Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
MEN_6/MEN44
corpus Pamela Puntel
Catulle MENDÈS
LA COLÈRE D’UN FRANC-TIREUR
1870
LA COLÈRE D’UN FRANC-TIREUR
Poème Dit par M. COQUELIN de la Comédie-Française
Major, je n’entends rien à votre médecine. 6+6 a
La tisane m’assomme et le lit m’assassine. 6+6 a
Si je ne suis guéri demain, à mon réveil, 6+6 b
Morbleu ! trnant ma jambe avec votre appareil, 6+6 b
5 Je rejoindrai, boiteux ou non, les camarades. 6+6 a
Je réclame mon lot de gloire et de bourrades. 6+6 a
S’il faut saigner là-bas sous quelque obus prussien, 6+6 b
Tant mieux ! un nouveaux mal guérira de l’ancien, 6+6 b
(Vous nommerez cela de l’homœopathie), 6+6 a
10 Et, si l’on meurt, je veux être de la partie. 6+6 a
Je puis mourir, n’ayant ni femme ni marmots. 6+6 b
Ma fureur te surprend, major ? En quatre mots 6+6 b
Voici pourquoi je veux quitter cette paillasse. 6+6 a
Nous marchions. Nous étions quatre cents, tous d’Alsace. 6+6 a
15 Comme on était parti dès le soleil levant, 6+6 b
Nul n’aurait pu, le soir, faire un pas en avant 6+6 b
Sans le clairon hardi qui chante et qui réveille ; 6+6 a
Ce bruit-là, c’est du rhum que l’on boit par l’oreille. 6+6 a
Il fallut s’arrêter pourtant, dormant déjà. 6+6 b
20 Près d’une roche un bouc passait, on le mangea, 6+6 b
Tandis qu’autour de nous, pour des scènes funèbres, 6+6 a
Comme de noirs décors s’élevaient les ténèbres. 6+6 a
Connaissez-vous l’opaque et tenace sommeil 6+6 b
Qui résiste à la pluie, au jour, au cri vermeil 6+6 b
25 Des trompettes sonnant la diane éclatante, 6+6 a
Le sommeil harassé du soldat sous la tente ? 6+6 a
C’est lui qui me coucha près d’un arbre, à l’écart. 6+6 b
Je vis confusément dans un dernier regard 6+6 b
Mes compagnons autour d’un feu de feuilles sèches, 6+6 a
30 Et la plaine, et, pareils à des faisceaux de flèches, 6+6 a
Les peupliers perçant le vide aérien, 6+6 b
Et des coteaux, là-bas, et de l’ombre ; puis, rien. 6+6 b
Quand j’ouvris l’œil, au bord du ciel naissait l’aurore. 6+6 a
Les membres lourds, l’esprit plein de brumes encor, 6+6 a
35 Pour secouer le froid, invisible linceul, 6+6 b
Je me levai, cherchant les autres. J’étais seul. 6+6 b
Seul ! — Sans doute, éveillés par de brusques alarmes, 6+6 a
En courant, en criant, ils avaient pris les armes, 6+6 a
Mais moi, dans le silence et dans l’ombre perdu, 6+6 b
40 Stupide, je n’avais rien vu, rien entendu : 6+6 b
Je dormais ! — A présent, c’est clair, j’étais un lâche, 6+6 a
J’étais le vil goujat qui se sauve ou se cache 6+6 a
A l’heure de l’alerte et du danger commun ; 6+6 b
Et, peut-être, guettant le moment opportun, 6+6 b
45 Le cœur chaud, le bras fort, l’arme bien épaulée, 6+6 a
Mes amis s’embusquaient là-bas, dans la vallée, 6+6 a
Et disaient en parlant du camarade enfui : 6+6 b
« Tiens, je n’aurais jamais pensé cela de lui ! » 6+6 b
Enfer !
