colère. 6+6 a
Lève un instant les yeux,et je vais, sur ma foi, 6+6 a
Y prendre le débutde ma réponse.
AGAMEMNON
205 Quoi ? 6+6 a
Je craindrais de leverles yeux, moi, fils d’Atrée ? 6+6 a
MÉNÉLAS
Reconnais-tu ceci ?
AGAMEMNON
Je fais ce qui m’agrée. 6+6 a
Ô noire perfidie !Attentat décevant ! 6+6 a
Rendras-tu cette lettre ?
MÉNÉLAS
Il faut qu’auparavant 6+6 a
210 Le camp en soit instruitet que la Grèce entière 6+6 a
De tes secrets complotsapprenne la matière. 6+6 a
Je veux te désoler.
AGAMEMNON
Vit-on jamais, grands dieux, 6+6 a
De pareille impudenceexcès plus odieux ! 6+6 a
MÉNÉLAS
Ainsi donc, dans Argosdemeurera ta fille ? 6+6 a
AGAMEMNON
215 Que ne me laisses-tugouverner ma famille ? 6+6 a
MÉNÉLAS
Tu changes à tout coup ;ton esprit agité 6+6 a
Comme la paille au ventn’a plus rien d’arrêté. 6+6 a
AGAMEMNON
Ah ! Parmi les fléauxil n’en est point de pire, 6+6 a
Mon frère, qu’une langueexercée à médire. 6+6 a
MÉNÉLAS
220 Un esprit indéciscause de plus grands maux ; 6+6 a
C’est le plus malfaisantparmi tous les fléaux, 6+6 a
Et je crains l’amitiéde l’homme variable. 6+6 a
Écoute, si tu peux,ma parole équitable 6+6 a
Sans te montrer superbeen indignation ; 6+6 a
225 A mon tour, j’y mettraiquelque discrétion. 6+6 a
Souviens-toi bien du temps tu brûlais d’envie 6+6 a
De commander les Grecsaux champs de la Phrygie ; 6+6 a
, sous un air modeste,une fausse pudeur, 6+6 a
Tu n’en savais que mieuxconvoiter cet honneur. 6+6 a
230 Dehors, dans ta maison,tu prodiguais ta vue ; 6+6 a
A quiconque voulaitta main était tendue, 6+6 a
Ta main était tendueà qui ne voulait pas. 6+6 a
Ainsi sur tes rivauxenfin tu l’emportas. 6+6 a
Oui, tu te déguisaispour gagner le suffrage 6+6 a
235 Des chefs et des soldats ;mais cet homme soumis 6+6 b
S’est montré tout à coupavec son vrai visage ; 6+6 a
Il a fermé sa porteà ses anciens amis. 6+6 b
Plus tard, lorsque le ciel,à nos desseins hostile, 6+6 a
Enchna dans Aulisnotre ardeur inutile, 6+6 a
240 Nous refusant les vents,à quel air abattu 6+6 a
Fit place, souviens-toi,ta première arrogance ! 6+6 b
Comme tu gémissais !Mon frère, disais-tu, 6+6 a
De ce sort qui nous nuitconjurons l’influence ! 6+6 b
Faut-il dans nos étatsretourner sans honneur 6+6 a
245 Et qu’Hélène demeureavec son ravisseur ? 6+6 a
Tes plaintes et tes crisalléguaient mon outrage, 6+6 a
Et tu n’étais touchéque de ton seul dommage. 6+6 a
Tu consultes l’oracle,et le divin Calchas, 6+6 a
Qui sans l’aveu des dieuxne prophétise pas, 6+6 a
250 Afin que nos vaisseauxfendent la mer Égée, 6+6 a
Afin que Troie un jourpar nous soit saccagée, 6+6 a
Ordonne d’immolerta fille sur l’autel. 6+6 a
Que faisait-il alors,ton grand cœur paternel ? 6+6 a
N’as-tu pas librementpromis le sacrifice ? 6+6 a
255 N’as-tu pas de l’hymencomploté l’artifice ? 6+6 a
Parle : qui t’a forcé ?Puis, tu changes d’avis : 6+6 a
Ce sacrifice affreux,tu ne m’as plus promis. 6+6 a
Une telle penséeoffense ta tendresse. 6+6 a
Tu sauveras ta fille,et périsse la Grèce ! 6+6 a
260 Ah ! Qu’un roi de ta sorte,et volage, et rusé, 6+6 a
Qui se masque toujoursd’un propos déguisé, 6+6 a
Trtre à ses alliés,à son peuple funeste, 6+6 a
Mérite qu’on le blâme !et que je le déteste ! 6+6 a
LE CHŒUR
Ah ! Jamais le courrouxde la divinité 6+6 a
265 Et les astres contraires 6 b
Nous sauront-ils tramerun mal plus redouté 6+6 a
Que la haine entre frères ? 6 b
AGAMEMNON
Je t’accuse à mon tour,mais je te parlerai 6+6 a
Sans trop enfler la voix,sans lever les paupières 6+6 b
270 Insolemment. Écoute,et je me souviendrai 6+6 a
Et quel est notre ranget que nous sommes frères. 6+6 b
Je m’étonne vraiment,voyant ce que ton cœur 6+6 a
Communique à tes yeux,contre moi, de fureur ! 6+6 a
En quoi t’ai-je offensé ?Depuis quand ? Ton Hélène 6+6 b
275 Abandonna ta couche,oubliant la pudeur. 6+6 a
Tu la gardais bien mal.Dois-je en porter la peine ? … 6+6 b
Si l’intérêt des Grecset ton propre intérêt 6+6 a
Et même, j’y consens,peut-être le regret 6+6 a
De voir s’évanouirma puissance naissante, 6+6 a
280 Assaillirent mon âmeet m’aveuglèrent tant 6+6 b
Que j’ai promis la mortde ma fille innocente, 6+6 a
Les droits de la natureenfin se révoltant 6+6 b
M’ont dessillé la vueet j’ai connu mon crime. 6+6 c
Sur l’autel d’Artémismanquera la victime, 6+6 c
285 Et tu pâlis de rage,et tu n’es pas content ! 6+6 b
Je ne suis qu’à blâmer,dis-tu ? Toi qui ne cesses 6+6 a
De soupirer aprèsde honteuses mollesses, 6+6 a
Qui pour l’honnêteténe montres que mépris, 6+6 a
D’une femme adultèreindignement épris, 6+6 a
290 Es-tu sage, en effet,et faut-il qu’on t’admire ? 6+6 a
Voilà brièvementce que j’avais à dire, 6+6 a
Et si tu ne veux paste rendre à la raison, 6+6 a
Moi, je saurai du moinsgouverner ma maison. 6+6 a
Quant à tous ces sermentsexigés par Tyndare, 6+6 a
295 Ce sont propos d’amantsque le désir égare, 6+6 a
Et pour un esprit sain,c’est outrager les dieux 6+6 a
Que de se figurerqu’il les estiment mieux. 6+6 a
Non violant les loisdu ciel et de la terre, 6+6 a
Non, je ne tuerai pasmes enfants pour te plaire ! 6+6 a
300 Tu ne me verras pasnuit et jour dans les pleurs, 6+6 a
Expier mon forfaitpar de justes malheurs ! 6+6 a
LE CHŒUR
On ne distingue pointle faux du véritable 6+6 a
Comme la nuit du jour, 6 b
Mais aux yeux de chacunle paternel amour 6+6 b
305 Toujours part aimable. 6 a
MÉNÉLAS
Hélas ! Infortuné !Je n’ai donc plus d’amis 6+6 a
AGAMEMNON
Pourquoi leur demanderce qui n’est pas permis ? 6+6 a
MÉNÉLAS
Ne m’abandonne pas :un même sang nous lie, 6+6 a
Mon frère.
AGAMEMNON
Pour sauverma fille, je l’oublie. 6+6 a
SCÈNE V
LES MÊMES, LE MESSAGER
LE MESSAGER
310 Messager diligentet zélé serviteur, 6+6 a
J’accours, Agamemnon,pour réjouir ton cœur. 6+6 a
Le destin me choisitafin que je t’apprenne 6+6 a
Qu’il te rend dans Aulisles charmes de Mycène. 6+6 a
Celui de tes enfantsque tu chéris le mieux, 6+6 a
315 Ta fille Iphigénieapproche de ces lieux ; 6+6 a
Sa mère l’accompagne,et même il ne te reste 6+6 a
En cet aimable jourplus rien à souhaiter, 6+6 b
Puisque tu vas revoirton jeune fils Oreste. 6+6 a
Il te faut cependantun peu patienter : 6+6 b
320 Car, ressentant l’effetd’une trop longue course, 6+6 a
Sous une ombre légère,au bord frais d’une source, 6+6 a
Ta famille à présentse donne du repos, 6+6 a
Et sa suite avec elle,et les quatre chevaux 6+6 a
Du char, libres du joug,paissent dans la prairie, 6+6 a
325 Que les grands d’ici-basont une heureuse vie ! 6+6 a
Entre tous les mortelshonorés, glorieux, 6+6 a
Comme un feu dans la nuitils attirent les yeux. 6+6 a
La foule des soldats,ô Roi, déjà se presse, 6+6 a
Avide d’admirernotre belle princesse. 6+6 a
330 Apprends que ton dessein,que tu celais si bien, 6+6 a
Fais partout le sujetd’un constant entretien ; 6+6 a
Le bruit est répandudu prochain hyménée, 6+6 a
Mais on ignore à quita fille est destinée, 6+6 a
Et chacun sans tarderveut conntre le nom 6+6 a
335 De celui qui seragendre d’Agamemnon. 6+6 a
Allons, allons, ô Roi,nous couronner la tête 6+6 a
De feuilles et de fleurs ;il est temps qu’on apprête 6+6 a
Les vases consacréspour la libation ; 6+6 a
Que le peuple joyeuxentre dans ta maison ; 6+6 a
340 Que commencent les chants,que les danses égales 6+6 a
S’accompagnent du sondes flûtes nuptiales ! 6+6 a
Jamais par le destinil ne sera donné 6+6 a
A ton Iphigénieun jour plus fortuné. 6+6 a
AGAMEMNON
C’est bien, va. Que le resteà présent s’accomplisse 6+6 a
345 Selon que nous auronsla fortune propice. 6+6 a
(Le messager sort.)
SCÈNE VI
LES MÊMES, moins LE MESSAGER
AGAMEMNON
C’est un ouvrage, hélas !Plein de solidité 6+6 a
Que la divinité 6 a
Pour notre perte tisse, 6 a
Et c’est un moucheronque tout notre artifice ! 6+6 a
350 Trop épris de moi-mêmeet rempli du venin 6+6 a
De la présomption,qui ma faiblesse abuse, 6+6 b
Avec le ciel je ruse, 6 b
Je ruse, et c’est en vain ; 6 a
Et je n’espère plusqu’un destin secourable 6+6 a
355 Arrête de mes mauxla course infatigable ! 6+6 a
S’arrête-t-il jamais,le malheur des humains ? 6+6 a
C’est l’onde du torrentqui sans cesse est enflée. 6+6 b
Artémis, je te cède,et la vierge immolée 6+6 b
Souillera de son sangmes paternelles mains. 6+6 a
360 Pourquoi ne suis-je pointl’homme qui sur la terre 6+6 a
Passe obscur, ignoré ? 6 b
Pour tromper ma misère, 6 a
Devant tous sans rougirj’aurais du moins pleuré. 6+6 b
Il me faut respecterma naissance et mon titre, 6+6 a
365 Et l’honneur rigoureuxde ma vie est l’arbitre. 6+6 a
Un peuple sans gémirse soumet à ma loi ; 6+6 a
Je fais peser le joug,mais c’est surtout sur moi. 6+6 a
Lorsqu’une extrémitéqui tout courage dompte 6+6 a
Me vient ainsi presser, 6 b
370 Si je verse des pleurs,ce serait à ma honte, 6+6 a
Ce le serait encorde ne les pas verser. 6+6 b
Ah ! Trop funeste bien,plus cruel que l’absence ! 6+6 a
Clytemnestre est ici :pourrai-je soutenir, 6+6 b
Ô femme, ta présence ? 6 a
375 Dans la fatale Aulis,quoi ! Devais-tu venir ? 6+6 b
Hélas ! Tu ne sais pasquel hymen je prépare 6+6 a
A ton Iphigénie,ô fille de Tyndare ! 6+6 a
Tu la verras bientôtembrasser mes genoux ; 6+6 a
J’entends, j’entends déjàles mots qu’elle profère : 6+6 b
380 Tu veux donc me tuer,ô mon père, ô mon père ! 6+6 b
Est-ce le dieu des mortsqui sera mon époux ? 6+6 a
De mon Oreste aussil’enfance encore tendre 6+6 a
Saura trouver des crisque je crains de comprendre 6+6 a
Ô père misérable !ô tourment ! ô douleur ! 6+6 a
385 Ô malheureuse mère,ô fille infortunée ! 6+6 b
Détestable Pâris,Hélène forcenée, 6+6 b
De votre injuste amourje tire mon malheur ! 6+6 a
LE CHŒUR
Tel est le fier destinet telle est son audace ! 6+6 a
Sous ces coups il abat 6 b
390 Le plus superbe éclat, 6 b
Et la félicitécomme une ombre s’efface. 6+6 a
MÉNÉLAS
Mon frère, laisse-moitoucher ta main.
AGAMEMNON
Le sort, 6+6 a
Je le vois, m’est contraire,et c’est toi le plus fort : 6+6 a
Voici ma main.
