Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
MEN_3/MEN34
Catulle MENDÈS
Hespérus
1872
IV
La Vision Suprême
Une étoile parmila stagnante épaisseur 6+6 a
Des nuages s’étaitlevée avec douceur, 6+6 a
Faible, et dont le rayoncoulant du ciel nocturne 6+6 b
Comme des pleurs de laitd’une fissure d’urne, 6+6 b
5 En flaques de blancheurs’étalait sur les murs. 6+6 a
L’illuminé songeaitsous les cieux moins obscurs. 6+6 a
« Donc j’ai franchi les seuilsclos de portes ignées 6+6 b
Et j’ai pu vivre avecles Anges, trente années, 6+6 b
Partageant leurs travaux,leurs jeux et leurs repas, 6+6 a
10 Ainsi que l’homme vitavec l’homme ici-bas. 6+6 a
J’ai la Sagesse et j’ail’Amour : j’aurai la vie. 6+6 b
Nuit dernière, d’un jourperpétuel suivie, 6+6 b
O mort ! par qui les yeuxse ferment dans le temps 6+6 a
Et dans l’éternitése rouvrent, je t’attends 6+6 a
15 Comme un homme inquietva guetter au passage 6+6 b
L’ami qui doit venir,porteur d’un bon message ; 6+6 b
Et de ce remûmentplein d’un captif essor 6+6 a
due l’approche d’un souffleimperceptible encor 6+6 a
Communique à la voile,à l’arbre, à la broussaille, 6+6 b
20 Mon être intérieurinfiniment tressaille. 6+6 b
Crépuscule éblouide devenir le jour, 6+6 a
J’appartrai sous laforme de mon Amour ! 6−6 a
Car, pour le Ciel augusteou pour l’Enfer immonde, 6+6 b
L’homme engendre sa chairfuture dès ce monde, 6+6 b
25 Et la verra, selonl’objet dont il s’éprit, 6+6 a
Splendide ou ténébreuse,éclore de l’esprit. 6+6 a
En des candeurs de neige,en des ardeurs de flamme, 6+6 b
, sensible, vivrala beauté de mon âme, 6+6 b
Je serai tout mon rêveenfin substantiel ; 6+6 a
30 Et puisque l’hyménéeest le vrai nom du Ciel, 6+6 a
Puisque deux amants purs,que l’intime mystère 6+6 b
D’être unis pour l’Édenfiança dès la terre, 6+6 b
Lui, Sagesse, Elle, Amour,et l’un à l’autre égal, 6+6 a
Deviendront un seul angeauguste et conjugal : 6+6 a
35 Dans Adramandoni,dont les belles pelouses 6+6 b
Voient avec les Épouxconverser les Épouses, 6+6 b
Je verrai, nuptiale,en habits de satin, 6+6 a
Mêlée à la lumièreet mêlée au matin, 6+6 a
La femme en qui Dieu mitl’Amour de ma Sagesse ! 6+6 b
40 Déjà, car le Seigneurme fait cette largesse, 6+6 b
Je la vois.
Loin d’ici,sur la terre pourtant, 6+6 a
Une région morneet splendide s’étend, 6+6 a
Cieux glacés, sol durci,mer immobilisée. 6+6 b
Là, du soleil polaireéternelle épousée, 6+6 b
45 Mais après tant de joursimmaculée encor, 6+6 a
La neige ne sait pointl’ardeur des baisers d’or 6+6 a
Et livre sans périlsde fonte ni de hâle 6+6 b
A l’impuissant épouxsa virginité pâle. 6+6 b
Steppes développantleur blême immensité 6+6 a
50 Sous un ciel des candeursde la terre teinté ; 6+6 a
Forêts, gorges, vallons,molles profondeurs blanches 6+6 b
Que parfois, sous le givreéblouissant des branches, 6+6 b
Traverse à pas pesantsun carnassier rôdeur, 6+6 a
Muet dans le silenceet mat sur la splendeur ; 6+6 a
55 Villes au loin, hameauxpresque enfouis qu’assiège 6+6 b
L’épais grossissementonduleux de la neige ; 6+6 b
Larges fleuves étreintspar les glaces, amas 6+6 a
D’avalanches, sommetséclatants de frimas, 6+6 a
Tout s’estompe et se fonddans la monotonie 6+6 b
60 D’une blancheur intense,immuable, infinie. 6+6 b
