Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
MLV_1/MLV53
Charles MILLEVOYE
POÉSIES
1801-1814
POËMES
ALFRED
CHANT QUATRIÈME
« N'en doutez pas, | c'est lui, c'est lui, mon père ! 4+6 a
J'ai de son luth | reconnu la douceur. 4+6 b
C'était sa voix : | cette voix toujours chère 4+6 a
A retenti | jusqu'au fond de mon cœur. 4+6 b
5 Y songes-tu, | ma fille ? Quel prodige 4+6 a
L'eût amené | dans ce séjour d'effroi ? 4+6 b
— C'est lui, mon père ! |Il maudissait son roi ; 4+6 b
Le pourrait-il ? | Détrompe-toi, te dis-je. » 4+6 a
Dans une tour, | sur le tertre voisin, 4+6 a
10 Ainsi parlait | à sa fille éperdue 4+6 b
Le vieux Saxon | dont la mort suspendue… 4+6 b
C'était Olgard, | et l'amante d'Edvin. 4+6 a
Mais la nuit règne, | et les autans mugissent ; 4+6 a
Au camp danois | cependant retentissent 4+6 a
15 Les jeux bruyants, | les ris désordonnés, 4+6 a
L'aigre dispute | et les cris forcenés. 4+6 a
L'affreuse Orgie | et la Débauche immonde, 4+6 a
La coupe en main, | circulent à la ronde. 4+6 a
Le frêne antique | et les chênes altiers 4+6 a
20 Sont dévorés | par la flamme éclatante, 4+6 b
Fournaise immense | où des bœufs tout entiers 4+6 a
Tombe à grand bruit | la masse palpitante. 4+6 b
La flamme à peine | a coloré leurs flancs, 4+6 a
Que par lambeaux | leur chair est arrachée, 4+6 b
25 Et que leurs os | dont la terre est jonchée 4+6 b
Loin du festin | roulent, noirs et brûlants. 4+6 a
De tous côtés | les coupes étincellent ; 4+6 a
De tous côtés | les breuvages ruissellent ; 4+6 a
Elles soldais, | près des foyers ardents, 4+6 a
30 Hurlent en chœur | des refrains discordants. 4+6 a
Parmi les chefs | assemblés sous sa tente, 4+6 a
Le sombre Ivar, | de moment en moment, 4+6 b
D'un air distrait, | verse et boit froidement 4+6 b
Et l'hydromel, | et la bière écumante. 4+6 a
35 Au vieux Reener | il songeait, et son œil 4+6 a
Cherchait le barde | assis non loin du seuil : 4+6 a
« Approche, Edvin ! | parle-moi de mon père ; 4+6 a
Ainsi qu'à moi | sa mémoire t'est chère, 4+6 a
Buvons à lui : | remplis la coupe d'or, 4+6 a
40 Et vide-la | pour la remplir encor ! » 4+6 a
L'instant d'après, | frémissant de colère, 4+6 a
Ivar se lève, | et, déjà chancelant : 4+6 b
« Ta coupe, Edvin ! | Bois au trépas sanglant 4+6 b
Du meurtrier | qui m'a privé d'un frère. 4+6 a
45 — Arrête, Ivar ! |… Le luth mélodieux 4+6 a
Ne s'unit point | à la coupe d'ivresse ; 4+6 b
Le barde austère | a besoin de sagesse : 4+6 b
Sobre ici-bas, | je boirai chez les dieux. » 4+6 a
D'Ivar pensif | le front alors s'abaisse ; 4+6 a
50 D'une voix sombre | il prononce ces mots : 4+6 b
« Fidèle Ubba, | l'ami de ma jeunesse, 4+6 a
Qui partageais | mes plaisirs et mes maux ! 4+6 b
Tu n'es plus là. | Dans l'amère tristesse, 4+6 a
Le cœur d'Ivar | lentement se flétrit ; 4+6 a
55 Le plus doux miel | sur mes lèvres s'aigrit. » 4+6 a
Et sa fureur | tout à coup se ranime : 4+6 a
« Ouvre la tour, | impétueux Rismar ! 4+6 b
Amène-moi | l'une et l'autre victime ; 4+6 a
Je veux les voir. | — Que vas-tu faire, Ivar ? 4+6 b
60 S'écrie Edvin : | songe à la foi jurée. 4+6 a
— Oui. Ma parole | en tout temps fut sacrée : 4+6 a
