Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
MLT_1/MLT2
Charles MONSELET
LES VIGNES DU SEIGNEUR
1854
EN MÉDOC
POËME
I.
Le pays de Médoc,c'est la verte oasis 6+6 a
Qui s'élève au milieudes landes de Gascogne ; 6+6 b
Elle a des bois épaiset des étangs fleuris, 6+6 a
Et des nappes de vigneaux sentiers infinis, 6+6 a
5 Belles à réjouirle poëte et l'ivrogne. 6+6 b
Elle repose et trembleentre deux vastes eaux ; 6+6 a
L'Océan la dévoreet le fleuve la berce ; 6+6 b
La Garonne l'endortau chant de ses roseaux ; 6+6 a
De son pied irritéla mer la bouleverse 6+6 b
10 Et change tous les joursles dunes en tombeaux. 6+6 a
Le Médoc est charmant :il réjouit la vue ; 6+6 a
J'aime ses bourgs ombreuxdans l'horizon noyés, 6+6 b
Ses brouillards du matinet ses bas-fonds rayés, 6+6 b
Ses pins toujours tremblantsque traverse la nue, 6+6 a
15 Ses innombrables cepsqui croissent par milliers 6+6 a
Comme au pays normandfont les petits pommiers. 6+6 a
L'âge d'or dans son seina renoué la trame 6+6 a
Des anciens jours de paix,de labeur et de foi ; 6+6 b
Ses clochers ont des sonsqui vont remuer l'âme ; 6+6 a
20 On y croit aux sorciers,on adore le roi. 6+6 b
Ce ne sont, au soleil,que joyeuses familles, 6+6 a
Jeunes femmes, enfants,brunes et fortes filles 6+6 a
Dans les sillons rougissuivant les chariots ; 6+6 a
Alertes compagnonsaiguillonnant l'allure 6+6 b
25 Des grands bœufs mugissants,qui portent pour parure 6+6 b
Des grappes à leur têteen guise de grelots. 6+6 a
Ce ne sont tous les joursque danses et délires, 6+6 a
Que chansons appelantun chœur d'éclats de rires, 6+6 a
Un tableau rencontréde Léopold Robert ! 6+6 a
30 C'est le pays fertile.Alentour, le désert. 6+6 a
Alentour, l'étendueimmobile et brûlante, 6+6 a
La terre qui se taitquand la lumière chante, 6+6 a
Le néant qui fait peurà l'âme et peur aux yeux. 6+6 a
Alentour, la misèreet sa nudité pâle, 6+6 b
35 Le hâve paysan,frileux et souffreteux, 6+6 a
Hissé sur ses grands bois,avec son chien honteux, 6+6 a
Pourchassant en silenceun noir troupeau qui râle, 6+6 b
Le pêcheur dont on voitle talon s'essayer 6+6 a
Sur le sable endormiqui peut se réveiller 6+6 a
40 Un jour sera, dit-on, le vieux dieu Neptune 6+6 a
Cessera de briserses leviers souverains 6+6 b
Et d'ébrêcher son sceptreaux cailloux de la dune : 6+6 a
Jadis il a juré,par sa barbe aux longs crins, 6+6 b
Qu'il viendrait engloutirle Médoc, à la lune, 6+6 a
45 Avec tous ses tritonset ses vassaux marins ! 6+6 b
II
Près du fleuve gascon,urne aux ondes moqueuses 6+6 a
Entre Dignac, Loirac,Queyrac, Seurac, Cyvrac, 6+6 b
Au milieu des grands cruset des villas fameuses, 6+6 a
S'égare en vingt détoursle bourg de Valeyrac. 6+6 b
50 De loin, on le pressentà ses plaines bénies, 6+6 a
A ses oiseaux bavards,à ses poudreux buissons, 6+6 b
A sa blanche fuméeaux torsades bleuies. 6+6 a
C'est ce riant hameauque tous nous connaissons. 6+6 b
Les meules de foin vertà l'horizon groupées, 6+6 c
55 Les vaches, les canardset les petits gaons, 6+6 b
Des charrettes gisantdans un coin, éclopées ; 6+6 c
La place aux huit ormeaux ;l'église, vis-à-vis, 6+6 a
nous avons, enfants,communié jadis ; 6+6 a