Soudain, j’entends des coups de feu. J’écoute, 6+6 a
50 Collant l’oreille à terre. On se bat, plus de doute, 6+6 a
Mais un peu loin, vers l’est, entre des mamelons. 6+6 b
N’importe ! En avant, marche ! au pas de course ! allons ! 6+6 b
Et dans leur sac que font sauter mes bonds farouches 6+6 a
J’entends se remuer, joyeuses, mes cartouches ! 6+6 a
55 En courant, je glissai. Bête brute ! animal ! 6+6 b
Sur un caillou. Je crus ne pas m’être fait mal. 6+6 b
Mais quatre pas plus loin, — oh ! le diable t’emporte, 6+6 a
Os maudit ! — cette jambe autrefois droite et forte, 6+6 a
Cette jambe, — tenez, coupez-la-moi, major ! — 6+6 b
60 En s’affaissant sous moi, me fit tomber encor, 6+6 b
Avec ce cri de rage et de douleur « cassée ! » 6+6 a
Là-bas la fusillade éclatait, plus pressée, 6+6 a
Disant : « Viens, tes amis t’appellent, ce sont eux 6+6 b
Qui luttent ! » Je restais couché, comme un goutteux. 6+6 b
65 Tandis qu’ils combattaient, beaux d’une âpre furie, 6+6 a
Je tâtais, en geignant, ma chair endolorie, 6+6 a
Blessé, rampant. Blessé ? pas même. Estropié ! 6+6 b
De sorte qu’en ce jour si longtemps épié, 6+6 b
Jour de combat ! le fier serment et l’espérance 6+6 a
70 De mourir pour ta vie et pour ta gloire, ô France ! 6+6 a
Et mon père, vieillard délaissé sans amis, 6+6 b
Et les larmes de celle à qui j’étais promis, 6+6 b
Et ma jeunesse avec son adresse et sa force, 6+6 a
Tout cela n’était rien, à cause d’une entorse ! 6+6 a
75 Tout mon espoir s’était brisé contre un caillou ! 6+6 b
Major, êtes-vous sûr que je ne sois pas fou ? 6+6 b
J’ai dû le devenir dans ce moment atroce. 6+6 a
« Je marcherai ! » me dis-je. Alors, fichant la crosse 6+6 a
De mon fusil dans l’herbe humide, je parvins 6+6 b
80 A me dresser. Ainsi qu’un homme entre deux vins, 6+6 b
J’avançai, par saccade, et, vers la terre moite 6+6 a
Me courbant, j’avais l’air d’un animal qui boite. 6+6 a
Mais le bruit du combat, plus proche, et le clairon 6+6 b
Me donnaient dans le cœur de grands coups d’éperon, 6+6 b
85 Et, bien que la douleur dans cette jambe infâme 6+6 a
Fût telle que je crus mille fois rendre l’âme, 6+6 a
Je marchais, sans relâche, oubliant de souffrir, 6+6 b
Et devant d’arriver assez tôt pour mourir ! 6+6 b
J’atteignis une côte. Au-delà, dans la plaine, 6+6 a
90 On se battait. Que faire, inerte, hors d’haleine ? 6+6 a
« Allons, monte, perclus !» Impossible ! trop haut ! 6+6 b
Ah ! j’en pleurais. « Cela se peut, puisqu’il le faut ! » 6+6 b
Et, couché dans un lit de torrent qui serpente 6+6 a
Presque à pic et pierreux, tout le long de la pente, 6+6 a
95 En m’aidant du genou, de l’ongle et du menton, 6+6 b
Je grimpai ! j’entendais les feux du peloton ! 6+6 b
Mes mains, mes bras, saignaient sur les épines vertes, 6+6 a
Je portais mon fusil entre mes dents ouvertes, 6+6 a
Des pointes déchiraient mon ventre à chaque effort, 6+6 b
100 Et ma jambe, pareille à la jambe d’un mort, 6+6 b
Lamentable fardeau, me tirait en arrière : 6+6 a
Je grimpais ! mon fusil tomba, dans une ornière, 6+6 a
Parmi des gazons ras qu’avait roussis l’hiver. 6+6 b
Mon bon fusil ! j’avais encor mon revolver, 6+6 b
105 Et je grimpais toujours ! têtu ! de roche en roche ! 6+6 a
Et quand, les yeux hagards, je vis la cime proche, 6+6 a
Fou d’espoir, sur l’épine et les cailloux bourrus, 6+6 b
Lourd, déchiré, sanglant, n’importe ! je courus ! 6+6 b
Et bientôt, m’élevant sur mes deux poings, robuste, 6+6 a
110 Joyeux, je dominai le mont de tout mon buste. 6+6 a
Oh ! quel cri je poussai ! Car je vis, oui, je vis 6+6 b
Les Français triomphants, les autres poursuivis, 6+6 b
Et, soulevant mon arme entre mes deux mains jointes, 6+6 a
Discernant les Prussiens, grâce aux casques à pointes, 6+6 a
115 Dans la confusion des corps-à-corps étroits, 6+6 b
Calme, j’en visai six et j’en vis tomber trois. 6+6 b
Puis, mourant, je roulai, la tête la première, 6+6 a
Dans le combat.
Hier, j’ai revu la lumière, 6+6 a
Stupidement couché dans ce lit d’hôpital. 6+6 b
120 — Ah ! major, coupe, taille, ampute, sois brutal, 6+6 b
Mais sois prompt ! le canon résonne ! et la Victoire, 6+6 a
Qui redevient française et nous rend notre gloire, 6+6 a
De Prussiens culbutés va faire un tel abus 6+6 b
Que, si je tarde encore, « il n’en restera plus ! » 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
logo du CRISCO logo de l'université