Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
MLV_1/MLV54
Charles MILLEVOYE
POÉSIES
1801-1814
POËMES
L'AMOUR MATERNEL
De ma veine docile échappés au hasard, 6+6 a
Coulez, mes vers, coulez sans effort et sans art ! 6+6 a
Une mère, un enfant, voilà votre modèle : 6+6 b
Soyez purs comme lui, soyez tendres comme elle. 6+6 b
5 Puisse un jour cette mère, au berceau de son fils, 6+6 a
Pensive, quelquefois parcourir mes récits ; 6+6 a
Et, reposant ses yeux sur l'enfant qu'elle adore, 6+6 b
Suspendre sa lecture, et la reprendre encore ! 6+6 b
Ce maternel amour, par des charmes secrets, 6+6 a
10 Émeut la brute même au fond de ses forêts. 6+6 a
L'hyène épouvantable et l'affreuse panthère 6+6 b
Sous leur farouche aspect cachent un cœur de mère. 6+6 b
Terrible en sa douleur, par de lugubres cris 6+6 a
La lionne au désert redemande ses fils. 6+6 a
15 Lorsque du doux printemps la présence féconde 6+6 b
Au souffle des zéphyrs ressuscite le monde, 6+6 b
Renonçant à ses jeux, le peuple des oiseaux 6+6 a
Cherche au fond des bosquets les plus sombres rameaux, 6+6 a
Et la mère attentive arrondit et décore 6+6 b
20 Le nid de ses enfants qui ne sont pas encore. 6+6 b
Philomèle en nos bois suspend l'hymne d'amour ; 6+6 a
En vain elle voit naître et voit mourir le jour, 6+6 a
L'écho ne redit plus sa finale légère, 6+6 b
Et son tendre silence avertit qu'elle est mère. 6+6 b
25 Mais d'un devoir si doux, d'un si pur sentiment, 6+6 a
Femme ! qui mieux que toi connaît l'enchantement ? 6+6 a
Quand d'un souffle immortel Dieu même t'eut formée, 6+6 b
Tu naquis pour aimer comme pour être aimée. 6+6 b
En vain ce Dieu t'impose un long tribut de pleurs, 6+6 a
30 Ton courage redouble au sein de tes douleurs : 6+6 a
La mère qui pour nous a souffert sans faiblesse, 6+6 b
Avec moins de tourments aurait moins de tendresse. 6+6 b
Malheureux le mortel dont le cœur isolé 6+6 a
Par le doux nom de fils ne fut point consolé ! 6+6 a
35 Il cherche tristement un appui sur la terre, 6+6 b
Et l'ennui vient s'asseoir sous son toit solitaire. 6+6 b
Le temps blanchit sa tête, et les ans l'ont vaincu : 6+6 a
Hélas ! il a vieilli, mais il n'a point vécu. 6+6 a
Que j'aime à contempler cette mère adorée 6+6 b
40 De rejetons charmants avec grâce entourée ! 6+6 b
L'un assiége son front, d'autres pressent sa main ; 6+6 a
Tandis que le plus jeune, étendu sur son sein, 6+6 a
Sans bruit, cherchant la place où son amour aspire, 6+6 b
Gravit jusqu'à la bouche, où l'appelle un sourire. 6+6 b
45 Mais, par l'heure averti moins que par son amour, 6+6 a
Leur père impatient est déjà de retour. 6+6 a
Il entre… quelle image ! et quel moment de fête ! 6+6 b
Immobile et charmé, sur le seuil il s'arrête. 6+6 b
Ne respirant qu'à peine, en silence il jouit, 6+6 a
50 Sous son feutre à longs bords son front s'épanouit ; 6+6 a
Dans ses yeux paternels la joie éclate et brille, 6+6 b
Et du fond de son âme il bénit sa famille. 6+6 b
Un père toutefois, avec austérité, 6+6 a
Tempère son amour par la sévérité ; 6+6 a
55 Il étend sur ses fils sa longue prévoyance ; 6+6 b