Le bois, des deux côtésemprisonnant la vue, 6+6 a
60 Qui penche sans un bruitses massifs noirs et lourds 6+6 b
Et finit au tournantde la maison prévue, 6+6 a
La maison du berceauqui sait nos heureux jours, 6+6 b
Et les jardins déserts veillent nos amours ! 6+6 b
On était en automne,et, par une embellie, 6+6 a
65 L'aurore se levait,frissonnante et pâlie : 6+6 a
Ses voiles teints de pourpre,échappés à ses doigts, 6+6 a
Balançaient vaguement,comme une large écume, 6+6 b
Les coteaux d'orientendormis dans la brume, 6+6 b
Et jetaient cent lueursaux tuiles des vieux toits. 6+6 a
70 Tout dans le fond du parcet parmi la grande herbe, 6+6 a
Ils allaient à pas lents,l'un sur l'autre appuyés, 6+6 b
Elle, les yeux baissés,lui, le regard superbe, 6+6 a
A travers la bruyèreet les bleuets ployés. 6+6 b
Ses blonds cheveux étaientnoués à la Diane, 6+6 a
75 Un lien de velours rougeen dessinait le tour ; 6+6 b
Et leurs anneaux tombantsur sa chair diaphane 6+6 a
Ombrageaient son épauleau limpide contour. 6+6 b
Un ruban, qui flottait,serrait sa taille fine ; 6+6 a
Elle avait mis à nuses petits bras soyeux ; 6+6 b
80 Et, le long du cheminétroit et sinueux, 6+6 b
Passait et repassaitla blanche mousseline, 6+6 a
Entre les arbrisseaux,entre les troncs noueux, 6+6 b
Comme une jeune féeà l'œil qui la devine. 6+6 a
Ces deux amants marchaientet se parlaient si bas, 6+6 a
85 Que les lézards peureuxne s'en détournaient pas ; 6+6 a
Coquelicots et lyssaluaient leur passage, 6+6 a
Branches de s'agiter ;et, du haut du feuillage 6+6 a
d'invisibles nidsdérobent leur séjour, 6+6 a
Il leur tombait des chantsde bonheur et d'amour ! 6+6 a
90 Mais les parents suivaient.Leur entretien, sans doute, 6+6 a
A ce que je suppose,était moins attachant, 6+6 b
Car ils parlaient très-fort,et d'instant en instant 6+6 b
Coupaient par les sentierspour abréger la route. 6+6 a
On devinait soudain,à les apercevoir, 6+6 a
95 La mère de Lucienet l'oncle de Nicette : 6+6 b
L'une au maintien pieux,toujours vêtue en noir, 6+6 a
Veuve encore attrayanteet de mine discrète ; 6+6 b
L'autre, obèse et rougeaud,campagnard enrichi, 6+6 a
Façon de Carabasengraissé par l'ennui. 6+6 a
100 Ces gens-là possédaientune ancienne futaie, 6+6 a
Séparée autrefoispar une vive haie 6+6 a
s'épanouissaitAvril à son retour, 6+6 a
Et par les enfantss'entrevirent un jour. 6+6 a
Ils étaient bien petits,la haie était bien close ; 6+6 a
105 «Les paroles passaient,mais c'était peu de chose[1] 6+6 a
Mais au printemps prochain,quand les rayons premiers 6+6 a
Revinrent entr'ouvrirles fleurs frches écloses, 6+6 b
O bonheur ! leurs deux frontsgagnèrent les rosiers 6+6 a
Et leur premier baisers'échangea dans les roses. 6+6 b
110 Lucien partit un jour,sa mère l'ordonna. 6+6 a
Il allait à Paristerminer ses études. 6+6 b
Que de pleurs, de serments,de gages on donna 6+6 a
De part et d'autre ! Adieunos chères solitudes ! 6+6 b
Adieu notre Médoc,notre bonheur ancien ! 6+6 a
115 Nos chiffres enlacéssur l'écorce des chênes ! 6+6 b
Adieu, jusques au jourdes vendanges prochaines ! 6+6 b
Nicette soupiratous les jours. ‒ Et Lucien ? 6+6 a
[1] La Fontaine : Pyrame et Thisbé.
