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| = césure
MLV_1/MLV40
Charles MILLEVOYE
POÉSIES
1801-1814
POËMES
L'INDÉPENDANCE DE L'HOMME DE LETTRES
Pièce qui a remporté le prix de l'Académie française, en 18O6
La noble indépendance est l'âme des talents ; 6+6 a
Rien ne peut du génie enchner les élans : 6+6 a
Ce n'est point pour ramper qu'il a reçu des ailes. 6+6 b
Le sage, en ses écrits au vrai toujours fidèles, 6+6 b
5 A des succès honteux n'immole point ses mœurs. 6+6 a
Éloigné des partis et sourd à leurs clameurs, 6+6 a
D'un tardif repentir s'épargnant l'amertume, 6+6 b
Il ne vendit jamais ni son cœur, ni sa plume. 6+6 b
On ne le verra point, au prix de ses vertus, 6+6 a
10 Acheter les faveurs du stupide Plutus, 6+6 a
User son avenir en des cercles frivoles, 6+6 b
Et d'un monde profane encenser les idoles. 6+6 b
Le front ceint des lauriers qu'il venait de cueillir, 6+6 a
Despréaux dans Auteuil allait se recueillir ; 6+6 a
15 Au fond de ses berceaux, assis près de Molière, 6+6 b
Il confiait ses chants à l'ombre hospitalière ; 6+6 b
Et, d'un éclat menteur trop longtemps éblouis, 6+6 a
Ses yeux se reposaient du faste de Louis. 6+6 a
Rousseau, riche d'une âme indépendante et fière, 6+6 b
20 Transfuge des châteaux, revoie à sa chaumière : 6+6 b
Les honneurs, les trésors en vain lui sont offerts ; 6+6 a
Pour lui des fers brillants n'en sont pas moins des fers. 6+6 a
De l'orgueilleux bienfait il repousse l'outrage ; 6+6 b
Il fuit enveloppé de sa vertu sauvage, 6+6 b
25 Et porte au sein des bois, sur la cime des monts, 6+6 a
Sa longue rêverie et ses pensers profonds. 6+6 a
Trop heureux l'écrivain qui, dans la solitude, 6+6 b
Amasse lentement les trésors de l'étude ; 6+6 b
Qui, préparant de loin ses destins éclatants, 6+6 a
30 Épure ses travaux dans le creuset du temps ! 6+6 a
Comme il dédaigne alors tant de vils adversaires, 6+6 b
Tant de combats grossiers, pugilats littéraires, 6+6 b
Tant de rivaux jaloux qui, pour mieux le flétrir, 6+6 a
Du mépris qu'on fait d'eux cherchent à le couvrir ! 6+6 a
35 Descartes, que noircit l'impure calomnie, 6+6 b
Dans les champs du Batave exile son génie, 6+6 b
Recommande sa gloire à la postérité, 6+6 a
Et sur des bords lointains poursuit la vérité. 6+6 a
C'est ainsi que le sage en lui se réfugie. 6+6 b
40 Son adversité même accroît son énergie. 6+6 b
Athlète infatigable, au jour de la douleur, 6+6 a
Il soutient sans fléchir la lutte du malheur, 6+6 a
Il l'affronte, et, de près l'observant sans le craindre, 6+6 b
Semble lui demander des couleurs pour le peindre. 6+6 b
45 Sur son vaisseau brisé, tel Vernet sans pâlir 6+6 a
Étudiait le flot prêta l'ensevelir. 6+6 a
C'est peu que l'écrivain, armé de ses ouvrages, 6+6 b
Des destins ennemis affronte les outrages ; 6+6 b
C'est peu que sa vertu brave l'adversité, 6+6 a
50 Elle résiste encore à la prospérité. 6+6 a
Libre au palais des rois, sans hauteur, sans bassesse, 6+6 b
Parfois il se soumet, jamais il ne s'abaisse. 6+6 b
D'un généreux transport son grand cœur animé, 6+6 a
Quel que soit l'oppresseur, protége l'opprimé ; 6+6 a