MÉNÉLAS
Écoute,Agamemnon, mon frère : 6+6 a
395 Par notre père Atréeet par Pélops aussi, 6+6 b
Source de notre sang,je veux jurer ici 6+6 b
Que je parle à présentd’une bouche sincère. 6+6 a
La pitié me saisit,et je plains tes malheurs ; 6+6 a
Tu peux voir que mes yeuxrépondent à tes pleurs. 6+6 a
400 Aurais-je en véritédes droits, je te les quitte ; 6+6 a
A de nouveaux desseinston intérêt m’invite. 6+6 a
En te causant des maux,des miens puis-je sortir ? 6+6 a
Serais-je dans la joieen te voyant souffrir ? 6+6 a
Non, non, je ne veux pasque ta maison périsse 6+6 a
405 Par la faute d’Hélèneet par mon injustice ! 6+6 a
Les torches de l’hymenpeuvent se rallumer, 6+6 a
Mais pour ceux qu’au tombeaula mort vient d’enfermer, 6+6 a
Ceux qui se sont faits cendre,il n’est point d’étincelle 6+6 a
Qui dissipe jamaisleur nuit perpétuelle. 6+6 a
410 J’avais la rage au cœuret j’étais insensé, 6+6 a
Mais je vois à présentque j’avais mal pensé. 6+6 a
Ah ! Celle dont l’oraclea demandé la vie, 6+6 a
N’est-ce pas ton enfant,ta belle Iphigénie ? 6+6 a
Oui, c’est le sang d’un frère,et sous le fer cruel 6+6 a
415 Du même coup le mienarroserait l’autel. 6+6 a
Sèche, sèche tes pleurs,que l’ancienne flamme 6+6 a
Brille encor dans tes yeux,rassérène ton âme ; 6+6 a
L’ennui qui te pressaitsi fort auparavant 6+6 a
N’est plus qu’une buéeéparpillée au vent. 6+6 a
420 Ces vaisseaux sont icidésormais inutiles ; 6+6 a
Que les Grecs alliésretournent dans leurs villes ! 6+6 a
Laissons la cette guerreet le trtre troyen : 6+6 a
Vouons tout à l’oubli,je ne réclame rien. 6+6 a
On dira qu’une femmeet ses perfides charmes 6+6 a
425 Avaient alimentémes aveugles fureurs, 6+6 b
Et que le désespoird’un frère, que ses larmes 6+6 a
M’ont fait conntre enfindes sentiments meilleurs. 6+6 b
A l’homme, tôt ou tard,qui n’est point sans remède 6+6 a
Dans le vice endurci,la raison vient en aide. 6+6 a
LE CHŒUR
430 Le bien succède au mal ;certes, il a raison, 6+6 a
Qui se montre ainsi sage. 6 b
Ô noble repentir,ô généreux langage, 6+6 b
Digne de ta maison ! 6 a
AGAMEMNON
Un amour effréné,l’appât de la richesse, 6+6 a
435 Souvent entre parentscorrompent la tendresse ; 6+6 a
De la corruptionnt le dissentiment, 6+6 a
Qui verse l’amertumeà tous également. 6+6 a
Que j’aime ce discours,Ménélas, dans ta bouche ! 6+6 a
J’admire ta raison,ton amitié me touche. 6+6 a
440 Mais que pouvons-nous donccontre l’extrémité 6+6 a
nous poussent le cielet la nécessité ? 6+6 a
Il faut, il faut hélas !Que mon bras accomplisse 6+6 a
De ma fille aujourd’huile sanglant sacrifice. 6+6 a
MÉNÉLAS
Et qui t’imposerasa mort ?
AGAMEMNON
Tous nos soldats, 6+6 a
Les soldats et les chefs.
MÉNÉLAS
445 Ils ne le pourront pas, 6+6 a
Si ta fille aussitôtretourne dans Mycène. 6+6 a
AGAMEMNON
Non, ne nous flattons plus ;ton espérance est vaine. 6+6 a
Calchas révéleral’oracle.
MÉNÉLAS
Il est aisé 6+6 a
De rendre plus discretce prophète rusé. 6+6 a
AGAMEMNON
450 Mais un autre périlentre tous nous menace : 6+6 a
Du bâtard de Sisyphe,ah ! Connais-tu l’audace ? 6+6 a
Ulysse n’est-il pasde cet oracle instruit ? 6+6 a
MÉNÉLAS
C’est un homme pervers,assurément.
AGAMEMNON
Il nuit 6+6 a
Volontiers.
MÉNÉLAS
A bien feindreil a mis son étude. 6+6 a
AGAMEMNON
455 Il est toujours d’accordavec la multitude. 6+6 a
MÉNÉLAS
Il est ambitieux.
AGAMEMNON
Eh bien ! Figure-toi 6+6 a
Debout dans l’assembléeUlysse ; contre moi 6+6 a
Il exerce sa ruse ;il prouve par l’oracle 6+6 a
Qu’au départ des vaisseauxje suis le seul obstacle, 6+6 a
460 Que, du sang de ma filleayant frustré l’autel, 6+6 a
Je suis envers les Grecsparjure et criminel. 6+6 a
Ses hauts cris véhéments,ses silences perfides, 6+6 a
Excitant la fureurmême des plus timides, 6+6 a
Nous périssons tous deux ;et le triste destin 6+6 a
465 De mon Iphigénieen sera plus certain. 6+6 a
Et si, gagnant Argos,je pense me soustraire 6+6 a
A leur inimitié,bien follement j’espère, 6+6 a
Car leur force alliéeaccourra sur mes pas. 6+6 a
Ils viendront ravagerma ville et mes états, 6+6 a
470 Et de nos vieux palaisla fumante poussière 6+6 a
Servira de linceulà ma famille entière. 6+6 a
Ah ! Cessons de gémir,et d’espérer surtout ! 6+6 a
Je trouble vainementces rives résonnantes. 6+6 b
Ma fille, mon enfant,les Parques innocentes 6+6 b
475 Ont filé ton martyreet mon deuil jusqu’au bout. 6+6 a
Ménélas, je te prieet t’en supplie encore, 6+6 a
Obtiens du moins, obtiensque Clytemnestre ignore 6+6 a
Jusqu’au dernier momentsa perte et nos malheurs, 6+6 a
Et tu m’épargnerasle surplus de mes pleurs. 6+6 a
480 Vous, filles de Chalcis,qui voyez ma souffrance, 6+6 a
Gardez sur tout cecile plus discret silence. 6+6 a
ACTE II
SCÈNE PREMIÈRE
LE CHŒUR
Heureux celui qui, retenu 8 a
Dans la pudeur et la mesure, 8 b
En aimant n’a jamais connu 8 a
485 Qu’un bonheur qui paisible dure. 8 b
Éros au visage charmant 8 a
De son arc deux traits jumeaux tire : 8 b
Le premier blesse doucement, 8 a
L’autre cause un affreux délire. 8 b
490 Si l’archer cruel t’obéit, 8 a
Comme enfant soumis à sa mère, 8 b
Veuille détourner de mon lit, 8 a
O Cypris, cette flèche amère ! 8 b
De l’opprobre garde mon cœur 8 a
495 Et qu’un beau renom je mérite ; 8 b
Que je connaisse ta douceur, 8 a
Mais non ta fureur, Aphrodite ! 8 b
O Pâris aux cheveux d’or, 7 a
Ah ! que n’es-tu pas encor 7 a
500 Bouvier de génisses blanches ! 7 a
Près des sources, sous les branches, 7 a
Que n’es-tu pas occupé 7 a
Du matin au soir à faire 7 b
Résonner comme naguère 7 b
505 Un roseau par toi coupé ! 7 a
Mais le destin qui nous mène 7 a
A voulu que cette Hélène, 7 a
Dans tes yeux prenant l’amour, 7 a
Sût t’en frapper à son tour, 7 a
510 Et c’est votre perfidie, 7 a
Ô Pâris, qui de furie 7 a
Tous les esprits a troublés, 7 a
Elle qui contre Pergame 7 b
Arme du fer, de la flamme, 7 b
515 Tous les rois grecs assemblés. 7 a
Frappés d’un frêne durau travers de l’armure, 6+6 a
Autant que vos rivaux troyens, 8 b
Princes infortunés,vous serez la pâture 6+6 a
Des vautours, des corbeaux, des chiens. 8 b
520 Pourtant le plus à plaindreest le roi de Mycène : 6+6 a
Quel crime il concède à regret ! 8 b
Mais nous l’avons promis,femmes, devant la reine, 6+6 a
Ne trahissons pas son secret… 8 b
Au détour du chemin,voyez, voyez partre 6+6 a
525 Ce beau char aux brillants essieux ; 8 b
C’est la reine et sa fille,on peut les reconntre 6+6 a
A leurs vêtements précieux. 8 b
(Le char paraît sur la scène.)
Noble reine d’Argos,et toi, belle princesse, 6+6 a
Ce que la vie a de plus doux, 8 b
530 Déjà vous le gtez :Zeus veuille que sans cesse 6+6 a
De beaux jours se lèvent pour vous. 8 b
SCÈNE II
CLYTEMNESTRE, IPHIGÉNIE, LE CHŒUR
CLYTEMNESTRE, sur son char.
(Au chœur)
Cet accueil bienveillant,cet aimable langage 6+6 a
Dont vous nous salueznous sont un bon présage. 6+6 a
Oui, je l’espère ainsi,car tout, en ce moment, 6+6 a
535 Ce qui frappe mes yeux,et mon contentement, 6+6 a
Me dit que la fortune,à nous plaire empressée, 6+6 a
Appelle dans Aulisla jeune fiancée. 6+6 a
(Aux femmes de sa suite.)
Vous qui m’avez suivieen cette occasion 6+6 a
Loin d’Argos, sur ces bords,avec précaution 6+6 a
540 Faites sortir du charles présents qu’à ma fille 6+6 a
Donne pour son hymenson heureuse famille. 6+6 a
Qu’on les porte aussitôtchez le roi.
(au chœur.)
Dans vos bras, 6+6 a
O femmes, recevezma fille.
(A Iphigénie.)
Iphigénie, 6+6 b
Va, mon enfant, descends,que tes pieds délicats 6+6 a
545 S’affermissent sans peursur cette terre amie. 6+6 b
(Au chœur.)
Rassurez les chevaux,vous tenant devant eux : 6+6 a
Ils sont jeunes encoreet bien vite ombrageux. 6+6 a
C’est bien. Qu’une de vouss’empresse de me tendre 6+6 a
Sa main, puisqu’à mon tourdu char je vais descendre. 6+6 a
C’est fait, et me voici.
(Aux femmes de sa suite.)
550 Vous autres, emportez 6+6 a
Oreste de sa coucheet me le remettez. 6+6 a
(Tenant Oreste dans ses bras.)
O fils d’Agamemnon,eh, quoi, tu dors ? écoute 6+6 a
Le mouvement du charl’a fatigué sans doute. 6+6 a
Ouvre, ouvre, mon enfant,tes yeux pleins de douceur, 6+6 a
555 Ouvre-les et sourisaux noces de ta sœur. 6+6 a
Cher Oreste, déjànoble par ta naissance, 6+6 a
Tu t’ennoblis encord’une illustre alliance. 6+6 a
Car le fils de Thétispar son bras valeureux 6+6 a
Comme par son grand cœurse rend égal aux dieux. 6+6 a
(A Iphigénie.)
560 O le rare ornementde ta maison prospère, 6+6 a
Ma belle Iphigénie,ah ! viens, et plaçons-nous 6+6 b
L’une tout près de l’autre,ô ma fille, et que tous 6+6 b
Disent en nous voyant :C’est une heureuse mère !… 6+6 a
O ma fille, déjàse hâte le destin 6+6 a
565 A nous combler de donsqui n’auront point de fin : 6+6 a
Je vois de ce côtéporter ses pas rapides 6+6 a
Ton père, mon époux,la gloire des Atrides. 6+6 a
IPHIGÉNIE
Ah ! Ne te fâche passi je cours le presser 6+6 a
Avant toi sur mon cœur,ô mère, et l’embrasser ! 6+6 a
CLYTEMNESTRE
570 Contente ton désir,tu le peux, ô ma fille : 6+6 a
Tu le chéris le plusde toute sa famille, 6+6 a
Il te chérit le plus.
SCÈNE III
LES MÊMES, AGAMEMNON
IPHIGÉNIE
Que je bénis les dieux 6+6 a
De te revoir, mon père !Oui, mon cœur est heureux. 6+6 a
AGAMEMNON
Que de ton tendre cœurl’émotion me touche ! 6+6 a
575 Le mien vient de parler,ma fille, par ta bouche. 6+6 a
IPHIGÉNIE
Je suis auprès de toi,comme tu le voulais : 6+6 a
Nous avons obéi,puisque tu commandais, 6+6 a
Et nous avons bravéla fatigue et la route. 6+6 a
Un destin bienveillantnous réunit sans doute ; 6+6 a
Père, que tu fis bien !
AGAMEMNON
580 Le sais-je mon enfant ? 6+6 a
Ai-je bien fait ou non ?
IPHIGÉNIE
Tu n’es donc plus content 6+6 a
De nous revoir ici ?Ces regards, cet air sombre 6+6 a
AGAMEMNON
Un roi chef d’une arméea des soucis sans nombre. 6+6 a
IPHIGÉNIE
Sois à moi maintenant,laisse là tes soucis. 6+6 a
585 Allons, regarde-moisans froncer les sourcils. 6+6 a
AGAMEMNON
Ma fille, assurémentta présence m’est chère 6+6 a
Autant qu’elle le doit.
IPHIGÉNIE
Mais tu pleures, mon père ! 6+6 a
AGAMEMNON
Le jour est déjà proche tu vas nous quitter. 6+6 a
IPHIGÉNIE
Père chéri, que sais-je ?
AGAMEMNON à part.
Ah ! Comment l’écouter ? 6+6 a
(a Iphigénie.)