III
Vingt ans et voir Paris !Fuir la province aimée, 6+6 a
Cette vieille nourriceau front doux et songeur, 6+6 b
120 Voir derrière ses pasla porte refermée, 6+6 a
Sentir sécher l'adieusur sa lèvre embaumée, 6+6 a
Et s'en aller vatout enfant voyageur ! 6+6 b
C'est le destin fatal.‒ Là-bas est la merveille, 6+6 a
Dit une voit trompeuseà qui l'on tend l'oreille. 6+6 a
125 Lucien connut Paris ;et, comme la plupart, 6+6 a
Il se laissa gagnerpar de vaines chimères 6+6 b
Qui, la rose aux cheveuxet la flamme au regard, 6+6 a
S'en vinrent le chercher,un matin qu'à l'écart 6+6 a
Le souvenir faisaitses heures plus amères. 6+6 b
130 Il ne posa d'abordqu'un pied indifférent 6+6 a
Dans ce monde joyeux,qui le trouva de glace ; 6+6 b
Mais bientôt, ‒ je ne saisquel charme l'attirant ‒ 6+6 a
Il entra tout entieret demanda sa place. 6+6 b
Et ce fut de ce jourqu'à des épines d'or 6+6 a
135 Il déchira son cœuret perdit la sagesse ; 6+6 b
Et qu'à ce sol étroitattachant son essor, 6+6 a
Il ne s'occupa plusqu'à vieillir sa jeunesse. 6+6 b
Il connut de ce tempsla sottise et les mœurs, 6+6 a
Dépouilla désormaisses anciennes humeurs, 6+6 a
140 Les femmes de toujours,les folles Cydalises, 6+6 a
Dont les jours ne sont rienqu'un vif enivrement, 6+6 b
Salamandres d'amour,de toute flamme éprises, 6+6 a
Passèrent près de luidans leur essaim charmant. 6+6 b
Elles ne mettent plus,ainsi que les marquises, 6+6 a
145 Ces mouches sur le teintqui faisaient l'œil moqueur, 6+6 a
Les mouches d'à présentse portent sur le cœur. 6+6 a
Ce furent celles-là,Lucien, qui te perdirent, 6+6 a
Lorsque à ton cou d'enfantelles se suspendirent, 6+6 a
Et que de tes trésorsde tendresse amassés 6+6 a
150 Elle t'eurent tout pris,sans t'avoir dit : Assez ! 6+6 a
Si bien qu'à la vendange l'attendait Nicette, 6+6 a
Quand s'en revint Lucien,espéré si longtemps, 6+6 b
Il n'était plus le même,ô surprise inquiète ! ‒ 6+6 a
Il avait vu Paris,il n'avait plus vingt ans. 6+6 b
IV
155 Allons, les vendangeurs,la cloche vous appelle. 6+6 a
Debout, et travaillez ;c'est l'heure du réveil ; 6+6 b
L'horizon que sillonneune jeune étincelle 6+6 a
S'ouvre comme un cratèreet vomit un soleil ! 6+6 b
Et tous, dans le hangar le mtre les parque, 6+6 a
160 Comme un bétail grossiersur la paille étendu, 6+6 b
Hommes, femmes, enfants,‒ sans donner une marque 6+6 a
De mécontentement,de sommeil suspendu, ‒ 6+6 b
Se lèvent pour avoirle pain qui leur est dû. 6+6 a
Ce sont des paysansaux formes athlétiques, 6+6 b
165 Taillés sur le patrondes montagnards antiques, 6+6 b
Avec des nerfs d'acieret des poitrails velus ; 6+6 a
Un sayon en lambeauxcouvre à peine leur torse ; 6+6 c
Leur chair, comme le buffle,est d'une épaisse écorce, 6+6 c
Et sans crainte de l'airils pourraient aller nus. 6+6 a
170 Partons, mes vendangeurs,car le coteau ruisselle. 6+6 a
Il se dresse éclatant,ses flancs semblent fumer, 6+6 b
Il gémit sous la vigne :on dirait qu'il recèle 6+6 a
Une haleine puissanteet prompte à s'enflammer. 6+6 b
Le cadavre géantde l'antique Cybèle, 6+6 a
175 Qu'au fond du sol ardentva chercher le rayon, 6+6 b
Se ranime et tressaille ;aux fentes du sillon 6+6 b
On croirait voir percerle bout de sa mamelle. 6+6 a
On part, musique en tête.On gravit le coteau, 6+6 a
On pose un pied glissantsur le sable qui grince ; 6+6 b
180 Puis, à chaque sentier,la troupe se fait mince : 6+6 b