Forme sensible à peineeu ce vaste unisson 6+6 a
Du ciel froid, du désertblafard et du glaçon, 6+6 a
S’élève, au flanc des monts,une antique demeure. 6+6 b
Son tranquille escalierque rarement effleure 6+6 b
65 Le pas d’un serviteurpensif qui dispart 6+6 a
Sous une vte ainsiqu’un spectre s’en irait, 6+6 a
Ses arcades qu’au loinla neige continue, 6+6 b
Et le blêmissementde ses toits sous la nue 6+6 b
Forment un édificeétrange et solennel, 6+6 a
70 Semblable à ces palaisque l’hiver éternel 6+6 a
Dresse et maçonne, ayant,sous la brume blanchâtre, 6+6 b
Pour pierre la banquiseet le flocon pour plâtre. 6+6 b
Au dedans le silenceet la paix sont profonds ; 6+6 a
De froides pesanteursdescendent des plafonds, 6+6 a
75 Et, miroirs blanchissants,des parois colossales 6+6 b
Cernent de marbre nul’isolement des salles. 6+6 b
De loin en loin, et dansles dalles enchâssé, 6−6 a
Un bassin de porphyreau rebord verglacé 6+6 a
Courbe sa profondeurpolie, l’onde gèle ; 6+6 b
80 Le froid durcissementa poussé la margelle 6+6 b
Et le porphyre en plusd’un endroit est fendu ; 6+6 a
Un jet d’eau qui montaitn’est pas redescendu, 6+6 a
Roseau de diamantdont la cime évasée 6+6 b
Suspend une immobileombelle de rosée. 6+6 b
85 Dans la vasque pourtant,des fleurs, givre à demi, 6+6 a
Semblent les rêves fraisdu cristal endormi 6+6 a
Et sèment d’orbes blancssa lucide surface, 6+6 b
Lotus de neige éclossur un étang de glace, 6+6 b
Lys étranges, dans l’âmeéveillant l’ial 6+6 a
90 D’on ne sait quel printempsfarouche et boal ! 6+6 a
Une vierge aux grands yeuxouverts sur le mystère 6+6 b
Habite avec ces fleursdans le Nord solitaire. 6+6 b
Le suprême desseinqui règle les hasards 6+6 a
La fit ntre du sangimpérial des Tzars ; 6+6 a
95 La gloire, la grandeurpresque surnaturelle, 6+6 b
Le faste, elle eut l’orgueilde ces pourpres sur elle, 6+6 b
Et reçut, jeune frontpeut-être épouvanté, 6+6 a
Un diadème encor,la parfaite beauté. 6+6 a
L’homme se sent pâlirparfois sous la couronne, 6+6 b
100 La femme, non ; en vainla chute l’environne, 6+6 b
Son vertige a l’ivresseet n’a pas la douleur ; 6+6 a
Dans la main d’une femmeun sceptre est une fleur. 6+6 a
Prends cette fleur ! disaitle satan qui l’assiège ; 6+6 b
Mais, Dieu l’ayant élue,elle a connu le piège 6+6 b
105 Et de la terre sombrea détourné les yeux 6+6 a
Comme un rayon jalouxremonterait aux cieux. 6+6 a
Un roi l’aimait ; pensive,elle a conclu l’échange 6+6 b
De l’amour faux d’un roipour l’amour vrai d’un ange ; 6+6 b
De moment en moment,vers l’Hymen immortel, 6+6 a
110 Comme un prêtre gravitles marches d’un autel, 6+6 a
Elle monte, pour guideayant cette courrière 6+6 b
Qui prépare le litnuptial, la Prière ; 6+6 b
Et, pendant qu’elle aspireà l’immuable Amour, 6+6 a
Le blanc septentrionest l’unique séjour 6+6 a
115 Auquel, blancheur aussi,son âme se résigne. 6+6 b
Le ciel aura cet ange,et la neige a ce cygne. 6+6 b
Or, la fille des Tzarset moi, nous nous aimons. 6+6 a
Qu’importent entre nousdes mers, des deux, des monts ! 6+6 a
Tout l’éloignement sombreinterpose son voile 6+6 b
120 Sans dérober l’étoileau regard de l’étoile ; 6+6 b
Et, si distants que l’unde l’autre nous soyons, 6+6 a
Nous nous sentons voisins,à cause des rayons. 6+6 a
Qu’importe que je soisce vieux à face vile, 6+6 b
