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| = césure
MLV_1/MLV23
Charles MILLEVOYE
POÉSIES
1801-1814
ÉLÉGIES
LIVRE SECOND
HOMÈRE MENDIANT
« Beau séjour où l'Hermus épand ses flots sacrés, 6+6 a
Ville chère à Junon, ville aux coteaux dorés, 6+6 a
Dont la haute Sardène et son ombrage antique 6+6 b
Couronnent les vallons et l'antre prophétique, 6+6 b
5 dîmes ! je te salue. Au sein profond des nuits, 6+6 a
Trois fois un heureux songe a flatté mes ennuis : 6+6 a
Tout songe vient des cieux ; et Jupiter sans doute 6+6 b
De tes remparts divins m'a fait prendre la route. 6+6 b
Seul avec cet enfant que Samos a nourri, 6+6 a
10 Depuis douze soleils, sans secours, sans abri, 6+6 a
Je me traîne à pas lents sur l'inculte rivage. 6+6 b
Quelques fruits, dédaignés de la brute sauvage, 6+6 b
L'herbage impur, vomi par le flot écumant, 6+6 a
De nos corps épuisés sont l'unique aliment. 6+6 a
15 Verra-t-on cet enfant, l'appui de ma misère, 6+6 b
Mourir à mes côtés en appelant sa mère ? 6+6 b
Verra-t-on le vieillard, de rocher en rocher, 6+6 a
Errer tel qu'un vaisseau privé de son nocher ? 6+6 a
Mon guide m'a conduit au seuil de l'opulence : 6+6 b
20 Au nom de ce rameau qu'en ma main je balance, 6+6 b
Laissez-vous attendrir à mes tristes accents, 6+6 a
Portes d'airain ! tournez sur vos gonds gémissants 6+6 a
Et mon guide, ce soir, aux prochaines prairies, 6+6 b
Enlacera pour vous les guirlandes fleuries. » 6+6 b
25 Ainsi parle, accablé de ses cruels destins, 6+6 a
Un vieillard dont les yeux pour jamais sont éteints 6+6 a
C'est Homère ! A Tycus appartient cette enceinte 6+6 b
Où l'art des Doriens le dispute à Corinthe : 6+6 b
Pour les parvis des dieux le marbre réservé 6+6 a
30 Soutient de son palais le portique élevé ; 6+6 a
Cent vierges, qu'enfanta l'Inde voluptueuse, 6+6 b
Couvrent de mets choisis sa table fastueuse, 6+6 b
Et dans les coupes d'or épanchent en ruisseaux 6+6 a
Les vins délicieux de Chypre et de Naxos, 6+6 a
35 Jusqu'à l'heure où, lassé de la bruyante orgie, 6+6 b
Il s'endort aux doux sons des flûtes de Phrygie. 6+6 b
Le vieillard, sur le seuil, aux nombreux serviteurs 6+6 a
Atteste du foyer les lares protecteurs, 6+6 a
Le nom du suppliant, son âge et sa misère. 6+6 b
40 De Lycus, qui dé s'arme d'un front sévère, 6+6 b
Il s'approche, et, fidèle au signe accoutumé, 6+6 a
Baise humblement les bords du manteau parfumé : 6+6 a
« O Lycus ! l'homme heureux, tel qu'un dieu sur la terre, 6+6 b
Des biens de l'indigence est le dépositaire ; 6+6 b
45 Un favorable sort m'amène vers ces lieux : 6+6 a
L'étranger, tu le sais, vient de la part des dieux ; 6+6 a
Ne me dédaigne pas. La Prière, éploe, 6+6 b
Du puissant Jupiter est la fille sacrée. 6+6 b
Ne me dédaigne pas, Lycus ; mon seul trésor, 6+6 a
50 Cette lyre envers toi peut m'acquitter encor. 6+6 a
J'ai visité du Nil les campagnes fécondes ; 6+6 b
J'ai traversé la mer et parcouru les ondes : 6+6 b
Les peuples m'entouraient ; et les trépieds dorés 6+6 a
Furent souvent le prix de mes vers inspirés. 6+6 a
55 En écoutant mes vers, la docte Méonie 6+6 b
Croyait d'Apollon même entendre l'harmonie ; 6+6 b
Et les vieillards charmés se levaient devant moi. 6+6 a
J'ai chanté pour les dieux, je chanterai pour toi. 6+6 a
Puisse ma voix monter à la voûte étoie ! 6+6 b
60 Puisse de Jupiter la faveur signae 6+6 b
De jours délicieux composer tes destins ! 6+6 a
Que l'ambre le plus pur s'exhale à tes festins ; 6+6 a
Que les Plaisirs, fixés dans tes belles demeures, 6+6 b
Précipitent pour loi les pas légers des Heures ; 6+6 b