La mère sait aimer, c'est toute sa science. 6+6 b
J'en atteste un seul mot par le cœur inspiré. 6+6 a
Une mère perdit son enfant adoré ; 6+6 a
Son digne et vieux pasteur sur sa vive souffrance 6+6 b
60 Versait le baume heureux d'une douce éloquence : 6+6 b
« Ranimez, disait-il, ce courage abattu ; 6+6 a
« Du pieux Abraham imitez la vertu. 6+6 a
» Dieu demanda son fils, et Dieu l'obtint d'un père. 6+6 b
» — Ah ! Dieu ne l'eut jamais exigé d'une mère ! » 6+6 b
65 Cri sublime, qui seul vaut les plus doctes chants ! 6+6 a
Et comment exprimer ces transports si touchants 6+6 a
Qu'à l'âme d'une mère un tendre amour inspire ? 6+6 b
Elle aime son enfant même avant qu'il respire. 6+6 b
Quand ce gage chéri, si longtemps imploré, 6+6 a
70 S'échappe avec effort de son flanc déchiré, 6+6 a
Dans quel enchantement son oreille ravie 6+6 b
Reçoit le premier cri qui l'annonce à la vie ! 6+6 b
Heureuse de souffrir, on la voit tour à tour 6+6 a
Soupirer de douleur et tressaillir d'amour… 6+6 a
75 Ah ! loin de le livrer au sein de l'étrangère, 6+6 b
Sa mère le nourrit, elle est deux fois sa mère. 6+6 b
Elle écoute, la nuit, son paisible sommeil ; 6+6 a
Par un souffle elle craint de hâter son réveil. 6+6 a
Elle entoure de soins sa fragile existence ; 6+6 b
80 Avec celle d'un fils la sienne recommence ; 6+6 b
Elle sait, dans ses cris devinant ses désirs, 6+6 a
Pour ses caprices même inventer des plaisirs. 6+6 a
Quand la raison précoce a devancé son âge, 6+6 b
Sa mère, la première, épure son langage ; 6+6 b
85 De mots nouveaux pour lui, par de courtes leçons, 6+6 a
Dans sa jeune mémoire elle imprime les sons : 6+6 a
Soin précieux et tendre, aimable ministère, 6+6 b
Qu'interrompent souvent les baisers d'une mère ! 6+6 b
D'un naïf entretien poursuit-elle le cours, 6+6 a
90 Toujours interrogée, elle répond toujours. 6+6 a
Quelquefois une histoire abrége la veillée : 6+6 b
L'enfant prête une oreille avide, émerveillée ; 6+6 b
Appuyé sur sa mère, à ses genoux assis, 6+6 a
Il craint de perdre un mot de ces fameux récits. 6+6 a
95 Quelquefois de Gessner la muse pastorale 6+6 b
Offre au jeune lecteur sa riante morale ; 6+6 b
Il s'amuse et s'instruit : par un mélange heureux, 6+6 a
Ses jeux sont des travaux, ses travaux sont des jeux. 6+6 a
La lice va s'ouvrir : l'étude opiniâtre 6+6 b
100 Te dispute ce fils que ton cœur idolâtre, 6+6 b
Tendre mère ! Déjà de sérieux loisirs 6+6 a
Préparent ses succès ainsi que tes plaisirs. 6+6 a
Enfin luit la journée où le rhéteur antique, 6+6 b
D'un peuple turbulent monarque flegmatique, 6+6 b
105 Dépouillant de son front la morne austérité, 6+6 a
Décerne au jeune athlète un laurier mérité. 6+6 a
En silence on attache une vue attendrie 6+6 b
Sur l'enfant qui promet un homme à la patrie… 6+6 b
Cet enfant, c'est le tien : un cri part ; le vainqueur 6+6 a
110 Porté par mille bras est déjà sur ton cœur ; 6+6 a
Son triomphe est à toi, sa gloire t'environne, 6+6 b
Et de pleurs maternels tu mouilles sa couronne. 6+6 b
Il échappe à l'enfance, et ses nouveaux destins 6+6 a
L'appellent désormais vers les pays lointains : 6+6 a