Songe à la tienne, | EJvin. — Rassure-toi. 4+6 a
A sa promesse | Edvin sera fidèle. 4+6 b
Demain, aux feux | de l'aurore nouvelle, 4+6 b
65 Alfred ici | doit paraître avec moi. » 4+6 a
Il dit. Rismar | sous la tente guerrière 4+6 a
Au chef danois | amène brusquement 4+6 b
Le vieux captif, | la jeune prisonnière… 4+6 a
Edvin recule. | Un cri d'étonnement 4+6 b
70 Va le trahir ; | mais la fille et le père, 4+6 a
Déguisant mieux | leur trouble et leur effroi, 4+6 b
Gardent tous deux | un visage sévère. 4+6 a
» Où t'ai-je vu, | jeune barde ? et pourquoi 4+6 b
Cette surprise… | — Hélas ! pardonnez-moi, 4+6 b
75 Noble vieillard, | et vous, belle étrangère ; 4+6 a
Un doux prestige | avait trompé mon cœur : 4+6 a
J'ai cru revoir | et mon père et ma sœur. 4+6 a
— Jusqu'à demain | sous la prochaine tente 4+6 a
Vous resterez, | gardés par mes soldats, 4+6 b
80 Captifs ! Demain, | la vie ou le trépas. 4+6 b
Malheur à vous, | s'il trahit mon attente ! 4+6 a
— Malheur à moi | plutôt !… reprend Edvin. 4+6 a
Infortunés, | comptez sur moi ; j'espère 4+6 b
Qu'en vous ici | je n'aurai pas en vain 4+6 a
85 Revu ma sœur | et retrouvé mon père. 4+6 b
— Prends, dit Ivar, | prends ton luth inspiré. 4+6 a
Les fiers accords | plaisent au Scandinave ; 4+6 b
Va, dans ce camp | au tumulte livré, 4+6 a
A mes guerriers | chanter l'hymne du brave ; 4+6 b
90 Tu me réponds | d'eux tous. — Sois sûr de moi. 4+6 a
Je te l'ai dit, | Ivar, tu peux m'en croire : 4+6 b
Je sais un chant | qui donne la victoire, 4+6 b
Je sais un chant | qui dissipe l'effroi. « 4+6 a
Soudain il part, | dans sa marche discrète 4+6 a
95 Observant tout, | les passages ouverts, 4+6 b
Les feux éteints | et les postes déserts. 4+6 b
Là, dérobant | son approche secrète. 4+6 a
Il entrera | par des chemins couverts ; 4+6 c
Là, des Danois | prévenant la retraite, 4+6 a
100 Il leur destine | ou la mort ou des fers. 4+6 c
Tout est prévu, | tout est dans sa pensée, 4+6 a
Et sa victoire | est déjà commencée. 4+6 a
Prudent, il chante ; | et les Danois ravis 4+6 a
Prêtent l'oreille | à ces trompeurs avis : 4+6 a
105 Buvez, buvez, | en attendant l'aurore ! 4+6 a
Qu'elle vous trouve | au milieu des festins. 4+6 b
Buvez, buvez ! | Le jour est loin encore, 4+6 a
Et les brasiers | ne se sont pas éteints. 4+6 b
Chantez, chantez ! | que votre voix sonore 4+6 a
110 Frappe l'écho | des rivages lointains. 4+6 b
Chantez, chantez ! | le jour est loin encore, 4+6 a
Et les brasiers | ne se sont pas éteints. 4+6 b
Dormez, dormez ! | En attendant l'aurore, 4+6 a
Rêvez la gloire | et les futurs destins ! 4+6 b
115 Donnez, dormez ! | le jour est loin encore, 4+6 a
Et les brasiers | ne se sont pas éteints. 4+6 b
Mais un Danois | l'observait en silence : 4+6 a
« Pourquoi ce luth ? | il sied mal à ta main, 4+6 b
Barde ; et mes yeux | t'ont vu porter la lance. » 4+6 a
120 Il dit, se lève ; | Alfred suit son chemin. 4+6 b
« Ivar ! Ivar ! | sais-tu qui tout à l'heure 4+6 a
Dans notre camp | chantait l'hymne au guerrier ? 4+6 b
— Sans doute. Eh bien ? | — Ou qu'à l'instant je meure, 4+6 a
Ou c'est d'Ubba | le fatal meurtrier. 4+6 b
125 — De tes discours | la raison est bannie. 4+6 a
