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MOLIÈRE
(Jean-Baptiste de Poquelin)
POÉSIES DIVERSES
1663-1672
LA GLOIRE DU VAL-DE-GRACE
Digne fruit de vingt ans de travaux somptüeus ; 6+6 a
Auguste Bastiment, Temple majestüeus, 6+6 a
Dont le Dôme superbe, élevé dans la nue, 6+6 b
Pare du grand Paris la magnifique veue, 6+6 b
5 Et, parmi tant d'objets semez de toutes parts, 6+6 a
Du Voyageur surpris prend les premiers regards, 6+6 a
Fais briller à jamais, dans ta noble richesse, 6+6 b
La splendeur du saint vœu d'une grande Princesse, 6+6 b
Et porte un témoignage à la Postérité 6+6 a
10 De Sa Magnificence et de sa Piété ; 6+6 a
Conserve à nos Neveux une montre ridelle 6+6 b
Des exquises beautez que tu tiens de son zèle, 6+6 b
Mais défens bien sur-tout de l'injure des ans 6+6 a
Le Chef-d'œuvre fameux de ses riches Présens, 6+6 a
15 Cet éclatant morceau de sçavante Peinture, 6+6 b
Dont elle a couronné ta noble Architecture ; 6+6 b
C'est le plus bel effet des grands soins qu'Elle a pris, 6+6 a
Et ton marbre et ton or ne sont point de ce pris. 6+6 a
Toy, qui dans cette Coupe, à ton vaste génie 6+6 b
20 Comme un ample théâtre heureusement fournie, 6+6 b
Es venu déployer les précieus trésors 6+6 a
Que le Tibre t'a veu ramasser sur ses bords ; 6+6 a
Dy-nous, fameux Mignard, par qui te sont versées 6+6 b
Les charmantes beautez de tes nobles pensées ; 6+6 b
25 Et dans quel fonds tu prens cette variété, 6+6 a
Dont l'esprit est surpris, et l'œil est enchanté. 6+6 a
Dy-nous quel feu divin, dans tes fécondes veilles ; 6+6 b
De tes expressions enfante les merveilles, 6+6 b
Quels charmes ton pinceau répand dans tous ses traits, 6+6 a
30 Quelle force il y mesle à ses plus doux attraits, 6+6 a
Et quel est ce pouvoir, qu'au bout des doigts tu portes, 6+6 b
Qui fait faire à nos yeux vivre des choses mortes, 6+6 b
Et, d'un peu de mélange et de bruns et de clairs, 6+6 a
Rendre esprit la couleur, et les pierres des chairs. 6+6 a
35 Tu te tais, et prétens que ce sont des matières 6+6 b
Dont tu dois nous cacher les scavantes lumières, 6+6 b
Et que ces beaux secrets, à tes travaux vendus, 6+6 a
Te coustent un peu trop pour estre répandus ; 6+6 a
Mais ton Pinceau s'explique, et trahit ton silence ; 6+6 b
40 Malgré toy, de ton art il nous fait confidence, 6+6 b
Et, dans ses beaux efforts à nos yeux étalez, 6+6 a
Les mystères profonds nous en sont révélez. 6+6 a
Une pleine lumière icy nous est offerte, 6+6 b
Et ce Dôme pompeux est une École ouverte, 6+6 b
45 Où l'ouvrage, faisant l'office de la voix, 6+6 a
Dicte de ton grand Art les souveraines loix. 6+6 a
Il nous dit fortement les trois nobles Parties* 6+6 b
Qui rendent d'un Tableau les beautés assorties, 6+6 b
Et dont, en s'unissant, les talens relevez 6+6 a
50 Donnent à l'Univers les Peintres achevez. 6+6 a
Mais des trois, comme Reine, il nous expose celle** 6+6 b
Que ne peut nous donner le travail, ny le zèle, 6+6 b
Et qui, comme un présent de la faveur des Cieux, 6+6 a
Est du nom de Divine appelée en tous lieux ; 6+6 a
55 Elle, dont l'essor monte au-dessus du tonnerre, 6+6 b
Et sans qui l'on demeure à ramper contre terre, 6+6 b
Qui meut tout, règle tout, en ordonne à son choix, 6+6 a
Et des deux autres mène et régit les emplois. 6+6 a
Il nous enseigne à prendre une digne matière, 6+6 b
60 Qui donne au feu du Peintre une vaste carrière, 6+6 b
