Métrique en Ligne
a voyelle stable
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e "e" masculin
e "e" féminin
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e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
MND_1/MND9
Louis MÉNARD
Poëmes
1855
EUPHORION
Prologue
Aux royaumes du vide, où l'antique sibylle 6+6 a
Conduisit par la main le héros de Virgile, 6+6 a
S'étendent, près du Styx, les vagues profondeurs 6+6 b
Du séjour sans soleil qu'on nomme Champ des pleurs. 6+6 b
5 Là, sous un bois de myrte, eu des routes discrètes, 6+6 c
Ceux que l'amour brûla de ses fièvres secrètes 6+6 c
Vont fuyant sans repos, même à travers la mort, 6+6 d
L'aiguillon d'un désir qui jamais ne s'endort. 6+6 d
Les amants, le cœur plein de molles lassitudes, 6+6 e
10 S'égarent deux à deux au fond des solitudes. 6+6 e
Leur rêve les épuise, et de la volupté 6+6 f
Renaissent les désirs pendant l'éternité. 6+6 f
Il en est qui, brûlés de soifs inextinguibles, 6+6 g
Appellent, haletants, des amours impossibles ; 6+6 g
15 Les uns, pensifs et seuls, cœurs à l'espoir fermés, 6+6 h
Car ils ont autrefois aimé sans être aimés ; 6+6 h
D'autres, plus délaissés et plus tristes encore, 6+6 i
Exilés de l'amour qu'un souvenir dévore, 6+6 i
Pâles de jalousie, évoquent à la fois 6+6 j
20 Tous les spectres pleurés du bonheur d'autrefois. 6+6 j
Plus loin passe, pareil aux vagues soulevées, 6+6 k
Le funèbre troupeau des âmes énervées, 6+6 k
Qui, dispersant leur cœur en changeantes amours, 6+6 l
D'un parjure éternel déshonorent leurs jours. 6+6 l
25 Ce que cette forêt cache dans ses retraites 6+6 c
De sanglots étouffés et de douleurs muettes, 6+6 c
Ceux-là seuls le sauront qui portent dans leurs cœurs 6+6 b
Les frissons de l'amour et ses mornes langueurs. 6+6 b
C'est là qu'Achille vit errer parmi les âmes 6+6 m
30 Hélène aux pieds d'argent, la plus belle des femmes, 6+6 m
Et le lugubre Hadès, ému de leur beauté, 6+6 f
Réveilla les torpeurs de sa stérilité. 6+6 f
Euphorion naquit dans les champs d'asphodèles ; 6+6 n
Sur sou dos arrondi s'ouvraient deux blanches ailes ; 6+6 n
35 Hélène le plongea dans le fleuve des pleurs, 6+6 b
Puis invoqua pour lui les dieux inférieurs : 6+6 b
Hadès, Persephoné, divinités funèbres, 6+6 o
Qui régnez au milieu des immenses ténèbres, 6+6 o
Séjour d'horreur pour les mortels ; 8 p
40 Puisse, dans tous les champs et dans toutes les villes, 6+6 q
Le sang des agneaux noirs et des vaches stériles 6+6 q
Rougir vos lugubres autels ! 8 p
Par vous, seule entre tous les morts, objet d'envie, 6+6 r
L'amour dans mes flancs d'ombre a fait germer la vie ; 6+6 r
45 Mais que sert-elle aux sombres bords, 8 s
Loin du soleil, et loin de la douce lumière, 6+6 t
Au séjour lamentable où voltige, légère, 6+6 t
La foule innombrable des morts ? 8 s
Aux airs supérieurs que votre souffle emporte 6+6 u
50 Mou fils ; ouvrez pour lui l'inexorable porte 6+6 u
De vos royaumes ténébreux ; 8 v
Offre ton sein fécond à sa lèvre ravie, 6+6 r
O Terre aux larges flancs, source de toute vie, 6+6 r
Mère antique des dieux heureux ! 8 v
55 Mais avant tous les dieux je t'implore et t'adjure, 6+6 w
Éros, toi dont l'esprit plane sous l'ombre obscure 6+6 w
Du bois de myrte où nous rêvons ; 8 x
O le plus beau des dieux ! dompteur de toutes choses, 6+6 y
Appelle autour de lui tes zéphyrs et tes roses, 6+6 y
60 Et tes parfums et tes chansons. 8 x
Elle dit : à sa voix frissonne l'eau d'opale 6+6 z
Du ruisseau qui serpente à travers le bois pâle, 6+6 z
Et deux adolescents, sortant des flots ouverts, 6+6 a
S'avancent à la fois parmi les myrtes verts. 6+6 a
65 C'étaient les deux esprits de l'amour, et la Grèce 6+6 b
Qui leur donna pour mère une même déesse, 6+6 b
Parmi ses plus beaux noms de dieux et de héros, 6+6 c
Choisit pour eux les noms d'Éros et d'Antéros. 6+6 c
L'un secoue en riant sa chevelure blonde 6+6 d
70 Tout emperlée encor des frais baisers de l'onde : 6+6 d
C'est lui que tout amant, tout poète a chanté, 6+6 f
L'amour, qui révéla l'éternelle beauté. 6+6 f
L'autre, dont les cheveux sont noirs comme les ailes, 6+6 n
Voilant de longs cils noirs 1'éclat de ses prunelles, 6+6 n
75 Suit son frère : l'amour qui n'est pas partagé 6+6 f
Est par lui tôt ou tard et sûrement vengé. 6+6 f
ÉROS
Oui, ton fils avec moi passera l'onde amère, 6+6 t
Fille de Léda, que chérit ma mère. 5+5 t
Tous les bonheurs, enfant, vont naître sous tes pas ; 6+6 e
80 Va, la vie est belle et t'ouvre ses bras. 5+5 e
Volant à ton gré sur tous les rivages, 5+5 f
Tu pourras remonter et descendre les âges ; 6+6 f
Car tu naquis loin du monde, en dehors 5+5 s
De l'espace et du temps, impuissants sur les morts. 6+6 s
ANTÉROS
85 Hélas ! quel avenir t'attend, ô fils d Hélène ! 6+6 g
Au monde idéal ton destin t'enchaîne ; 5+5 g
Le bonheur delà terre en vain t'appellera, 6+6 h
Toujours ton orgueil le repoussera. 5+5 h
Tu mépriseras l'amour de Zeus même ; 5+5 i
90 Mais, comme les Titans, dans un combat suprême 6+6 i
Vaincu, foudroyé, tu retomberas 5+5 e
Sous les débris du monde ébranlé par tes bras. 6+6 e
I
Salut, Himalaya, berceau des premiers âges, 6+6 f
Dont le front, par delà le plus haut des nuages, 6+6 f
95 Loin, bien loin dans l'éther immobile et dormant, 6+6 j
Sur les grands horizons règne éternellement ! 6+6 j
O géant, roi des monts, de quel orgueil sublime 6+6 k
S'enfle ton cœur de dieu, quand, de la blanche cime, 6+6 k
Sur ta tête tu vois le ciel, et sous tes pieds 6+6 h
100 L'Inde, ton bel empire, et ses bois de palmiers, 6+6 h
Et ses fleuves tombés de tes mains, et ses villes 6+6 q
Où dorment les tombeaux des peuples immobiles ; 6+6 q
Terre douce et féconde, où mille voluptés 6+6 h
Exhalent leurs parfums dans les airs enchantés. 6+6 h
105 Les vieux fleuves au loin règnent sur For des plaines 6+6 l
Et déroulent en paix leurs majestés sereines. 6+6 l
Ils s'égarent souvent dans l'ombre des grands bois, 6+6 j
Et leur voix se confond avec les mille voix 6+6 j
Qu'étouffe la forêt sous ses voûtes obscures. 6+6 n
110 Alors, pour assoupir et mêler les murmures, 6+6 n