55 Et, demeurant fidèle au parti qu'il embrasse, 6+6 b
Partage noblement une noble disgrâce. 6+6 b
Quand Fouquet de Louis eut perdu la faveur, 6+6 a
La Fontaine resta l'ami de son malheur. 6+6 a
D'un cœur naïf et pur déployant l'énergie, 6+6 b
60 Il fit sur son destin soupirer l'Élégie ; 6+6 b
Et, laissant les flatteurs à leur vulgaire effroi, 6+6 a
Il chanta son ami, même devant son roi. 6+6 a
Dévment vertueux ! témérité sublime ! 6+6 b
Tel est du vrai talent l'abandon magnanime. 6+6 b
65 La tyrannie en vain prétend l'anéantir ; 6+6 a
En vain de son exil l'arrêt va retentir : 6+6 a
Il n'est point de déserts, point d'exil pour le sage. 6+6 b
Ces sables dévorants, ces plaines sans ombrage, 6+6 b
Ces antres, ces rochers, n'ont pour lui rien d'affreux ; 6+6 a
70 Seul, errant et proscrit, il n'est point malheureux : 6+6 a
L'étude, objet constant de son idolâtrie, 6+6 b
Au bout de l'univers lui fonde une patrie. 6+6 b
Mais pour l'ensevelir les cachots sont ouverts ; 6+6 a
Il y descend, courbé sous le poids de ses fers. 6+6 a
75 Calme, il répète encore à l'oppresseur qu'il brave : 6+6 b
« Je ne suis qu'enchné, je ne suis point esclave. » 6+6 b
Au fond de sa pensée il a déUni 6+6 a
La page vigoureuse où le crime est puni. 6+6 a
Sa prison désormais n'est plus qu'une retraite ; 6+6 b
80 Si le ciel l'a do des talents du poète, 6+6 b
Il chante, et sur ce mur, son muet confident, 6+6 a
Il trace avec sa chaîne un vers indépendant. 6+6 a
Qu'un servile mortel à plaisir s'humilie ; 6+6 b
Qu'au parti du vainqueur son effroi se rallie ; 6+6 b
85 De vingt maîtres divers adulateur banal, 6+6 a
Que pour oser penser il attende un signal : 6+6 a
Le sage en tous les temps garde son caractère : 6+6 b
Tyrans ! il vous poursuit de sa franchise austère ; 6+6 b
Et, libre sous le poids de votre autorité, 6+6 a
90 En présence du glaive il dit la vérité. 6+6 a
Cicéron, qu'un despote honore de sa haine, 6+6 b
Va rejoindre au tombeau la liberté romaine. 6+6 b
Démosthène, épuisant la coupe de la mort, 6+6 a
De son dernier sommeil tranquillement s'endort. 6+6 a
95 L'homme obscur peut frémir ; tout entier il succombe, 6+6 b
Et l'éternel oubli vient peser sur sa tombe. 6+6 b
Le sage ne meurt point. Sous la main des bourreaux, 6+6 a
Il défend à la mort d'effacer ses travaux ; 6+6 a
Il la voit, il l'attend, sans pâlir d'épouvante : 6+6 b
100 Le grand homme n'est plus, mais sa gloire est vivante. 6+6 b
De ses persécuteurs s'il trompe les poignards, 6+6 a
Nous révérons en lui le Nestor des beaux-arts. 6+6 a
Son âme tout entière en ses écrits respire ; 6+6 b
Ses actions jamais n'ont démenti sa lyre ; 6+6 b
105 Il se conserva pur au milieu des méchants : 6+6 a
Il meurt, et la vertu reçoit ses derniers chants. 6+6 a
Tel l'oiseau du Méandre, ornement du rivage, 6+6 b
Au noir limon des eaux dérobe son plumage, 6+6 b
Et, saluant la mort de sons mélodieux, 6+6 a
110 D'une voix plus touchante exhale ses adieux. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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