65 Que le char des moissons fatigue tes taureaux ; 6+6 a
De tes saules nombreux que les souples rameaux 6+6 a
Ne suffisent qu'à peine à tresser les corbeilles 6+6 b
Qui rompent sous le poids des vendanges vermeilles ! 6+6 b
Et moi, je reviendrai sous ces toits éclatants, 6+6 a
70 Ainsi que l'hirondelle au souffle du printemps, 6+6 a
Saluer de nouveau tes sonores portiques, 6+6 b
Et consacrer un hymne à tes dieux domestiques. » 6+6 b
» — Étranger, dit Lycus, porte ailleurs les accords : 6+6 a
Fais entendre ton hymne au sombre dieu des morts ; 6+6 a
75 Il t'attend. Aussi bien la plainte m'importune ; 6+6 b
J'eus toujours en horreur l'aspect de l'infortune. » 6+6 b
Triste, le cœur navré, le sublime vieillard 6+6 a
Au ciel qu'il ne voit plus lève encor son regard ; 6+6 a
Il sort ; mais prés du seuil un instant il s'arrête : 6+6 b
80 « Que mes maux, ô Lycus ! retombent sur ta tête ! 6+6 b
Puissent les immortels, justement irrités, 6+6 a
Borner enfin le cours de tes prospérités ! 6+6 a
Puisse ta dernière heure amener à ta porte 6+6 b
D'héritiers à l'œil sec une avide cohorte 6+6 b
85 Qui, dévorant tes biens, semble te reprocher 6+6 a
L'obole que la mort paye au fatal nocher ! 6+6 a
Toi, ville sans pitié, sourde aux chants du poëte, 6+6 b
Que pour tes murs ingrats la lyre soit muette ! 6+6 b
Et qu'elle-même un jour la sévère Junon 6+6 a
90 Abandonne à l'oubli la poussière sans nom ! » 6+6 a
Aussitôt de l'enfant la main compatissante 6+6 b
Le guida vers les bords de la mer blanchissante ; 6+6 b
Et, sur la grève assis, le vieillard en ces mots 6+6 a
Chanta son dernier chant, au bruit mourant des flots : 6+6 a
95 « O fleuve paternel ! beau Mélès ! doux rivage 6+6 b
Où Crithéis, ma mère, éleva mon jeune âge, 6+6 b
Quand Jupiter encor permettait à mes yeux 6+6 a
De voir les traits de l'homme et la clarté des cieux ! 6+6 a
Frais vallons l bois sacrés ! verdoyantes prairies ! 6+6 b
100 Laissez, laissez du moins vos nymphes attendries 6+6 b
Aux fidèles échos redire quelque jour 6+6 a
Votre Mélésigène exilé sans retour. 6+6 a
Et vous, dont je n'obtins pour ombrager ma tète 6+6 b
Qu'un stérile laurier, jouet de la tempête, 6+6 b
105 Muses, filles du ciel ! recevez mes adieux. 6+6 a
Je ne chanterai plus les héros ni les dieux, 6+6 a
Ni les tours d'Ilion par les Grecs menaes ; 6+6 b
Ni l'épouse d'Hector devant les portes Scées ; 6+6 b
Ni d'Achille outra l'inflexible repos ; 6+6 a
110 Ni le fils de Laërte au loin battu des flots. 6+6 a
Déjà ma voix ressemble à la voix monotone 6+6 b
De la faible cigale aux premiers jours d'automne ; 6+6 b
Déjà cessent pour moi les sons mélodieux : 6+6 a
Muses ! filles du ciel ! recevez mes adieux. » 6+6 a
115 Homère ainsi chantait, quand le dieu de la lyre 6+6 b
Fit entendre ces mots au fond du sombre empire : 6+6 b
» O Parques, arrêtez ! L'arbitre souverain 6+6 a
Ravit les jours d'Homère à vos ciseaux d'airain. » 6+6 a
Il dit, et l'enleva dans le sein du nuage ; 6+6 b
120 Et l'enfant de Samos resta seul sur la plage. 6+6 b
Les Sirènes, dit-on, ces Muses de la mer, 6+6 a
Recueillirent le chantre aimé de Jupiter ; 6+6 a
Et quand, la lyre en main, belles Achéloïdes(1), 6+6 b
Il charme de sa voix vos demeures humides, 6+6 b
125 Le nocher se dérobe à vos enchantements ; 6+6 a
Thétis même, du fond des gouffres écumants, 6+6 a
L'écoute ; et, célébré par le divin Homère, 6+6 b
Le nom d'Achille encor fait soupirer sa mère. 6+6 b
(1)  Les Sirènes étaient filles du fleuve Achéloüs.
mètre profil métrique : 6+6
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