Les cèdres du rivage inclinent leurs fronts noirs ; 6+6 o
De l'un à l'autre bord, comme des encensoirs, 6+6 o
Les lianes en fleurs lançant leurs girandoles, 6+6 p
S'enlacent sur les flots en obscures coupoles. 6+6 p
115 Mais est-il un seul lieu sur la terre, ô Kachmir ! 6+6 q
Qui vaille ta vallée et ton ciel de saphir ? 6+6 q
L'Himalaya, debout près de toi, te protège, 6+6 r
Et sur tes horizons dresse son front de neige ; 6+6 r
Et les vents du tropique, en passant sur tes fleurs, 6+6 b
120 Chargent leurs ailes d'or de magiques senteurs. 6+6 b
C'est là, parmi les fleurs, sous la brise embaumée, 6+6 s
Qu'Euphorion ouvrit sa paupière charmée. 6+6 s
Saluant la lumière, il contemple, ébloui, 6+6 t
Les changeants horizons qui s'ouvrent devant lui, 6+6 t
125 Et jette, en secouant l'or de sa chevelure, 6+6 w
Un caressant sourire à toute la nature, 6+6 w
Et ses ailes d'argent volent d'un libre essor 6+6 u
Dans les airs ruisselants d'azur, de pourpre et d'or. 6+6 u
C'est l'heure où le soleil, sous sa voûte profonde, 6+6 d
130 Baigne la terre en fleurs dans sa lumière blonde ; 6+6 d
Le lac, les champs féconds, les bois mystérieux, 6+6 v
Nagent dans l'éther calme en souriant aux cieux. 6+6 v
Et la vie en tous sens frémit, filtre et serpente, 6+6 v
Flot mobile et fécond, sève luxuriante, 6+6 v
135 Long torrent de parfums, de lumière et de bruit, 6+6 w
Qui fermente et bouillonne, eu fleurs s'épanouit, 6+6 w
S'exhale en chants d'oiseaux, coule en flots, monte en gerbes ; 6+6 x
Insectes scintillants, reptiles sous les herbes, 6+6 x
Fleurs dans les champs, poissons nacrés dans le flot clair, 6+6 y
140 Bruissement de l'eau, bourdonnement de l'air ; 6+6 y
VA du lac de cristal, de la plaine dorée, 6+6 s
De la forêt touffue, obscure, enchevêtrée, 6+6 s
L'hymne de volupté, s'échappant à la fois, 6+6 j
Au ciel immaculé monte par nulle voix : 6+6 j
145 Peuple des airs, des eaux, des champs, des bois pleins d'ombre, 6+6 z
Créatures sans nombre, 6 z
Sous le dôme infini des grands cieux étoilés 6+6 f
Chantez, aimez, volez. 6 f
Que tout être s'abreuve aux sources d'où ruisselle 6+6 a
150 La vie universelle ! 6 a
Flux et reflux, naissance et mort, fête éternelle 6+6 a
Où tous sont appelés ! 6 f
Étoiles d'or, mêlez en rondes cadencées 6+6 k
Vos courbes enlacées ; 6 k
155 Mondes errants, suivez vos guides dans les d'eux ! 6+6 v
Sur leurs fronts radieux, 6 v
Comètes, déroulez comme des auréoles 6+6 p
Vos vagues paraboles ! 6 p
Chœurs alternés du ciel, entretiens sans paroles, 6+6 p
160 Appels mystérieux ! 6 v
Croisez-vous, circulez, effluves électriques, 6+6 b
Dans les champs magnifiques 6 b
De l'impalpable éther, dans les gouffres profonds 6+6 x
De la terre et des monts ! 6 x
165 Glissez, coulez, versez dans les bois, dans les plaines, 6+6 l
Vos ardeurs souterraines, 6 l
Que la terre, sentant vos flammes dans ses veines, 6+6 l
Ouvre ses flancs féconds ! 6 x
Fraîche haleine des fleurs, parfums, caresses molles 6+6 p
170 Que voilent leurs corolles, 6 p
Voix des grands palmiers verts échangeant leurs baisers 6+6 h
Dans les vents embrasés ; 6 h
Roucoulements d'amour, soupirs des tourterelles, 6+6 n
Doux frémissements d'ailes, 6 n
175 Volez, suspendez-vous sur les brises nouvelles, 6+6 n
Murmures apaisés ! 6 h
Volupté ! volupté ! source de toute vie, 6+6 r
La nature ravie 6 r
T'appelle ! La vois-tu palpiter et frémir 6+6 q
180 Sous l'éternel désir ? 6 q
Mêle encor, pour noyer notre soif haletante, 6+6 v
Dans ta coupe énervante 6 v
Tes magiques poisons, et la sève brûlante 6+6 v
Du fruit qui fait mourir ! 6 q
185 Les êtres tour à tour meurent sous ton étreinte, 6+6 c
Mais toi, volupté sainte, 6 c
Tu rejettes, ainsi que des jouets brisés, 6+6 h
Tes amants épuisés. 6 h
Les générations de toute créature 6+6 w
190 Passent comme un murmure, 6 w
Mais la toute-puissante, immortelle nature 6+6 w
Renaît sous tes baisers ! 6 h
EUPHORION
Tes esclaves sans nombre attendent, ô nature ! 6+6 w
La part de volupté que ta main leur mesure ; 6+6 w
195 L'hymne sans fin vers toi s'élève : que te sert, 6+6 d
A toi, bercée aux chants de cette cour joyeuse, 6+6 e
O nature orgueilleuse ! 6 e
Une note de plus dans ce vaste concert ? 6+6 d
Assez d'êtres sans moi t'obéissent, ô reine ! 6+6 g
200 Et se courbent devant ta force souveraine ; 6+6 g
Je ne puis m'atteler à ton char triomphal. 6+6 f
Brisant les chaînes d'or que ton orgueil me rive, 6+6 g
Par ma force native 6 g
Je veux prendre mon vol vers le monde idéal. 6+6 f
205 Jusqu'au terme rêvé je tracerai ma voie, 6+6 h
Loin des torrents d'amour où leur force se noie, 6+6 h
Loin de ce tourbillon qui les emporte tous, 6+6 i
Et je saurai, du ciel traduisant le mystère, 6+6 t
Faire voir à la terre 6 t
210 Des formes de beauté dont Dieu sera jaloux. 6+6 i
Dans ce monde de l'art, plein de clartés sereines, 6+6 l
Sans trouble j'entendrai les chants de tes sirènes ; 6+6 l
Leurs fascinations ne pourront m'éblouir. 6+6 q
Toujours dans le miroir uni de ma pensée 6+6 s
215 Leur image tracée 6 s
En poèmes de marbre ira s'épanouir. 6+6 q
Ainsi, pour pénétrer dans la sphère divine, 6+6 k
Euphorion chassait du fond de sa poitrine 6+6 k
Le désir du bonheur qui ne dure qu'un jour. 6+6 l
220 Sans le connaître encor repoussa-t-il l'amour, 6+6 l
Ou bien méprisa-t-il des voluptés conquises ? 6+6 m
Je ne sais : car il est des âmes indécises 6+6 m
Pour qui l'amer dégoût devance le plaisir, 6+6 q
Et chez qui l'espérance émousse le désir. 6+6 q
225 Cependant, comme si la nature éternelle 6+6 a
Voulait le retenir et l'enchaîner près d'elle. 6+6 a
Un chant d'adieu, vers lui par la brise emporté, 6+6 f
S'envola, triste et doux comme une nuit d'été : 6+6 f
Adieu ! plus mollement que ne fait la liane 6+6 n
230 Qui serpente et qui glisse entre les bananiers, 6+6 h
Et plus étroitement que le flot diaphane 6+6 n
Qui caresse tes pieds, 6 h
Dans une étreinte ardente, entre mes bras d'ivoire 6+6 o
Je voulais t'enlacer ; je voulais t'endormir 6+6 q
235 Aux effluves d'amour de ma prunelle noire, 6+6 o
Et je voulais t'offrir 6 q