Cette chose mêléeaux fanges d’une ville, 6+6 b
125 Et qu’elle ait la noblesseavec la pureté, 6+6 a
Lys des champs qu’une tigehéraldique a porté ! 6+6 a
Sa grâce, ma laideur,sa grandeur, ma bassesse, 6+6 b
C’est l’inégaliténaturelle, qui cesse, 6+6 b
C’est l’envers du mental,l’extérieur du front ; 6+6 a
130 Nos êtres sont égauxdans ce qu’ils deviendront. 6+6 a
L’un chez l’autre adorantles parités futures, 6+6 b
Nous secourons les ferset romprons les clôtures 6+6 b
De l’épreuve, prisonqui nous possède en vain ; 6+6 a
Il faut être terrestreavant d’être divin, 6+6 a
135 Mais par je ne sais quoide moins lourd dans nos chnes 6+6 b
Se dénonce l’essordes libertés prochaines ! 6+6 b
O jeune Âme, vouéeà mon âme déjà 6+6 a
Quand de l’antique nuitla lumière émergea, 6+6 a
De mon chaste désiréternelle vestale, 6+6 b
140 Nous vêtirons enfinnotre splendeur totale ! 6+6 b
Couchés le même jour,selon d’anciens accords, 6+6 a
Moi dans le sol obscurqui ressemble à mon corps, 6+6 a
Toi dans la neige pâleà qui ton corps ressemble, 6+6 b
Nous ressusciterons,transfigurés ensemble, 6+6 b
145 Et déjà, pour sourireaux divins épousés, 6+6 a
Les beaux Anges en deuxgroupes se sont posés 6+6 a
Sur les blancs escaliersde la mystique enceinte, 6+6 b
Ceux-ci vêtus de pourpreet ceux-là d’hyacinthe ! » 6+6 b
Tel il songeait. Ses doigtsen un geste enfantin 6+6 a
150 Vers l’épouse promiseà son rêve hautain 6+6 a
Envoyaient le baiserdes jeunes fiançailles, 6+6 b
Et son ombre difformeerrait sur les murailles. 6+6 b
Tout à coup, avec l’aird’une bête en arrêt, 6+6 a
Il se tut.
Tout le ciel,plein d’astres, l’éclairait. 6+6 a
155 Crispé, roide, il tendaitune oreille éperdue 6+6 b
Sans doute vers des voixd’anges dans l’étendue. 6+6 b
Autour de nous s’accrutle silence. On t dit 6+6 a
Que les bruits se taisaientafin qu’il entendît. 6+6 a
Quoi ! ce murmure éparsdes Esprits dans l’espace, 6+6 b
160 Qui confondrait l’ouïehumaine et la dépasse 6+6 b
Par les vibrationsd’un éther trop subtil, 6+6 a
Le pouvait-il entendreet le comprenait-il ? 6+6 a
Il écoutait. Parfois,ouvertes par l’extase, 6+6 b
Ses lèvres remuaient,répétant une phrase ; 6+6 b
165 Et, bientôt, l’œil sublimeet le front surhumain, 6+6 a
Sous l’ombre éblouissante,il s’écria : « Demain ! » 6+6 a
Demain, la fange aurapris l’époux, et, jalouse, 6+6 b
La neige épaissirale linceul de l’épouse ; 6+6 b
Mais l’archange-prophètea dit : « Vous revivrez ! » 6+6 a
170 O réveil ! nous montons,réunis, délivrés, 6+6 a
Purs êtres que plus riend’extérieur n’altère. 6+6 b
Qu’était-ce que le noirocéan, et la terre, 6+6 b
Et le pâle soleilde l’antique ciel bleu ? 6+6 a
Des éléments : de l’eau,de la boue et du feu. 6+6 a
175 La nature d’en bas,c’est l’éternelle morte, 6+6 b
Une élévationsublime nous emporte 6+6 b
Vers le monde vivantdes Cieux définitifs, 6+6 a
Et, libres d’autant plusque nous fûmes captifs, 6+6 a
Humains, mais déchargésdes pesanteurs infâmes, 6+6 b
180 Nous n’avons de l’épreuveemporté que nos âmes, 6+6 b
C’est-à-dire la formeintime de nos corps. 6+6 a
Être esprit, c’est avoirle dedans pour dehors. 6+6 a
Nous montons, éblouis,des chemins de lumière ! 6+6 b
Quand j’hésite, c’est toiqui passes la première. 6+6 b