Ceux-ci sur le versant,ceux-là sur le plateau, 6+6 a
S'égarent à loisirparmi les feuilles vertes ; 6+6 c
La vigne a remuéses branches entr'ouvertes, 6+6 c
Et tous ont disparucomme sous un manteau. 6+6 a
185 Le bœuf regarde au loin,trnant l'essieu qui crie, 6+6 a
Car la charrette est pleine ;et j'entends le bouvier 6+6 b
Trner ses sabots lourdssur la terre amollie. 6+6 a
Le chien aboie et court,on arrive au cuvier. 6+6 b
C'est une cave immense,ou plutôt c'est un antre 6+6 a
190 le vin en courrouxmonte au nez dès qu'on entre, 6+6 a
Courant des piliers noirsau cintre surbaissé, 6+6 a
Un temple de Bacchusdans le sable enfoncé. ‒ 6+6 a
Comme un chœur de Titans,là sont d'énormes cuves 6+6 a
la liqueur mugitcomme dans des étuves. 6+6 a
195 Douze à quinze gaons,du matin jusqu'au soir, 6+6 a
Nu-jambes et nu-piedsdansent dans le pressoir, 6+6 a
Une étrange vigueuren leurs veines circule : 6+6 a
On les dirait piquéspar une tarentule ; 6+6 a
Sous leurs talons nerveux,rouges et ruisselants, 6+6 a
200 Dans la mare de boisles grappes s'éparpillent ; 6+6 b
Les raisins égorgéséclatent et pétillent ; 6+6 b
Ils courent éperdus,noyés, demi-saignants ; 6+6 a
Toujours monte et descendla brutale cheville, 6+6 a
Le danseur infernalles brise sans les voir, 6+6 b
205 La grappe aux longs bras nuscomme un serpent sautille, 6+6 a
La boisson turbulenteécume, ‒ tourne, ‒ brille, 6+6 a
Et s'égoutte en chantantau fond du réservoir ! 6+6 b
V
On n'avait pas encoreatteint ces jours d'octobre 6+6 a
de bruit et d'éclatla terre se fait sobre. 6+6 a
210 La chaleur était grande.Au lit de l'occident 6+6 a
Le soleil retrempaitson disque fécondant, 6+6 a
Fier encor, rejetantson manteau par derrière 6+6 a
Sur le seuil, reluitune pourpre dernière, 6+6 a
‒ Tête sans diadèmeet lente à s'effacer ; ‒ 6+6 a
215 Tandis que, dans un coindu ciel lourd de l'automne, 6+6 b
L'autre roi réveilléqui murmure et qui tonne, 6+6 b
La foudre se rangeaitpour le laisser passer ! 6+6 a
La prairie arrêtaitses herbes ondoyantes ; 6+6 a
Immobiles, sans bruit,les vagues haletantes 6+6 a
220 Brûlaient et flamboyaientà ses derniers rayons, 6+6 a
Et la colline aussi,d'arbres échelonnée, 6+6 b
Et de rouges vapeursbordée et couronnée, 6+6 b
Dressait ses peupliersen muets bataillons ; ‒ 6+6 a
Si qu'un vent étourdiles fouettant de ses ailes 6+6 a
225 Jaillissaient aussitôtdes milliers d'étincelles ! 6+6 a
Et le soir s'abaissait.Par la plaine et les monts, 6+6 a
Sous les cieux imprégnésd'une couleur orange, 6+6 b
Il courait en tous lieuxune harmonie étrange, 6+6 b
De ces ranz inconnuset doux que nous aimons. 6+6 a
230 C'étaient des bêlements,des sifflets, des clochettes, 6+6 a
C'étaient des angélus,des grillons, des musettes, 6+6 a
Une hymne sainte et grave,un bruit sévère et lent ; 6+6 a
C'était le bruit que faitle jour en s'en allant. 6+6 a
Tout dans le fond du parc,et parmi la grande herbe, 6+6 a
235 Ils allaient à pas lents,joyeux, ‒ heureux déjà ; 6+6 b
Elle, les yeux baissés,lui, le regard superbe, 6+6 a
Comme si rien d'amern'avait passé par là. 6+6 b
Des bonheurs d'autrefoisils renouaient la gerbe. 6+6 a
Comme on se séparait,Lucien saisit soudain 6+6 a
240 Une main qu'on laissareposer dans sa main, 6+6 a
Et puis dit, d'un accentque le regard achève : 6+6 a
‒ Ce soir, près de l'étang…‒ Nicette avait frémi, 6+6 b