Et puisse recevoir tous les grands ornemens, 6+6 a
Qu'enfante un beau Génie en ses accouchemens, 6+6 a
Et dont la Poésie et sa Sœur, la Peinture, 6+6 b
Parent l'instruction de leur docte imposture ; 6+6 b
65 Composent avec art ces attraits, ces douceurs, 6+6 a
Qui font à leurs leçons un passage en nos cœurs ; 6+6 a
Et par qui, de tout temps, ces deux Sœurs si pareilles 6+6 b
Charment, l'une les yeux, et l'autre les oreilles. 6+6 b
Mais il nous dit de fuir un discord apparent 6+6 a
70 Du lieu que l'on nous donne, et du sujet qu'on prend, 6+6 a
Et de ne point placer dans un Tombeau des Festes, 6+6 b
Le Ciel contre nos piez, et l'Enfer sur nos testes. 6+6 b
Il nous apprend à faire, avec détachement, 6+6 a
De groupes contrastez un noble ageancement, 6+6 a
75 Qui, du champ du Tableau fasse un juste partage 6+6 b
En conservant les bords un peu légers d'ouvrage, 6+6 b
N'ayant nul embarras, nul fracas vicieux 6+6 a
Qui rompe ce repos si fort amy des yeux ; 6+6 a
Mais où, sans se presser, le groupe se rassemble 6+6 b
80 Et forme un doux concert, fasse un beau tout-ensemble, 6+6 b
Où rien ne soit à l'œil mandié, ny redit, 6+6 a
Tout s'y voyant tiré d'un vaste fonds d'esprit, 6+6 a
Assaisonné du sel de nos grâces antiques, 6+6 b
Et non du fade goust des ornemens Gothiques ; 6+6 b
85 Ces monstres odieux des siècles ignorans, 6+6 a
Que de la Barbarie ont produit les torrens, 6+6 a
Quand leur cours, inondant presque toute la Terre, 6+6 b
Fit à la Politesse une mortelle guerre 6+6 b
Et, de la grande Rome abbatant les remparts, 6+6 a
90 Vint, avec son empire, étouffer les Beaux-Arts. 6+6 a
Il nous montre à poser, avec noblesse et grâce, 6+6 b
La première Figure à la plus belle place, 6+6 b
Riche d'un agrément, d'un brillant de grandeur 6+6 a
Qui s'empare d'abord des yeux du Spectateur ; 6+6 a
95 Prenant un soin exact que, dans tout son ouvrage, 6+6 b
Elle joue aux regards le plus beau personnage, 6+6 b
Et que, par aucun rôle, au spectacle placé, 6+6 a
Le Héros du Tableau ne se voye effacé. 6+6 a
Il nous enseigne à fuir les ornemens débiles 6+6 b
100 Des épisodes froids et qui sont inutiles ; 6+6 b
A donner au sujet toute sa vérité ; 6+6 a
A lui garder par tout pleine fidélité, 6+6 a
Et ne le point porter à prendre de licence, 6+6 b
A moins qu'à des beautez elle donne naissance. 6+6 b
105 Il nous dicte amplement les leçons du Dessein***, 6+6 a
Dans la manière Grecque, et dans le goust Romain ; 6+6 a
Le grand choix du beau vray, de la belle nature, 6+6 b
Sur les restes exquis de l'antique sculpture, 6+6 b
Qui, prenant d'un sujet la brillante beauté, 6+6 a
110 En sçavoit séparer la foible vérité, 6+6 a
Et, formant de plusieurs une beauté parfaite, 6+6 b
Nous corrige par l'Art la Nature qu'on traite. 6+6 b
Il nous explique à fond, dans ses instructions, 6+6 a
L'union de la Grâce et des Proportions ; 6+6 a
115 Les Figures par tout doctement dégradées, 6+6 b
Et leurs extrémitez soigneusement gardées ; 6+6 b
Les contrastes sçavans des membres agroupez, 6+6 a
Grands, nobles, étendus, et bien dévelopez, 6+6 a
Balancez sur leur centre, en beautés d'attitude 6+6 b
120 Tous formez l'un pour l'autre avec exactitude, 6+6 b
Et n'offrant point aux yeux ces galimathias 6+6 a
Où la teste n'est point de la jambe, ou du bras ; 6+6 a
Leur juste attachement aux lieux qui les font naistre, 6+6 b
Et les muscles, touchez autant qu'ils doivent l'estre ; 6+6 b