Quoi ! sous les coups | d'un chanteur de Scanie, 4+6 a
De qui la main | n'a point touché le Ter, 4+6 a
Ubba, l'honneur | de la Scandinavie, 4+6 b
Le fier Ubba, | le fils du grand Reener, 4+6 a
130 Aurait perdu | sa généreuse vie ! 4+6 b
Pour sa mémoire | as-tu tant de mépris ?… 4+6 a
Trop de breuvage | a troublé tes esprits : 4+6 a
Va sommeiller. | — Je vis périr ton frère ; 4+6 a
J'ai reconnu… | — Cesse, ou crains ma colère ! » 4+6 a
135 Le Scandinave, | à cet ordre soumis, 4+6 a
S'éloigne ; Edvin, | dans la nuit ténébreuse, 4+6 b
Passe au milieu | des gardes endormis, 4+6 a
Et librement | poursuit sa marche heureuse 4+6 b
Vers la forêt | où veillent ses amis. 4+6 a
140 Dévon alors | redoublait l'énergie 4+6 a
De ses soldats | autour de lui rangés. 4+6 b
Ce n'étaient point | la turbulente orgie, 4+6 a
Les chants impurs | et les cris prolongés 4+6 b
De ces Danois | dans l'ivresse plongés ; 4+6 b
145 Mais une troupe | aux combats toujours prête, 4+6 a
Qui, repoussant | les douceurs du sommeil, 4+6 b
Debout, se plaint | de la nuit qui l'arrête, 4+6 a
Et, tout armée, | appelle le soleil. 4+6 b
Au vaste sein | de la forêt obscure 4+6 a
150 S'ouvre et s'étend | un cirque sans mesure, 4+6 a
Désert sauvage, | et dont les pas humains 4+6 a
Ont rarement | fréquenté les chemins. 4+6 a
Inébranlable, | un majestueux chêne, 4+6 a
Seul, se balance | au milieu de la plaine, 4+6 a
155 En vain battu | des tempêtes du Nord. 4+6 a
Tel un héros, | seul avec son courage, 4+6 b
Résiste seul | aux efforts de l'orage, 4+6 b
Et sans plier | soutient les coups du sort. 4+6 a
Sur ce rameau | le grand Alfred lui-même, 4+6 a
160 Partant, hélas ! | incertain du retour, 4+6 b
Vint tristement | poser son diadème, 4+6 a
Et s'enfonça | dans les bois d'alentour. 4+6 b
Dévon, au pied | de l'arbre solitaire, 4+6 a
A la clarté | des flambeaux pétillants, 4+6 b
165 Avait conduit | les chefs les plus vaillants. 4+6 b
Il leur disait : | « Soutiens de l'Angleterre ! 4+6 a
De vous dépend | le destin de la guerre. 4+6 a
Jadis Alfred | vous guidait aux exploits ; 4+6 a
Vengez Alfred, | ou du moins' sa mémoire, 4+6 b
170 Et que son nom, | gage de la victoire, 4+6 b
Porte la mort | dans le camp du Danois ! 4+6 a
Ces feux épars, | cette nuit, ce silence, 4+6 a
Ce chêne altier | qui dans l'air se balance, 4+6 a
Ces ornements | suspendus sur nos fronts, 4+6 b
175 Et qui d'Alfred | rappellent les affronts, 4+6 b
Tout semble ici | nous parler de vengeance. 4+6 a
Vengeons Alfred ! | Eh ! que diriez-vous tous 4+6 a
Si du tombeau | sa grande ombre échappée, 4+6 b
Sous ce feuillage, | aux lueurs de l'épée, 4+6 b
180 Apparaissait | pour combattre avec nous ? » 4+6 a
A cette image, | au saint nom de leur maître, 4+6 c
Tous répétaient : | « Puisse-t-il apparaître ! 4+6 c
— Braves amis ! | Alfred est devant vous, » 4+6 a
Dit le héros ; | et la troupe étonnée 4+6 a
185 Tressaille, et tombe | à ses pieds prosternée, 4+6 a
En s'écriant : | « Mânes chers et proscrits ! 4+6 a
Dans la nuit sombre | entendiez-vous nos cris ? 4+6 a
— Alfred vous parle, | et non son vain fantôme ; 4+6 a
Je suis vivant : | sur les brigands du Nord 4+6 b
190 J'aurai demain | reconquis mon royaume. 4+6 a