Sa blanche main s'étaitretirée à demi ; 6+6 b
Et, son œil s'entr'ouvrantcomme au milieu d'un rêve, 6+6 a
245 Elle le regarda.Lucien la salua, 6+6 a
Et de l'air d'un Don Juanà grands pas s'éloigna. 6+6 a
Plus tard, si vous eussiezsuivi la sombre allée 6+6 a
Vers la pointe du bourg,au fond de la vallée, 6+6 a
Vous eussiez vu sans douteune ancienne maison 6+6 a
250 Noirâtre sous le lierreet de chênes voilée ; 6+6 b
Une croix de Saint-Jeanorne son vieux blason ; 6+6 a
Elle est haute et bardéeen style de prison. 6+6 a
On la dirait déserte.Une seule croisée 6+6 b
Derrière s'ouvre un peu,petite, treillissée, 6+6 b
255 Des vases sur le bord,penchant sur un bassin. 6+6 a
On entendait alorsle son d'un clavecin. 6+6 a
Nicette alla livrersa tête rose et chaude 6+6 a
Au vent de la croisée ;et, le front dans les doigts, 6+6 b
Elle regarda fuirles horizons étroits. 6+6 b
260 Un ver-luisant dardaitsa flamme d'émeraude ; 6+6 a
Un vent plaintif couraitdans un air vaporeux, 6+6 a
Un linot réveilléchantait, fermant les yeux ; 6+6 a
Les feuilles bruissaient,les ronces endormies 6+6 a
S'agitaient comme au pasdes gazelles amies. 6+6 a
265 Sous ces parfums d'amoursa tête s'inclina 6+6 a
Quand sept fois lentementla pendule sonna 6+6 a
Elle eut peur et trembla.La fenêtre fermée, 6+6 a
Elle prit sa mantilleet se mit à genoux. 6+6 b
Dans un brun cadre d'orla Vierge bien aimée 6+6 a
270 Épanchait sur son frontson regard le plus doux. 6+6 b
‒ Vierge, faut-il allerce soir au rendez-vous ? 6+6 b
VI
Sous les sombres tilleulsj'ai vu passer Nicette. 6+6 a
Elle marchait sans bruitet semblait inquiète. 6+6 a
On t dit que ses pasl'effrayaient, et souvent 6+6 a
275 Elle se détournaitpour écouter le vent. 6+6 a
C'était près de l'étang se mire, étonnée, 6+6 a
La lune dans les joncsde vapeurs couronnée, 6+6 a
Et qui semble flotter,‒ fantastique tableau, ‒ 6+6 a
Allongée et plisséeà chaque rond de l'eau. 6+6 a
280 L'heure du rendez-vousétait pourtant venue. 6+6 a
Nicette ressentaitune crainte inconnue, 6+6 a
Et disait fréquemment,cherchant à contenir 6+6 a
Le trouble de son cœur :‒ Comme il tarde à venir ! 6+6 a
Puis elle s'asseyaitau bord d'un banc de pierre ; 6+6 a
285 Et, sa main s'en prenantà des touffes de lierre, 6+6 a
Elle les effeuillait,et d'un pied agité 6+6 a
Les enterrait au fonddu gazon argenté. 6+6 a
Lucien n'arrivait pas.O mon Dieu ! disait-elle, 6+6 a
D' vient que mon front brûleet que ma foi chancelle ? 6+6 a
290 Patience ! Sans douteil n'est pas assez tard. 6+6 a
Il ignore le malque me fait son retard. 6+6 a
Elle essayait alorsde chasser sa tristesse. 6+6 a
La nuit versait partoutune limpide ivresse ; 6+6 a
Et les plantes ouvraient,à son tiède baiser, 6+6 a
295 Leur sein d'or la moucheaime à se reposer. 6+6 a
‒ C'est étrange pourtant,pensait la jeune fille, 6+6 a
Dont un tressaillementsoulevait la mantille ; 6+6 a
La campagne est ce soirsi douce à l'entretien, 6+6 a
Cette nuit est si belleet rayonne si bien ! 6+6 a
300 C'est qu'il ne m'aime plus ;et je suis effacée 6+6 a
De son cœur, à présent,comme de sa pensée. 6+6 a
Notre amour a durénotre enfance, c'est tout. 6+6 a
Le ciel n'a pas voulum'entendre jusqu'au bout. 6+6 a
Et Nicette penchait,entre ses mains voilée, 6+6 a
305 Sa jeune tête pâleet toute débouclée. 6+6 a
La brise s'en jouait,et courait par moment 6+6 a