125 La beauté des contours observez avec soin, 6+6 a
Point durement traitez, amples, tirez de loin, 6+6 a
Inégaux, ondoyans, et tenans de la flâme, 6+6 b
Afin de conserver plus d'action et d'âme ; 6+6 b
Les nobles airs de tête amplement variez, 6+6 a
130 Et tous au caractère amplement mariez. 6+6 a
Et c'est-là qu'un grand Peintre, avec pleine largesse, 6+6 b
D'une féconde idée étale la richesse, 6+6 b
Faisant briller par tout de la diversité, 6+6 a
Et ne tombant jamais dans un air répété. 6+6 a
135 Mais un Peintre commun trouve une peine extrême 6+6 b
A sortir, dans ses airs, de l'amour de soy-mesme ; 6+6 b
De redites sans nombre il fatigue les yeux, 6+6 a
Et, plein de son image, il se peint en tous lieux. 6+6 a
Il nous enseigne aussi les belles draperies, 6+6 b
140 De grands plis bien jetez suffisamment nourries, 6+6 b
Dont l'ornement aux yeux doit conserver le nû, 6+6 a
Mais qui, pour le marquer, soit un peu retenu, 6+6 a
Qui ne s'y colle point, mais en suive la grâce, 6+6 b
Et, sans la serrer trop, la caresse et l'embrasse. 6+6 b
145 Il nous montre à quel air, dans quelles actions 6+6 a
Se distinguent à l'œil toutes les passions ; 6+6 a
Les mouvemens du cœur, peints, d'une adresse extrême, 6+6 b
Par des gestes puisez dans la passion mesme, 6+6 b
Bien marquez pour parler, appuyés, forts et nets ; 6+6 a
150 Imitans en vigueur les gestes des Muets, 6+6 a
Qui veulent réparer la voix que la Nature 6+6 b
Leur a voulu nier ainsi qu'à la Peinture. 6+6 b
Il nous étale enfin les mystères exquis 6+6 a
De la belle Partie où triompha Zeuxis**** 6+6 a
155 Et qui, le revestant d'une gloire immortelle, 6+6 b
Le fit aller du pair avec le grand Apelle ; 6+6 b
L'union, les concerts, et les tons des couleurs, 6+6 a
Contrastes, amitiez, ruptures et valeurs, 6+6 a
Qui font les grands effets, les fortes impostures, 6+6 b
160 L'achèvement de l'Art, et l'âme des Figures. 6+6 b
Il nous dit clairement dans quel choix le plus beau 6+6 a
On peut prendre le jour et le champ du Tableau ; 6+6 a
Les distributions et d'ombre, et de lumière, 6+6 b
Sur chacun des objets et sur la masse entière ; 6+6 b
165 Leur dégradation dans l'espace de l'air 6+6 a
Par les tons différens de l'obscur et du clair, 6+6 a
Et quelle force il faut aux objets mis en place 6+6 b
Que l'approche distingue et le lointain efface ; 6+6 b
Les gracieux repos que, par des soins communs, 6+6 a
170 Les bruns donnent aux clairs, comme les clairs aux bruns ; 6+6 a
Avec quel agrément d'insensible passage 6+6 b
Doivent ces opposez entrer en assemblage ; 6+6 b
Par quelle douce cheute ils doivent y tomber, 6+6 a
Et, dans un milieu tendre, aux yeux se dérober ; 6+6 a
175 Ces fonds officieux qu'avec art on se donne, 6+6 b
Qui reçoivent si bien ce qu'on leur abandonne ; 6+6 b
Par quels coups de pinceau, formant de la rondeur, 6+6 a
Le Peintre donne au plat le relief du Sculpteur ; 6+6 a
Quel adoucissement des teintes de lumière 6+6 b
180 Fait perdre ce qui tourne et le chasse derrière, 6+6 b
Et comme, avec un champ fuyant, vague et léger, 6+6 a
La fierté de l'obscur sur la douceur du clair, 6+6 a
Triomphant de la toile, en tire avec puissance 6+6 b
Les Figures que veut garder sa résistance, 6+6 b
185 Et, malgré tout l'effort qu'elle oppose à ses coups, 6+6 a
Les détache du fond, et les amesne à nous. 6+6 a
Il nous dit tout cela, ton admirable ouvrage ; 6+6 b