Mille bonheurs rêvés où le désir succombe, 6+6 p
Philtres qui font aimer, chansons, parfums des fleurs, 6+6 b
Sourires amoureux et baisers de colombe, 6+6 p
240 Enivrantes langueurs ! 6 b
Mais je te souriais en vain : dans d'autres voies 6+6 q
L'orgueil t'égare, et moi, tu me fermes tes bras, 6+6 e
Tu t'éloignes, murant ton âme aux saintes joies 6+6 q
Que tu regretteras. 6 e
245 Adieu ! la vie est bonne, et tu l'as repoussée ; 6+6 s
Tu foules sans regret les pauvres fleurs d'un jour ; 6+6 l
Insensé ! pour régner seul avec ta pensée 6+6 s
Tu repousses l'amour ! 6 l
II
Hélios, rayonnant dans le calme empyrée, 6+6 s
250 Sur les monts, sur la plaine et sur la mer sacrée, 6+6 s
Darde ses flèches d'or, et du splendide azur 6+6 r
Sur la terre d'Hellas tombe un jour large et pur. 6+6 r
Les grands nuages blancs qui dans l'air vierge glissent 6+6 s
Comme des blocs de marbre au soleil resplendissent. 6+6 s
255 Dans l'éther inondé de sereines clartés 6+6 h
Se dressent hardiment les grands angles sculptés 6+6 h
Des îles, des rochers et des saints promontoires. 6+6 t
La mer, qui se déroule en vastes nappes noires, 6+6 t
Reflète en son cristal, profond comme les cieux, 6+6 v
260 Le tableau varié, sévère, harmonieux, 6+6 v
Des temples, des cités, des vaisseaux et des îles : 6+6 q
Partout de purs contours et des lignes tranquilles, 6+6 q
Tout chante, l'air, les bois et le flot argenté, 6+6 f
Tout est force et jeunesse, harmonie et beauté. 6+6 f
265 La trirème longeant le vieux rocher d'Égine 6+6 k
Conduit Euphorion vers la cité divine 6+6 k
Qui garde le beau nom de Pallas Àthéné. 6+6 f
Là, sous l'œil protecteur des dieux d'Homère, est né 6+6 f
Pour l'orgueil de la Grèce et le bonheur du monde, 6+6 d
270 Un peuple libre, enfant de la terre féconde, 6+6 d
Fort, puissant, créateur de types immortels. 6+6 p
Aux grèves d'Éleusis, où veillent les autels 6+6 p
Antiques, vénérés, de la Grande Déesse, 6+6 b
S'exerce aux jeux sacrés la robuste jeunesse ; 6+6 b
275 Les couronnes, les cris, volent de toutes parts, 6+6 u
Et sous Tardent soleil reluit l'airain des chars. 6+6 u
Puis tous les forts lutteurs, aux membres frottés d'huile, 6+6 a
Par les champs d'oliviers se pressent vers la ville 6+6 a
Sur leurs chevaux aux pieds ailés, précieux don 6+6 v
280 Qu'au peuple de Cécrops accorda Poseidon. 6+6 v
Euphorion les suit jusqu'à l'antique enceinte 6+6 c
Des murs cyclopéens ; de l'Acropole sainte 6+6 c
Tout ton peuple, ô Pallas ! gravit les blancs degrés. 6+6 h
Les vieillards au pas lent, du peuple vénérés, 6+6 h
285 Augustes, le front ceint de bandelettes blanches, 6+6 w
De l'olivier sacré tiennent en mains les branches ; 6+6 w
Et les beaux enfants nus, de myrte couronnés, 6+6 h
Conduisent en chantant les grands bœufs destinés 6+6 h
A la sainte hécatombe, et portent les amphores. 6+6 x
290 Des corbeilles en mains, les blanches canéphores 6+6 x
Jonchent le sol de fleurs, et leur robe de lin 6+6 y
Sous ses plis gracieux voile leur corps divin. 6+6 y
Et la flûte et la lyre aux chants sacrés s'unissent ; 6+6 s
Des temples spacieux les portiques s'emplissent, 6+6 s
295 Puis les adolescents apportent sur l'autel 6+6 z
Le vin, les fruits choisis, la farine et le miel ; 6+6 z
En l'honneur des grands dieux le sang des taureaux fume, 6+6 a
Et sur le trépied d'or l'offrande se consume. 6+6 a
On présente à Pallas un voile merveilleux, 6+6 v
300 Splendide, où sont tracés les grands combats des dieux : 6+6 v
Là, les spectres sans nom dont la terre s'étonne, 6+6 b
Les Titans, aux replis de dragons, la Gorgone 6+6 b
Pale, avec ses cheveux serpents et ses regards 6+6 u
Qui changent l'homme en pierre, et les monstres épars 6+6 u
305 Nés du sein trop fécond de la Terre irritée, 6+6 s
Géryon, Échidna, l'Hydre, Python, Antée, 6+6 s
Se dressent menaçants contre les dieux du ciel. 6+6 z
Mais eux, calmes et forts, au gouffre originel 6+6 z
Replongent les enfants de l'Érèbe, et la terre 6+6 t
310 Bénit le règne heureux des dieux de la lumière. 6+6 t
Du voile précieux Pallas reçoit le don. 6+6 v
Et sourit à ses fils du haut du Parthénon. 6+6 v
Sagesse antique ! ô toi qui jaillis tout armée 6+6 s
Du large front de Zeus, la ville bien-aimée 6+6 s
315 N'a-t-elle pas payé tes soins et ton amour ? 6+6 l
Pour elle, de l'Olympe oubliant le séjour, 6+6 l
Tu lui donnas ton nom, ta force et ta science, 6+6 c
Et l'olivier sacré, nourricier de l'enfance, 6+6 c
Symbole de la paix et des arts créateurs. 6+6 b
320 Quand l'Asie épancha ses flots dévastateurs, 6+6 b
Les champs de Marathon, les flots de Salamine, 6+6 k
Reconnurent le bras et l'égide divine 6+6 k
Qui briseront jadis la force des Titans. 6+6 d
Mais, à leur tour, Pallas, tes fils reconnaissants 6+6 d
325 Élevèrent pour toi le plus divin des temples, 6+6 e
Sublime piédestal, trône d'où tu contemples 6+6 e
Ce peuple glorieux qui montre à l'avenir 6+6 q
Jusqu'à quelle hauteur l'homme peut parvenir. 6+6 q
Un jour pourtant, pleurant leur force et leur jeunesse, 6+6 b
330 Les dieux de Phidias, les grands dieux de la Grèce, 6+6 b
Joncheront de débris le temple délaissé. 6+6 f
Mais l'art sacré renaît où ton souffle a passé, 6+6 f
Sainte Hellas ! Ton génie, allumé comme un phare, 6+6 f
Sur les siècles nouveaux, plongés dans l'ombre avare. 6+6 f
335 Rayonne ; à son aspect se disperse et s'enfuit 6+6 w
Le cortège effaré des démons de la nuit. 6+6 w
Cependant, s'inclinant vers Delphes la divine, 6+6 k
De ses derniers rayons le soleil illumine 6+6 k
Les colonnes de marbre et les frontons sacrés 6+6 h
340 Le couchant, resplendit de nuages pourprés. 6+6 h
Euphorion, debout devant le saint portique, 6+6 g
Embrassant du regard les plaines de l'Attique, 6+6 g
Et le Pyrée aux cent trirèmes, et la mer, 6+6 y
Le front penché, s'écrie, en proie au doute amer : 6+6 y
345 Ce qu'en vain j'ai cherché dans l'immobile Asie 6+6 r
O race créatrice entre toutes choisie, 6+6 r
Répondez, fils d'Hellas, cet idéal rêvé, 6+6 f
Me le donnerez-vous, et l'avez-vous trouvé ? 6+6 f
CHŒUR
STROPHE I