Je suis vivant : | le Danois seul est mort.» 4+6 b
Tandis qu'Alfred | embrasse avec tendresse 4+6 a
Le digne ami | qui protégea son sort, 4+6 b
Autour du chêne | une foule s'empresse ; 4+6 a
195 Et, sous vingt bras | courbé non sans effort, 4+6 b
Un vert rameau | de la tige robuste 4+6 a
Au front royal | rend la couronne auguste. 4+6 a
Eu même temps | éclatent dans les airs 4+6 a
Les glaives nus, | les enseignes dorées ; 4+6 b
200 Les boucliers, | les lances acérées 4+6 b
Ont confondu | leur bruit et leurs éclairs. 4+6 a
Les cris joyeux | et les chansons de gloire 4+6 a
A cette fêle | invitent la victoire ; 4+6 a
Elle y Viendra ; | pour elle est déployé 4+6 a
205 Le vieux drapeau | si longtemps oublié, 4+6 a
Dont les replis | enferment l'épouvante. 4+6 a
Sur le tissu | respire un coursier blanc 4+6 b
Qui, l'œil en feu, | la crinière mouvante, 4+6 a
Souffle la guerre | et provoque le sang. 4+6 b
210 Couvert bientôt | d'une armure nouvelle, 4+6 a
Le grand Alfred | a gardé toutefois 4+6 b
La noble écharpe | et l'instrument fidèle 4+6 a
Dont les accords | se mêlaient à sa voix, 4+6 b
Et sur ses pas | l'impétueuse élite 4+6 a
215 Au camp danois | vole et se précipite. 4+6 a
Durant sa route | il compte les moments : 4+6 a
L'affreux bûcher, | la hache suspendue, 4+6 b
Semblent présents | à son âme éperdue. 4+6 b
« Éloignez-vous, | tristes pressentiments ! 4+6 a
220 Se disait-il ; | le lien des serments, 4+6 a
Lien sacré | pour la Scandinavie, 4+6 a
Retient d'Ivar | la fureur asservie ; 4+6 a
Ivar lui-même, | à l'aspect de la mort, 4+6 b
De ses captifs | abandonnant le sort, 4+6 b
225 Ne songera | qu'à défendre sa vie. 4+6 a
A mon exil | toi qui vins m'arracher, 4+6 a
Dieu protecteur ! | que ta bonté suprême 4+6 b
Brise le glaive, | éteigne le bûcher ! 4+6 a
Veiller sur eux, | c'est veiller sur moi-même… » 4+6 b
230 Mais sous sa tente | Ivar préoccupé 4+6 a
D'un trouble extrême | est tout à coup frappé : 4+6 a
« Le jeune barde | est lent à reparaître ! 4+6 a
S'il m'abusait ! |… Si le guerrier danois… 4+6 b
Cet inconnu | ne serait-il qu'un traître ?… 4+6 a
235 Et ces captifs | qu'il semblait reconnaître… ? 4+6 a
Et son maintien, | et ses yeux, et sa voix… ? 4+6 b
Serait-il vrai | qu'en un perfide piége… ? 4+6 a
Éclaircissons | le doute qui m'assiége. » 4+6 a
Et, s'élançant | vers les deux prisonniers : 4+6 a
240 « Répondez-moi ; | parlez sans imposture, 4+6 b
Et prévenez | l'effroyable torture 4+6 b
Qui vous attend | sur les ardents brasiers ! 4+6 a
— La vérité | sur mes lèvres réside, 4+6 a
Répond Olgard ; | je la dis sans trembler. 4+6 b
245 Un seul instant | j'ai pu dissimuler, 4+6 b
Et, j'en rougis. | — Tu connais le perfide 4+6 a
Qui dans ces lieux | est venu sur tes pas ? 4+6 a
Dis. — A ce nom | je ne le connais pas. 4+6 a
— Ce jeune barde, | est-ce Edvin qu'il s'appelle ? 4+6 a
250 — Oui. — D'où vient-il ? | — De mon humble séjour. 4+6 b
Hier pour lui, | dés le lever du jour, 4+6 b
Nous cheminions | vers l'antique chapelle ; 4+6 a
Au bord lointain, | pour lui notre ferveur 4+6 a
Allait du ciel | implorer la faveur, 4+6 a
255 Quand un ramas | de brigands Scandinaves 4+6 a