Mais, illustre Mignard, n'en prens aucun ombrage, 6+6 b
Ne crains pas que ton art, par ta main découvert, 6+6 a
190 A marcher sur tes pas tienne un chemin ouvert, 6+6 a
Et que de ses leçons les grands et beaux oracles 6+6 b
Élèvent d'autres mains à tes doctes miracles. 6+6 b
Il y faut des talens que ton mérite joint, 6+6 a
Et ce sont des secrets qui ne s'apprennent point. 6+6 a
195 On n'acquiert point, Mignard, par les soins qu'on se donne 6+6 b
Trois choses, dont les dons brillent dans ta personne, 6+6 b
Les passions, la grâce, et les tons de couleur, 6+6 a
Qui des riches Tableaux font l'exquise valeur ; 6+6 a
Ce sont présens du Ciel, qu'on voit peu qu'il assemble, 6+6 b
200 Et les Siècles ont peine à les trouver ensemble. 6+6 b
C'est par-là qu'à nos yeux nuls travaux enfantez 6+6 a
De ton noble travail n'atteindront les beautez ; 6+6 a
Malgré tous les pinceaux, que ta Gloire réveille, 6+6 b
Il sera de nos jours la fameuse merveille, 6+6 b
205 Et des bouts de la Terre, en ces superbes lieux, 6+6 a
Attirera les pas des sçavans curieux. 6+6 a
O vous, dignes objets de la noble tendresse 6+6 b
Qu'a fait briller pour vous cette Auguste Princesse, 6+6 b
Dont au grand Dieu naissant, au véritable Dieu, 6+6 a
210 Le zèle magnifique a consacré ce lieu, 6+6 a
Purs Esprits, où du Ciel sont les grâces infuses, 6+6 b
Beaux temples des Vertus, admirables Recluses, 6+6 b
Qui, dans votre retraite, avec tant de ferveur, 6+6 a
Meslez parfaitement la retraite du cœur, 6+6 a
215 Et, par un choix pieux hors du Monde placées, 6+6 b
Ne détachez vers luy nulle de vos pensées, 6+6 b
Qu'il vous est cher d'avoir sans cesse devant vous 6+6 a
Ce tableau de l'objet de vos vœux les plus doux ; 6+6 a
D'y nourrir par vos yeux les précieuses flâmes 6+6 b
220 Dont si fidellement brûlent vos belles âmes ; 6+6 b
D'y sentir redoubler l'ardeur de vos désirs ; 6+6 a
D'y donner à toute heure un encens de soupirs, 6+6 a
Et d'embrasser du cœur une image si belle 6+6 b
Des célestes beautés de la Gloire éternelle, 6+6 b
225 Beautés qui dans leurs fers tiennent vos libertez, 6+6 a
Et vous font mépriser toutes autres beautez ! 6+6 a
Et toi, qui fus jadis la Maistresse du Monde, 6+6 b
Docte et fameuse École, en raretez féconde, 6+6 b
Où les Arts déterrez ont, par un digne effort, 6+6 a
230 Réparé les dégâts des Barbares du Nort, 6+6 a
Source des beaux débris des siècles mémorables, 6+6 b
O Rome, qu'à tes soins nous sommes redevables 6+6 b
De nous avoir rendu, façonné de ta main, 6+6 a
Ce grand Homme, chez toy devenu tout Romain, 6+6 a
235 Dont le pinceau célèbre, avec magnificence, 6+6 b
De ses riches travaux vient parer nostre France, 6+6 b
Et dans un noble lustre y produire à nos yeux 6+6 a
Cette belle Peinture inconnue en ces lieux, 6+6 a
La Fresque, dont la grâce à l'autre préférée 6+6 b
240 Se conserve un éclat d'éternelle durée, 6+6 b
Mais dont la promptitude et Tes brusques fiertez 6+6 a
Veulent un grand génie à toucher ses beautez ! 6+6 a
De l'autre, qu'on connoist, la traittable méthode 6+6 b
Aux foiblesses d'un Peintre aisément s'accomode ; 6+6 b
245 La paresse de l'huile, allant avec lenteur, 6+6 a
Du plus tardif génie attend la pesanteur ; 6+6 a
Elle sçait secourir, par le temps qu'elle donne, 6+6 b
Les faux pas que peut faire un pinceau qui tâtonne ; 6+6 b
Et, sur cette peinture, on peut, pour faire mieux, 6+6 a