Sous les sombres tilleulsharmonieusement. 6+6 a
Déjà, bande joyeuse !au bas de la vallée 6+6 a
Les vendangeurs dansaientsous la treille étoilée, 6+6 a
310 Mais, traversant les prés,la danse et la chanson 6+6 a
Expiraient auprès d'elleainsi qu'un faible son. 6+6 a
Pourtant, la pauvre enfant,elle espérait sans cesse. 6+6 a
Comme des diamantstombés dans l'herbe épaisse, 6+6 a
Ses pleurs longtemps tenusse répandaient tout bas, 6+6 a
315 Elle attendait toujours.‒ Lucien ne venait pas. 6+6 a
C'est qu'à l'heure , cédantà sa pensée indigne, 6+6 a
Il accourait vers elle,en traversant la vigne, 6+6 a
Un remords généreux,au détour du chemin, 6+6 a
Comme un ange du ciell'avait pris par la main. 6+6 a
320 Tout à coup, du milieude son insouciance, 6+6 a
S'éleva contre luisa jeune conscience ; 6+6 a
Et, dans la nuit sereine,il se sentit broncher 6+6 a
Lorsqu'il se demandace qu'il allait chercher. 6+6 a
Alors il reportases regards en arrière ; 6+6 a
325 Sa jeunesse à son cœurremonta tout entière ; 6+6 a
Et, retrouvant soudainson amour d'autrefois, 6+6 a
Il s'enfuit en cachantsa tête entre ses doigts. 6+6 a
VII
Un petit cabinet ‒nu, ‒ blanc ; ‒ une croisée 6+6 a
Ouverte, ‒ un lourd rideautout trempé de rosée ; 6+6 a
330 Devant un noir pupitreun jeune homme, ‒ c'est tout. 6+6 a
Au dehors la campagne,et le calme partout. 6+6 a
Il travaille. Un rayonégaré s'éparpille 6+6 a
Dans un coin du plancherdont la poudre scintille ; 6+6 a
Une brise suaveagite l'air tiédi 6+6 a
335 Qu'emplit de son bourdonun frelon étourdi. 6+6 a
L'angélus argentintinte au fond du village, 6+6 a
Dans un arbre, ‒ à côté,‒ les oiseaux font tapage. 6+6 a
Il écrit. Son front clairest à demi-penché, 6+6 a
Comme fait un poëteà son livre attaché. 6+6 a
340 C'est Lucien ; il écritune lettre à Nicette, 6+6 a
Une lettre d'excuseet d'amour, ainsi faite : 6+6 a
« ‒ Il faut me pardonner,Nicette. Vois-tu bien, 6+6 a
Au rendez-vous d'hiercomme j'allais me rendre, 6+6 b
Une voix, qui priait,à moi s'est fait entendre. 6+6 b
345 Sais-tu ? c'était la voixde ton ange gardien. 6+6 a
Je n'ai pu résister.C'est parce que je t'aime 6+6 a
Que je suis, ce soir-là,revenu sur mes pas ; 6+6 b
Cela te semble étrangeet peu croyable même, 6+6 a
Nicette ; mais un jourtu me pardonneras. 6+6 b
350 »Ce n'est pas tout non plus.Ton front égal encore, 6+6 a
Qu'ont rarement ternide soucieux instants, 6+6 b
S'éclaire aux blancs rayonsd'une durable aurore : 6+6 a
Dans ta jeune penséeil est toujours printemps. 6+6 b
Néanmoins, tu n'es plusune enfant, ma Nicette : 6+6 a
355 La beauté de la femmeen tes traits se reflète, 6+6 a
Et celui qui te voit,beau lys épanoui, 6+6 a
S'arrête, et bien longtempste regarde, ébloui. 6+6 a
Or, moi, je suis jalouxde cette candeur sainte, 6+6 a
Je veux la préserverde toute sombre atteinte, 6+6 a
360 Écarter d'alentourtout souon alarmant, 6+6 a
Car c'est mon bien, d'ailleurs,et je veux constamment 6+6 a
Garder cette beautésereine et fortunée 6+6 a
Que te donna le cielet que tu m'as donnée…» 6+6 a
Lucien s'interrompit.Le vent frais du matin 6+6 a
365 Soulevait le rideauqui voilait sa fenêtre. 6+6 b
Les exploits des chasseurss'entendaient au lointain ; 6+6 a
Cramponné par dehors,et regardant en trtre, 6+6 b
Se penchait dans la chambreun liseron mutin. 6+6 a
Il reprit : ‒ «Maintenant,il faut plus de réserve 6+6 a