Vint nous surprendre | et nous fit tes esclaves. 4+6 a
— Et cet Edvin, | quand doit-il revenir ? 4+6 a
— Demain, cruel, | armé pour te punir. 4+6 a
— Qu'oses-tu dire, | étranger téméraire ? 4+6 b
260 Quoi ! ce chanteur… |Il a tué ton frère, 4+6 b
Et chez les morts | il va vous réunir. » 4+6 a
Ivar frémit ; | la rage le consume : 4+6 a
« Courez, soldats ! | que le bûcher s'allume, 4+6 a
Et qu'à l'instant | ces captifs abhorrés 4+6 a
265 Au sein des feux | expirent dévorés ! 4+6 a
Du vaste camp | parcourez l'étendue ; 4+6 a
Que l'insolent | soit saisi !… Malheureux, 4+6 b
Tu m'appartiens, | et la mort qui t'est due 4+6 a
Consolera | mon désespoir affreux. » 4+6 b
270 Comme il parlait, | un bruit confus s'élève ; 4+6 a
Il voit dans l'ombre | étinceler le glaive, 4+6 a
Frappe son front, | et crie à ses soldats : 4+6 a
« Je suis trahi ; | mais frémisse le traître ! 4+6 b
Vous, des captifs | ne vous éloignez pas ; 4+6 a
275 Vous, redoublez | les feux ; bientôt peut-être 4+6 b
Je reviendrai | jouir de leur trépas. » 4+6 a
Il est parti. | Déjà, sur son passage, 4+6 a
Au bruit du cor | ses Danois réveillés 4+6 b
Sont accourus | avec des cris de rage, 4+6 a
280 Ivres encore | et d'armes dépouillés. 4+6 b
Des longs débris | de l'orgie infernale 4+6 a
Que sur leurs pas | la terre encore étale 4+6 a
Ils sont armés : | les hideux ossements, 4+6 a
Du front des bœufs | l'armure menaçante, 4+6 b
285 La coupe énorme | et les lisons fumants, 4+6 a
Tout sert de glaive | à leur main frémissante. 4+6 b
A pas pressés | Tremnor, Usdal, Rismar 4+6 a
Suivent de loin | l'audacieux Ivar : 4+6 a
Ivar, hurlant, | court à travers la plaine ; 4+6 a
290 Sans s'arrêter, | il renverse, il entraîne, 4+6 a
Ouvre les rangs, | abat les étendards ; 4+6 a
Du large glaive | et de la double hache 4+6 b
Il perce, il tranche, | il brise, et sans relâche 4+6 b
Au même instant | frappe de toutes parts. 4+6 a
295 De toutes parts | les hordes Scandinaves, 4+6 a
Parmi les rangs | des Saxons étonnés 4+6 b
Ont répandu | leurs flots désordonnés : 4+6 b
Tel un volcan | précipite ses laves 4+6 a
Du haut des monts | par ses feux sillonnés. 4+6 b
300 A leurs efforts, | un moment redoutables, 4+6 a
A leur audace | et sans règle et sans frein, 4+6 b
Bientôt Alfred | oppose un mur d'airain. 4+6 b
Ses bataillons, | serrés, impénétrables, 4+6 a
Autour de lui | viennent se rallier ; 4+6 a
305 Et des Danois | l'attaque repoussée 4+6 b
Faiblit, pareille | à la flèche émoussée, 4+6 b
Qui d'un vain bruit | frappa le bouclier. 4+6 a
Devant ses pas, | Alfred voit sur la terre 4+6 a
Morts et mourants | au loin s'amonceler, 4+6 b
310 Et frémissant | des horreurs de la guerre : 4+6 a
« Le sang d'un seul, | dit-il, pouvait couler. 4+6 b
Superbe Ivar, | où donc. est ton audace ? 4+6 a
A l'appeler | j'ai fatigué ma voix. 4+6 b
De te chercher | une dernière fois 4+6 b
315 Je daignerai | te faire encor la grâce. » 4+6 a
Et dans la foule | il court se replonger. 4+6 a
Dévon le suit | et bientôt le devance : 4+6 b
A son monarque | épargner un danger, 4+6 a
Combattre Ivar, | telle est son espérance. 4+6 b
320 Tandis qu'Alfred, | du haut d'un roc voisin, 4+6 a