250 Revenir, quand on veut, avec de nouveaux yeux. 6+6 a
Cette commodité de retoucher l'ouvrage 6+6 b
Aux peintres chancelans est un grand avantage, 6+6 b
Et, ce qu'on ne fait pas en vingt fois qu'on reprend, 6+6 a
On le peut faire en trente, on le peut faire en cent. 6+6 a
255 Mais la Fresque est pressante, et veut, sans complaisance 6+6 b
Qu'un Peintre s'accommode à son impatience, 6+6 b
La traitte à sa manière et d'un travail soudain, 6+6 a
Saisisse le moment qu'elle donne à sa main. 6+6 a
La sévère rigueur de ce moment, qui passe, 6+6 b
260 Aux erreurs d'un pinceau ne fait aucune grâce ; 6+6 b
Avec elle il n'est point de retour à tenter, 6+6 a
Et tout au premier coup se doit exécuter. 6+6 a
Elle veut un esprit où se rencontre unie 6+6 b
La pleine connoissançe avec le grand génie, 6+6 b
265 Secouru d'une main propre à le seconder, 6+6 a
Et, maistresse de l'Art jusqu'à le gourmander ; 6+6 a
Une main prompte à suivre un beau feu qui la guide ; 6+6 b
Et dont, comme un éclair, la justesse rapide 6+6 b
Répande dans ses fonds, à grands traits non tastez, 6+6 a
270 De ses expressions les touchantes beautez. 6+6 a
C'est par là que la Fresque, éclatante de gloire, 6+6 b
Sur les honneurs de l'autre emporte la victoire, 6+6 b
Et que tous les sçavans, en Juges délicats, 6+6 a
Donnent la préférence à ses masles appas. 6+6 a
275 Cent doctes mains chez elle ont cherché la louange ; 6+6 b
Et Jules, Annibal, Raphaël, Michel-Ange, 6+6 b
Les Mignards de leur Siècle, en illustres rivaux, 6+6 a
Ont voulu par la Fresque ennoblir leurs travaux. 6+6 a
Nous la voyons ici doctement revestue 6+6 b
280 De tous les grands attraits qui surprennent la veue. 6+6 b
Jamais rien de pareil n'a paru dans ces lieux, 6+6 a
Et la belle inconnue a frappé tous les yeux. 6+6 a
Elle a non-seulement, par ses grâces fertiles, 6+6 b
Charmé du grand Paris les connoisseurs habiles, 6+6 b
285 Et touché de la Cour le beau monde scavant ; 6+6 a
Ses miracles encor ont passé plus avant, 6+6 a
Et, de nos Courtisans les plus légers d'étude 6+6 b
Elle a pour quelque temps fixé l'inquiétude, 6+6 b
Arresté leur esprit, attaché leurs regards, 6+6 a
290 Et fait descendre en eux quelque goût des Beaux-Arts. 6+6 a
Mais ce qui, plus que tout, élève son mérite, 6+6 b
C'est de l'Auguste Roy l'éclatante visite, 6+6 b
Ce Monarque, dont l'âme aux grandes qualités 6+6 a
Joint un goût délicat des sçavantes beautez,- 6+6 a
295 Qui, séparant le bon d'avec son apparence, 6+6 b
Décide sans erreur et loue avec prudence ; 6+6 b
LOUIS, le grand LOUIS, dont l'esprit souverain 6+6 a
Ne dit rien au hazard, et voit tout d'un œil sain, 6+6 a
A versé de sa bouche à ses grâces brillantes 6+6 b
300 De deux précieux mots les douceurs chatouillantes, 6+6 b
Et l'on sçait qu'en deux mots ce Roy judicieux, 6+6 a
Fait des plus beaux travaux l'éloge glorieux. 6+6 a
Colbert, dont le bon goust suit celuy de son Maistre, 6+6 b
A senty mesme charme, et nous le fait paroistre. 6+6 b
305 Ce vigoureus génie, au travail si constant, 6+6 a
Dont la vaste prudence à tous emplois s'étend, 6+6 a
Qui, du choix souverain, tient, par son haut mérite, 6+6 b
Du Commerce et des Arts la suprême conduite, 6+6 b
A d'une noble idée enfanté le dessein 6+6 a
310 Qu'il confie aux talens de cette docte main, 6+6 a
Et dont il veut par elle attacher la richesse 6+6 b