590 Plus la grâce senséeabonde en tes paroles 6+6 a
Et plus mon cœur se fond.
IPHIGÉNIE
Quoi ! J’en dirai de folles 6+6 a
Si je puis t’égayer.
AGAMEMNON à part.
Mon courage est à bout : 6+6 a
Dois-je me taire encor,dois-je révéler tout ? 6+6 a
(A Iphigénie.)
C’est bien ma fille.
IPHIGÉNIE
Ah ! Dieux !Que nous aurions de joie 6+6 a
595 Si tu pouvais pour nousoublier cette Troie ! 6+6 a
Reste avec tes enfants.
AGAMEMNON
Saurais-je, malheureux, 6+6 a
Rompre de ma grandeurle lien rigoureux ? 6+6 a
IPHIGÉNIE
Que de rois vont périr,Hélène, par tes crimes ! 6+6 a
AGAMEMNON
Hélas ! Elle ferad’abord d’autres victimes ! 6+6 a
IPHIGÉNIE
600 Ô déloyal Pâris !ô Troyens abhorrés ! 6+6 a
Tu vas partir bien loin,nous serons séparés ! 6+6 a
AGAMEMNON
Nous serons réunisun jour.
IPHIGÉNIE
Je voudrais vivre 6+6 a
A tes côtés, toujours.Si je pouvais te suivre ! 6+6 a
AGAMEMNON
Un voyage plus longse prépare pour toi. 6+6 a
IPHIGÉNIE
605 Ma mère viendra-t-elle,ô mon père, avec moi ? 6+6 a
AGAMEMNON
Non, tu partiras seule.
IPHIGÉNIE
Ô mon père, peut-être 6+6 a
Dans une autre maisonirai-je, je dois être 6+6 a
Chère à d’autres parents ?
AGAMEMNON
Laissons, laissons cela. 6+6 a
IPHIGÉNIE
Puisqu’il le faut enfin,que rien ne te fera 6+6 a
610 Quitter de Ménélasla querelle maudite, 6+6 a
Va, punis les Troyens,et puis reviens-nous vite. 6+6 a
AGAMEMNON
Je dois auparavantsur l’autel d’Artémis 6+6 a
Sacrifier icicomme je l’ai promis. 6+6 a
IPHIGÉNIE
Que la fière Artémis,père, te soit propice ! 6+6 a
615 Mais pourrai-je admirerde l’heureux sacrifice 6+6 a
Ce qu’il convient d’en voir ?
AGAMEMNON à part.
Hélas !
(a Iphigénie.)
Tu te tiendras 6+6 a
Près des libations.
IPHIGÉNIE
Ne formerons-nous pas 6+6 a
Des chœurs devant l’autel ?
AGAMEMNON à part.
Bienheureuse ignorance, 6+6 a
Que je t’envie !
(a Iphigénie.)
Aux yeuxdu peuple et des soldats, 6+6 b
620 Comme il sied, maintenantdérobe ta présence : 6+6 a
Retire-toi. Mais non,arrête un peu tes pas : 6+6 b
Elle sera cruelleet longue cette absence 6+6 a
Qui va nous séparer.Donne un baiser amer 6+6 a
A ton père, ma fille
(pendant qu’Iphigénie quitte la scène.)
Ô front candide et clair, 6+6 a
625 Taille, corps, corps charmant,virginale figure, 6+6 a
O beaux yeux de ma fille,ô blonde chevelure, 6+6 a
Quel destin violentvous préparent, hélas ! 6+6 a
Ce Phrygien Pâris,Hélène et Ménélas ! 6+6 a
SCÈNE IV
AGAMEMNON, CLYTEMNESTRE, LE CHŒUR
AGAMEMNON
Ce trop d’émotionqu’ici je fais partre, 6+6 a
630 O fille de Léda,t’a surprise peut-être ? 6+6 a
Oui, c’est un jour heureux,c’est pour suivre un époux 6+6 a
Que notre fille vase séparer de nous. 6+6 a
Mais quitter ses enfants,il en cte quand même ! 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Puisqu’aussi bien que toije quitte ce que j’aime, 6+6 a
635 Me juges-tu si mal ?crois-tu qu’en ce moment 6+6 a
Je reproche à ton cœurson attendrissement ? 6+6 a
Non, je l’ai partagé ;mais que pouvons-nous faire ? 6+6 a
C’est la commune loi,l’usage nécessaire ; 6+6 a
Le temps adoucirasans doute nos regrets. 6+6 a
640 Je connais donc le nomde l’époux ; je voudrais 6+6 a
Apprendre maintenantet quelle est sa famille 6+6 a
Et quel est son pays.
AGAMEMNON
Égine était la fille 6+6 a
D’Asopos.
CLYTEMNESTRE
Quel mortelou quel dieu la reçut 6+6 a
Dans son lit ?
AGAMEMNON
Zeus l’aimait,de Zeus elle conçut 6+6 a
645 Éaque qui régnasur l’opulente Énone. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
A quel fils en mourantlaissa-t-il sa couronne ? 6+6 a
AGAMEMNON
A son fils Pélée. Or,avec l’aveu des dieux, 6+6 a
Celui-ci s’unit àThétis aux beaux cheveux, 6−6 a
Déesse de la mer,rejeton de Nérée. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
650 Est-ce en la profondeurde la mer azurée 6+6 a
Qu’ils se sont mariés ?
AGAMEMNON
C’est sur le Pélion 6+6 a
Que les dieux ont sacrécette illustre union. 6+6 a
Achille en est le fruit.
CLYTEMNESTRE
Qui forma sa jeunesse ? 6+6 a
AGAMEMNON
Le Centaure Chiron.Pélée, en sa sagesse, 6+6 a
655 Pour le garder du viceet de l’iniquité, 6+6 a
Confia son enfantà ce vieillard vanté. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Il est homme prudent,qui choisit un tel mtre : 6+6 a
La vertu sert d’exemple.Il me reste à conntre 6+6 a
Maintenant le paysd’Achille.
AGAMEMNON
Apidanos, 6+6 a
660 Le fleuve aux bords ombreux,le baigne de ses flots. 6+6 a
C’est l’antique Larisseet la terre de Phthie. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Eh bien, qu’il vive heureuxavec Iphigénie ! 6+6 a
Ma tendresse sans plusle cède à leur amour. 6+6 a
L’épouse-t-il bientôt ?
AGAMEMNON
Nous attendons le jour 6+6 a
665 Que la lune seradans sa phase propice. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
As-tu comme il convientoffert le sacrifice 6+6 a
Qui précède l’hymen ?
AGAMEMNON
A cette heure j’en suis 6+6 a
Tout occupé.
CLYTEMNESTRE
C’est bien,fais promptement. Et puis, 6+6 a
Ce sera le festinnuptial.
AGAMEMNON, à part.
Sort funeste ! 6+6 a
CLYTEMNESTRE
670 La clémence des dieuxaccomplira le reste. 6+6 a
AGAMEMNON
Voudrais-tu bien m’entendreet suivre mes avis ? 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Parle donc, car tu saisque toujours j’obéis. 6+6 a
AGAMEMNON
Repose-toi sur moides soins de l’hyménée. 6+6 a
Retourne dans Argos.
CLYTEMNESTRE
Que j’en suis étonnée ! 6+6 a
675 Abandonner ma fille ?Et qui donc va porter 6+6 a
Le flambeau nuptial ?
AGAMEMNON
Tu devrais m’écouter. 6+6 a
Songe, il ne convient pasqu’une femme paraisse 6+6 a
Dans le bruit de ce camp,au milieu de la presse 6+6 a
De soldats.
CLYTEMNESTRE
Il convientque je remette, moi 6+6 a
Qui l’enfantai, ma filleà son époux.
AGAMEMNON
680 Eh quoi ! 6+6 a
Un père saurait biens’en charger.
CLYTEMNESTRE
Non, l’usage 6+6 a
Ne le veut point ainsi.
AGAMEMNON
N’en dis pas davantage, 6+6 a
Obéis.
CLYTEMNESTRE
Non, jamais.Pourquoi ? Quels sont mes torts ? 6+6 a
La maison m’appartient,va commander dehors. 6+6 a
685 En toute occasion,je me montrai docile ; 6+6 a
Mais par Zeus, par Héra,reine de notre ville, 6+6 a
Agamemnon, devantun ordre si cruel, 6+6 a
Je brave ta colère.Oui, je veux à l’autel 6+6 a
Conduire mon enfant.Je ferai bien en sorte 6+6 a
690 Que sur toi, que sur tousma fermeté l’emporte ! 6+6 a
(elle sort.)
SCÈNE V
AGAMEMNON, LE CHŒUR
AGAMEMNON
Par donc échapper ?C’est une main de fer 6+6 a
Qui me tient. Pour tromperce que j’ai de plus cher 6+6 a
Je ruse sans profit ;justement obstinée, 6+6 a
Clytemnestre s’irriteet ne m’écoute pas. 6+6 b
695 Elle va célébrerun funèbre hyménée. 6+6 a
Crime dénaturé,te commettrai-je, hélas ! 6+6 b
Mais ce meurtre odieuxqui de tous biens me prive, 6+6 a
Ce sera la rançonde la flotte captive, 6+6 a
De cette guerre aussiles prémices heureux, 6+6 a
700 Qu’attendent tous ces chefs,de combats amoureux. 6+6 a
C’en est fait, je me rends.Ah ! Différons encore ! 6+6 a
Non, non, je ne veux pasverser le sang des miens ! 6+6 b
Mais que dira de moila fleur des Argiens 6+6 b
Qui d’un titre sacrém’investit et m’honore ? 6+6 a
705 fixer, et comment,un courage emporté 6+6 a
Au souffle impétueuxde la nécessité ? 6+6 a
Les dieux souffriront-ilsma désobéissance ? 6+6 a
Puis-je trahir la Grèceet rompre l’alliance ? 6+6 a
Une aveugle fureurme force à tout oser. 6+6 a
710 Je la livre à l’autel,à quoi bon m’opposer ? 6+6 a
Je t’y verrai monter,défaillante, éperdue, 6+6 a
Et je supporterai,ma fille, cette vue. 6+6 a
Ni tes beaux yeux en pleurs,ni ton dernier appel, 6+6 a
N’écarteront tes pas,ma fille, de l’autel : 6+6 a
715 C’est là que j’ai dresséta nuptiale couche. 6+6 a
Par mon ordre, un bâillonte va fermer la bouche, 6+6 a
Car comment maintenantentendrais-je ta voix ? 6+6 a
Je l’entendais, hélas !me charmer autrefois, 6+6 a
Quand nous vivions heureuxau palais de Mycène, 6+6 a
720 Quand les dieux bienveillantsm’épargnaient toute peine ! 6+6 a
C’est assez, et courons,sans plus nous plaindre en vain, 6+6 a
Une dernière foisconsulter le devin. 6+6 a
(Il sort.)
SCÈNE VI
LE CHŒUR
Près du Simoïs aux rapides 8 a
Tourbillons argentés, 6 b
725 Couverts de leurs armes splendides, 8 a
Sur leurs vaisseaux montés, 6 b
Ils viendront ces rois que renomme 8 a
Tout le peuple argien, 6 b
Héros qui mêlent un sang d’homme 8 a
730 Au sang olympien ; 6 b
Ils viendront venger tes parjures, 8 a
Ô Troie, et par le fer 6 b
Gagner la sœur des Dioscures 8 a
Qui brillent dans l’éther. 6 b
735 Et vaine sera la vaillance 8 a
Du magnanime Hector 6 b
Et d’Énée à la forte lance 8 a
Et des fils d’Anténor. 6 b
Tel un fauve de grande taille 8 a
740 Dans un troupeau de bœufs, 6 b
Tel s’élance dans la bataille 8 a
L’Éacide fougueux. 6 b
Ajax à la vaste poitrine 8 a
Excelle à bien lancer 6 b
745 Une vibrante javeline. 8 a
On verra que Teucer, 6 b
Avec son arc que nul n’évite 8 a
Peut braver la hauteur 6 b
Des tours , quand Phébus l’agite, 8 a
750 Cassandre en sa fureur 6 b
Arrache sa tunique blanche 8 a
Et s’épuise à crier, 6 b
Portant dans ses cheveux la branche 8 a
Du frémissant laurier. 6 b
755 Bientôt la noble reine 6 a
De Pergame souveraine, 7 a
Et ses filles et ses brus 7 a
Verront leurs malheurs accrus. 7 a
Aussi soudain que la foudre 7 a
760 Abat un orme noueux, 7 b
La flamme grecque va dissoudre 8 a
Les murs bâtis par les dieux. 7 b
Vierges, épouses, de cendre 7 a
Ayant leurs cheveux souillés, 7 b
765 Feront retentir le Scamandre 8 a
De leurs cris multipliés, 7 b
Et captives, bétail que trne 8 a
Son mtre par le licou, 7 b
Elles maudiront Hélène, 7 a
770 Fille du cygne au long cou. 7 b
Fardeau des chars guerriers,dispensateur d’audace, 6+6 a
Arès d’airain armé, 6 b
Qui te plais au combat,qui roules dans l’espace 6+6 a
Sur un cercle enflammé, 6 b
775 Qui suspends un beau glaiveau bout d’un bras robuste, 6+6 a
Homicide, sauveur, 6 b
Qui pèses aux mortels,d’une balance juste, 6+6 a
Et l’affront et l’honneur ; 6 b
Fort par ta lance, Arèstoujours inexorable 6+6 a
780 A la rébellion, 6 b
Fais que j’évite, ô roi,le destin misérable 6+6 a
Des femmes d’Ilion ; 6 b
Ah ! Laisse, laisse-moivieillir dans ma patrie, 6+6 a
Libre parmi les miens, 6 b
785 Allié des mortels,qui répands sur leur vie 6+6 a
Et les maux et les biens ! 6 b
ACTE III
SCÈNE PREMIÈRE
LE CHŒUR
Contre Ilion portant le fer, 8 a
Les flammes, 2 b
Les Atrides couvrent la mer 8 a
790 De rames. 2 b
Auprès d’Ajax impétueux, 8 a
Qui guide 2 b
Ses hardis marins, sont tous ceux 8 a
D’Élide ; 2 b
795 Là sont aussi les Éniens 8 a
Sauvages, 2 b
Et ceux partis des locriens 8 a
Rivages, 2 b
Et ceux qui viennent des rochers 8 a
800 Arides 2 b
Des Échinades aux nochers 8 a
Perfides : 2 b
Spectacle qui, comblant mes vœux, 8 a
Réclame 2 b
805 Toujours et mon cœur et mes yeux 8 a
De femme ; 2 b
Je retourne et veux être là 8 a
Sans cesse, 2 b
Pour m’en souvenir jusqu’en la 8 a
810 Vieillesse. 2 b
(Le chœur sort.)
