Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
MLV_1/MLV27
Charles MILLEVOYE
POÉSIES
1801-1814
ÉLÉGIES
LIVRE SECOND
LES DERNIERS MOMENTS DE VIRGILE
Seul, loin de son pays, | au fond d'une chaumière, 6+6 a
Près de fermer ses yeux | à la douce lumière, 6+6 a
Virgile prit sa lyre, | et sa touchante voix 6+6 b
Se fit entendre, hélas ! | pour la dernière fois : 6+6 b
5 « Noble Auguste ! sans moi | poursuis ton beau voyage. 6+6 a
Le mien est terminé. | Je succombe avant l'âge ; 6+6 a
Et déjà de la mort | le trouble avant-coureur 6+6 b
Fait tressaillir mon sein | d'une vague terreur. 6+6 b
En vain tu m'as rendu | le doux sol de mes pères. 6+6 a
10 Je n'en jouirai pas ; | et des mains étrangères 6+6 a
Déposeront ma cendre | en des champs ignorés. 6+6 b
Charmante Parthénope ! | heureux bords ! monts sacrés ! 6+6 b
Vous que je choisissais | pour dernière patrie ! 6+6 a
Oh ! sous vos frais coteaux | à la pente fleurie 6+6 a
15 Combien ma cendre un jour | eût dormi mollement ! 6+6 b
Les nymphes de vos bords | sur l'humble monument, 6+6 b
Le soir, eussent posé | leur couronne champêtre, 6+6 a
Et plus d'un voyageur | l'eût visité peut-être. 6+6 a
Adieu, séjour natal, | terre où je fus nourri ! 6+6 b
20 Adieu, toit paternel, | héritage chéri ! 6+6 b
Humble Mantoue ! adieu. | Que Mars enfin pardonne 6+6 a
A tes champs trop voisins | de la triste Crémone ! 6+6 a
» Vous que j'ai tant aimés, | je ne vous verrai plus, 6+6 b
Tibulle, Horace, Ovide, | et toi, tendre Gallus ! 6+6 b
25 Songez à moi ; plaignez | mon destin trop rapide. 6+6 a
Trois fois à vos banquets | laissez ma place vide ; 6+6 a
Que vos coupes, trois fois, | épanchent de leurs bords 6+6 b
La libation sainte | aux déesses des morts ; 6+6 b
Et, pour prix de vos soins | et de votre tendresse, 6+6 a
30 Je dirai vos beaux vers | aux chantres de la Grèce. 6+6 a
Plus malheureux, je meurs, | à ma gloire arraché, 6+6 b
Et mon plus digne ouvrage | est à peine ébauché ! » 6+6 b
Il reprend, à ces mots, | l'immortelle Énéide ; 6+6 a
Et d'instant en instant | son regard plus rigide 6+6 a
35 D'une froide ordonnance | accuse la langueur : 6+6 b
« Faible étude ! a-t-il dit, | esquisse sans vigueur, 6+6 b
Périssez ! A mon nom | vous feriez trop d'outrage, 6+6 a
Et je lègue au bûcher | mon imparfait ouvrage. 6+6 a
Approchez, Almédon(1), |et recueillez mes vœux. 6+6 b
40 Quand je ne serai plus, | jetez au sein des feux 6+6 b
Ces timides essais, | fruit d'un talent novice, 6+6 a
Et dites : Aux neuf Sœurs | j'offre ce sacrifice. » 6+6 a
Tel est son vœu suprême | et son dernier accent. 6+6 b
Il s'endort ; et du jour | le rayon renaissant 6+6 b
45 Ne viendra point rouvrir | sa pesante paupière. 6+6 a
Bientôt, de vastes feux | éclairant la chaumière, 6+6 a
Almédon,.trop fidèle | aux souhaits d'un mourant, 6+6 b
Embrase et le sapin | et le cèdre odorant. 6+6 b
Belle Énéide ! adieu ; | c'en est fait. Mais que dis-je ! 6+6 a
50 La flamme tourbillonne, | et s'éteint par prodige. 6+6 a
De ce prodige heureux, | quatre fois accompli, 6+6 b
Le vieillard fut frappé : | d'un saint effroi rempli, 6+6 b
Il reconnut des cieux | la volonté propice ; 6+6 a
Et, dès lors affranchi | d'un fatal sacrifice, 6+6 a
55 Il transmit aux Romains | avec un soin pieux 6+6 b
Ce poëme immortel | protégé par les dieux. 6+6 b
(1)  Quelques traditions donnent ce nom au dernier hôte de Virgile.
mètre profil métrique : 6+6
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