Aux sacrés murs du Temple, où son cœur s'intéresse*****. 6+6 b
La voilà, cette main, qui se met en chaleur ; 6+6 a
Elle prend les pinceaux, trace, étend la couleur, 6+6 a
315 Empaste, adoucit, touche, et ne fait nulle pause. 6+6 b
Voilà qu'elle a finy ; l'Ouvrage aux yeux s'expose 6+6 b
Et nous y découvrons, aux yeux des grans experts, 6+6 a
Trois miracles de l'Art en trois tableaux divers. 6+6 a
Mais, parmy cent objets d'une beauté touchante, 6+6 b
320 Le Dieu porte au respect, et n'a rien qui n'enchante, 6+6 b
Rien, en grâce, en douceur, en vive majesté, 6+6 a
Qui ne présente à l'œil une Divinité ; 6+6 a
Elle est toute en ces traits si brillans de noblesse ; 6+6 b
La grandeur y paraît, l'équité, la sagesse, 6+6 b
325 La bonté, la puissance ; enfin ces traits font voir 6+6 a
Ce que l'esprit de l'homme a peine à concevoir. 6+6 a
Poursuis, ô grand Colbert, à vouloir, dans la France, 6+6 b
Des Arts que tu régis établir l'excellence, 6+6 b
Et donne à ce projet, et si grand et si beau, 6+6 a
330 Tous les riches momens d'un si docte pinceau. 6+6 a
Attache à des travaux, dont l'éclat te renomme, 6+6 b
Le reste précieux des jours de ce grand Homme. 6+6 b
Tels Hommes rarement se peuvent présenter, 6+6 a
Et, quand le Ciel les donne, il faut en profiter. 6+6 a
335 De ces mains, dont les Temps ne sont guère prodigues, 6+6 b
Tu dois à l'Univers les sçavantes fatigues ; 6+6 b
C'est à ton ministère à les aller saisir 6+6 a
Pour les mettre aux emplois que tu peus leur choisir, 6+6 a
Et, pour ta propre gloire, il ne faut point attendre 6+6 b
340 Qu'elles viennent t'offrir ce que ton choix doit prendre. 6+6 b
Les grands hommes, Colbert, sont mauvais Courtisans. 6+6 a
Peu faits à s'acquitter des devoirs complaisans, 6+6 a
A leurs réflexions tout entiers ils se donnent, 6+6 b
Et ce n'est que par-là qu'ils se perfectionnent. 6+6 b
345 L'Étude et la Visite ont leurs talens à part ; 6+6 a
Qui se donne à la Cour, se dérobe à son Art ; 6+6 a
Un esprit partagé rarement s'y consomme, 6+6 b
Et les emplois de feu demandent tout un homme. 6+6 b
Ils ne sauraient quitter les soins de leur mestier 6+6 a
350 Pour aller chaque jour fatiguer ton Portier, 6+6 a
Ny, par-tout près de toy, par d'assidus hommages, 6+6 b
Mandier des prosneurs les éclatans suffrages ; 6+6 b
Cet amour de travail, qui toujours règne en eux, 6+6 a
Rend à tous autres soins leur esprit paresseux, 6+6 a
355 Et tu dois consentir à cette négligence 6+6 b
Qui de leurs beaux talens te nourrit l'excellence. 6+6 b
Souffre que, dans leur Art s'avançant chaque jour, 6+6 a
Par leurs Ouvrages seuls ils te fassent leur cour. 6+6 a
Leur mérite à tes yeux y peut assez paroistre ; 6+6 b
360 Consultes-en ton goust, il s'y connoist en maistre, 6+6 b
Et te dira toujours pour l'honneur de ton choix, 6+6 a
Sur qui tu dois verser l'éclat des grands emplois. 6+6 a
C'est ainsi que des Arts la renaissante gloire 6+6 b
De tes illustres soins ornera la mémoire ; 6+6 b
365 Et que ton nom, porté dans cent travaux pompeux, 6+6 a
Passera triomphant à nos derniers Neveux. 6+6 a
L'Invention, Dessein et Coloris.
** L'Invention, première partie de la Peinture.
*** II. Le Dessein, seconde partie de la Peinture.
**** III. Le Coloris, troisième partie de la Peinture.
***** Saint-Eustache.
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
schéma : 183((aa))
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