185 Parfois, vêtu de pourpre,un angélique Esprit 6+6 a
S’envole devant nous,se retourne, et sourit. 6+6 a
Nous le suivons, heureux,ma main serrant la tienne 6+6 b
Pour que l’un, s’il faiblit,de l’autre se soutienne, 6+6 b
Unis, mais d’un peu loinet les regards baissés, 6+6 a
190 Comme il convient, n’étantencor que fiancés. 6+6 a
O cieux purs ! le cheminde lumière se hausse ! 6+6 b
Mais le Tartare, en bas,fuligineuse fosse, 6+6 b
Érige des palaisde fange et de roseaux ; 6+6 a
Et, rauque, une clameur,comme à travers des eaux, 6+6 a
195 Apporte jusqu’aux cieuxspirituels l’insulte 6+6 b
De l’orageux Enferqui dans sa haine exulte ! 6+6 b
« Mtres des lâchetéset seigneurs des effrois, 6+6 a
Nous sommes les héros,les papes et les rois ! 6+6 a
Broyés sous nos talons,du sang de leurs blessures 6+6 b
200 Les peuples résignésempourprent nos chaussures ; 6+6 b
Et Dieu s’écrouleraits’il n’avait pour appui 6+6 a
Notre divinitépar l’on croit en lui. 6+6 a
A nous le Sceptre, à nousla Crosse irréfutable ! 6+6 b
Mais au banquet splendide notre orgueil s’attable 6+6 b
205 Deux princes manqueraientsi vous étiez absents, 6+6 a
Jeunes Anges ! »
Ainsinous tentent les Puissants. 6+6 a
« Les Sceptres, qu’on les fonde !et vendez les Tiares ! 6+6 b
Hurle à son tour la voixmauvaise des Avares, 6+6 b
Cri plus âpre, montéd’un enfer plus obscur. 6+6 a
210 L’or est beau, l’or est bon,l’or est grand, l’or est pur ! 6+6 a
Plus puissant que la Forceet l’Orgueil, et plus sage, 6+6 b
Il a, Dieu virtuel,le mépris de l’usage, 6+6 b
Et dans tout homme ayantamassé des tas d’or 6+6 a
N’allume que l’amourd’en amasser encor. 6+6 a
215 Par nous, vous conntrez,Âmes longtemps dupées, 6+6 b
L’extase de sentirentre ses mains crispées 6+6 b
Courir les flambmentsde l’or torrentiel : 6+6 a
Anges ! vous compterez,pièce à pièce, le Ciel ! » 6+6 a
L’abîme tentateurrenforce ces voix gaies 6+6 b
220 Par des écroulementssomptueux de monnaies. 6+6 b
Un autre appel s’élève,et c’est une chanson 6+6 a
Qui nous émeut d’un tièdeet violent frisson 6+6 a
Comme le veut du sudchauffe et tord des voilures. 6+6 b
« Montez vers eux, parfumslégers des chevelures, 6+6 b
225 Et vous, bruits doucereuxdes caresses, montez 6+6 a
Avec le clair éveildes rires chuchotés ! 6+6 a
Enseignez-leur l’amour,seul reposoir propice 6+6 b
la fatigue d’êtreimmortel s’assoupisse, 6+6 b
Et ce léthé, stagnantendormeur des desseins, 6+6 a
230 Qui gît dans l’intervalleadoré des beaux seins. 6+6 a
Langueurs lasses du lit,soupirs, caresses nues, 6+6 b
Doux néant, soyez-leurdes ivresses connues, 6+6 b
Et qu’ils sachent, heureuxde se désabuser, 6+6 a
Ce que l’Enfer a misde ciel dans le Baiser ! » 6+6 a
235 Ce chant qui nous poursuit,plein d’énervantes fièvres, 6+6 b
A fait se rapprocherma bouche de tes lèvres ; 6+6 b
Parce qu’au fond de moisans doute il est resté 6+6 a
Un peu des pesanteursde l’univers quitté, 6+6 a
Mon front penche, surprisd’ivresse et de panique 6+6 b
240 Au doucereux appelde la Chair tyrannique, 6+6 b
Et je te dis, sentantse heurter mes genoux : 6+6 a
« Regardons-les ! peut-êtreils aiment comme nous… » 6+6 a
Mais ton œil, qui conntle bon grain de l’ivraie, 6+6 b
Surprend l’ombre d’un jetde la lumière vraie, 6+6 b
245 Et l’Enfer, qui s’effare,appart dans ce jour 6+6 a