Fils d'Hélène, tu vois la féconde patrie 6+6 r
350 Dos dieux et des héros, Hellas, riche en coursiers : 6+6 h
Ce fleuve est l'Ilyssos, cette plaine fleurie, 6+6 r
La terre de Pallas, fertile en oliviers. 6+6 h
La, les murs dos cités naissent au son des lyres, 6+6 h
Et, du sein de la mer divine, aux matelots, 6+6 c
355 Souvent Aphrodité, déesse des sourires, 6+6 h
Dans sa conque marine apparaît sur les flots. 6+6 c
Là, les murs des cités naissent au son des lyres, 6+6 h
Les joncs ont des soupirs, et les chênes des bois 6+6 j
De prophétiques voix. 6 j
ANTISTROPHE I
360 Les dieux olympiens, par un divin mystère, 6+6 t
Unissent, dans leurs mille hymens, la terre aux cieux, 6+6 v
Et les héros, dompteurs des monstres de la terre, 6+6 t
Dans l'Olympe étoilé règnent parmi les dieux. 6+6 v
Comme des cygnes blancs, en troupes vagabondes, 6+6 i
365 Leurs constellations, pendant les nuits d'été, 6+6 f
Guident les matelots ; les Néréides blondes, 6+6 i
Dans la mer où naquit Cypris Aphrodité, 6+6 f
Comme des cygnes blancs en troupes vagabondes, 6+6 i
Dénouant leur ceinture et leur robe aux longs plis, 6+6 j
370 Daignent leurs flancs polis. 6 j
ÉPODE I
Sur les sommets sacrés des blanches acropoles, 6+6 p
L'œil indulgent des dieux 6 v
Contemple chaque jour des danses et des jeux. 6+6 v
La sagesse sourit en gracieux symboles 6+6 p
375 Dans les temples de marbre aux grands frontons sculptés, 6+6 h
Sur les sommets sacrés des blanches acropoles, 6+6 p
D'où les dieux protecteurs veillent sur les cités. 6+6 h
STROPHE II
Aux rhythmes cadencés des graves mélodies, 6+6 k
Quand Sappho de Lesbos, reine des chants d'amour, 6+6 l
380 Conduit, la lyre en main, les blanches théories, 6+6 k
Les danses et les chœurs s'enlacent tour à tour. 6+6 l
Chez ce peuple divin, beau comme ses statues, 6+6 l
Les mères, aux sculpteurs, prêtres de la beauté, 6+6 f
Montrent pieusement le corps des vierges nues, 6+6 l
385 Thème religieux pour un hymne sculpté. 6+6 f
Chez ce peuple divin, beau comme ses statues, 6+6 l
Lu temple avec respect garde dans son trésor 6+6 u
Phryné sculptée en or. 6 u
ANTISTROPHE II
Contemple les lutteurs dans le stade olympique ; 6+6 g
390 La Grèce honore en eux la force et la beauté, 6+6 f
Et chante, par la voix de l'Ïambe tragique, 6+6 g
La lutte du destin et de la volonté. 6+6 f
Aux fêtes d'Éleusis et des Panathénées, 6+6 k
Avec les noms des dieux du divin Parthénon, 6+6 v
395 Le peuple chaule, au son des flûtes alternées, 6+6 k
Les noms d'Harmodios et d'Aristogiton. 6+6 v
Aux l'êtes d'Éleusis et des Panathénées, 6+6 k
Les tyrans savent bien que des glaives vengeurs 6+6 b
Se cachent sous les fleurs. 6 b
ÉPODE I
400 Couronne-toi de myrte aux l'êtes de la Grèce, 6+6 b
Répète les accents 6 d
Des vierges au long voile et des adolescents. 6+6 d
L'éternelle beauté vient des dieux ; pour prêtresse 6+6 b
Elle a la poésie aux accords inspirés. 6+6 h
405 Couronne-toi de myrte aux tètes de la Grèce, 6+6 b
Fils d'Hélène, en chantant sur les modes sacrés. 6+6 h
EUPHORION
J'ai souvent invoqué, sur les saintes collines, 6+6 m
Le chœur mélodieux des muses, que conduit 6+6 w
Loxias Apollon, roi des strophes divines ; 6+6 m
410 Et j'ai chanté l'amour, la jeunesse qui fuit, 6+6 w
Et les combats sanglants, et Pergame détruit. 6+6 w
J'ai souvent adoré, dans le marbre captives, 6+6 n
Les images du ciel que l'art dérobe aux dieux ; 6+6 v
J'ai demandé l'oubli des heures fugitives 6+6 n
415 A ce monde idéal qui révèle à nos yeux 6+6 v
Comme un reflet lointain de la splendeur des cieux. 6+6 v
Poétique rivage, où le flot qui soupire 6+6 o
Jette aux vents embaumés des mots harmonieux ; 6+6 v
Cortège insouciant des dieux fils de la lyre, 6+6 o
420 Blanches villes de marbre aux noms mélodieux, 6+6 v
Peuple sacré d'Hellas, recevez mes adieux. 6+6 v
Le spectacle du mal venait troubler ma vie ; 6+6 r
J'ai vu ceux qui souffraient dans l'ombre, et j'ai prié 6+6 f
Pour le faible, l'enfant, l'esclave qu'on oublie, 6+6 r
425 Et mon cœur s'est rempli d'une immense pitié ; 6+6 f
Mais vers le ciel d'airain vainement j'ai crié. 6+6 f
Que me fait votre gloire indifférente et fière, 6+6 t
Dieux heureux, qui toujours protégez les plus forts ? 6+6 s
Je ne veux plus offrir mon culte et ma prière 6+6 t
430 Qu'à celui qui promet le pardon au remords, 6+6 s
A la faiblesse un juge, une espérance aux morts. 6+6 s
J'irai dans les déserts emplis d'échos mystiques, 6+6 b
Sur le sable épeler les traces de ses pas, 6+6 e
Et j'attendrai, courbé sous les vents prophétiques, 6+6 b
435 L'idéale beauté, sans modèle ici-bas, 6+6 e
Que tous vos dieux heureux ne me donneront pas. 6+6 e
LE CHŒUR
Hélas ! hélas ! au lieu des chansons et des danses, 6+6 p
Quels flots de pleurs versés ! 6 h
Quels cris d'angoisse au lieu des plaisirs repoussés ! 6+6 h
440 Remords que rien n'efface, inutiles souffrances, 6+6 p
Longs soupirs, lourde croix, 6 j
Et l'éternel regret des rêves d'autrefois. 6+6 j
Les dieux vaincus, pendant la nuit impure et douce, 6+6 q
Aux saintes visions 6 x
445 Mêlent l'attrait vengeur de leurs tentations. 6+6 x
La prière ? Malheur à toi ! Dieu te repousse, 6+6 q
Et laisse aux cœurs brisés 6 h
Un crucifix muet, froid sous leurs longs baisers. 6+6 h
A ces mots, au moment de reprendre sa route, 6+6 r
450 Euphorion hésite au carrefour du doute, 6+6 r
Et, pensif, devant Rome il s'arrête un instant 6+6 j
Pour saluer encor le vieux monde en partant. 6+6 j
Il est nuit : Rome dort, sereine et reposée ; 6+6 s
Le Forum est désert ; le sol du Colysée 6+6 s
455 Boit le sang répandu dans les jeux du matin ; 6+6 y
La lune disparaît derrière l'Aventin. 6+6 y
Chaque temple a fermé sa porte aux yeux vulgaires, 6+6 s
Mais les initiés célèbrent leurs mystères, 6+6 s
Et leur prière, avec l'encens des trépieds d'or, 6+6 u
460 Dans l'air silencieux vibre et s'élève encor. 6+6 u
Non loin d'eux cependant, au fond des catacombes, 6+6 t
Devant un simple autel qui n'a pas d'hétatombes, 6+6 t
Au milieu des tombeaux, tout un peuple à genoux 6+6 j
A leurs hymnes joyeux mêle un chant triste et doux. 6+6 j