115 Ton âme se déchire à cet adieu funeste… 6+6 b
Mais, du moins, s'il s'éloigne, une fille te reste : 6+6 b
Ta fille caressante, attachée à tes pas, 6+6 a
Semble te dire : « Moi, je ne partirai pas. » 6+6 a
Moins changeante en ses goûts, en ses jeux plus paisible, 6+6 b
120 Son esprit est plus souple, et son cœur plus sensible : 6+6 b
Comme l'aube promet le jour à l'horizon, 6+6 a
Elle te fait déjà pressentir sa raison ; 6+6 a
Et, d'un devoir futur déjà préoccupée, 6+6 b
Rêve le nom de mère en berçant sa poupée. 6+6 b
125 Oh ! comme avec orgueil ton regard enchanté 6+6 a
Voit sa beauté naissante éclipser ta beauté ! 6+6 a
Quand le trouble inconnu d'une première flamme 6+6 b
De ses quinze printemps vient avertir son âme, 6+6 b
Ton silence attentif interroge ses vœux, 6+6 a
130 Et sa plus tendre amie a ses plus doux aveux. 6+6 a
Mais il se lève enfin, le jour où la tendresse, 6+6 b
Aux vertus d'un époux confiant sa jeunesse, 6+6 b
Attache en soupirant sur ce front virginal 6+6 a
La guirlande et le lin du bandeau nuptial ! 6+6 a
135 Ta parure importune est en vain préparée. 6+6 b
Du bonheur de sa fille une mère est parée ; 6+6 b
Parmi les flots pressés d'un peuple curieux, 6+6 a
Tu t'avances ; la joie étincelle en tes yeux. 6+6 a
La voilà, celle enceinte où jadis la famille 6+6 b
140 Unit ta destinée au père de ta fille ! 6+6 b
La majesté du lieu, l'orgue et ses longs accents, 6+6 a
Ces parfums solennels, ces nuages d'encens, 6+6 a
Des divines clartés ce pur dépositaire 6+6 b
Qui grave dans les cieux les serments de la terre, 6+6 b
145 Le livre, les flambeaux, les vases consacrés, 6+6 a
De la religion symboles révérés, 6+6 a
L'autel, les deux époux, le voile d'hyménée 6+6 b
Qui s'étend soutenu sur leur tète inclinée, 6+6 b
Tout émeut, tout inspire un saint recueillement 6+6 a
150 La mère est immobile, et sourit tristement : 6+6 a
Elle écoule, muette et l'oreille captive, 6+6 b
Ce seul mot que prononce une bouche craintive ; 6+6 b
Et le trouble touchant de son cœur maternel 6+6 a
Est encore une offrande aux yeux de l'Éternel. 6+6 a
155 Charme consolateur, la bonté d'une mère, 6+6 b
De la bonté céleste image auguste et chère, 6+6 b
Trésor de tous les temps et de tous les climats, 6+6 a
A devancé la vie et survit au trépas. 6+6 a
Que des Canadiens j'aime l'antique usage ! 6+6 b
160 Sur les bords du torrent, près du rocher sauvage, 6+6 b
Leur âme se nourrit du charme des douleurs ; 6+6 a
Ils cultivent la tombe et l'arrosent de pleurs. 6+6 a
Un tendre souvenir, dans la saison nouvelle, 6+6 b
Vers cet enclos sacré doucement les rappelle. 6+6 b
165 Morne et silencieux, sur la pierre étendu, 6+6 a
Le père croit revoir le fils qu'il a perdu. 6+6 a
Les yeux levés au ciel, la mère désolée 6+6 b
S'approche avec lenteur de l étroit mausolée, 6+6 b
Et, soupirant le nom de cet enfant chéri, 6+6 a
170 Répand sur son tombeau le lait qui l'eût nourri ! 6+6 a
De son fils qui n'est plus la plaintive Indienne 6+6 b
Voit les vents balancer la tombe aérienne… 6+6 b
Mais, le jour où l'enfant s'endort du grand sommeil, 6+6 a