Tout autre qu’il n’était,vu selon son amour. 6+6 a
Ce bétail attachédans une herbée épaisse 6+6 b
De glaives et de dardssanglants, pour qu’il y paisse, 6+6 b
Ces ânes dont le bâta crevassé leur dos 6+6 a
250 Et qui buttent, chargésde coups sur les fardeaux, 6+6 a
Ces lynx maigres, dont flotte,ainsi que de vieux linges, 6+6 b
Le ventre, ces chacalschevauchés par des singes, 6+6 b
Ces porcs, sale troupeaugras d’ordures, qui sent, 6+6 a
Palpe et mange sa fangeen se réjouissant, 6+6 a
255 Ce sont les empereurs,les évêques, les princes ! 6+6 b
Un roi qui grossissaitd’empires ses provinces, 6+6 b
Homme encor, mais sans tête,a pour royaume un trou 6+6 a
Et porte sa couronneà même sur le cou, 6+6 a
Pendant qu’à ses talonsce loup-cervier qui lape 6+6 b
260 Du sang est un héroset ce renard un pape ! 6+6 b
Non moins affreux, ayantpour membres des serpents 6+6 a
Et d’impurs scorpionsl’un sur l’autre rampants, 6+6 a
Les Avares, ployésvers des tables étroites, 6+6 b
Rangent soigneusementdes cailloux dans des btes ; 6+6 b
265 Quelqu’un vient et leur dit :« Sciez ces troncs, hissez 6+6 a
Ces blocs ! » et, quand ils ont,esclaves harassés, 6+6 a
Scié les troncs, hisséles blocs, leurs mains avides 6+6 b
Pour unique salaireobtiennent des noix vides, 6+6 b
Et tous courent, furtifset le regard sournois, 6+6 a
270 Enfouir dans des trousles coquilles de noix ! 6+6 a
Plus bas, une rondeurse gonfle et se resserre : 6+6 b
Helminthes fourmillantsd’un immonde viscère, 6+6 b
Là pullulent, heureux,les Amants de la Chair. 6+6 a
Puisque l’homme devientl’amour qui lui fut cher 6+6 a
275 Ils se sont incarnésdans leur sale espérance. 6+6 b
Fardés, les membres ointsde suie et d’huile rance, 6+6 b
Décrépits, gracieux,d’un geste libertin 6+6 a
Retroussant des haillonsde gaze et de satin, 6+6 a
Et, vieillards, sur des frontschargés de cent années, 6+6 b
280 Mêlant des cheveux grisà des roses fanées, 6+6 b
Les uns, comme on verraitentre des bras d’amant 6+6 a
Le jeune époux tenirl’épouse au corps charmant, 6+6 a
Enlacent d’une étreinteéperdue un squelette 6+6 b
Qu’à leur lèvre cédala dent de la belette, 6+6 b
285 Et baisent, enivrésd’amour dans un cercueil, 6+6 a
Le trou qui fut la boucheet le trou qui fut l’œil ; 6+6 a
Dans un bosquet qui voitsous les pleurs des cascades 6+6 b
Se jouer des guenonsau lieu d’hamadryades, 6+6 b
D’autres, priapes fous,sans aucun vêtement, 6+6 a
290 Mais de la tête aux piedsvelus horriblement, 6+6 a
Presque animaux, scandantleurs cris d’infâmes gestes, 6+6 b
Environnent d’un chœurde danses immodestes 6+6 b
Des torses de venusfaits d’excréments durcis. 6+6 a
Et tous portent la joieen feu sous leurs sourcils, 6+6 a
295 Car tel est le Désirdont ces Âmes sont faites 6+6 b
Qu’étant dans l’infamieelles sont dans les fêtes ! 6+6 b
Mais voici : pour avoirtenté nos fronts élus, 6+6 a
Les vieillards débauchés,les priapes velus, 6+6 a
Comme par la fenêtreon jette des ordures, 6+6 b
300 Seront précipitésen des géhennes dures. 6+6 b
Plus d’amours ni de jeux.Fainéants, au travail ! 6+6 a
L’atelier rude aprèsle languissant sérail. 6+6 a
Et leurs mains, à la molleétreinte habituées, 6+6 b
Devront broyer du fardpour les prostituées ! 6+6 b
Aveugle enfer, hélas !