SCÈNE II
ACHILLE
Sans plus délibéreril faut qu’on se décide : 6+6 a
Agissons. Mais comment ?et que pense l’Atride ? 6+6 a
Holà ! Qu’un serviteurprévienne Agamemnon 6+6 a
Qu’Achille le demandeau seuil de sa maison 6+6 a
815 Ah ! verrons-nous jamaiscette onde toute émue ? 6+6 a
Que ce calme odieuxattriste notre vue ! 6+6 a
La Grèce s’est levée,et le dieu des combats 6+6 a
A la perte de Troieexcite notre bras : 6+6 a
Celui qui de l’hymenignore encor les charmes 6+6 a
820 Laisse sa maison vide,et l’autre, indifférent 6+6 b
Aux cris de ses enfants,de son épouse en larmes, 6+6 a
N’aspire dans son cœurqu’au nom de conquérant. 6+6 b
Mais du repos des ventsnotre flotte captive 6+6 a
Abuse cette ardeur,la retenant oisive ; 6+6 a
825 Et moi-même abusé,les plus sacrés liens 6+6 a
N’ont point su m’arrêteraux champs thessaliens. 6+6 a
Quoi ! j’ai quitté mon pèreappesanti par l’âge 6+6 a
Pour vivre sans honneursur un âpre rivage ! 6+6 a
Mes fidèles guerriers,qui murmuraient tout bas, 6+6 a
830 De se plaindre tout hautne se contiennent pas. 6+6 a
« Achille, disent-ils,est-ce Eurus ou Borée 6+6 a
Qui s’apprête à soufflerpar le détroit d’Eubée ? 6+6 a
Attendrons-nous toujoursces butins, ces lauriers, 6+6 a
Qui nous ont fait te suivreet quitter nos foyers ? 6+6 a
835 De nous tirer d’Aulisen vain tu t’évertues : 6+6 a
Puisqu’il te faut encoreici demeurer coi, 6+6 b
Que ne retournons-nousplutôt à nos charrues, 6+6 a
En laissant ceux d’Argosaux lenteurs de leur roi ? » 6+6 b
SCÈNE III
ACHILLE, CLYTEMNESTRE
CLYTEMNESTRE
En entendant ta voix,ô fils de la déesse, 6+6 a
840 J’ai quitté ma demeureet j’accours me presse 6+6 a
Mon cœur impatientde sa félicité. 6+6 a
ACHILLE, à part.
Quelle est donc cette femmeà la noble beauté ? 6+6 a
Sainte pudeur !
(A Clytemnestre.)
Ici,tout respire la guerre : 6+6 a
En ces lieux, dans ce camp,femme, que viens-tu faire 6+6 a
Seule ? Qui donc es-tu ?
CLYTEMNESTRE
845 Clytemnestre est mon nom ; 6+6 a
Je naquis de Léda,l’Atride Agamemnon 6+6 a
Est mon époux.
ACHILLE
En peude mots tu viens de dire, 6+6 a
Femme, ce qu’il fallait.Mais que je me retire, 6+6 a
Car je crains d’offenserton époux, si mes yeux 6+6 a
Osent te regarderplus longtemps.
CLYTEMNESTRE
850 Non, tu peux, 6+6 a
Tu peux me regarder,Achille, sans offense. 6+6 a
J’aime ta retenueet j’aime ta prudence, 6+6 a
Et pourtant je te dis :mets ta main dans ma main, 6+6 a
Puisqu’aussi cher qu’un filstu me seras demain ! 6+6 a
ACHILLE
855 Comment l’oser, ô femme,et que viens-je d’entendre ? 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Oui, tu le dois oseret je puis le prétendre, 6+6 a
Maintenant que l’hymenheureux et souhaité 6+6 a
Va te joindre à ma fille.
ACHILLE
Ô femme, en vérité, 6+6 a
Laissons là cet hymen :ma surprise est extrême. 6+6 a
860 De quoi me parles-tu ?Le sais-tu bien toi-même ? 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Tu ne me blesses point,Achille : il est permis 6+6 a
De tenir ce langageà de nouveaux amis 6+6 a
Et de trop de vertucette pudeur m’assure. 6+6 a
ACHILLE
Je n’ai pas recherchéta fille, je le jure, 6+6 a
865 Et l’Atride jamaisd’une telle union 6+6 a
Ne donna l’espéranceà mon ambition. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
N’est-ce pas mon épouxdont le message ordonne 6+6 a
De presser cet hymen ?A mon tour je m’étonne 6+6 a
De t’entendre parler.Fils de Thétis, eh, quoi ! 6+6 a
870 Comment, à quelle fins’est-on joué de moi ? 6+6 a
ACHILLE
Saurais-je t’éclairer,ô femme, et que répondre ? 6+6 a
Mais trouvons le coupable,et je cours le confondre. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Hélas ! Ma chère fille,ô mensonge odieux ! 6+6 a
En devons-nous noircirun père, justes dieux ? 6+6 a
ACHILLE
Tu crois qu’Agamemnon?
CLYTEMNESTRE
875 Fils de Thétis, la honte, 6+6 a
Rien qu’à te regarderen face, me surmonte. 6+6 a
ACHILLE
Ma honte n’est pas moindre.
CLYTEMNESTRE
On s’est joué de nous. 6+6 a
ACHILLE
Il faut que sans tarderje parle à ton époux. 6+6 a
SCÈNE IV
LES MÊMES, LE VIEILLARD
LE VIEILLARD
O Reine, reconnaisun serviteur fidèle, 6+6 a
Et toi, fils de Thétis,demeure.
ACHILLE
880 Qui m’appelle 6+6 a
En entr’ouvrant la porteet tremble en me parlant ? 6+6 a
LE VIEILLARD
Un vieillard, mais les ansne me font pas tremblant ; 6+6 a
Tout à l’heure, tu vassavoir pourquoi je tremble. 6+6 a
Dis-moi, devant la porteêtes-vous seuls ensemble, 6+6 a
La reine et toi ?
ACHILLE
885 Vieillard,nous sommes seuls ici. 6+6 a
Mais que veux-tu ?
C’est bien.ô fortune, merci ! 6+6 a
Avisons maintenantet que le ciel ait cure 6+6 a
De ceux qui me sont chers.
ACHILLE
Ta parole est obscure 6+6 a
LE VIEILLARD
Il s’agit d’un malheuret j’hésite à parler. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
890 Si le ciel le décrète,à quoi bon le celer ? 6+6 a
LE VIEILLARD
Comme part de ta dot,je te suivis, ô reine, 6+6 a
De ta Sparte nataleau palais de Mycène. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Mon père t’a nourridès tes plus jeunes ans. 6+6 a
LE VIEILLARD
Que ne ferais-je paspour toi, pour tes enfants ? 6+6 a
CLYTEMNESTRE
895 Vieillard, tu m’as toujoursfidèlement servie. 6+6 a
LE VIEILLARD
Certes, pour ton épouxje donnerais ma vie, 6+6 a
Mais je le trahiraispour ton bien sans regret. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Vieillard, ne tardons plus,découvre ton secret. 6+6 a
LE VIEILLARD
J’annonce des forfaitsle plus abominable : 6+6 a
900 L’Atride va tuersa fille de sa main. 6+6 b
ACHILLE
N’es-tu pas insensé,vieillard ? Est-il croyable 6+6 a
Qu’Agamemnon méditeun forfait inhumain ? 6+6 b
LE VIEILLARD
Avant que le soleildu ciel ne se retire, 6+6 a
Le glaive aura percéle cou de son enfant. 6+6 b
CLYTEMNESTRE
905 Quoi ! Je frémis d’horreur !Quoi ! Quelque affreux délire 6+6 a
A-t-il à mon épouxravi l’entendement ? 6+6 b
LE VIEILLARD
Pour sa fille du moinset pour ce qui te touche 6+6 a
Ô malheureuse reine,il n’a plus sa raison. 6+6 b
ACHILLE
Peut-être malgré lui,tout plein d’un dieu farouche, 6+6 a
910 Forme-t-il le desseinde cette trahison ? 6+6 b
LE VIEILLARD
Les Grecs n’aborderontqu’à ce prix en Phrygie, 6+6 a
Ainsi que l’a préditl’oracle de Calchas. 6+6 b
CLYTEMNESTRE
Ô ma fille chérie,ô mon Iphigénie, 6+6 a
Ton père, furieux,veut t’égorger, hélas ! 6+6 b
LE VIEILLARD
915 Sur l’autel d’Artémis,de ces lieux souveraine, 6+6 a
Ta fille va mourirpour le retour d’Hélène. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
On égorge ma fille,on m’arrache le cœur 6+6 a
Pour rendre à Ménélasmon odieuse sœur ! 6+6 a
LE VIEILLARD
Tu sais tout maintenant.
CLYTEMNESTRE
Ce n’était donc qu’un piège, 6+6 a
920 Cet hymen ! Il couvraitleur dessein sacrilège ! 6+6 a
LE VIEILLARD
Pour attirer sa fille,en son esprit rusé, 6+6 a
Agamemnon formacet hymen supposé. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Je t’ai conduite ici,ma fille, pour ta perte ! 6+6 a
Hélas ! à tes bourreauxje t’ai moi-même offerte ! 6+6 a
LE VIEILLARD
925 Que j’ai pitié de vous !Que je plains votre sort ! 6+6 a
Que je blâme le roid’accorder cette mort. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Oui, mort non méritée,ô mort injurieuse ! 6+6 a
Ah ! Comment retenirmes larmes, malheureuse ! 6+6 a
LE VIEILLARD
Pleure, pleure : est-il malqui se puisse égaler, 6+6 a
930 Pauvre mère, à celuiqui fait tes pleurs couler ? 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Mais, ô vieillard, dis-moi,quelle fortune rare 6+6 a
T’a livré le secretde leur crime barbare ? 6+6 a
LE VIEILLARD
Ce secret, je l’ai sude la bouche du roi, 6+6 a
Alors qu’il m’a remisune lettre pour toi. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
935 Écrivait-il, vieillard,de hâter le voyage ? 6+6 a
LE VIEILLARD
Non, mais il récusaitson ancien message, 6+6 a
Te disant de garderta fille. En ce moment, 6+6 a
Agamemnon pensaitplus raisonnablement. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
N’as-tu donc point menéjusqu’au bout l’entreprise ? 6+6 a
940 Cette lettre, en mes mainstu ne l’as pas remise. 6+6 a
LE VIEILLARD
Le trtre Ménélasme l’a su dérober. 6+6 a
C’est lui qui t’a perdueet qui te fait tomber 6+6 a
Dans l’infortune.