S'inclinant sur sa bouche, elle attend son réveil : 6+6 a
175 Quand le soleil trois fois a doré le nuage, 6+6 b
Elle lui forme un lit de fleurs et de feuillage, 6+6 b
De l'érable docile agite le rameau… 6+6 a
Et ne s'aperçoit pas qu'elle berce un tombeau ! 6+6 a
O de Madagascar gémissante insulaire ! 6+6 b
180 Ton fils, qu'a réclamé la fatale colère, 6+6 b
Ton fils est en naissant arraché de tes bras, 6+6 a
Un inflexible dieu le condamne au trépas. 6+6 a
Ta voix se mêle au bruit des vagues du rivage ; 6+6 b
Elle attendrit l'écho de ta grotte sauvage : 6+6 b
185 » Dieu de pleurs et de sang ! qu'exiges-tu de moi ? 6+6 a
» Dieu cruel ! quelle est donc ta sanguinaire loi ? 6+6 a
» Hélas ! pour t'obéir, faut-il à l'innocence 6+6 b
» Donner en même temps et ravir l'existence ? 6+6 b
« Mais si mon fils échappe aux flots du noir torrent, 6+6 a
190 » Comme un spectre hideux, dans le désert errant, 6+6 a
» Chargé d'une langueur que chaque jour augmente, 6+6 b
» Pâle et triste, insensible aux baisers d'une amante, 6+6 b
» Accablé de lui-même et vieux avant le temps, 6+6 a
» Malheureux, il vivra pour mourir plus longtemps. 6+6 a
195 « Qu'il meure… Qu'ai-je dit, cruelle ? et je suis mère ! 6+6 b
» Non, mon fils, tu vivras. S'il faut te satisfaire, 6+6 b
» Redoutable Nyang ! frappe, je t'appartiens. 6+6 a
» Me voici ; prends mes jours, mais épargne les siens ! » 6+6 a
Si de l'antiquité nous cherchons les vestiges 6+6 b
200 Aux poétiques lieux si féconds en prestiges, 6+6 b
Que de mouvants tableaux se pressent sous nos yeux ! 6+6 a
Clylemnestre dispute Iphigénie aux dieux. 6+6 a
Aux bords du Simoïs, sur les débris de Troie, 6+6 b
Andromaque éplorée, à sa douleur en proie, 6+6 b
205 Cachant Astyanax à ses vainqueurs jaloux, 6+6 a
Recommande son fils au tombeau d'un époux. 6+6 a
Hécube échevelée, et d'amour intrépide, 6+6 b
Vole aux champs de la Thrace, implacable Euménide. 6+6 b
Frémis, Polymestor !… Évoquant Némésis, 6+6 a
210 Aux mânes de son fils clic immole tes fils. 6+6 a
Hâtons-nous d'écarter ces images fatales. 6+6 b
De l'antique Israël parcourons les annales. 6+6 b
Puissé-je retracer avec fidélité 6+6 a
Ces nobles traits, si grands dans leur simplicité ! 6+6 a
215 Dans le vaste silence, une voix désolée 6+6 b
,Y retenti longtemps au fond de la vallée : 6+6 b
C'est la voix de Rachel… O regrets superflus ! 6+6 a
Ne la consolez point, ses enfants ne sont plus. 6+6 a
De l'innocente Agar qui ne sait l'aventure ? 6+6 b
220 Dans le désert sans fruits, sans ruisseaux, sans verdure, 6+6 b
Elle a vu, d'un regard sombre et désespéré, 6+6 a
Le dernier aliment par son fils dévoré ; 6+6 a
Sur les arides bords de la coupe épuisée 6+6 b
Ismaël porte en vain une lèvre embrasée. 6+6 b
225 Agar cherche autour d'elle… Elle appelle trois fois, 6+6 a
Et le désert immense est muet à sa voix. 6+6 a
» De l'eau ! lui dit l'enfant ; des fruits ! ou que je meure ! » 6+6 b
La triste Agar l'entend, et se détourne, et pleure. 6+6 b
Elle invoque le ciel : « Daigne le secourir, 6+6 a
230 » Grand Dieu ! je n'ai qu'un fils, et ce fils va mourir. 6+6 a