465 Et l'écho, recueillant les notes dispersées, 6+6 k
Réseau mélodieux de strophes enlacées, 6+6 k
Forme de ces deux voix un accord solennel 6+6 z
Dans un hymne commun s'élevant vers le ciel : 6+6 z
I
Vénus ! reçois nos vœux ; les heureux sont tes prêtres ; 6+6 u
470 Tu souris, et l'amour enivre tous les êtres ; 6+6 u
Les fleurs de l'été germent sous tes pas. 5+5 e
II
Dieu mort pour nous, qui fis une vertu des larmes, 6+6 v
Quand on souffre pour loi la douleur a des charmes : 6+6 v
L'homme f oublîrait s'il ne souffrait pas. 5+5 e
I
475 O Vénus ! à toi les nuits embaumées, 5+5 k
Les danses au bruit des chansons aimées, 5+5 k
Les roses de Pœstum autour des coupes d'or. 6+6 u
II
Tu bénis, ô Christ ! les rochers arides 5+5 w
Où l'âme des saints, dans les Thébaïdes, 5+5 w
480 S'épure, et vole à toi d'un plus sublime assor. 6+6 u
I
O Beauté divine, ô reine suprême, 5+5 i
O mère de l'amour et de la volupté ! 6+6 f
Appelle, on te suit ; souris, et Ton t'aime, 5+5 i
O parure des dieux, ô divine Beauté ! 6+6 f
II
485 Virginité sainte, ô blanche couronne ! 5+5 b
Vêtement de lumière aux anges emprunté. 6+6 f
Que l'homme n'eût pas conquis, que Dieu donne, 5+5 b
Parfum des lis du ciel, sainte Virginité ! 6+6 f
I
Larmes de volupté, sanglots des nuits heureuses, 6+6 x
490 Étreintes, soupirs, baisers sur baisers ! 5+5 h
II
Larmes du repentir, baume des cœurs brisés, 6+6 h
Pleurs des longues nuits, tristesses pieuses ! 5+5 x
I
Plaisir ! roi du monde et dompteur des dieux, 5+5 v
Règne sur nos cœurs comme dans les cieux, 5+5 v
495 Et toi, vole moins vite, ô char muet des heures ! 6+6 y
II
Douleur, ô baptême, ô suprême loi ! 5+5 z
Heureux qui s'élève, épuré par loi, 5+5 z
Loin du plaisir impie, aux célestes demeures ! 6+6 y
I
Trop tôt viendra l'hiver, et puis la longue nuit ; 6+6 w
500 Oublions ; fêtons bien la jeunesse qui fuit 6+6 w
Et n'attristons pas la saison des roses. 5+5 y
II
Toute chair a sa croix et tout être gémit : 6+6 w
Espérons, car la mort est proche, et Dieu la mit 6+6 w
Pour terme suprême aux larmes des choses. 5+5 y
I
505 Quelques jours encore, ô nuit du tombeau ! 5+5 a
La lumière est si douce et la vie est si belle ! 6+6 a
II
Ange de la mort, prends-nous sous ton aile, 5+5 a
Quand on s'endort en Dieu, le réveil est si beau ! 6+6 a
Comme un son de cristal qui meurt dans l'air sonore, 6+6 i
510 Se turent les deux voix au réveil de l'aurore. 6+6 i
Euphorion longtemps encor suivit, rêveur, 6+6 b
Cet écho des deux voix qui luttaient dans son cœur ; 6+6 b
Puis, poursuivant le cours de son pèlerinage, 6+6 c
Il alla se mêler aux peuples d'un autre âge, 6+6 c
515 Sans détourner les yeux, de peur de regretter 6+6 f
Le facile bonheur qu'il venait de quitter. 6+6 f
LA DERNIÈRE NUIT DE JULIEN
Parabase
JULIEN
Par-dessus tous les dieux du ciel et de la terre, 6+6 t
J'adore ton pouvoir immuable, indompté, 6+6 f
Déesse des vieux jours, morne Fatalité. 6+6 f
520 Ce pouvoir implacable, aveugle et solitaire. 6+6 t
Écrase mon orgueil et ma force, et je vois 6+6 j
Que l'on décline en vain tes inflexibles lois. 6+6 j
Les peuples adoraient le joug qui les enchaîne, 6+6 g
Rome dormait en paix sur son char triomphal. 6+6 f
525 Des oracles veillaient sur son sommeil royal. 6+6 f
Maintenant du destin la force souveraine 6+6 g
Brise le sceptre d'or de Rome dans mes mains. 6+6 d
Et Sapor va venger les Francs et les Germains. 6+6 d
J'ai relevé l'autel des dieux de la patrie, 6+6 r
530 Et j'aperçois déjà le temps qui foule aux pieds 6+6 h
Les vieux temples déserts de mes dieux oubliés. 6+6 h
Au culte du passé j'ai dévoué ma vie, 6+6 r
Bientôt sous sa ruine il va m'ensevelir. 6+6 q
Le passé meurt en moi, victoire à l'avenir ! 6+6 q
LE GÉNIE DE l'EMPIRE
535 Ne crains pas l'avenir, toi dont les mains sont pures, 6+6 n
O dernier défenseur d'un culte déserté, 6+6 f
Qui voulus porter seul toutes les flétrissures 6+6 n
Du vieux monde romain, et couvrir ses souillures 6+6 n
Du manteau de ta gloire et de ta pureté ! 6+6 f
540 En vain tes ennemis ont voué ta mémoire 6+6 o
A l'exécration des siècles à venir ; 6+6 q
Le glaive est dans tes mains : l'incorruptible histoire 6+6 o
Dira ce qu'il fallut à l'amant de la gloire 6+6 o
De force et de vertu pour ne s'en pas servir. 6+6 q
545 La fortune rendra blessure pour blessure ; 6+6 w
A ces peuples nouveaux, aujourd'hui ses élus, 6+6 e
Quand leurs crimes aussi combleront la mesure. 6+6 w
Mais mille ans passeront sans laver ton injure, 6+6 w
Car Némésis est seule à venger les vaincus. 6+6 e
550 O César ! tu mourras sous une arme romaine. 6+6 g
La tardive justice un jour effacera 6+6 h
Ce surnom d'apostat que te donna la haine ; 6+6 g
Mais le monde ébranlé dans sa chute t'en traîne, 6+6 g
Et ton culte proscrit avec toi périra. 6+6 h
555 Et moi, je te suivrai, car je suis le Génie 6+6 r
De Rome et de l'empire ; unissant leurs efforts, 6+6 s
Tes ennemis, les miens, las de mou agonie, 6+6 r
Veulent voir le dernier soleil de la patrie. 6+6 r
Cédons-leur, le destin le veut, nos dieux sont morts. 6+6 s
III
560 Maintenant suivez-moi dans les forêts austères, 6+6 s
Sous les arceaux dormants des pâles monastères, 6+6 s
Dans la sainte Allemagne, à la nuit de Noël. 6+6 z
Le vent balaye au loin les nuages du ciel, 6+6 z
Et secoue, en versant sa sauvage harmonie, 6+6 r
565 Les vieux troncs dépouillés des chênes d'Hercynie, 6+6 r
Et les grands sapins noirs aux rameaux éplorés. 6+6 h
Les pâles horizons par la lune éclairés 6+6 h
S'enveloppent d'épais brouillards par intervalles, 6+6 f
Et la neige, chassée au souffle des rafales, 6+6 f
570 Étend son blanc linceul, froid manteau des hivers, 6+6 a
Sur la plaine, les monts et les grands bois déserts. 6+6 a
C'est là, loin de la vie et loin des bruits du monde, 6+6 d
Sous les abris discrets de la forêt profonde, 6+6 d
Que se cache aux regards l'église où, prosterné, 6+6 f
575 Le peuple saint s'écrie : « Un enfant nous est né ! » 6+6 f
Ainsi qu'un bois touffu, les frêles colonnades 6+6 g
Inclinent leurs rameaux et croisent leurs arcades ; 6+6 g