CLYTEMNESTRE
Eh bien,fils de la Néréide, 6+6 a
Connais les fils d’Atréeet leur âme perfide. 6+6 a
ACHILLE
945 Ils conntront aussipar mon ressentiment 6+6 a
Que l’on n’outrage pointAchille impunément. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Ils vont tuer ma fille,et c’est ton hyménée 6+6 a
Qui met sous le couteausa tête infortunée. 6+6 a
ACHILLE
Le soin de mon honneursaura m’intéresser 6+6 a
950 D’autant plus aux malheursqui te viennent presser. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Quoi ! Pourrais-je oublierma mortelle origine, 6+6 a
Quand je répands ces pleursdont j’ai les yeux noyés ? 6+6 b
Non, héros qui naquisd’une mère divine, 6+6 a
Je ne rougirai pasde tomber à tes pieds, 6+6 b
955 Me sied-il de montrerune tête trop fière ? 6+6 a
On veut tuer ma fille :irai-je, pauvre mère, 6+6 a
A l’instant que le ferlui va percer le flanc, 6+6 a
Par un stupide orgueilfaire honneur à mon rang ? 6+6 a
Qui se fie au bonheur,à ses biens, qu’il contemple 6+6 a
960 Les soudains changementsdu sort en mon exemple. 6+6 a
Quelle fut la hauteurde ma félicité ! 6+6 a
Et maintenant est-ilau monde adversité, 6+6 a
Hélas ! Qui de mes mauxpuisse allonger la trame ? 6+6 a
Ô ma fille ! … a Calchaslivreras-tu ta femme, 6+6 a
965 Achille ? Que ce soità juste titre ou non, 6+6 a
Il n’en est pas moins vraiqu’elle a reçu ce nom. 6+6 a
C’est pour s’unir à toique, de fleurs couronnée, 6+6 a
Sur ces bords malheureuxje l’avais amenée. 6+6 a
Comme je me flattaisde l’éclat de ton sort ! 6+6 a
970 Et je te conduisais,ô ma fille, à la mort. 6+6 a
Par ta main que je touche,Achille, je t’implore, 6+6 a
Par ton père Péléeet par ta mère encore, 6+6 a
De sauver mon enfant…ô terre ! ô vastes cieux, 6+6 a
Ô perfides mortels,impitoyables dieux ! … 6+6 a
975 Seule au milieu d’un camp,par mes parents trahie, 6+6 a
Personne ne me montreune figure amie. 6+6 a
Pour me réfugier,je n’ai que tes genoux. 6+6 a
Tu connais le desseinde mon cruel époux : 6+6 a
Sur l’autel d’Artémisdéjà le couteau brille ; 6+6 a
980 Achille, prends pitié,viens en aide à ma fille. 6+6 a
Ose étendre sur nouston invincible main, 6+6 a
Car tu peux arrêternotre horrible destin. 6+6 a
ACHILLE
Je sais être prudentquand il le faut, et même 6+6 a
Je sais me défierd’une sagesse extrême. 6+6 a
985 L’infortune m’afflige,et la prospérité, 6+6 a
Réjouissant mon cœur,ne l’a pas exalté. 6+6 a
Mon zèle est circonspect,mais je n’ai point de crainte 6+6 a
D’agir sans hésiter,ayant pensé sans feinte. 6+6 a
Car les enseignementsdu vertueux Chiron 6+6 a
990 Ont façonné jadisma naissante raison. 6+6 a
Les armes à la main,je saurai satisfaire, 6+6 a
Ici comme partout,aux devoirs de la guerre. 6+6 a
Toi, reine, puisque ceuxqui te sont le plus chers 6+6 a
Te trament sans pitiéles maux les plus amers, 6+6 a
995 Compte sur mon secours :quoique bien jeune encore, 6+6 a
Je brave les plus vieuxquand l’infortune implore. 6+6 a
Je sauverai ta filleet je ne souffre pas 6+6 a
Qu’on emprunte mon nompour des assassinats. 6+6 a
Oui, puisqu’à cet oracleAgamemnon défère, 6+6 a
1000 Je saurai l’empêcherd’être un indigne père, 6+6 a
Et ce sang innocentqu’il aura seul versé, 6+6 a
Il ne me convient pasd’en être éclaboussé. 6+6 a
Par la nymphe Thétis,par toute ma famille, 6+6 a
Par mon père héros,mon aïeul immortel, 6+6 b
1005 Non, tu ne verras pas,noble reine, ta fille 6+6 a
Sous de barbares mainsexpirante à l’autel. 6+6 b
Peut-être que Calchas,à lui-même fatales, 6+6 a
Consacre en ce momentl’orge et les eaux lustrales. 6+6 a
Qu’est-ce donc à la finque ces devins fameux 6+6 a
1010 Dont la bouche à tout coupnous fait parler les dieux ? 6+6 a
Pour quelques véritésque le hasard leur livre, 6+6 a
Parmi combien d’erreursil nous faudrait les suivre ! 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Je sens, je sens déjàplus calmes mes douleurs. 6+6 a
Suis-je toujours livréeau pouvoir des malheurs ? 6+6 a
1015 Le fils de la déesseest touché de ma plainte : 6+6 a
Balancerai-je encoreentre l’aise et la crainte ? 6+6 a
Quoi ! Lorsque ce hérosme répond du destin, 6+6 a
Je ne fixerais pointmon esprit incertain ? 6+6 a
Ah ! Comment te louer,ô magnanime Achille ? 6+6 a
1020 Ce sera d’une ardeurou trop forte ou débile ; 6+6 a
Car de pareils excèsmon cœur est combattu : 6+6 a
J’adore ta pudeurautant que ta vertu. 6+6 a
Une âme, je le sais,hautement vertueuse, 6+6 a
Ne souffre qu’à regretla langue trop flatteuse. 6+6 a
1025 Je me verrai pourtantmettre au rang des ingrats, 6+6 a
Si pour un tel bienfaitje ne t’exalte pas ! 6+6 a
Je me lamente, hélas !J’étale des misères, 6+6 a
Achille, et j’en rougis,qui te sont étrangères ; 6+6 a
Mais le don généreuxa toujours double prix, 6+6 a
1030 Quand sans nous abaissernous en sommes surpris, 6+6 a
Et c’est comme tu faisqu’un noble cœur soulage 6+6 a
Un mal injurieuxqui n’est pas son partage. 6+6 a
Oui, ne te lasse pointde nous prendre en pitié : 6+6 a
Nous n’avons réconfortque de ton amitié. 6+6 a
1035 De t’appeler mon fils,j’ai perdu l’espérance, 6+6 a
Mais sensible à ces crisqu’arrache ma souffrance, 6+6 a
Ma fille évitera,héros, par ton secours, 6+6 a
L’infortuné trépasqui menace ses jours. 6+6 a
Contre un père odieuxet sa lâche manie, 6+6 a
1040 C’est toi l’asile, uniqueà mon Iphigénie. 6+6 a
Pour qu’elle implore aussi,héros, si tu le veux, 6+6 a
Tu la verras bientôtappartre à tes yeux, 6+6 a
Et pleine d’assurance,et cependant encore 6+6 a
Modeste sous ses traitsque la pudeur colore. 6+6 a
ACHILLE
1045 Sans plus te tourmenter,confiante en ma foi, 6+6 a
Garde bien d’amenerta fille devant moi. 6+6 a
Évitons d’encourirle blâme populaire. 6+6 a
Songe qu’un camp nombreux,dès longtemps au repos, 6+6 b
Aime la calomnieet les méchants propos. 6+6 b
1050 Tu m’auras pour soutien,priant ou sans prière ; 6+6 a
A prévenir tes pleurstu me verras constant. 6+6 c
Si je parle en trompeur,que je meure à l’instant. 6+6 c
Mais que je vive encorsi ma bouche est sincère. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Vis longtemps, vis combléde la félicité, 6+6 a
1055 Continuel supportde toute adversité. 6+6 a
ACHILLE
Je saurai, s’il le faut,user de violence, 6+6 a
Mais laissons-nous d’abordguider par la prudence. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Que vas-tu dire ?
ACHILLE
Il fauttenter Agamemnon 6+6 a
Une dernière fois ;il est père : peut-être 6+6 b
Il se réjouirade penser mieux.
CLYTEMNESTRE
1060 Non, non, 6+6 a
Esclave de sa gloire,il est perfide et trtre. 6+6 b
ACHILLE
Ne désespérons pasde le persuader : 6+6 a
Une raison à l’autrea su souvent céder. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Eh quoi ! Nous nous flattonsd’une espérance morte. 6+6 a
1065 Pourtant, comment faut-il,dis, que je me comporte ? 6+6 a
ACHILLE
Écoute mon conseil :va supplier le roi. 6+6 a
Qui sait s’il n’attend point,rempli d’un juste effroi, 6+6 a
De trouver dans tes yeuxcette lueur qui brille, 6+6 a
Ce reste de tes pleurs,pour épargner sa fille ? 6+6 a
1070 Alors, sans mon secourséchappés du malheur, 6+6 a
Tous deux vous gterezune égale douceur. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Il me faut t’obéir.La parole sensée 6+6 a
S’écoule abondammentd’une noble pensée 6+6 a
Mais s’il était sans cœur,si je n’en obtiens rien, 6+6 a
1075 S’il veut tuer ma fille ?… hélas ! Songes-y bien ! 6+6 a
, dans quels lieux encoreirai-je, infortunée 6+6 a
Implorer ton appuicontre ma destinée ? 6+6 a
ACHILLE
Je veillerai sur vousen gardien vigilant, 6+6 a
Selon l’occasionprudent ou violent. 6+6 a
1080 Lorsqu’en votre intérêt,ô reine, je décide 6+6 a
Contre une injuste mortet contre un parricide, 6+6 a
Y saurais-je manquer ?Et, certe, il ne sied pas 6+6 a
Que, cédant au poisond’une âme désolée, 6+6 b
Tu portes malgré toi,défaite, échevelée, 6+6 b
1085 Tes pas mal assurésau milieu des soldats, 6+6 a
Et qu’il en rejaillisseaffront et vitupère 6+6 a
Sur ce prince fameux,ce Tyndare, ton père. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
C’est bien. Pour toi, héros,s’il est de justes dieux, 6+6 a
Tu ne subiras pointde malheur odieux. 6+6 a
ACTE IV
SCÈNE PREMIÈRE
LE CHŒUR
1090 Quel plectre anime ainsiles cithares sonores ? 6+6 a
Quel souffle a traverséle pertuis des roseaux ? 6+6 b
Sur le haut Pélion,montagne des Centaures, 6+6 a
Tous les antiques pinsbruissent comme des eaux. 6+6 b
Les filles de Mnémosyne, 7 a
1095 De Zeus la race divine, 7 a
Les Muses aux noirs sourcils, 7 a
Vont célébrant la journée 7 b
Qui consomme l’hyménée 7 b
De Pélée et de Thétis. 7 a
1100 Fils d’Éaque, du fondde la vte éthérée, 6+6 a
Pour te favorisertout l’Olympe est venu ; 6+6 b
Vois tes cinquante sœurs,ô fille de Nérée, 6+6 a
Entends les blancs caillouxsonner sous leur pied nu. 6+6 b
Sur la grève blanchissante, 7 a
1105 Chryséis, Eudore, Ianthe, 7 a
Thoé, pleine de langueurs, 7 a
Clytie aux tresses humides 7 b
Et les autres Néréides 7 b
Dansent en formant des chœurs. 7 a
1110 Ô hyménée, hymen !Que le plaisir abonde ! 6+6 a
Que l’enfant phrygienau visage attrayant, 6+6 b
Réjouissant l’espritdes dieux, verse à la ronde 6+6 a
Dans les cratères d’orle breuvage brillant ! 6+6 b
Portant un présent champêtre, 7 a
1115 On vit soudain appartre 7 a
Les centaures au beau crin ; 7 a
Tout couronnés de verdure, 7 b
Ils brandissaient une dure 7 b
Pique faite de sapin. 7 a
1120 Ils criaient : gloire à toi !Car tu seras la mère 6+6 a
D’un héros, ô Thétis,ô marine lumière ! 6+6 a
Si Chiron ne ment pas, 6 a
Si d’écouter le cieljustement il se vante, 6+6 b
Un fils ntra de toipour être l’épouvante 6+6 b
1125 Des furieux combats : 6 a
Beau, formidable, arméde l’épée infaillible, 6+6 a
Coureur aux pieds légers,le cœur inaccessible 6+6 a
Aux menaces du sort, 6 a
Sur les champs plantureuxqu’arrose le Scamandre, 6+6 b
1130 Parmi ses ennemison le verra répandre 6+6 b
La dévorante mort. 6 a
Ainsi des immortelsla propice assemblée 6+6 a
Sur le haut Pélion, 6 b
De la nymphe Thétiset du vaillant Pélée 6+6 a
1135 Célébrait l’union 6 b
Iphigénie, hélas !C’est pour une autre fête 6+6 a
couleront des pleurs 6 b
Que les Grecs vont mêlerles boucles de la tête 6+6 a
D’un chapelet de fleurs. 6 b
1140 Telle, en riche apparat,victime couronnée, 6+6 a
Pour désarmer le ciel, 6 b
Une pure génisseà la peau tachetée 6+6 a
S’approche de l’autel. 6 b
Noble vierge d’Argos,dans la verte prairie, 6+6 a
1145 Près des courantes eaux, 6 b
Au milieu des bouvierstu ne fus pas nourrie 6+6 a
Au son des chalumeaux. 6 b
Tu croissais sage et belle,une reine ta mère 6+6 a
Avec un soin jaloux 6 b
1150 T’élevait pour te voirdans le palais prospère 6+6 a
D’un prince ton époux. 6 b
Et pourtant, ô malice le monde s’obstine ! 6+6 a
Une brutale main 6 b
Avec le fer aigufera de ta poitrine 6+6 a
1155 Jaillir ton sang humain. 6 b
Ah ! Comment l’incarnatqui pare ton visage 6+6 a
D’un charme virginal 6 b
Et la fierté décenteet la fleur de ton âge 6+6 a
Sauraient vaincre le mal, 6 b
1160 Puisque l’ambition,la fraude et l’impudence, 6+6 a
Le vice injurieux, 6 b
Ont fait que les mortelssont livrés sans défense 6+6 a
A la haine des dieux ! 6 b
SCÈNE II
CLYTEMNESTRE, LE CHŒUR
CLYTEMNESTRE
Quels sont mes déplaisirs !ô tourment, ô misère ! 6+6 a
1165 Ma fille est dans les pleurs :elle sait que son père 6+6 a
En l’imputant au cielconsent à l’immoler. 6+6 a
Moi qui n’espère plus,puis-je la consoler ? 6+6 a
En aurai-je le front ?Serai-je assez impie 6+6 a
Pour arrêter les pleursde mon Iphigénie ? 6+6 a
1170 Hélas ! et cependant,ce père, cet époux, 6+6 a
Que ne retiennent pointles liens les plus doux 6+6 a
Ennemi de son sang,meurtrier de sa fille, 6+6 a
M’évite et fuit le toit pleure sa famille. 6+6 a
Il cherche à m’abuserMais il vient de ce pas. 6+6 a
1175 C’est lui, c’est mon époux,je ne me trompe pas. 6+6 a
Cruel Agamemnon !ô cœur perfide et trtre ! 6+6 a
Ah ! que j’ai de la joieen te voyant partre ! 6+6 a
Eh bien, ne tarde plus,presse tes pas contraints ! 6+6 a
Viens trouver dans mes yeux,lâche, ce que tu crains ! 6+6 a
SCÈNE III
LES MÊMES, AGAMEMNON
AGAMEMNON
1180 Femme chère à mon cœur,Clytemnestre, il me semble 6+6 a
Qu’une fortune amieen ces lieux nous assemble. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Je veux le souhaiter.