A son appel | entend répondre enfin, 4+6 a
Parmi les rangs | le Danois intrépide 4+6 a
Court furieux : | « Qui m'appelle ? — C'est moi. 4+6 b
— Qui donc ? — Dévon. | Arrête, et défends-loi. » 4+6 b
325 Et de leurs coups | un échange rapide 4+6 a
Au même instant | fait scintiller dans l'air 4+6 a
Du fer croisé | l'étincelant éclair. 4+6 a
Le cimeterre | à la pointe luisante, 4+6 a
Aux deux tranchants | récemment aiguisés, 4+6 b
330 Trahit d'Ivar | les efforts épuisés ; 4+6 b
Il se saisit | de sa hache pesante : 4+6 a
Soin superflu ! | Par Dévon assailli, 4+6 a
Il pare en vain | l'atteinte de l'épée ; 4+6 b
Deux fois déjà | son sang a rejailli, 4+6 a
335 Et sa cuirasse | en est toute trempée. 4+6 b
Dans le passage | ouvert avec effort 4+6 a
Au sein durci | de la cuirasse épaisse, 4+6 b
L'ami d'Alfred | espère avec adresse 4+6 b
Plonger ensemble | et le fer et la mort : 4+6 a
340 Ivar recule | et trompe son attente ; 4+6 a
Son fer se rompt | sur l'armure éclatante. 4+6 a
Ivar joyeux | triomphe… Alfred paraît, 4+6 a
Baisse son casque, | et lui dit : « Es-tu prêt ? » 4+6 a
A cette voix, | que pourtant il déguise, 4+6 a
345 A cette taille, | il ce port de héros, 4+6 b
Le Scandinave | est saisi de surprise. 4+6 a
« As-tu besoin | d'un instant de repos ? 4+6 b
Lui dit Alfred, | je te l'accorde. — Guerre ! 4+6 a
Répond Ivar, | du pied frappant la terre 4+6 a
350 Et par ces mots | se croyant offensé : 4+6 a
Vois si mes coups | partent d'un bras lassé. » 4+6 a
En même temps, | plus prompt que la tempête, 4+6 a
D'Alfred tranquille | en fureur s'approchant, 4+6 b
Sur le cimier | qui décore sa tète 4+6 a
355 Il fait tomber | le rapide tranchant. 4+6 b
Le haut cimier | à la crête dorée, 4+6 a
Brisé sans peine, | a tournoyé dans l'air ; 4+6 b
Mais le tranchant, | repoussé par le fer, 4+6 b
Glisse en sifflant | sur l'épaule effleurée. 4+6 a
360 Alfred échappe | à l'effort meurtrier ; 4+6 a
Il y répond | d'un coup épouvantable 4+6 b
Que, sans l'airain | de l'épais baudrier, 4+6 a
Aurait suivi | la mort inévitable.' 4+6 b
Le chef danois | vomit des flots de sang, 4+6 a
365 Et fuit… Alfred | s'attache à sa poursuite. 4+6 b
Tremnor d'Ivar | veut protéger la fuite, 4+6 b
Mais de Tremnor | Alfred ouvre le flanc. 4+6 a
Rismar frappé | tombe. Levant la lance, 4+6 a
Usdal en vain | leur promet la vengeance ; 4+6 a
370 Et tous les trois, | atteints du même fer… 4+6 a
Pleurez, pleurez, | ô filles de Reener ! 4+6 a
Dieu ! les voici | La tête échevelée, 4+6 a
Le front livide, | au fort de la mêlée, 4+6 a
De trois coursiers | plus blancs que les frimas 4+6 a
375 Leurs cris aigus | précipitent les pas, 4+6 a
Les pas sanglants… | Hélas ! que faisaient-elles ? 4+6 a
Sans le savoir | ces amantes cruelles 4+6 a
Ont, sous les pieds | de leurs coursiers fumants, 4+6 a
Foulé le corps | de leurs pâles amants. 4+6 a
380 De ces trois sœurs | l'approche inattendue, 4+6 a
Leurs noirs cheveux, | leurs cris, leur main tendue, 4+6 a
Leurs blancs coursiers | aussi prompts que l'éclair 4+6 a
Jettent l'effroi | dans la foule éperdue ; 4+6 b
Les fils d'Odin, | laissant tomber le fer, 4+6 a
385 Poussent des cris | et détournent la vue. 4+6 b