305 Cependant, pèlerins 6+6 a
Miraculeux, passantsdes abîmes sereins, 6+6 a
Notre angélique essortraverse des fumées, 6+6 b
De flamme, de musiqueet de parfum tramées ! 6+6 b
Roulant de toutes partscet éclair adouci 6+6 a
310 Qui tremble à l’orientde la perle, voici 6+6 a
Que les Cités du Ciels’ébauchent dans la brume ; 6+6 b
Et, suprême, au delàdes paradis, s’allume 6+6 b
Jérusalem, au loin,comme une lampe d’or ! 6+6 a
Mais sur quel seuil devrase poser notre essor ? 6+6 a
315 Car celui qui discerneet qui groupe les âmes 6+6 b
Selon la parentéde leurs intimes flammes 6+6 b
Fonda pour les Élusde l’épreuve émigrés 6+6 a
Autant de Ciels qu’il estdans l’amour de degrés ; 6+6 a
Et le séjour prescritpar sa miséricorde 6+6 b
320 Si strictement avecles habitants concorde 6+6 b
Que toute autre lumièreaveuglerait leurs yeux. 6+6 a
Nous montons à traversles Cieux, cherchant nos Cieux. 6+6 a
O spectacle ! Un Éden,dans une gloire pâle, 6+6 b
Ouvre sur l’infinides portiques d’opale, 6+6 b
325 Candide et confiantsymbole de l’accueil, 6+6 a
Qui propose à nos paset conseille à notre œil 6+6 a
De pénétrer jusqu’auxclartés intérieures. 6−6 b
Blanches, aux toits d’argent,s’élèvent les demeures ; 6+6 b
Le flambment issudu cri de Jéhovah, 6+6 a
330 Lorsque l’né des joursnaturels se leva, 6+6 a
Baigne les dômes clairs,et, docile aux hélices 6+6 b
Des longs jardins, allume,en glissant, les calices. 6+6 b
La neige, sur le sol,se mêle aux fleurs d’été ; 6+6 a
Neige spirituelle,elle a nom Chasteté. 6+6 a
335 Toute chose, en un lieucéleste, représente, 6+6 b
Et, de réalitésnaturelles exempte, 6+6 b
A des réalitésintimes correspond. 6+6 a
Ici le jour, couleurd’une perle qui fond, 6+6 a
Lucide, mais terrestreencor dans son essence, 6+6 b
340 Des Esprits qu’il éclaireest l’humble Connaissance ; 6+6 b
Les Hymens, pour figure,ont ces blanches maisons 6+6 a
le Désir grimpantsuspend des floraisons 6+6 a
Parfois de lys, parfoisde rouges amarantes ; 6+6 b
Et les fenêtres sontdes Candeurs transparentes. 6+6 b
345 Des Anges, sous les fleurs,rayonnent deux à deux ; 6+6 a
L’Amour qu’ils ont en euxtranspart autour d’eux, 6+6 a
Plus vif selon qu’ils fontde plus sacrés Usages ; 6+6 b
Il est l’ardente chairde leurs jeunes visages, 6+6 b
Azuré leurs regards,embrase leurs cheveux, 6+6 a
350 Les vêt d’une syndoneirisée leurs vœux 6+6 a
Sont brodés en festonsde perles et de gemmes, 6+6 b
Et, royal, sur leurs frontspose des diadèmes. 6+6 b
Nul n’est oisif. Les unsensemencent les champs, 6+6 a
Taillent la vigne, ou dansla cité sont marchands ; 6−6 a
355 D’autres sont conseillersou mtres de milices ; 6+6 b
Mais l’hymen associeaux labeurs les délices : 6+6 b
En deux ramiers, avecun bruissement doux, 6+6 a
Des lèvres de l’Épouseaux lèvres de l’Époux 6+6 a
Se croise du Baiserle symbole fidèle ; 6+6 b
360 Chaque ramier, couleurde neige en venant d’Elle, 6+6 b
A des ailes de flammeen revenant de Lui. 6+6 a
Et quand, à l’occidentde leur Ciel, aura lui 6+6 a
Le signe interrupteurdes soins et des négoces, 6+6 b
Ils s’en iront, épouxconviés à des noces, 6+6 b
365 Ardent midi qui s’offreen exemple au matin, 6+6 a