370 Dans nos mystérieuxet tendres rendez-vous. 6+6 b
‒ Cela me cterapour que Dieu nous conserve 6+6 a
Son indulgent regardqui fait les jours plus doux. 6+6 b
Nicette, il ne faut plus,dans les vastes prairies, 6+6 a
CommeAinsi que nous faisions,nous égarer le soir. 6+6 b
375 L'heure est trop dangereuseaux vagues rêveries ; 6+6 a
Il ne faut plus allersur le banc nous asseoir. 6+6 b
Te souvient-il du jour, sous l'épais ombrage, 6+6 a
Nous marchions, pensifscôte à côte, en chemin attardés ? 6+6 b
Nous voyant seuls tous deux,un homme du village 6+6 a
380 Nous a ‒ se détournant ‒plusieurs fois regardés. 6+6 b
Cela te fit monterla rougeur au visage. 6+6 a
Il ne faut plus rougir,Nicette ; et pour cela 6+6 a
Il faut être ma femme ;or, mon bonheur est là. 6+6 a
»J'ai voulu te parlerde la sorte, Nicette ; 6+6 a
385 J'ai fini. Mon souci,je l'ai dit tout entier ; 6+6 b
Et j'ai laissé tombermon cœur sur ce papier. 6+6 b
J'ai l'âme maintenantlégère et satisfaite, 6+6 a
C'est le ciel qui m'a faitcette douce leçon. 6+6 a
A mes yeux, désormais,la nature est plus belle ; 6+6 b
390 J'entends passer dans l'aircomme un battement d'aile, 6+6 b
Et l'amour chante en moisa plus jeune chanson 6+6 a
VIII
Dans tous les environsla vendange était faite. 6+6 a
Du bourg de Valeyrac,ce soir, c'était la fête ; 6+6 a
Les vendangeurs partaient,on fêtait leur départ, 6+6 a
395 Adieu paniers : ‒ dansonset chantons sans retard ! 6+6 a
On arrivait déjàd'une lieue à la ronde. 6+6 a
Les hommes avaient misleur belle veste ronde, 6+6 a
Les femmes avaient misleur plus rouge jupon ; 6+6 a
Et, gravement pimpantset la mine essoufflée, 6+6 b
400 Ils couraient, car déjàderrière la vallée 6+6 b
On entendait le bruitrauque d'un violon. 6+6 a
Je ne vous dirai pas,à la façon flamande, ‒ 6+6 a
L'enseigne de l'aubergeet la folle guirlande 6+6 a
Que l'on avait ce soirappendue au brandon ; 6+6 a
405 Je ne vous dirai pasles rondes, les quadrilles, 6+6 b
Les buveurs accoudéset les joueurs de quilles : 6+6 b
Je ne vous ferai pasle tour du rigaudon. 6+6 a
Ah ! parlez-moi plutôtdes temps mythologiques 6+6 a
le ciel se peuplaitde héros et de dieux, 6+6 b
410 le monde passaitdans des splendeurs magiques, 6+6 a
l'Olympe entr'ouvraitson cycle radieux ! ‒ 6+6 b
C'était sur quelque montsolitaire et sauvage, 6+6 a
A l'heure le soleildéserte le rivage ; 6+6 a
On voyait accourir,partis dès le matin, 6+6 a
415 Les bergers empressésde maint vallon lointain. 6+6 a
Sous l'odorant fardeaudes roses d'Idalie 6+6 a
La façade du templeétait ensevelie ; 6+6 a
Un satyre cornusculpté sur le fronton, 6+6 a
Aux lèvres un hautbois,riait sous le feston ; 6+6 a
420 Et les nymphes, autourdu satyre pressées, 6+6 a
Ployaient sous les raisinsleurs têtes renversées. 6+6 a
Est-ce une vision,poëte, sommes-nous ? 6+6 a
Ardente, l'œil pourpré,la bacchanale antique 6+6 b
Se dresse devant moisous le sacré portique. 6+6 b
425 Voici le sanctuaireet le peuple à genoux ! 6+6 a
Évohé ! Évohé !quel feu divin m'embrase ! 6+6 a
Je sens bouillir mon frontsous l'éclair qui le rase, 6+6 a
Dans le fond de mon cœurje sens gronder ma voix : 6+6 a
Le voile de mes yeuxse déchire et je vois ! 6+6 a
430 En marche ! promenezdevant nous les corbeilles, 6+6 a
Que le son des tamboursdisperse les abeilles, 6+6 a
Et que l'oiseau qui vientpicorer le pépin 6+6 a