AGAMEMNON
O race de Léda, 6+6 a
Remets entre mes mainsnotre fille. Déjà 6+6 a
Brûle le feu lustral :bientôt le sacrifice 6+6 a
1185 Qui précède l’hymen,du sang d’une génisse 6+6 a
Va réjouir l’autel.
CLYTEMNESTRE
Tu trouves à propos 6+6 a
Un langage tout pleind’irréprochables mots. 6+6 a
Saurai-je en trouver unpour marquer le mérite 6+6 a
De l’affreuse actionque ton âme médite ? 6+6 a
1190 O trtre, tu le veux ?Sors donc, ma fille, viens : 6+6 a
Ton père, tu le sais,va nous combler de biens. 6+6 a
Accours, et dans tes brasemporte aussi ton frère. 6+6 a
Oui, venez tous les deux,empressez-vous. O père, 6+6 a
Ta fille t’obéit,la voici devant toi. 6+6 a
1195 Après, je vais parleret pour elle et pour moi. 6+6 a
SCÈNE IV
LES MÊMES, IPHIGÉNIE, ORESTE
AGAMEMNON
Pourquoi baisser tes yeuxqui sont mes plus doux charmes 6+6 a
Ma fille, tu me voiset tu verses des larmes. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Ah ! par commencerà plaindre mon tourment ? 6+6 a
Tant de maux ont-ils fin,ont-ils commencement ? 6+6 a
AGAMEMNON
1200 D’ vient, d’ vient cela ?Quoi ! Toutes deux de même ! 6+6 a
Quoi ! Toutes deux d’accordmontrer ce trouble extrême ! 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Apaise, si tu peux,ma crainte et ma terreur. 6+6 a
AGAMEMNON
Que veux-tu dire ? Hélas !Tu me remplis d’horreur ! 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Vas-tu tuer ta fille ?
AGAMEMNON
Ah ! Quel souon ! Ah ! Cesse ! 6+6 a
Ne parle pas ainsi.
CLYTEMNESTRE
1205 N’as-tu fait la promesse 6+6 a
De l’égorger ?
AGAMEMNON
Grands dieux !
CLYTEMNESTRE
De la sacrifier ? 6+6 a
Allons, ose répondreet te justifier. 6+6 a
AGAMEMNON
Parques, dieux infernaux,ô destin redoutable, 6+6 a
Ô toi, d’Agamemnongénie inexorable ! 6+6 a
CLYTEMNESTRE
1210 Ce génie est le mienet le sien à la fois : 6+6 a
Il est inexorableet nous perd tous les trois. 6+6 a
AGAMEMNON
Mais quel tort t’ai-je fait ?
CLYTEMNESTRE
Eh quoi, nier encore ! 6+6 a
Malheureux, tu le saisplus que je ne l’ignore. 6+6 a
AGAMEMNON
Mes secrets sont trahis.
CLYTEMNESTRE
On m’a tout révélé 6+6 a
1215 Et ta confusionne laisse rien celé. 6+6 a
Va, tais-toi.
AGAMEMNON
Je me tais,car, au malheur, qui songe 6+6 a
A joindre vainementla honte du mensonge ? 6+6 a
CLYTEMNESTRE
C’est bien, Agamemnon ;il me faut te parler 6+6 a
A présent sans détour :je veux te rappeler 6+6 a
1220 Qu’à mon premier épouxinsolemment ravie 6+6 a
De force et malgré moij’ai partagé ta vie. 6+6 a
Te souvient-il qu’alorsmes deux frères jumeaux, 6+6 a
Ce Castor, ce Pollux,brillants sur leurs chevaux, 6+6 a
De ton audace outrést’ont déclaré la guerre 6+6 a
1225 Et tu faillis périr ?Mais Tyndare, mon père, 6+6 a
Que tu vins supplier,te conserva le jour ; 6+6 a
Même il sut à la finte gagner mon amour. 6+6 a
T’ai-je depuis ce tempsdonné sujet de plainte ? 6+6 a
Content dans ta maisonet la quittant sans crainte, 6+6 a
1230 Près de moi, ton ennuise soulageait encor. 6+6 a
Une femme modesteest un rare trésor ; 6+6 a
Elle obéit toujourset jamais n’importune ; 6+6 a
Mais la méchante femmeest chose plus commune. 6+6 a
Ah ! Pour tout cet excèsde zèle et de douceur, 6+6 a
1235 Pour tous mes tendres soins,tu me perces le cœur, 6+6 a
Et je verrai ma fille,ainsi qu’une génisse, 6+6 a
Saigner sous le couteaude l’affreux sacrifice. 6+6 a
Songe, songes-y bien ;écoute, Agamemnon ; 6+6 a
Vas-tu, de tes exploitseffaçant la mémoire, 6+6 b
1240 Laisser parmi les Grecsun sinistre renom ? 6+6 a
Parce que Ménélas,ennemi de sa gloire, 6+6 b
De son lâche désirsans cesse consumé, 6+6 a
Souhaite encore Hélèneen son lit diffamé, 6+6 a
Répandras-tu ton sang ?Te rendrais-tu coupable 6+6 a
1245 D’un forfait sans exempleet le plus détestable ? 6+6 a
Quoi ! Si la fausse Hélènea suivi son amant, 6+6 a
Faut-il qu’Iphigénieexpire en ce moment ? 6+6 a
Te l’avais-je enfantée,hélas, est-elle née 6+6 a
Pour être la rançonde cette forcenée ? 6+6 a
1250 Je te le dis, prends garde,Agamemnon, et crains 6+6 a
De changer dans mon cœuren haine mes chagrins. 6+6 a
Aveugle criminel,si le dieu des batailles, 6+6 a
Arès, n’accorde pointde forcer les murailles 6+6 a
De l’antique Pergame,ou qu’un retour amer 6+6 a
1255 Te fasse errer longtempssur la profonde mer, 6+6 a
Quels vœux formeras-tu ?Quelle prière vaine 6+6 a
Sortira de ma bouche ?Ah ! Les dieux immortels 6+6 b
Voudront-ils t’épargneret détourner leur haine 6+6 a
D’un père injurieuxqui souille les autels 6+6 b
1260 Du sang de ses enfants ?… quand mon regard avide, 6+6 a
La cherchant, trouverapartout sa place vide, 6+6 a
Quand je reconntrai,tout poudreux et défait, 6+6 a
L’ouvrage virginal sa main se plaisait, 6+6 a
Je pleurerai ma filleet je verrai son père 6+6 a
1265 Sous le hideux aspectd’un monstre sanguinaire. 6+6 a
LE CHŒUR
D’accord avec la reine,au-dessus de la voix 6+6 a
De l’oracle sévère, 6 b
Du ciel, de sa colère, 6 b
Écoute, Agamemnon,les naturelles lois. 6+6 a
IPHIGÉNIE
1270 Mon père, en ce moment,que n’ai-je l’éloquence 6+6 a
De ce chanteur harmonieux 8 b
Qui charmait les rochers ?Mais pour toute science, 6+6 a
Je n’ai que les pleurs de mes yeux. 8 b
Malgré moi j’ai sentima force défaillante, 6+6 a
1275 Et j’approche de tes genoux 8 b
Comme fait de l’autella branche suppliante. 6+6 a
Hélas, que le soleil est doux ! 8 b
Laisse-moi vivre encore,ô mon père, ô mon père ! 6+6 a
Eh quoi ! Déjà serait-ce assez ? 8 b
1280 A peine florissante,irai-je sous la terre 6+6 a
Avec les pâles morts glacés ? 8 b
Pour la première fois,c’est ma bouche enfantine 6+6 a
Qui t’a donné le plus doux nom ; 8 b
Alors tu me pressais,père, sur ta poitrine, 6+6 a
1285 Sans songer au sort d’Ilion ; 8 b
Alors tu me disais :te verrai-je, ma fille, 6+6 a
Dans la demeure d’un époux, 8 b
Heureuse, et dans un rangdigne de ta famille 6+6 a
Vivre et briller aux yeux de tous ? 8 b
1290 Et je te répondais :qu’un dieu daigne m’entendre ! 6+6 a
Que je reçoive en mes foyers 8 b
Mon père vieillissant,et puissé-je lui rendre 6+6 a
Sa peine et ses soins nourriciers ! 8 b
Tous ces tendres projets,ces paroles amies 6+6 a
1295 N’ont pas quitté mon souvenir ; 8 b
Je m’en flattais encor,mais toi, tu les oublies 6+6 a
Et tu veux me faire mourir. 8 b
Ah ! Pourquoi sur sa neffendant la mer calmée 6+6 a
Pâris toucha nos bords heureux, 8 b
1300 Et d’un nouvel hymenHélène fut charmée, 6+6 a
Brûlant des plus coupables feux ! … 8 b
Tourne les yeux vers moi,que sur ta fille tombe 6+6 a
Ton regard avec un baiser, 8 b
Et puis je descendrai,mon père, dans la tombe 6+6 a
1305 En ce gage me reposer. 8 b
(a Oreste.)
Et toi, mon frère, et toi,soutien bien faible encore, 6+6 a
Enfant ignorant du malheur, 8 b
Pleure avec moi pourtantet, sans parole, implore 6+6 a
Que l’on laisse vivre ta sœur. 8 b
LE CHŒUR
1310 Hélène, ton parjure 6 a
Arme l’un contre l’autreet la femme et l’époux, 6+6 b
Le père et ses enfants,et brise les plus doux 6+6 b
Liens de la nature. 6 a
AGAMEMNON
Exécrable aux mortelset des dieux oublié, 6+6 a
1315 Du sang de mes enfantsje n’aurais pas pitié ? 6+6 a
Dans ma propre maison,je choisis des victimes 6+6 a
Et pour un peu d’éclatje commets de grands crimes ? 6+6 a
Femme, détrompe-toi :de mes brillants honneurs, 6+6 a
Plus ferme j’affrontailes charmes suborneurs. 6+6 a
1320 Ah ! Le ciel qui nous perda vu sur ce rivage 6+6 a
Lutter et succombermon malheureux courage ; 6+6 a
Car qui peut retenirces rois armés d’airain 6+6 a
Et taire la rumeurde ces soldats sans frein ? 6+6 a
Ardents à naviguer,avec impatience 6+6 a
1325 Ils supportent des ventsle calme et le silence. 6+6 a
Pour que les dieux, hélas !Accordent de venger 6+6 a
L’injure que nous faitun barbare étranger, 6+6 a
L’oracle a demandéle sang de ma famille : 6+6 a
A la nécessitéje t’immole, ma fille. 6+6 a
1330 Ce que je fais, il estterrible de l’oser 6+6 a
Et c’est terrible aussique de m’y refuser. 6+6 a
Croyez-moi, ce n’est pointMénélas qui me presse 6+6 a
Ma fille, en te livrantj’obéis à la Grèce. 6+6 a
Des chefs et des soldatsd’homicide fureur 6+6 a
1335 Me force et me repousseà ce comble d’horreur. 6+6 a
Ils tiennent malgré toutma puissance asservie, 6+6 a
Et si je m’essayaisà te sauver la vie, 6+6 a
Dans Mycène tes sœurspériraient sous leurs coups, 6+6 a
Et toi, ta mère encore,et moi-même avec vous… 6+6 a
1340 Ma fille, enfin, c’est toitout l’espoir de nos armes ; 6+6 a
Du perfide Ilionc’est toi le châtiment. 6+6 b
Va partre à l’auteldans un rayonnement, 6+6 b
Ma fille, et que moi seulje verse ici des larmes. 6+6 a
(il quitte la scène.)
SCÈNE V
LES MÊMES, moins AGAMEMNON
CLYTEMNESTRE
O ma fille, ô ma fille,ô mon doux réconfort ! 6+6 a
1345 Ton père t’abandonneet te livre à la mort ! 6+6 a
IPHIGÉNIE
Hélas ! injustes coupsdu destin qui m’accable ! 6+6 a
Pour moi s’éteint déjàla lumière adorable 6+6 a
De l’éclatant soleil ! 6 a
Et tu péris ausside ma propre misère, 6+6 b
1350 Et pour nous lamenter,à toutes deux, ma mère, 6+6 b
Convient un chant pareil. 6 a
Rives du Simoïs,vallons, forêt neigeuse, 6+6 a
O grottes de l’Ida,montagne sourcilleuse, 6+6 a
Versants, plateaux, sommets, 6 a
1355 Pan habite encorles bercails et les âtres, 6+6 b
Plût au ciel que Pâris,nourri parmi les pâtres, 6+6 b
Ne vous foulât jamais ! 6 a
Ah ! l’épouse de Zeuset la vierge d’Athène 6+6 a
Et la blanche Cypris,qui par le monde mène 6+6 a
1360 Les cœurs émerveillés, 6 a
Près des limpides eaux,source aux Naïades sainte, 6+6 b
Devaient-elles cueillirla rose et l’hyacinthe 6+6 b
Dans les prés émaillés ? 6 a
O Parque, ô dieux cruels !trop illustre querelle 6+6 a
1365 le bouvier troyenjugea de la plus belle, 6+6 a
Et toi, funeste amour ! 6 a
C’est pour ma perte, hélas !Qu’Hélène fut ravie, 6+6 b
Et je meurs, malheureuse,et je quitte la vie 6+6 b
Et la douceur du jour. 6 a
ACTE V
SCÈNE PREMIÈRE
IPHIGÉNIE, CLYTEMNESTRE, ORESTE, LE CHŒUR
IPHIGÉNIE
1370 Vois ce jeune guerrierentouré de soldats ; 6+6 a
Quel est-il, ô ma mère ?Il porte ici ses pas. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
C’est le divin hérosqui, par le mariage, 6+6 a
Devait s’unir à toisur ce triste rivage. 6+6 a
IPHIGÉNIE
Quoi, malheureuse ! hélas !que je quitte ces lieux 6+6 a
1375 Et que je me dérobe,ô ma mère, à ses yeux. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Non, reste, mon enfant :touché de ta misère, 6+6 a
Il veut te secourircontre ton propre père. 6+6 a
IPHIGÉNIE
O ma mère, il approche !Ah ! Lorsque je le vois, 6+6 a
Hélas ! pour la premièreet la dernière fois, 6+6 a
1380 Pourrai-je supporterqu’à cette aimable vue 6+6 a
La honte avant le fercruellement me tue ? 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Ma fille, écoute-moi :refoule dans ton cœur 6+6 a
Ce fier emportementde ta belle pudeur. 6+6 a
Songe quels maux le cielen ce moment nous trame. 6+6 a
SCÈNE II
LES MÊMES, ACHILLE
ACHILLE
1385 Noble reine d’Argos,ô malheureuse femme ! 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Tu dis vrai.
ACHILLE
Les soldatsassemblés sur le port 6+6 a
Près des vaisseaux oisifspoussent des cris de mort. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Tes paroles me sontun sinistre présage. 6+6 a
Quels cris, dis-moi ?