Ils croyaient voir | les trois Parques du Nord, 4+6 a
Quittant pour eux | la demeure éternelle, 4+6 b
Paraître ensemble, | et du signe de mort 4+6 a
Les désigner | pour leur moisson cruelle. 4+6 b
390 Alfred accourt : | Alfred habilement/ 4+6 a
Sait profiter | de leur saisissement ; 4+6 a
Autour de lui | la mort se multiplie ; 4+6 a
Rapide, il fond | sur la troupe qui plie, 4+6 a
L'enfonce, et seul, | d'ennemis entouré, 4+6 a
395 Prend de ses mains | leur étendard sacré. 4+6 a
Pour lui dés lors | la victoire est certaine ; 4+6 a
Les sœurs d'Ivar, | en frissonnant d'horreur, 4+6 b
Ont regagné | leur caverne lointaine ; 4+6 a
Et les Danois, | vaincus par la terreur, 4+6 b
400 D'un dernier cri | font retentir la plaine. 4+6 a
Le fier Ivar, | à la fuite réduit, 4+6 a
Rugit de rage | et vomit le blasphème. 4+6 b
De sa défaite | il accuse et la nuit, 4+6 a
Et les Danois, | et ses sœurs, et lui-même : 4+6 b
405 « Oui, disait-il, | j'ai mérité mon sort. 4+6 a
Apaise-toi, | fantôme de mon frère ! 4+6 b
Il brûle encor, | le bûcher funéraire ! 4+6 b
Apaise-toi, | je vais venger ta mort. » 4+6 a
Alors il court | vers la lente voisine 4+6 a
410 Que le bûcher | de sa flamme illumine ; 4+6 a
Ses fortes mains | saisissent à la fois 4+6 a
Elle vieillard | et sa fille tremblante ; 4+6 b
Et les traînant | vers la roche brûlante : 4+6 b
« Sors de la tombe, | ô mon frère ! et reçois 4+6 a
415 Ce sacrifice | à ton ombre sanglante. 4+6 b
— Edvin ! Edvin ! | mon père va mourir : 4+6 a
Ah ! si jamais | sa fille te fui chère, 4+6 b
Laisseras-tu | sacrifier mon père ? 4+6 b
— Non, crie Edvin, | je viens vous secourir. 4+6 a
420 Parjure Ivar ! | tombe devant ton maître. » 4+6 a
Et sous ses pieds, | renversé sans combat, 4+6 b
Ivar confus | vainement se débat. 4+6 b
« Du barde Edvin | il te souvient peut-être ? 4+6 a
Pour te payer | de l'hospitalité, 4+6 c
425 De son serment | Edvin est acquitté. 4+6 c
Il t'a promis | de te faire apparaître 4+6 a
Alfred vivant… | Sois satisfait ; c'est moi : 4+6 a
Reçois de moi | la vie, et lève-toi. » 4+6 a
En même temps | il détourne son glaive, 4+6 a
430 Et lentement | le Danois se relève. 4+6 a
Au nom d'Alfred, | le vieil Olgard surpris 4+6 a
Croit qu'un vain songe | a troublé ses esprits. 4+6 a
Il veut parler, | et sa parole expire. 4+6 a
A ses côtés | son Edvitba soupire. 4+6 a
435 Elle compare | ( et non pas sans effroi ) 4+6 a
Le nom de prince | et le nom de bergère, 4+6 b
Et dans Edvin, | qu'elle appelait son frère, 4+6 b
Gémit tout bas | de retrouver son roi. 4+6 a
Tandis qu'Alfred | les contemple en silence, 4+6 a
440 Ivar lui dit : | « Perce-moi de ta lance ; 4+6 a
Délivre-moi | du jour. — Moi, t'immoler ! 4+6 a
Non, tu vivras ; | je veux te consoler. 4+6 a
Je te rendrai | le glaive, la puissance, 4+6 a
Le bonheur même. | — Hélas ! me rendra-t-on 4+6 b
445 De mes travaux | le brave compagnon ? 4+6 b
J'ai tout perdu, | tout jusqu'a la vengeance. 4+6 a
Mais dis : mon frère | est-il mort sous tes yeux ? 4+6 a
— Oui, sous mes veux. | — Comment ? — Calme et farouche. 4+6 b
— Est-ce là tout ? | — Le rire sur la bouche. 4+6 b
450 — Je suis content : | mon frère est chez les dieux. » 4+6 a