S'enfuie au vent bruyantde nos branches de pin ! 6+6 a
Mêlons à nos cheveuxde douces violettes ; 6+6 a
435 Musiciens, prenezvotre casque d'aigrettes, 6+6 a
Et d'une voix unieau mode lydien 6+6 a
Dites-nous les exploitsde Bacchus l'Indien ! 6+6 a
Allez, versez le mielde la muse lyrique ; 6+6 a
Ceignons nos ceinturonset dansons la pyrrhique. 6+6 a
440 Venez, les Égipans,les Faunes des jardins, 6+6 a
Les Satyres barbusavec vos peaux de daims ; 6+6 a
Venez, les chèvres-pieds ;accourez, les Bacchides ; 6+6 a
Ajustez vos bandeaux,rattachez vos chlamydes ; ‒ 6+6 a
Et dansons ! ébranlonssous nos pieds la forêt ! 6+6 a
445 Comme déjà le soltournoie et dispart ! 6+6 a
L'arbre semble alourdicomme un autre Silène ; 6+6 a
Brandissons nos roseaux,dansons à perdre haleine ; 6+6 a
De notre cercle immenseardent à fendre l'air 6+6 a
Embrassons la forêtdans nos anneaux de chair ! 6+6 a
450 Tout fuit autour de nous,mon front vibre et ruisselle, 6+6 a
Dansons ! ‒ Hécate luitsur les pâles marais, 6+6 b
Le vent du soir se lèveimpétueux et frais ; 6+6 b
Je vois, je vois là-basle temple qui chancelle. 6+6 a
Dansons ! ‒ Et vous Cinthie,Euphrosine, Aglaé, 6+6 a
455 Versez-nous à pleins flotsvos brûlantes rasades, 6+6 b
Notre patère est vide ;encore, mes thyades ! 6+6 b
Et buvons et dansons !Évohé ! Évohé !… 6+6 a
IX
Je sais une maison,du côté de Lesparre, 6+6 a
Qu'un fossé seulementde la route sépare. 6+6 a
460 On y voit un perronet deux lions devant. ‒ 6+6 a
Seul, à la regarderje m'arrêtais souvent ; 6+6 a
Elle a ces volets vertsque désirait Jean-Jacques 6+6 a
Et fleurit d'aubépinson grand portail, à Pâques. 6+6 a
Cet enclot printanier,propice aux heureux jours, 6+6 a
465 Enferme deux épouxque vous savez, ‒ Madame, 6+6 b
Ils n'ont plus que la joieet le calme dans l'âme, 6+6 b
Et le ciel a bénileurs charmantes amours. 6+6 a
Tout dans le fond du parcet parmi la grande herbe 6+6 a
Je les ai vus passer,l'un sur l'autre appuyés, 6+6 b
470 A travers la bruyèreet les bleuets ployés, 6+6 b
Elle, les yeux baissés,lui, le regard superbe. 6+6 a
Un tout petit enfantse jouait à leurs pieds. ‒ 6+6 b
Quand nous voyagerons,l'été prochain peut-être, 6+6 a
Nous passerons par là,car il faut les conntre. 6+6 a
475 Lucien est un chasseurhabile dans son art, 6+6 a
Et puis un agronome.Il a mainte visite 6+6 b
Pour ses beaux dahliasen serre, que l'on cite, 6+6 b
Nul doute qu'on n'en fasseun préfet ‒ mais plus tard. 6+6 a
Nicette a dix-neuf ans,elle est jolie et belle ; 6+6 a
480 J'ai dansé cet hiverune valse avec elle. 6+6 a
Un procureur du roise montrait assidu 6+6 a
Sur ses pas ; ‒ vous pensezsi c'était temps perdu ! 6+6 a
Mais me voici, je crois,au bout de mon histoire. 6+6 a
Madame, vous avezfait acte méritoire 6+6 a
485 En l'écoutant ainsi,les pieds sur les chenets, 6+6 a
Comme s'il s'agissaitde deux ou trois sonnets 6+6 a
Aussi, puisqu'à présentvous n'attendez personne, 6+6 a
Restons encore une heure,et souffrez que je sonne, 6+6 a
Afin que vos laquais,en rallumant le feu, 6+6 a
490 Apportent vos albumssur la table de jeu 6+6 a
Et puis nous causerons ‒près de la cheminée 6+6 a
Qui bourdonne en lançantsa flamme mutinée 6+6 a
De tout ce qui n'est passérieux ou profond, 6+6 a
De l'amour toujours jeuneet des vers qui s'en vont. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
logo du CRISCO logo de l'université