ACHILLE
Faut-ille taire davantage ? 6+6 a
1390 Non, malheureuse, apprends,sans plus dissimuler, 6+6 a
Qu’ils demandent ta filleafin de l’immoler. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Cruel Agamemnon,notre destin s’achève ; 6+6 a
Contre un crime odieuxpersonne ne se lève. 6+6 a
ACHILLE
Reine, je l’ai promis,je veux vous protéger : 6+6 a
1395 Partout, sans épargnermenaces ni prières, 6+6 b
Je cours, plus d’une foisje fus presque en danger 6+6 a
CLYTEMNESTRE
En danger ? Et comment ?
ACHILLE
De périr sous les pierres. 6+6 b
CLYTEMNESTRE
Qui donc des Grecs se montreassez audacieux 6+6 a
Pour affronter Achille,issu du sang des dieux ? 6+6 a
ACHILLE
1400 Ceux qui vinrent suivantton époux et son frère, 6+6 a
Les Thébains, engendrésdes enfants de la terre, 6+6 a
Les compagnons d’Ajax,tous, la plupart des miens : 6+6 a
Ils osent m’appeleresclave des liens 6+6 a
Du mariage.
CLYTEMNESTRE
Ô peste,ô multitude ingrate ! 6+6 a
1405 Mais si je brave enfinleur fureur scélérate, 6+6 a
Si je garde ma filleet ne la livre pas. 6+6 a
Achille, viendront-ilsl’arracher de mes bras ? 6+6 a
ACHILLE
Pour entrner ta filleet presser son supplice, 6+6 a
Ils viendront en grand nombreet conduits par Ulysse. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Ce fourbe, rejetonde Sisyphe ?
ACHILLE
1410 Vraiment, 6+6 a
Lui-même.
CLYTEMNESTRE
Ô perfidie !Indigne égarement ! 6+6 a
Ô misérable cœur !Se peut-il qu’il consente 6+6 a
A se souiller du sangd’une vierge innocente ? 6+6 a
ACHILLE
Je veux l’en empêcher.
CLYTEMNESTRE
A quoi bon y songer ? 6+6 a
1415 Ma fille, je la perds,on va me l’égorger. 6+6 a
ACHILLE
Non, je la défendrai.
CLYTEMNESTRE
Seul contre tous ?
ACHILLE, montrant les soldats de son escorte.
Près d’elle, 6+6 a
Reine, je placeraicette garde fidèle. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Un favorable dieupuisse te seconder ! 6+6 a
ACHILLE
Entre les Grecs et vousmon bras va décider. 6+6 a
IPHIGÉNIE
1420 Une plus haute voixet me parle et m’appelle 6+6 a
Et je dépouille enfinma faiblesse mortelle. 6+6 a
Pourquoi te plaindre en vainet contre ton époux 6+6 a
Aigrir ainsi ton cœur,ma mère ? Devons-nous, 6+6 a
En insultant aux dieuxqui marquent nos journées, 6+6 a
1425 Prétendre détournerle cours des destinées ? 6+6 a
Non, mais craignons plutôtqu’aggravant notre sort 6+6 a
D’autres malheurs plus grandsne précèdent ma mort. 6+6 a
Faut-il que ce héros,en mutinant l’armée, 6+6 a
Aille risquer sa vieavec sa renommée ? 6+6 a
1430 Par ma seule vertula Grèce en ce moment 6+6 a
De Pâris et de Troieobtient le châtiment. 6+6 a
Sur l’autel d’Artémisgénéreuse victime, 6+6 a
Ma mère, de ta sœurje rachète le crime. 6+6 a
Je soulève les flots,les vents me sont soumis ; 6+6 a
1435 J’honore mes parents,je perds nos ennemis. 6+6 a
Et tu veux que j’hésiteet que je sois avare 6+6 a
De mes jours, que je doisaux ombres du Ténare ? 6+6 a
Pardonne, qu’ai-je dit ?Non, non, tu ne veux pas 6+6 a
Que je cesse d’aimermon illustre trépas. 6+6 a
1440 Certes, je tiens de toicette ardeur qui m’enflamme. 6+6 a
Reine d’Argos, ma mère,oui, je connais ton âme : 6+6 a
Ce que de notre rangpeut exiger l’honneur, 6+6 a
Tu ne le cèdes pasau plus tendre bonheur. 6+6 a
Tu ne souffriras pointque mon père revienne 6+6 a
1445 Parjure à son sermentdans l’antique Mycène. 6+6 a
A l’esclave doit-il,l’homme libre, obéir, 6+6 a
Et Pâris pourra doncde son crime jouir 6+6 a
Sans que nous effacionsla honte de l’outrage ? 6+6 a
Ces milliers de soldats,ces chefs au grand courage, 6+6 a
1450 Volant de toutes partspour venger leur pays, 6+6 a
La fille de leur roiles aura donc trahis ? 6+6 a
Va-t-elle fatiguer,inutile, la rame, 6+6 a
Les bras des matelotsà cause d’une femme ? 6+6 a
Lorsqu’Artémis ordonne,ai-je la liberté 6+6 a
1455 De refuser ma vieà la divinité ? 6+6 a
Venez, conduisez-moi,devant toute la Grèce, 6+6 a
Sur le terrible autelde la fière déesse. 6+6 a
Venez, immolez-moi :je verrai sans horreur 6+6 a
Se lever le couteaudu sacrificateur. 6+6 a
1460 Qu’on répande mon sang ;la terre de Phrygie 6+6 a
De ce sang virginalsera bientôt rougie ; 6+6 a
Et partout l’on verranos guerriers triomphants. 6+6 a
Ce sera mon hymen,mon époux, mes enfants. 6+6 a
LE CHŒUR
Que ton âme est bien née, 6 a
1465 Fille d’Agamemnon,tu n’as pas mérité 6+6 b
Ta fausse destinée, 6 a
Et qu’Artémis pour toimontre de cruauté ! 6+6 b
ACHILLE
Ô sang de tant de rois,ô généreuse fille, 6+6 a
La Grèce est fortunéeen possédant ton cœur 6+6 b
1470 Si les dieux t’avaient faitentrer dans ma famille, 6+6 a
J’en aurais le présentdu plus rare bonheur. 6+6 b
Par cette modestieet ce noble langage, 6+6 a
Tes traits déjà si beauxséduisent davantage. 6+6 a
Ah ! Si tu fléchissaisce grand courage entier, 6+6 a
1475 Ah ! Si je te sauvaisdu sort qui te menace, 6+6 b
Dans l’antique Larisse commande ma race, 6+6 b
Je voudrais te conduireépouse en mon foyer. 6+6 a
Songe, songes-y bien,princesse, et considère 6+6 a
Que même au plus vaillantla mort part amère. 6+6 a
IPHIGÉNIE
1480 Si ton zèle m’est douxet s’il plt à mon cœur, 6+6 a
En ferai-je l’objetd’un espoir sans honneur ? 6+6 a
Non, laissez-moi mourir :en ce moment extrême, 6+6 a
Sans présumer de moij’ai jugé par moi-même. 6+6 a
Intrépide héros,je sais ce que tu peux ; 6+6 a
1485 Mais, ne me servant pas,tu me serviras mieux. 6+6 a
Et puisqu’ainsi les dieuxordonnent de ma vie, 6+6 a
D’une si belle mortne m’ôte point l’envie. 6+6 a
ACHILLE
Comment celer encorla juste vérité ? 6+6 a
Ta résolutionenfin m’a surmonté. 6+6 a
1490 Princesse, en cet instant,dans un transport superbe, 6+6 a
Tout ton être a frémicomme à la brise l’herbe. 6+6 a
Mais je saurai veillerjusqu’au bout sur ton sort, 6+6 a
Toujours prêt d’écarterde toi la triste mort. 6+6 a
Heureuse, pour ton pèreet pour toute la Grèce, 6+6 a
1495 Certes, tu veux laissermoissonner ta jeunesse. 6+6 a
Tu pourrais cependant,sans même démentir 6+6 a
Ta native fierté,soudain t’en repentir, 6+6 a
Quand le glaive luiraprès de ta gorge nue. 6+6 a
Ainsi, je vais au templeattendre ta venue. 6+6 a
(Il sort.)
SCÈNE III
IPHIGÉNIE, CLYTEMNESTRE, LE VIEILLARD, ORESTE, LE CHŒUR
IPHIGÉNIE
1500 O ma mère, pourquoice silence et ces pleurs ? 6+6 a
CLYTEMNESTRE
En répandrai-je assezpour plaindre mes malheurs ? 6+6 a
IPHIGÉNIE
Que ton cœur généreuxsurmonte sa tendresse : 6+6 a
Ne me fais pas tomberencor dans la faiblesse. 6+6 a
Écoute-moi plutôtet cède à mon désir. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
1505 Parle : crains-tu de moi,ma fille, un déplaisir ? 6+6 a
IPHIGÉNIE
Eh bien, ne coupe pasles boucles de ta tête 6+6 a
Et garde sur ton corpstes vêtements de fête. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Hélas ! Quand je te perds ?
IPHIGÉNIE
Tu ne me perdras pas : 6+6 a
Je te rends glorieuseet j’échappe au trépas. 6+6 a
1510 Mourrai-je, quand mon sang,ruisselant sous le glaive, 6+6 a
En féconde moissonpour mon pays s’élève ? 6+6 a
Est-ce donc reposersous un commun tombeau 6+6 a
Que d’avoir pour ma cendreun monument si beau ? 6+6 a
Car c’est le tertre saint,l’autel de la déesse 6+6 a
1515 Honneur de l’Ortygie,Artémis chasseresse. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Ô vertu sans égale,ô nouvel argument 6+6 a
A mes cris, à mes pleurs,à mon cruel tourment ! … 6+6 a
Que dirai-je à tes sœurs ?
IPHIGÉNIE
Va, dis-leur d’être heureuses ; 6+6 a
Et quant à cet enfant,Oreste que voici, 6+6 b
1520 Qu’il croisse en homme libreet dans un fier souci, 6+6 b
Afin qu’il porte un jourses armes valeureuses. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Ah ! Prends-le dans tes bras,vous ne vous verrez plus. 6+6 a
IPHIGÉNIE
Mon frère
CLYTEMNESTRE
Coulez doncmes pleurs, pleurs superflus ! … 6+6 a
Que dois-je faire encor,de retour dans Mycène ? 6+6 a
IPHIGÉNIE
1525 Regarde ton épouxsans colère ni haine. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Quoi ! Ce père inhumain,ce perfide odieux ? 6+6 a
IPHIGÉNIE
Il sauve la patrieet se soumet aux dieux ; 6+6 a
Longtemps à m’épargneril s’obstina sans doute. 6+6 a
Mais moi, l’ambitionqui me transportait toute 6+6 a
1530 Languit-elle déjà ?La verra-t-on céder ! 6+6 a
Non, avec plus d’ardeurje l’avais poursuivie 6+6 b
Que ce vieux serviteurme mène sans tarder 6+6 a
A l’autel m’attendet la mort et la vie. 6+6 b
CLYTEMNESTRE
Ô mon enfant, tu pars !
IPHIGÉNIE
Ma mère, pour jamais. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Tu me quittes, hélas !
IPHIGÉNIE
1535 Et tout ce que j’aimais. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Ne m’abandonne pas.
IPHIGÉNIE
Par des larmes sans gloire, 6+6 a
Crains de mon beau desseind’obscurcir la mémoire. 6+6 a
(On emmène Clytemnestre.)
SCÈNE IV
IPHIGÉNIE, LE VIEILLARD, LE CHŒUR
IPHIGÉNIE, au Chœur.
