Métrique en Ligne
MLV_1/MLV25
Charles MILLEVOYE
POÉSIES
1801-1814
ÉLÉGIES
LIVRE SECOND
LE DÉPART D'ESCHYLE
N'emportant que sa lyre et ses dieux domestiques, 6+6 a
Seul, debout sur la poupe, et les yeux sur les flots, 6+6 b
Eschyle abandonnait les rivages attiques, 6+6 a
Et son chagrin profond s'exhalait en ces mots : 6+6 b
5 « Quoi ! le jeune Sophocle a vaincu son vieux maître ! 6+6 a
L'Athénien léger, lui décernant le prix, 6+6 b
Dans mon dernier ouvrage hésite à reconnaître 6+6 a
La chaleur et l'éclat de mes premiers écrits. 6+6 b
Comme si la vieillesse éteignait la pensée, 6+6 a
10 Il ne juge mes vers que sur mes cheveux blancs ! 6+6 b
Ne se souvient-il plus que la neige glacée 6+6 a
Couronne quelquefois des cratères brûlants ? 6+6 b
L'aigle ne vieillit pas. A la voûte éternelle 6+6 a
Il porte encor la foudre au déclin de ses ans ; 6+6 b
15 Et Jupiter, versant le nectar sur son aile, 6+6 a
Repose encor sur lui des regards complaisants. 6+6 b
O mon jeune rival ! je pardonne à la gloire. 6+6 a
En passant devant moi tu baissas le regard : 6+6 b
Modeste, tu semblais, confus de ta victoire, 6+6 a
20 Rougir sous tes lauriers de l'affront du vieillard. 6+6 b
La Muse le dota des trésors du poëte : 6+6 a
On dit que d'Apollon cette divine sœur 6+6 b
Couronna ton berceau des abeilles d'Hymète, 6+6 a
Et voulut de tes chants présager la douceur. 6+6 b
25 Accomplis tes destins : triomphe dans l'Attique. 6+6 a
Pour moi, je pars : je vais sur des bords plus heureux, 6+6 b
De Cécrops au tombeau foulant la terre antique, 6+6 a
Chercher dans Ptolémée un hôte généreux. 6+6 b
Quelques succès encore attendent ma vieillesse. 6+6 a
30 Non, je ne verrai point mes affronts impunis : 6+6 b
L'Égypte vengera les mépris de la Grèce ; 6+6 a
Athènes trouvera ses juges dans Tanis. 6+6 b
Tel un coursier, vaincu dans les jeux d'Olympie, 6+6 a
Fuit le jour, et languit dans un triste lien ; 6+6 b
35 Mais bientôt son ardeur, un instant assoupie, 6+6 a
Retrouve la victoire au cirque Pythien. 6+6 b
En un cirque nouveau comme lui je m'élance : 6+6 a
Je veux par un triomphe effacer un revers. 6+6 b
Recueille-toi, ma lyre ! et ne sors du silence 6+6 a
40 Que pour vaincre en beauté les plus beaux de mes vers. 6+6 b
Ressouviens-toi du jour si cher à Melpomène, 6+6 a
Du jour où, créateur de mon art épuré, 6+6 b
Sur un tertre épineux je cueillis non sans peine 6+6 a
Le laurier frêle encor par Thespis effleuré, 6+6 b
45 Melpomène, à ma voix, du cothurne chaussée, 6+6 a
Pour le manteau royal dépouilla ses lambeaux ; 6+6 b
Et le chœur, mesurant sa marche cadencée, 6+6 a
Asservit la parole à ses retours égaux. 6+6 b
N'en doutons plus, Minerve abandonne sa ville ; 6+6 a
50 Minerve a trop longtemps protégé des ingrats : 6+6 b
Ils m'ont banni du sol que j'ai rendu fertile, 6+6 a
Et pourtant mon rival sans moi ne serait pas. 6+6 b
O lyre ! que ta voix contre Athènes s'élève. 6+6 a
C'est toi que sans pudeur elle ose humilier, 6+6 b
55 Toi qui fus dans mes mains la compagne du glaive, 6+6 a
Toi qui mêlas tes sons au bruit du bouclier ! 6+6 b
Ah ! je devais la fuir quand sa lâche furie 6+6 a
Enveloppa mes jours de piéges odieux, 6+6 b
M'accusant d'outrager les dieux et la pairie, 6+6 a
60 Alors que je chantais la patrie et les dieux. 6+6 b
Plaine de Marathon ! Salamine ! Platée ! 6+6 a
Des plus fiers combattants quand je marchais l'égal, 6+6 b
Pensiez-vous qu'on verrait une foule irritée 6+6 a
Me traîner en coupable au pied d'un tribunal ! 6+6 b
65 Il fallut attester les libations pures 6+6 a
Dont j'arrosai l'autel, dans le jour fortuné 6+6 b
Qui décora mon sein de deux larges blessures. 6+6 a
J'évoquai Marathon, et sortis couronné. 6+6 b
O consolant départ ! ô fortuné voyage ! 6+6 a
70 Le monarque du Nil me garde son appui ; 6+6 b
L'héritier de Lagus, espoir de mon vieil âge, 6+6 a
Bénira les destins qui me donnent à lui. 6+6 b
Son palais est un temple où les sages du monde 6+6 a
Viennent dans tous les temps, viennent de tous les lieux 6+6 b
75 Interroger d'Isis la sagesse profonde, 6+6 a
Et, mortels, assister aux mystères des dieux. 6+6 b
Tu pourras avec nous, déesse du cothurne, 6+6 a
Des rois qui ne sont plus visiter le séjour, 6+6 b
Évoquer leur poussière, et du fond de son urne 6+6 a
80 Forcer quelque ombre illustre à remonterai ! jour. 6+6 b
Éternels monuments de grandeur inégale, 6+6 a
Nous verrons de la mort ces palais éclatants 6+6 b
Où du royal orgueil la pompe sépulcrale, 6+6 a
Ne pouvant fuir la mort, veut triompher du temps. 6+6 b
85 Du trépas et du temps les sublimes pensées 6+6 a
Laisseront dans mon âme un fécond souvenir, 6+6 b
Et devront quelque jour, en beaux vers cadencées, 6+6 a
Du milieu des tombeaux voler vers l'avenir. 6+6 b
Glisse, léger vaisseau ! frappez, rames agiles ! 6+6 a
90 Cordages, redoublez vos sifflements aigus ! 6+6 b
Zéphyrs, gonflez le sein de nos voiles mobiles ! 6+6 a
Portez-moi sans retard près du fils de Lagus. » 6+6 b
A ces chants prolongés sur la vague sonore, 6+6 a
Le rapide vaisseau fuit plus prompt sur les flots 6+6 b
95 Que la poupe dorée où le brillant théore 6+6 a
Voguait, paré de fleurs, aux fêles de Délos. 6+6 b
Il a touché la rive. Un fidèle message 6+6 a
Annonce le poëte au monarque enchanté : 6+6 b
Il se lève ; il accourt, et vient sur son passage 6+6 a
100 Tendre au vieillard la main de l'hospitalité. 6+6 b
On vit, durant trois jours, sur ces rives fécondes, 6+6 a
Par des chants, par des jeux, les transports signalés, 6+6 b
Comme au temps où du Nil les paternelles ondes 6+6 a
Ramènent l'abondance aux peuples consolés. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite périodique
schéma : 26(abab)
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