Comme autour des vieux troncs, le lierre glisse autour 6+6 l
Des piliers élancés et des flèches à jour, 6+6 l
580 Et, comme des sapins, les aiguilles gothiques 6+6 b
Dressent dans le ciel gris leurs ombres fantastiques. 6+6 b
Écoutez ! l'orgue saint mêle ses mille voix 6+6 j
Au bruit du vent d'hiver qui gronde dans les bois. 6+6 j
Et les saints dont le front se meurtrit sur les dalles, 6+6 f
585 Ceux dont le peuple baise à genoux les sandales, 6+6 f
Car leurs pieds bienheureux touchèrent autrefois 6+6 j
Le sol trois fois béni du chemin de la croix ; 6+6 j
Les chérubins de pierre aux figures pensives, 6+6 n
Les anges flamboyants qui jettent des ogives 6+6 n
590 Un reflet de leur robe aux magiques couleurs 6+6 b
Et des rayons de lune épanouis en fleurs, 6+6 b
Tous chantent à genoux les célestes cantiques, 6+6 b
Et la voûte d'azur pleine d'échos mystiques 6+6 b
Redit l'hymne sans fin de l'univers en chœur, 6+6 b
595 Et jusqu'au marchepied du trône du Seigneur 6+6 b
Les fléchas, s'élançant ainsi qu'une prière, 6+6 t
Portent les mille vœux et l'encens de la terre, 6+6 t
Tous nos soupirs mêlés dans un commun soupir, 6+6 q
Avec le sang du Christ pour les faire accueillir. 6+6 q
LE PRÊTRE
600 Pécheurs, courbez vos fronts : pour toutes créatures 6+6 n
La force et la vertu viennent du roi des cieux ; 6+6 v
Nul n'est grand, nul n'est saint, nu ! n'est pur à ses yeux. 6+6 v
Dieu dans ses anges même a trouvé des souillures, 6+6 n
Et sur le lit du mort, à l'instant solennel, 6+6 z
605 Le juste ne sait pas s'il a conquis le ciel. 6+6 z
LES ENFANTS
Petit enfant Jésus rayonnant dans tes langes, 6+6 h
Les humbles, les enfants dont le cœur est sans fiel, 6+6 z
Sont ceux que tu nommas les élus de ton ciel ; 6+6 z
Et nous, tes préférés, les bien-ai mes des anges, 6+6 h
610 Devant l'humble berceau d'un enfant comme nous, 6+6 i
Nous apportons les vœux de ce peuple à genoux. 6+6 i
LES VIERGES
Vierge, étoile du ciel qui luis dans le bleu calme. 6+6 i
Notre cœur, pur d'amour humain, dans un couvent, 6+6 j
Ainsi qu'en un tombeau, s'ensevelit vivant ; 6+6 j
615 Quel terrestre bonheur vaut l'immortelle palme 6+6 i
Que tu nous as promise au ciel, parmi tes lis, 6+6 j
A nous qui pour époux avons choisi ton fils ? 6+6 j
LES CROISÉS
Nous partons, Dieu le veut ! qu'il bénisse nos armes ; 6+6 v
Car au delà des mers nous t'allons conquérir, 6+6 q
620 Cité sainte où pour nous son fils voulut mourir. 6+6 q
Nos mères ont mouillé nos casques de leurs larmes : 6+6 v
Que la mère de Dieu les protège ! Au manoir 6+6 j
Plus d'une doit mourir avant de nous revoir. 6+6 j
LES ESCLAVES
Seigneur, toi qui promis aux serfs la délivrance, 6+6 c
625 Prends pitié de nos pleurs ! Nous aurions pu changer 6+6 f
Les fers de l'esclavage en glaive, et nous venger-, 6+6 f
Mais à toi seul, Seigneur, appartient la vengeance. 6+6 c
Seigneur, ton fils est mort pour nous aussi ! Pourquoi 6+6 z
Nos cris sont-ils si longs à monter jusqu'à toi ? 6+6 z
LES ANACHORÈTES
630 Au désert ! Pour peupler nos nuits de rêves chastes, 6+6 k
Pour élever à Dieu nos désirs épurés, 6+6 h
Le silence éternel des grands cieux sidérés 6+6 h
Et le recueillement des solitudes vastes ! 6+6 k
Le siècle est condamné, le monde va finir : 6+6 q
635 Au désert, Dieu le veut ! Frères, il faut mourir ! 6+6 q
LES MORTS
Nous attendons le jour prédit par les prophètes 6+6 c
Où la voix de l'archange éveillera les morts. 6+6 s
Seigneur, délivre-nous ! le ver ronge nos corps, 6+6 s
La tempête et l'orage ont passé sur nos têtes, 6+6 c
640 L'abîme nous dévore, et de la profondeur 6+6 b
De nos tombeaux glacés nous t'implorons, Seigneur. 6+6 b
CHŒUR
Les mondes à l'abri de ta toute-puissance 6+6 c
Roulent entrelacés dans un ordre éternel ; 6+6 z
Sur l'humble fleur des champs et sur l'oiseau du ciel 6+6 z
645 Veille éternellement ta calme Providence : 6+6 c
Et nous, pour qui ton fils est mort, nous tes enfants, 6+6 d
Nous t'implorons en vain depuis plus de mille ans. 6+6 d
Seigneur, nous t'adorons le front dans la poussière ; 6+6 t
Mais, si tu veux compter nos péchés, qui pourra 6+6 h
650 Soutenir ton regard, et qui te répondra ? 6+6 h
Monte vers lui, parfum de l'âme, humble prière ; 6+6 t
Montez comme l'encens du soir, larmes des cœurs 6+6 b
Qu'abreuve le torrent des célestes douleurs. 6+6 b
Et sous les arceaux noirs des longs piliers gothiques, 6+6 b
655 Les soupirs de la foule et l'encens des cantiques 6+6 b
Montaient, et tout le peuple agenouillé pleurait, 6+6 l
Et l' éclatante voix de l'orgue saint vibrait. 6+6 l
Le prêtre, sous l'azur de la nef constellée, 6+6 s
Élevait des deux mains l'offrande immaculée : 6+6 s
660 Pourtant Euphorion, devant un noir pilier, 6+6 f
Seul debout, mesurant de son regard altier 6+6 f
La croix resplendissante aux cent clartés des cierges, 6+6 m
Mêlait la voix du doute aux chants d'amour des vierges. 6+6 m
L'église frémissait sous ce blasphème impur, 6+6 r
665 Et les anges pleuraient dans leurs niches d'azur : 6+6 r
Seigneur, pour tes enfants ta justice est bien lente ; 6+6 v
N'avons-nous pas assez souffert, assez pleuré, 6+6 f
Et ne verrous-nous pas, après mille ans d'attente, 6+6 v
Sur la nue éclatante 6 v
670 Ton Christ transfiguré ? 6 f
Seigneur, cette sueur de sang qui nous inonde, 6+6 d
N'a-t-elle pas lavé le crime originel ? 6+6 z
N'est-il pas temps enfin que ta voix nous réponde ? 6+6 d
Le calvaire du monde 6 d
675 Sera-t-il éternel ? 6 z
Humiliant sou front, le sage à la science 6+6 c
À préféré la foi ; pour le cloître et ses pleurs 6+6 b
La vierge a rejeté l'amour rêvé ; l'enfance 6+6 c
T'offre son innocence, 6 c
680 L'esclave ses douleurs. 6 b
Quel souffle loin du ciel chasse donc la prière ? 6+6 t
T'endors-tu donc aux chants des séraphins en chœur ? 6+6 b
Meurs-tu, pour racheter les fils d'une autre terre, 6+6 t
Sur un autre calvaire ? 6 t
685 Où donc es-tu, Seigneur ? 6 b
Non ! le nouveau calvaire où sa tombe se creuse 6+6 e
N'aura pas de réveil ni de troisième jour ; 6+6 l
Son glas de mort, aux chants de la terre Oublieuse, 6+6 e
