Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
MLV_1/MLV41
Charles MILLEVOYE
POÉSIES
1801-1814
POËMES
LES JALOUSIES LITTÉRAIRES
Quoi ! le Parnasse même a ses guerres civiles ! 6+6 a
Quoi ! d'un chétif orgueil esclaves trop serviles, 6+6 a
Pour un frêle laurier les enfants d'Apollon 6+6 b
Transforment en champ clos l'harmonieux vallon ! 6+6 b
5 Pâles, et dévorés d'une envieuse rage, 6+6 a
L'éloge d'un rival est pour eux un outrage ! 6+6 a
L'un, morose auditeur, en un cercle nombreux, 6+6 b
D'un vague et froid sourire accueille un vers heureux. 6+6 b
Tout applaudit : lui seul, immobile à sa place, 6+6 a
10 Garde, non sans dessein, un silence de glace ; 6+6 a
Aux applaudissements il ne peut consentir, 6+6 b
Et son flegme obstiné cherche à les démentir. 6+6 b
L'autre, plus lâche encor, Tartufe littéraire, 6+6 a
Cache sa fausseté sous un front débonnaire : 6+6 a
15 Si vous lui confiez, par ses dehors séduit, 6+6 b
L'écrit que récemment votre verve a produit, 6+6 b
Ardent à censurer les beautés qu'il redoute, 6+6 a
Sur tel mot énergique il sème un léger doute. 6+6 a
Votre style est serré, plein, nerveux et précis : 6+6 b
20 « Prenez garde ; ce sens me paraît indécis. 6+6 b
» Le sublime est souvent voisin du ridicule. 6+6 a
» Sur ce tour trop hardi j'aurais quelque scrupule. 6+6 a
» De ce morceau brillant il faut vous défier ; 6+6 b
» Vous feriez mieux, je crois, de le sacrifier. 6+6 b
25 » Je vous parle en ami, je suis franc… » Le perfide ! 6+6 a
Cet autre, prodiguant sa louange insipide, 6+6 a
Flatte pour mieux tromper, sait d'un coupable miel 6+6 b
De ses intentions envelopper le fiel, 6+6 b
Et, tandis qu'il m'assied au trône de Racine, 6+6 a
30 Aiguise contre moi l'épigramme assassine : 6+6 a
Il me prédit, le traître, un succès éclatant, 6+6 b
Et sourit par avance au revers qui m'attend. 6+6 b
Qui sait si contre moi sa rage prévoyante 6+6 a
N'ira point ameuter la cabale bruyante, 6+6 a
35 Et, de mes déplaisirs s'enivrant en espoir, 6+6 b
Acheter le matin ma ruine du soir ? 6+6 b
Le Cid en main, Corneille, arrivé de Neustrie, 6+6 a
Vit les sots contre lui déchaîner leur furie. 6+6 a
Sous la brutale injure et le brocard sanglant 6+6 b
40 L'harmonieux Racine expia son talent, 6+6 b
Quand, loin de ses moutons, une docte bergère 6+6 a
Quitta pour le sifflet sa musette légère, 6+6 a
Et lorsque Sévigné, dans son style enchanteur, 6+6 b
Réjouit les Cotins d'un oracle menteur. 6+6 b
45 Hué chez Melpomène et tombé chez Thalie, 6+6 a
Voyez ce vieux rimeur, à la face pâlie, 6+6 a
Mordre sa lèvre altière, et subir en grondant 6+6 b
Ce concert de bravos, pour lui seul discordant. 6+6 b
Si le malin plaisir en ses yeux étincelle, 6+6 a
50 Malheur ! trois fois malheur à la muse nouvelle ! 6+6 a
Mais si son œil est terne et son front obscurci, 6+6 b
Apollon soit loué ! l'ouvrage a réussi. 6+6 b
Que risible est l'orgueil du poëte qui s'aime ! 6+6 a
Dans la nature entière il ne voit que lui-même, 6+6 a
55 Tout est lui. Parle-t-il ? le moi retentissant 6+6 b
Dans sa bouche en une heure est cent fois renaissant. 6+6 b
Écrit-il ? dans ses vers c'est lui qui se proclame : 6+6 a
Lui seul enfin, lui seul remplit toute son âme. 6+6 a
D'une docte amitié dédaignant les douceurs, 6+6 b
60 Il ne se souvient pas que les Muses sont sœurs ; 6+6 b
Il n'a goûté jamais la volupté suprême 6+6 a
De s'entendre applaudir dans un autre soi-même ; 6+6 a
Et, ses vers exceptés, n'aimant rien qu'à demi… 6+6 b
Malheureux ! vingt succès valent-ils un ami ? 6+6 b
65 O Racine ! ô Boileau ! véritables modèles 6+6 a
Des rares écrivains et des amis fidèles ! 6+6 a
L'un à l'autre enchaînés jusque dans l'avenir, 6+6 b
Vos deux noms fraternels n'ont pu se désunir. 6+6 b
La mort seule brisa voire chaîne invincible. 6+6 a
70 Quand l'un de vous, trop faible, hélas ! et trop sensible, 6+6 a
Disgracié d'un roi dont il blessa l'orgueil, 6+6 b
Va payer de sa mort le refus d'un coup d'œil, 6+6 b
Avec un long effort, près de la dernière heure, 6+6 a
Sa voix éteinte adresse à l'ami qui le pleure 6+6 a
75 Un seul mot où son cœur s'exhale tout entier : 6+6 b
« Je meurs heureux, dit-il ; car je meurs le premier.» 6+6 b
Prétendez-vous comme eux vivre dans la mémoire ? 6+6 a
Égalez leurs vertus pour atteindre à leur gloire. 6+6 a
Un génie obscurci d'envieuses vapeurs 6+6 b
80 Ne jette qu'un feu pâle et des éclairs trompeurs. 6+6 b
Accablez de ses torts celui qui vous irrite, 6+6 a
Mais ne déguisez point l'éloge qu'il mérite. 6+6 a
Par des mortels jaloux vous êtes outragés, 6+6 b
Soyez justes pour eux, et vous serez vengés. 6+6 b
85 Imprudents ennemis ! n'allez point dans la lice 6+6 a
Des sots toujours ligués réjouir la malice : 6+6 a
L'un à l'autre plutôt servez-vous de soutiens. 6+6 b
Qu'ils renaissent pour vous, ces heureux entretiens 6+6 b
Où s'échauffe l'esprit, où l'âme se réveille, 6+6 a
90 Où le choc fait jaillir la flamme qui sommeille, 6+6 a
Où le goût, l'allumant son antique flambeau, 6+6 b
Avertit l'écrivain des nuances du beau. 6+6 b
Songez-y, les enfants divisés par la haine 6+6 a
Appauvrissent bientôt le paternel domaine : 6+6 a
95 N'immolez point le vôtre à de fougueux débats. 6+6 b
Disputez-vous la palme, et ne la brisez pas. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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