» Ne puis-je l'abreuver de mes larmes amères ! » 6+6 b
Agar ! il est un Dieu qui veille sur les mères. 6+6 b
Du séjour de la gloire un ange est descendu ; 6+6 a
L'onde jaillit : l'enfant à la vie est rendu. 6+6 a
235 Heureuse en un désert que le soleil dévore, 6+6 b
Sous le toit d'Abraham Agar se croit encore. 6+6 b
Mais, sans interroger le livre du passé, 6+6 a
Qu'un plus récent exemple, à nos yeux retracé, 6+6 a
Dise par quel pouvoir le maternel courage 6+6 b
240 D'un lion dans Florence intimida la rage. 6+6 b
De l'étroite prison qui rassemble à grands frais 6+6 a
Les monstres des déserts, les hôtes des forêts, 6+6 a
Un lion s'échappa : tout fuyait à sa vue. 6+6 b
Dans le commun désordre, une mère éperdue 6+6 b
245 Emportait son enfant… Dieu ! ce fardeau chéri,, 6+6 a
De ses bras échappé, tombe ; elle jette un cri, 6+6 a
S'arrête, et l'aperçoit sous la dent affamée. 6+6 b
Elle reste immobile et presque inanimée, 6+6 b
Le front pâle, l'œil fixe et les bras étendus. 6+6 a
250 Elle reprend ses sens un moment suspendus ; 6+6 a
La frayeur l'accablait ! la frayeur la ranime. 6+6 b
O prestige d'amour ! ô délire sublime ! 6+6 b
Elle tombe à genoux : « Rends-moi, rends-moi mon fils 6+6 a
Ce lion si farouche est ému par ses cris, 6+6 a
255 La regarde, s'arrête, et la regarde encore : 6+6 b
Il semble deviner qu'une mère l'implore. 6+6 b
Il attache sur elle un œil tranquille et doux, 6+6 a
Lui rend ce bien si cher, le pose à ses genoux, 6+6 a
Contemple de l'enfant le paisible sourire, 6+6 b
260 Et dans le fond des bois lentement se retire. 6+6 b
Tendres mères ! souffrez qu'à ces récits nombreux 6+6 a
J'ose ajouter encore un récit douloureux ; 6+6 a
Peut-être de mes chants l'intérêt s'en augmente. 6+6 b
Délices de sa mère, une fille charmante 6+6 b
265 Du père le plus tendre était aussi l'amour. 6+6 a
A sa neuvième année il manquait un seul jour : 6+6 a
Déjà pour célébrer l'époque fortunée 6+6 b
La fête de famille allait être ordonnée ; 6+6 b
Déjà… mais tout à coup la jeune Coraly 6+6 a
270 Fuit les jeux ; sur ses traits où la rose a pâli 6+6 a
Par degrés se répand une langueur secrète. 6+6 b
Sa mère l'interroge, elle reste muette. 6+6 b
Bientôt d'un mal cruel ses jours sont menacés ; 6+6 a
Les brûlantes ardeurs et les frissons glacés 6+6 a
275 De la fièvre inégale attestent la présence. 6+6 b
L'art s'arrête, étonné de son insuffisance. 6+6 b
L'élève d'Esculape au chevet s'est assis : 6+6 a
Il observe longtemps, et, longtemps indécis, 6+6 a
Reconnaît ce fléau des rives étrangères 6+6 b
280 Récemment apporté pour le malheur des mères. 6+6 b
Il frémit, sans songer qu'un avide regard 6+6 a
Épiait sur son front les terreurs de son art. 6+6 a
Hélas ! c'en fut assez pour la triste Euphrasie. 6+6 b
D'un invincible effroi dès ce moment saisie, 6+6 b
285 Elle ne rêva plus qu'infortune et que mort. 6+6 a
Pouf comble de douleur, un inquiet transport 6+6 a
Agita, tout un jour, cette fille adorée. 6+6 b
Souvent elle disait d'une voix égarée : 6+6 b
« Ma mère m'abandonne, elle n'est point ici. » 6+6 a