Et vous, femmes, quittantle deuil et les regrets, 6+6 a
Vous ferez retentirdes chants qui seront dignes 6+6 b
1540 D’Artémis au grand cœurqui lance au loin ses traits 6+6 a
Et parcourt sur un charClaros féconde en vignes. 6+6 b
sont les vases d’oret les libations ? 6+6 a
Que la flamme à l’autelconsume les offrandes ! 6+6 b
O rapide Artémis,qui règnes sur les monts, 6+6 a
1545 Je donne sans tremblerle sang que tu demandes. 6+6 b
Voici ma chevelureet mon front virginal, 6+6 a
Venez, couronnez-moide fleurs et de feuillage. 6+6 b
Jeunes femmes, frappezle sol d’un pas égal 6+6 a
En célébrant ma mortcomme un heureux présage. 6+6 b
1550 Je triomphe de Troieet fais tomber à bas 6+6 a
Sa forte citadelleet sa muraille antique, 6+6 b
Et pour fixer enfinla chance des combats, 6+6 a
J’efface de mon sangl’oracle prophétique. 6+6 b
O retraites d’Aulis,ô bords, golfe profond, 6+6 a
1555 Je vous devrai la gloire.Argos, ô ma patrie, 6+6 b
Pour un illustre exempleet ce destin, qui sont 6+6 a
Présents des immortels,Argos, tu m’as nourrie. 6+6 b
LE CHŒUR
Tes malheurs éclatants 6 a
Sur l’aile de la gloire,ô vierge à l’âme fière, 6+6 b
1560 Devanceront le temps. 6 a
IPHIGÉNIE
O Zeus ! Flambeau du jour,ô splendeur coutumière ! 6+6 b
Mon destin me réclame :adieu, belle lumière ! 6+6 b
(Elle sort, conduite par le vieillard.)
SCÈNE V
LE CHŒUR
UNE CHOREUTE
Devant les rois muetset le peuple étonné 6+6 a
S’approche de l’autel,dans la sainte prairie, 6+6 b
1565 Avec un cœur contentet le front couronné, 6+6 a
Celle qui va mourirpour venger sa patrie. 6+6 b
UNE AUTRE
Celle qui va mourir,offrande à son pays, 6+6 a
A reçu pour parersa beauté virginale, 6+6 b
Des plus charmantes fleursles nœuds épanouis, 6+6 a
1570 Et la main de son pèrea versé l’eau lustrale. 6+6 b
UNE AUTRE
Ô vierge, gloire à toi,qui marches sans trembler ! 6+6 a
Artémis cesserade nous être opposée, 6+6 b
Quand le prêtre aura faitsous le fer ruisseler 6+6 a
Des veines de ton corpsla sanglante rosée. 6+6 b
UNE AUTRE
1575 Ô toi qui, sans pleurerton âge florissant, 6+6 a
Sur le terrible autel,d’un pied ferme, t’avances, 6+6 b
Pour abattre Ilion,les gouttes de ton sang, 6+6 a
Noble vierge, serontplus fortes que les lances. 6+6 b
UNE AUTRE
Gloire à toi, gloire à toi,fille d’Agamemnon ! 6+6 a
UNE AUTRE
1580 Ta mort va t’acquérirun éternel renom. 6+6 a
LE CHŒUR
Fille de Zeus, déesse 6 a
Qui marches dans la nuit, 6 b
Que sur les monts sans cesse 6 a
Le meurtre réjouit ; 6 b
1585 Divine souveraine 6 a
Des retraites d’Aulis, 6 b
Je te salue, ô reine, 6 a
Artémis, Artémis ! 6 b
Vénérable, virile, 6 a
1590 Sœur d’Apollon archer 6 b
Enfanté dans une île 6 a
A l’ombre d’un palmier, 6 b
Je t’invoque et t’implore 6 a
Autant qu’il est permis, 6 b
1595 Et te salue encore, 6 a
Artémis, Artémis ! 6 b
UNE CHOREUTE
Je vois des boucliersau grand soleil reluire. 6+6 a
UNE AUTRE
Je vois de clairs rameauxbercés par le zéphire. 6+6 a
UNE AUTRE
Dans l’air et sur la mer,quelle éclatante paix ! 6+6 a
UNE AUTRE
1600 La nature souritaux malheurs, aux forfaits. 6+6 a
UNE AUTRE
Autour du temple règneun silence terrible ! 6+6 a
UNE AUTRE
Entends cette clameurencore plus horrible. 6+6 a
UNE AUTRE
C’en est fait.
UNE AUTRE
Ô destinfuneste et glorieux ! 6+6 a
UNE AUTRE
Oracle inexorable !
UNE AUTRE
Ô père furieux ! 6+6 a
UNE AUTRE
1605 De la vierge d’Argoss’achève le martyre. 6+6 a
UNE AUTRE
A présent, sur l’autel,Iphigénie expire. 6+6 a
LE CHŒUR
Renonce à ta fureur, 6 a
Viens, et sois-nous propice ; 6 b
Le sang du sacrifice 6 b
1610 A réjoui ton cœur ; 6 a
Déesse redoutable, 6 a
Guerrière à l’arc d’argent, 6 b
Viens, sois-nous à présent 6 b
Protectrice équitable. 6 a
1615 Laisse les vents souffler 6 a
Et qu’ils courent enfler 6 a
Nos voiles avec joie 6 a
Sur la route de Troie. 6 a
Contre les ennemis 6 a
1620 Accorde la victoire 6 b
A nos rois, et la gloire, 6 b
Artémis, Artémis. 6 a
SCÈNE VI
LE VIEILLARD, CLYTEMNESTRE, LE CHŒUR
LE VIEILLARD
O fille de Tyndare,ô mtresse chérie, 6+6 a
Hâte-toi d’écouterce qu’il faut que je die. 6+6 a
CLYTEMNESTRE, sortant du palais.
1625 J’accours toute tremblanteet pleine de terreur, 6+6 a
Car je crains d’ajouterencore à mon malheur. 6+6 a
LE VIEILLARD
Apaise ton tourment :ce que je vais t’apprendre, 6+6 a
Sans doute tu serasheureuse de l’entendre. 6+6 a
CLYTEMNESTRE
Va, ne diffère pluset parle sans tarder. 6+6 a
LE VIEILLARD
1630 Si mon esprit chétif,qui vient d’intimider 6+6 a
Du céleste pouvoirle certain témoignage, 6+6 a
Reine, ne trouble pasl’ordre de mon langage, 6+6 a
En reprenant les faitsà leur commencement, 6+6 a
J’en ferai le récitdigne d’étonnement. 6+6 a
1635 Donc, nous sommes venus,ta fille et moi son guide, 6+6 a
Dans les bois remplis d’ombreet sur les prés en fleurs 6+6 b
la fière déesseà son culte préside. 6+6 a
Agamemnon nous voit,et, pour cacher ses pleurs, 6+6 b
Dans un gémissementil détourne la tête. 6+6 a
1640 Mais ta fille, avançant,lui dit : « me voici prête, 6+6 a
Je l’ai bien résolu ;sans regret, sans émoi, 6+6 a
Je veux donner mes jourspour la Grèce et pour toi. 6+6 a
Sèche, sèche ces pleursdans tes yeux ô mon père ! 6+6 a
J’approche de l’autel,victime volontaire. 6+6 a
1645 Va couvrir d’un laurierton spectre fortuné 6+6 a
Et reviens sur les bords ton aïeul est né. 6+6 a
Sans que personne icime fasse violence, 6+6 a
Je tends au fer mon cou,d’un cœur ferme, en silence. » 6+6 a
Alors, tous, à ces mots,admirent la valeur, 6+6 a
1650 Ô reine, de ta filleet plaignent ton malheur. 6+6 a
Du prophète Calchasla figure assombrie 6+6 a
Domine l’assemblée,il se recueille, il prie. 6+6 a
Puis il place le glaiveaux tranchants acérés 6+6 a
Dans la corbeille d’orentre les grains sacrés, 6+6 a
1655 Et couronne le frontde la vierge immobile. 6+6 a
L’arbitre des combats,le magnanime Achille, 6+6 a
Dont le dessein hardicède à la volonté 6+6 a
Extrême de ta fille,a sur l’autel porté 6+6 a
L’eau lustrale, et la verse,et s’écrie : « ô déesse, 6+6 a
1660 Fille de Zeus,retentissantechasseresse, 4+4+4 a
Qui le fauve aux aboisperces d’un trait volant, 6+6 a
Qui roules dans la nuitton disque étincelant, 6+6 a
Reçois avec faveur,Artémis redoutable, 6+6 a
Ce pur sang d’une viergeet sois-nous secourable ! » 6+6 a
1665 Il dit, et tout autour,muets, en rang pressés, 6+6 a
Les chefs et les soldatstiennent leurs yeux baissés. 6+6 a
Le prêtre va saisirpar le pommeau le glaive ; 6+6 a
Pour frapper sûrementdéjà son bras se lève. 6+6 a
Cruelle attente, hélas !Ce bras levé, chacun 6+6 a
1670 Le fixait malgré luidans un effroi commun. 6+6 a
Enfin le bruit du couprésonne à notre oreille. 6+6 a
Mais, ô divin prodige,incroyable merveille ! 6+6 a
Comment et dans quel lieus’en fut-il retiré, 6+6 a
Le beau corps virginalque nous avions pleuré ? 6+6 a
1675 Une biche était là,sur l’autel étendue, 6+6 a
Énorme de sa taille,agréable à la vue ; 6+6 a
Ses membres palpitaientencore et de son flanc 6+6 a
Avec profusioncoulait un flot sanglant. 6+6 a
De la foule à l’instantmonte une clameur grande ; 6+6 a
1680 Mais le devin, debout,de se taire commande : 6+6 a
« Chefs alliés, dit-il,soldats et nautoniers, 6+6 a
D’un courroux immortelsur ces bords prisonniers, 6+6 a
Voyez comme Artémis,sans vouloir davantage, 6+6 a
Sans se souiller en vaind’un sang trop généreux, 6+6 b
1685 Immole sur l’autelcette biche sauvage ; 6+6 a
La déesse Artémisvient d’exaucer nos vœux. 6+6 b
Courez tous aux vaisseauxet saisissez la rame : 6+6 a
Le ciel accorde enfinla perte de Pergame. 6+6 a
Dans les golfes d’Aulistrop longtemps retenus, 6+6 a
1690 Aujourd’hui nous fendonsles vastes flots chenus. » 6+6 a
Ainsi parla Calchas.Par cet heureux miracle, 6+6 a
Les dieux ont rachetéleur détestable oracle. 6+6 a
Je quitte Agamemnon,je viens te faire part, 6+6 a
Noble reine d’Argos,de son prochain départ 6+6 a
1695 Et t’apprendre commentta fille bien-aimée 6+6 a
Obtient un beau destinavec la renommée. 6+6 a
Ma bouche est véridiqueet j’ai mis tout mon soin 6+6 a
A rapporter ces faitsdont je parle en témoin. 6+6 a
Certes, ta fille vitparmi les dieux. ô reine, 6+6 a
1700 Pardonne à ton épouxet modère ta peine. 6+6 a
(Clytemnestre demeure anxieuse.)
LE CHŒUR
Vers la terre est tourné,reine, ton front pesant, 6+6 a
Hélas ! Et dans ton âme 6 b
Combattue à l’excès,la cendre est à présent, 6+6 a
Et bientôt, c’est la flamme. 6 b
1705 Est-ce un solide bien,ce que tu viens d’ouïr ? 6+6 a
N’est-ce qu’une ombre feinte ? 6 b
Du sort de ton enfantvas-tu te réjouir 6+6 a
Ou redoubler ta plainte ? 6 b
Rappelle, ô cœur meurtri,ton sourire exilé ! 6+6 a
1710 Il faut que l’homme sache 6 b
Que malgré la raison,sous le ciel étoilé, 6+6 a
Plus d’un secret se cache. 6 b
CLYTEMNESTRE
De quel nom t’appeler,ma fille, en ce moment ? 6+6 a
Afin de commencerune nouvelle vie, 6+6 b
1715 Serait-ce vrai, ma fille,un dieu t’a donc ravie ? 6+6 b
Ou, par ce faux discours,d’un vain contentement 6+6 a
Abuse-t-on ma peineet mon cruel tourment ? 6+6 a
LE VIEILLARD
Voici le roi qui vient.Il dira que mon zèle 6+6 a
A rapporté les faitsdans un récit fidèle. 6+6 a
SCÈNE VII
LES MÊMES, AGAMEMNON
AGAMEMNON
1720 Rendons grâces, ô femme,à la Divinité, 6+6 a
D’être venue en aideà tant d’adversité : 6+6 a
Parmi les Immortelsséjourne Iphigénie. 6+6 a
Que la crainte à jamaisde nos cœurs soit bannie ! 6+6 a
De ta suite escortée,avec ton jeune fils, 6+6 a
1725 Regagne ton foyer,quittant les bords d’Aulis. 6+6 a
L’armée est toute prêteà naviguer vers Troie 6+6 a
Et le ciel plus clémentnous en ouvre la voie. 6+6 a
Le temps de mon retoursera long à venir ; 6+6 a
Puisse un sort favorableenfin nous réunir ! 6+6 a
NOTE
SUR LA MISE EN SCÈNE
Les chants du Chœur peuvent être à volonté partagés, entre deux, trois ou plusieurs choreutes. Dans les théâtres où l’on ne pourra faire venir un char sur la scène, le début de la scène II du deuxième acte est à modifier ainsi qu’il suit ;
CLYTEMNESTRE entre accompagnée d’Iphigénie.
Cet accueil bienveillant, cet aimable langage Dont vous nous saluez nous sont un bon présage. Oui, je l’espère ainsi, car tout, en ce moment, Ce qui frappe mes yeux et mon contentement. Me dit que la fortune, à nous plaire empressée. Appelle dans Aulis la jeune fiancée. (Aux femmes de sa suite.) Vous qui m’avez suivie en cette occasion Loin d’Argos, sur ces bords avec précaution, Faites sortir du char les présents qu’à ma fille Donne pour son hymen son heureuse famille. (S’adressant à la cantonade.) Rassurez les chevaux, vous tenant devant eux : Ils sont jeunes encore et bien vite ombrageux. (On apporte sur la scène le petit Oreste, que Clytemnestre prend dans ses bras.) O fils d’Agamemnon, eh quoi ! tu dors ? Écoute… Etc.
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