Dans la nuit pluvieuse 6 e
690 Va sonner sans retour. 6 l
Mais ne le pleurons pas, et comptons ses victimes : 6+6 n
Tortures, noirs cachots, gibets, bûchers eu feu, 6+6 o
Spectres de mort, fuyez dans les sombres abîmes ! 6+6 n
Fallait-il tant de crimes 6 n
695 Pour condamner un Dieu ? 6 o
Fantômes de la nuit que chasse la lumière, 6+6 t
Fuyez ! Je règne seul sur les cieux agrandis ! 6+6 j
Hommage de la peur, silence, humble prière ! 6+6 t
Vous, rois et dieux, arrière, 6 t
700 Retirez-vous, maudits ! 6 j
L'orgueil fait dans mou sein frissonner chaque fibre : 6+6 p
Tombez, fers du captif ! foi de l'enfance, adieu ! 6+6 o
Un cri de délivrance au fond de mon cœur vibre : 6+6 p
Je suis fort, je suis libre, 6 p
705 Je suis roi, je suis dieu ! 6 o
L'église à ces accents s'ébranle ; la nef sombre 6+6 z
Tremble sur ses piliers, et des oiseaux sans nombre, 6+6 z
Avec les chérubins sculptés aux pendentifs, 6+6 j
S'en volant vers le ciel, poussent des cris plaintifs. 6+6 j
710 Le contour vacillant de la voûte étoilée, 6+6 s
Comme au miroir d'un lac une image troublée, 6+6 s
Comme un palais magique en un rêve trompeur, 6+6 b
S'efface et fond en vague et bleuâtre vapeur. 6+6 b
Tous les saints des vitraux, tous les anges des voûtes, 6+6 q
715 Dispersés dans les airs, volent par mille routes, 6+6 q
Et, suivant du regard leur fuite, Euphorion 6+6 v
Entend tomber sur lui leur malédiction : 6+6 v
Sois maudit ! Tu voudrais porter le poids du monde, 6+6 d
Tu voudrais arracher l'image du saint lieu, 6+6 o
720 Tu voudrais vaincre Dieu ! 6 o
Sois maudit ! Dans la nuit éternelle et profonde, 6+6 d
Tu fuiras, à travers la vague immensité 6+6 f
Sans cesse ballotté. 6 f
Tantôt tu lasseras tes ailes déployées, 6+6 k
725 Tournoyant à travers l'immensité du ciel 6+6 z
Dans le vide éternel, 6 z
Et tantôt tu suivras des routes dépouillées 6+6 k
Pour vaincre, en un combat sans cesse renaissant, 6+6 j
Un adversaire absent. 6 j
730 Tu poursuivras en vain ton long pèlerinage ; 6+6 c
Tes genoux s'useront sans trouver jusqu'au soir 6+6 j
Un abri pour t'asseoir. 6 j
Tu vogueras sans but sur des mers sans rivage, 6+6 c
Où nul astre ne brille à travers l'air voilé 6+6 f
735 Dans le ciel dépeuplé. 6 f
Comme sur la montagne, avant sa mort, Moïse 6+6 r
Vit les champs réservés à sa postérité, 6+6 f
Qui n'avait pas douté, 6 f
Le fantôme rêvé d'une terre promise 6+6 r
740 Fascine tes regards ; mais tu ne la verras 6+6 e
Qu'au jour où tu mourras. 6 e
Les rayons du matin percent la brume grise ; 6+6 r
A là place où la veille était la grande église, 6+6 r
La foule, sans abri contre les vents d'hiver, 6+6 y
745 Redemande le toit qui la couvrait hier. 6+6 y
Mais bientôt, dispersés dans la forêt obscure, 6+6 w
Les sages, à travers les champs de la nature, 6+6 w
Vont chercher, pleins d'ardeur, dans des sentiers perdus. 6+6 e
L'arbre de la science et ses fruits défendus. 6+6 e
750 Les peuples, sous le vent qui déchire les nues, 6+6 l
S'élancent en chantant vers les mers inconnues, 6+6 l
Et l'esclave, brisant ses fers, arme son bras 6+6 e
Pour la Liberté sainte et les derniers combats. 6+6 e
Épilogue
Un chant de mort. Voici ce que je vis en rêve : 6+6 s
755 La nuit couvrait Paris ; sur la place de Grève 6+6 s
Ondulait tout un peuple, ainsi qu'aux vents d'hiver 6+6 y
Roulent amoncelés les grands flots de la mer. 6+6 y
Hais nul bruit ne sortait de cette foule immense, 6+6 c
Qui s'agitait avec un effrayant silence : 6+6 c
760 Ce peuple n'était pas du monde des vivants. 6+6 d
Çà et là je voyais, parmi les flots mouvants, 6+6 d
Des nommes au front pâle, à la prunelle ardente, 6+6 v
Et dont le cou portait une ligne sanglante. 6+6 v
Ces hommes, sérieux, tristes, calmes et forts, 6+6 s
765 Semblaient guider la foule innombrable des morts. 6+6 s
J'eus bientôt reconnu les ombres vénérées 6+6 k
De nos grands-pères morts dans les luttes sacrées, 6+6 k
Et, craignant leur courroux pour nous, leurs fils maudits, 6+6 j
Je prosternai mon front contre terre et je dis : 6+6 j
770 « ô nos pères, pardon ! Géants, fils de la terre, 6+6 t
Dont les bras entassaient Ossas et Pélions, 6+6 x
Quand des dieux oppresseurs l'Olympe solitaire 6+6 t
Croulait au vent de feu des révolutions, 6+6 x
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
775 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
780 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Alors, pareil au bruit des flots que le vent roule, 6+6 t
J'entendis s'élever, de toute cette foule, 6+6 t
Un immense sanglot dont le ciel retentit, 6+6 w
785 Puis une voix vibra dans l'air sonore, et dit : 6+6 w
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
790 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La vision de mort n'était pas achevée ; 6+6 s
795 Comme un roc noir battu par la mer soulevée, 6+6 s
Un immense échafaud dans les airs se dressa, 6+6 h
Et l'immolation des martyrs commença. 6+6 h
Tous ceux qui, pour le nom de la sainte Justice, 6+6 r
Avaient donné jadis leur vie en sacrifice, 6+6 r
800 Venaient de l'Occident, venaient de l'Orient, 6+6 j
Les uns en combattant, les autres en priant ; 6+6 j
Ceux-ci ; les yeux tournés vers la voûte infinie, 6+6 r
Suivaient leur divin rêve à travers l'agonie. 6+6 r
D'abord parut le Dieu qu'une Vierge enfanta, 6+6 h
805 Pâle et sanglant, ainsi qu'aux jours du Golgotha ; 6+6 h
Puis ceux qu'aux cris joyeux de la foule en attente 6+6 v
Les tigres déchiraient sur l'arène sanglante ; 6+6 v
Ceux dont les chants de mort, sur les bûchers en feu, 6+6 o
Aux hymnes dos bourreaux se mêlaient devant Dieu, 6+6 o
810 Et tous ceux qu'au milieu de tortures sans nombre 6+6 z
Les cachots de l'Église étouffèrent dans l'ombre. 6+6 z
Les yeux levés au ciel, le pardon dans le cœur, 6+6 b
Tous disaient en mourant : « Mon Dieu, pardonne-leur ! » 6+6 b
Ceux-là, libres et fiers, race de Prométhée, 6+6 s
815 Gardaient sur l'échafaud leur colère indomptée, 6+6 s
Et pour leur testament léguaient à l'avenir 6+6 q
Un glaive avec ces mots : « Vivre libre ou mourir ! » 6+6 q