290 Sa mère, l'œil en pleurs, répondait : « Me voici. » 6+6 a
L'enfant la regardait, et secouait la tète. 6+6 b
» On ne me parle plus des apprêts de la fête, 6+6 b
Reprenait Coraly. Je crois que j'y serai, 6+6 a
A moins… » Elle se tait. Dans un cœur ulcéré 6+6 a
295 C'est ainsi qu'enfonçant un trait qui le déchire 6+6 b
De sa mère souffrante elle accroît le martyre. 6+6 b
Sa mère cependant la veillait ; une nuit, 6+6 a
De son souffle pénible elle écoutait le bruit : 6+6 a
Des mots entrecoupés et des soupirs plus sombres 6+6 b
300 Lui parurent soudain sortir du sein des ombres ; 6+6 b
Elle crut reconnaître, à ces sons gémissants, 6+6 a
L'effrayante agonie et ses rauques accents. 6+6 a
« Adieu, c'est pour toujours ! » fut l'adieu long et tendre 6+6 b
Que d'une faible voix Coraly fit entendre : 6+6 b
305 Il lui semblait mourir. D'Euphrasie à ces mots 6+6 a
Le désespoir éclate en douloureux sanglots. 6+6 a
On accourt à ses (ris : son époux, non sans peine, 6+6 b
Muet et consterné, loin de ces lieux l'entraîne ; 6+6 b
Mais lui-même y revient du baiser de douleur 6+6 a
310 Presser un front livide et des traits sans couleur. 6+6 a
En tremblant il s'approche… O bonheur ! ô merveille ! 6+6 b
Du sommeil de la mort Coraly se réveille. 6+6 b
La nature, de l'art prévenant les secours, 6+6 a
Par une crise heureuse avait sauvé ses jours. 6+6 a
315 «Viens, triste mère ! viens, ta Coraly respire. » 6+6 b
Elle ne répond pas. D'un morne et froid délire 6+6 b
L'égarement tranquille occupe son esprit. 6+6 a
Elle pleure parfois, parfois elle sourit. 6+6 a
Son trouble réfléchi semble la raison même. 6+6 b
320 « Ah ! lui dit son époux, bénis le Dieu suprême : 6+6 b
Notre fille est vivante, et ce Dieu nous la rend. 6+6 a
— Adieu, c'est pour toujours ! » répond-elle en pleurant. 6+6 a
Dans le champ du repos, voisin de son asile, 6+6 b
Un jour, à ses regards, sous le saule mobile, 6+6 b
325 S'offrit récent encore un étroit monument : 6+6 a
« Elle est là ! » cria-t-elle ; et depuis ce moment 6+6 a
Elle sema de fleurs cette tombe inconnue. 6+6 b
« Absente quelque temps, la fille est revenue, 6+6 b
Dit enfin son époux, cherchant à la guérir 6+6 a
330 De ce trouble fatal qu'elle aimait à nourrir. 6+6 a
Tu l'aimais tant ! Veux-tu qu'en les bras je l'amène ? 6+6 b
— Non, répond Euphrasie. Une espérance vaine 6+6 b
A mes maux, à mon deuil ne saurait m'arracher. 6+6 a
Elle ne viendra point, mais j'irai la chercher. 6+6 a
335 — A tes yeux un instant permets qu'elle paraisse. 6+6 b
— Croit-on par un détour abuser ma tendresse ? 6+6 b
N'importe ! j'y consens. Amenez dans mes bras 6+6 a
Cet enfant si chéri, que je ne connais pas. » 6+6 a
Coraly reparaît sur le sein de son père. 6+6 b
340 « C'est moi-même, c'est moi : quille ce front sévère. 6+6 b
Réponds, que t'ai-je fait ? tu ne m'aimes donc plus ? » 6+6 a
Sa douce voix s'exhale en accents superflus. 6+6 a
Sa mère la regarde et demeure en silence. 6+6 b
« Oui… J'admire, il est vrai, leur vive ressemblance, 6+6 b
345 Dit-elle, je revois ce que j'ai tant aimé 6+6 a