La sombre joie | a passé dans son âme ; 4+6 a
Son front est calme, | et son sourire amer : 4+6 b
Au sein des feux | il s'élance, et la flamme 4+6 a
Ensevelit | l'héritier de Reener. 4+6 b
455 De cette scène | imprévue éternelle 4+6 a
Alfred ému | se détourne ; ses yeux 4+6 b
Cherchent Dévon : | « Ami brave et fidèle, 4+6 a
Viens recevoir | ce fer victorieux, 4+6 b
Trop faible prix | de ton généreux zèle. » 4+6 a
460 Il ajouta : | « Je vous délivre tous, 4+6 a
Danois ! Vos fils | béniront ma mémoire ; 4+6 b
Votre vainqueur | entre son peuple et vous 4+6 a
Partagera | son vaste territoire. 4+6 b
Pour le vrai Dieu, | l'unique Dieu, le mien, 4+6 a
465 Vous quitterez | l'aveugle idolâtrie, 4+6 b
Et sur vos fronts | le signe du chrétien 4+6 a
Vous ouvrira | la céleste patrie. 4+6 b
Londres bientôt | reconnaîtra son roi : 4+6 a
Vous m'y suivrez, | et les Danois fidèles, 4+6 b
470 Soumis sans honte, | et libres sous ma loi, 4+6 a
A mes sujets | serviront de modèles. » 4+6 b
Il parle encor ; | leur cri de liberté 4+6 a
Frappe déjà | la plaine et le rivage, 4+6 b
Et de leurs mains | sur un tertre sauvage 4+6 b
475 Le grand Alfred | en triomphe est porté. 4+6 a
Le vieil Olgard | tombe aux pieds de son maître. 4+6 a
« Vous à mes pieds ! | Ah ! venez sur mon cœur. 4+6 b
Je suis Edvin, | et je veux toujours l'être ; 4+6 a
Soyez mon père, | Olgard ! A mon bonheur 4+6 b
480 Il manque un bien | dont mon âme est jalouse : 4+6 c
Sous la chaumière | Edvitha fut ma sœur, 4+6 b
Que sur le trône | elle soit mon épouse ! » 4+6 c
Le front d'Olgard | de rougeur s'est couvert, 4+6 a
Tant le confond | une faveur si grande ! 4+6 b
485 Alfred alors : | « Sais-tu, soldat d'Ecbert, 4+6 a
Que par ma voix | Ecbert te la demande ? 4+6 b
Sais-tu, vieillard, | qu'un soldat tel que toi 4+6 a
Peut honorer | la famille d'un roi ? » 4+6 a
L'heureux Olgard | s'incline ; et de son père 4+6 a
490 Alfred obtient | la main de la bergère ; 4+6 a
Et, la guidant | vers le tertre isolé, 4+6 a
Il la présente | à ce peuple assemblé : 4+6 a
« Dignes Saxons ! | valeureux Scandinaves ! 4+6 a
Leur a-t-il dit, | reconnaissez-la tous, 4+6 b
495 C'est votre reine ; | elle est digne de vous, 4+6 b
Et la beauté | doit régner sur les braves. » 4+6 a
A ces accents, | qui font battre son cœur, 4+6 a
La jeune reine, | encor simple et timide, 4+6 b
Ne répond rien, | mais lève avec lenteur 4+6 a
500 Son doux regard | et sa paupière humide, 4+6 b
Pour contempler | ce roi qui fut pasteur. 4+6 a
Alfred, assis | au trône d'Angleterre, 4+6 a
Songeait souvent | à l'île solitaire. 4+6 a
De chaque année | il consacrait dix jours 4+6 a
505 A visiter | cette modeste plage : 4+6 b
Son Edvitha | l'accompagnait toujours. 4+6 a
Olgard longtemps, | malgré le poids de l'âge, 4+6 b
Suivit leurs pas ; | et son toit protégé 4+6 a
Fut désormais | en chapelle érigé. 4+6 a
510 En lettres d'or, | sur un autel d'albâtre, 4+6 a
On y grava | le nom des deux époux ; 4+6 b
Et le saint lieu, | conservé jusqu'à nous, 4+6 b
Se nomme encor | la Chapelle du Pâtre. 4+6 a
mètre profil métrique : 4+6
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