Mais en vain ils cherchaient dans la foule endormie 6+6 r
Une larme, un regard, une parole amie ; 6+6 r
820 Le peuple abandonnait ses défenseurs mourants 6+6 d
Et revenait baiser la main de ses tyrans. 6+6 d
Les martyrs répondaient à l'insulte, à la haine, 6+6 g
En lançant vers le ciel des tronçons de leur chaîne, 6+6 g
Et mouraient en chantant l'hymne de liberté, 6+6 f
825 On répétaient tout bas : « Sainte simplicité ! » 6+6 f
Et toujours, cependant, ainsi qu'avant l'automne 6+6 b
Tombent les épis mûrs quand la faux les moissonne, 6+6 b
Sur le sombre échafaud se pressaient pour mourir 6+6 q
Les martyrs du passé, puis ceux de l'avenir. 6+6 q
830 Alors, debout parmi les dépouilles sanglantes, 6+6 u
Invoquant les grands dieux des vengeances trop lentes, 6+6 u
Euphorion maudit tout le peuple, lançant 6+6 j
Aux quatre vents du ciel des gouttes de leur sang : 6+6 j
Vous avez su mourir, ô Christs de tous les âges ! 6+6 f
835 Mais tous, et même les plus forts, 8 s
Vous pâlissiez devant l'insulte et les outrages 6+6 f
De ceux pour qui vous êtes morts. 8 s
Demi-dieux rédempteurs, héros du sacrifice, 6+6 r
Dans votre nuit des Oliviers, 8 f
840 Tous vous disiez : « Seigneur, détourne ce calice ! » 6+6 r
Et tous pourtant vous le buviez ; 8 f
Et vous leviez les yeux vers les sphères sereines 6+6 l
Où brillait votre astre idéal ; 8 f
Car, par delà ce flot des lâchetés humaines, 6+6 l
845 La croix se change en piédestal, 8 f
Et le temps ceint vos fronts d'une auréole pure 6+6 w
Au jour des tardifs repentirs. 8 w
Mais ce peuple, qui n'a que l'opprobre et l'injure 6+6 w
Pour ses sauveurs et ses martyrs, 8 w
850 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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855 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Alors se confondit la vision nocturne 6+6 x
Que sur moi le sommeil évoquait de son urne ; 6+6 x
860 Dans l'abîme sans borne où mes yeux se noyaient, 6+6 y
De grands astres éteints çà et là tournoyaient. 6+6 y
Comme un vaisseau perdu dans l'Océan des mondes, 6+6 i
La terre s'égarait en courses vagabondes ; 6+6 i
Le soleil, — oh ! qu'un seul, un seul rayon béni 6+6 t
865 Traversât seulement les champs de l'Infini ! 6+6 t
Mais dans les cieux nageait un crépuscule pâle ; 6+6 z
Par instants mugissait la lugubre rafale 6+6 z
Que Dante vit planer sur les cercles maudits ; 6+6 j
Puis un silence morne, et les vents engourdis 6+6 j
870 Laissaient les mers sans vague et de brume voilées. 6+6 k
Cependant, au milieu des plaines désolées, 6+6 k
Vibrait comme l'écho d'un mugissement sourd, 6+6 z
Et dans l'air sans étoile errait un brouillard lourd. 6+6 z
Connue les cris mêlés de mille oiseaux funèbre, 6+6 o
875 Un dernier cri de mort monta dans les ténèbres, 6+6 o
Et de l'immensité l'écho le répéta. 6+6 h
Alors Euphorion prit sa lyre et chanta 6+6 h
Adieu ! tout est fini ! la nuit règne sans borne 6+6 b
Sur l'immensité morne, 6 b
880 Etne ramènera, ni demain ni jamais, 6+6 p
Le soleil que j'aimais. 6 p
Encore un chant. A toi mes dernières paroles, 6+6 p
A toi qui fais pleurer tout ensemble et consoles, 6+6 p
O divin souvenir ! 6 q
885 Esprit des anciens jours, descends de ton étoile ; 6+6 c
Étends autour de moi ton aile d'or, et voile 6+6 c
L'implacable avenir. 6 q
Je regrette ces jours de fraîcheur printanière 6+6 t
Où la sainte lumière 6 t
890 Montait à mes regards, pour la première fois, 6+6 j
La verdure des bois. 6 j
Oh ! la neige des monts, les torrents, l'ombre épaisse, 6+6 b
Fleurs des rives, lotus, gazons verts que caresse 6+6 b
Le flot calme et dormant ! 6 j
895 Mystères des forets, profondeurs insondées, 6+6 k
Où mes ailes d'argent, par les brises guidées, 6+6 k
Volaient si librement ! 6 j
Et puis voici les chœurs, et, dans les plaines blondes, 6+6 i
Les danses vagabondes, 6 i
900 Et l'incarnation de la sainte Beauté 6+6 f
Dans le marbre sculpté, 6 f
Les frontons blancs, les dieux souriants et sans nombre, 6+6 z
La vie heureuse et libre, et les baisers dans l'ombre, 6+6 z
J'entends vibrer dans l'air 6 y
905 Comme un écho lointain de chansons oubliées, 6+6 k
Et frissonner au vent les tresses déliées 6+6 k
Des nymphes de la mer. 6 y
Pendant les longues nuits, au fond des cathédrales, 6+6 f
A genoux sur les dalles, 6 f
910 J'ai mêlé ma prière et mes pleurs aux soupirs 6+6 w
Des saints et des martyrs ; 6 w
Puis j'ai voulu chercher, dans d'austères éludes, 6+6 e
L'arbre de la science, au fond des solitudes 6+6 e
Où Dieu l'avait planté ; 6 f
915 Et j'ai suivi les pas de la phalange ardente 6+6 v
Qui voulait conquérir sur l'arène sanglante 6+6 v
La sainte liberté. 6 f
Toujours devant mes yeux, comme devant les mages, 6+6 f
De radieux mirages 6 f
920 Brillaient, et je suivais l'astre qui m'avait lui. 6+6 t
Mais en vain aujourd'hui, 6 t
Dans un vague lointain, j'entends chanter les brises : 6+6 m
Les Édens d'Orient et les terres promises 6+6 m
Ne m'attireront plus. 6 e
925 Si je priais encore, ô Dieu, que je renie, 6+6 r
Je ne demanderais, ô jeunesse bénie ! 6+6 r
Qu'un seul des jours perdus. 6 e
Puisque mes dieux sont morts, qu'au vent de ma pensée 6+6 s
Leur cendre est dispersée, 6 s
930 Dormons du lourd sommeil qu'en son gouffre béant 6+6 j
Nous garde le néant. 6 j
Là sont les jours pleurés de ma jeunesse morte. 6+6 u
Que les peuples nouveaux marchent où les emporte 6+6 u
Le muet avenir ! 6 q
935 Au linceul du passé couchons-nous en silence ; 6+6 c
Dormons sans rêve ; adieu, pièges de l'Espérance, 6+6 c
Poisons du souvenir ! 6 q
Voici la grande nuit. Si jamais, ô mes frères ! 6+6 s
Vers de meilleures terres 6 s
940 Le souffle de l'Esprit vous emporte, donnez 6+6 f
Une larme aux aînés ! 6 f
Dans ses courses, parfois l'essaim des hirondelles 6+6 n
S'arrête, et, près du terme espéré, pleure celles 6+6 n
Qui tombent en chemin. 6 y
945 O mortels ! suspendez votre course rapide ; 6+6 d
Pleurez ceux qui sont morts en rêvant l'Atlantide 6+6 d
Où vous serez demain. 6 y
mètre profils métriques : 8, 6, 6+6, 5+5
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