Dans le portrait vivant d'un reste inanimé. 6+6 a
Vous avez bien choisi : celte jeune étrangère 6+6 b
Tromperait tous les yeux, hors les yeux d'une mère. 6+6 b
Éloignez-la. Je crois que ce cruel présent 6+6 a
350 Rend de mes maux encor le fardeau plus pesant. 6+6 a
Mon enfant, laissez-moi toute mon infortune ; 6+6 b
Rejoignez votre mère. — Hélas ! j'en avais une. 6+6 b
— Elle n'est plus ? — Du moins elle est morte pour moi. 6+6 a
Elle me méconnaît, et je ne sais pourquoi. 6+6 a
355 — Viens, ma fille, partons ; je suis encor ton père, 6+6 b
Dit l'époux d'Euphrasie, affectant la colère. 6+6 b
— Arrêtez, cria-t-elle, arrêtez, cher époux ! 6+6 a
Laissez-moi l'embrasser. Ses regards sont si doux ! 6+6 a
A l'entendre, à la voir déjà je m'accoutume. 6+6 b
360 — Non, non ; de vos regrets elle accroît l'amertume. 6+6 b
Partons. — Adieu, ma fille ! en te perdant, je crois 6+6 a
Perdre ma Coraly pour la seconde fois. 6+6 a
Pourquoi l'ai-je voulu ? mon époux inflexible 6+6 b
Punit ce cœur glacé redevenu sensible. 6+6 b
365 Adieu, ma fille, adieu. » Sa fille en l'écoutant 6+6 a
Faiblement répéta comme au fatal instant : 6+6 a
« Adieu. C'est pour toujours ! » A cette voix si tendre, 6+6 b
La mère jette un cri : « Ciel ! que viens-je d'entendre ! 6+6 b
C'est elle encor, c'est elle. Oui, les mêmes adieux, 6+6 a
370 Le même accent !… j'en crois mon oreille cl mes yeux. 6+6 a
Ma Coraly, c'est toi que je tiens, que j'embrasse. 6+6 b
Et toi que j'accusais, cher époux, fais-moi grâce. 6+6 b
Quand pour elle mes bras refusaient de s'ouvrir, 6+6 a
Combien de ces refus ton cœur a dû souffrir ! 6+6 a
375 Hélas ! dans les chagrins dont j'étais consumée, 6+6 b
Le mien la repoussait pour l'avoir trop aimée. » 6+6 b
Elle dit, et, baignés de pleurs délicieux, 6+6 a
Ils s'embrassent tous trois en bénissant les cieux. 6+6 a
Depuis, l'heureuse mère avec un doux sourire 6+6 b
380 Raconte quelquefois son maternel délire. 6+6 b
Quelquefois, quand le jour penche vers son déclin, 6+6 a
Avec sa Coraly gagnant l'enclos voisin, 6+6 a
Sur ce cercueil, objet d'une erreur triste et chère, 6+6 b
Elle porte des fleurs au fils de l'étrangère. 6+6 b
385 Tant d'exemples touchants me ramènent à toi, 6+6 a
Ma mère ! Eh ! qui jamais fut plus aimé que moi ? 6+6 a
J'avais un père : il fut l'ami de mon enfance. 6+6 b
A peine dans la fleur de mon adolescence, 6+6 b
Je le perdis. Frappé de ce premier malheur, 6+6 a
390 Je fis sur son tombeau l'essai de la douleur. 6+6 a
Ma mère, ce fut toi dont la main tutélaire 6+6 b
Écarta de mon front le cyprès funéraire. 6+6 b
Puissé-je, par mes soins payant tes soins constants, 6+6 a
Réchauffer ton hiver des feux de mon printemps ! 6+6 a
395 Du chantre dont Windsor admira l'harmonie 6+6 b
J'aurai du moins le cœur, si je n'ai son génie. 6+6 b
Des ennuis d'une mère il charma le long cours ; 6+6 a
Elle aida son enfance, il soutint ses vieux jours ; 6+6 a
Dans ses yeux inquiets ses yeux aimaient à lire, 6+6 b
400 Et pour servir sa mère il déposait sa lyre. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
logo du CRISCO logo de l'université