Près d’un couple nouveaus’asseoir en un festin. 6+6 a
Sur des tables qu’éclaireentre de blancs pilastres 6+6 b
La constellationd’une lampe à sept astres, 6+6 b
Ils se partagerontles pains de pur froment 6+6 a
370 Et vers l’Amour, soleildu plus haut firmament, 6+6 a
Leurs bras élèverontles coupes solennelles ! 6+6 b
Puis, sous les myrtes purs,inclinés en tonnelles, 6+6 b
Ce sera le momentdes Spectacles, des Jeux, 6+6 a
Des chastes entretienssur les gazons neigeux, 6+6 a
375 Dans les feuilles, pendantqu’une fleur, balancée 6+6 b
Au toucher de leurs fronts,se teint de leur pensée ; 6+6 b
Et, bientôt, enlacésd’un geste plus aimant, 6+6 a
Ayant l’ombre autour d’euxcomme un consentement, 6+6 a
Vers les maisons d’hymen,secrètes sous les branches, 6+6 b
380 Ils marcheront, pensifs,avec les lenteurs blanches 6+6 b
De deux cygnes voguantsur un sombre canal, 6+6 a
Jeunes Âmes au corpschaque soir virginal, 6+6 a
Qu’isolera du ciel,des cités, des ramées, 6+6 b
Un bruit mystérieuxde portes refermées. 6+6 b
385 Nous passons ! Dans les cieuxsans limite agrandis 6+6 a
S’échelonnent encordes villes, paradis 6+6 a
Plus parfaits et peuplésde plus sublimes hôtes, 6+6 b
Suivant qu’ils sont placésen des zones plus hautes. 6+6 b
Mais, parmi tant de seuilssacrés, il n’en est pas 6+6 a
390 Un seul qui soit égalà l’orgueil de nos pas ; 6+6 a
Le besoin de la vieextrême nous dévore ; 6+6 b
Et nous montons, plus purssi nous montons encore ! 6+6 b
Tout s’enfuit. Les Édens,les Cieux, ont-ils été ? 6+6 a
Plus rien.
L’espace immense.
Au fond, une clarté 6+6 a
395 Terrible ! et qui, semblableà quelque aimant avide, 6+6 b
Nous attire, éperdus,à travers tout le vide. 6+6 b
Nous allons. Elle s’enfle,et devient, de flambeau, 6+6 a
Fournaise ! le levantqui s’empourpre est moins beau. 6+6 a
Puis, des chaleurs. Nos corpssentent par chaque pore 6+6 b
400 Suinter de l’ombre, resteimpur qui s’évapore. 6+6 b
Nous sommes nus. Le rougeet chaud rayonnement 6+6 a
Pénètre dans nos chairsplus immédiatement. 6+6 a
Tout notre être devientun élan qui s’embrase 6+6 b
Dans la proximitéde la dernière extase. 6+6 b
405 Nous voyons à traversdes splendeurs de bûcher 6+6 a
Des formes tressaillir,des couleurs s’ébaucher, 6+6 a
Et, comme un matelot,de la mer solitaire 6+6 b
Voit surgir sa patrieet jette ce cri : Terre ! 6+6 b
Sublimes arrivants,nous avons crié : Ciel ! 6+6 a
410 Front de l’immensité,but providentiel 6+6 a
Des Sagesses, Sionqui trônes au pinacle 6+6 b
De l’affranchissementsuprême, Tabernacle !… 6+6 b
Reçois notre salut,Monde sacerdotal 6+6 a
les Anges vêtusd’un fluide cristal 6+6 a
415 Apparaissent tout nus,étant les Innocences, 6+6 b
le Bien et le Vrai,conjoignant leurs essences 6+6 b
Dans un extrême effortd’épanouissement, 6+6 a
Consomment sans relâcheen l’éternel moment 6+6 a
Les mystères du sainthymen que symbolise 6+6 b
420 Ce couple tout parfait,le Seigneur et l’Église ! 6+6 b
Flammes de la Chaleuret rayons du vrai Jour, 6+6 a
Nous entrons dans le gouffreauguste de l’Amour ; 6+6 a
Et nous sommes un dessourires de la Joie. 6−6 b
Mon sein qui brille s’offreà ton sein qui flamboie ; 6+6 b
425 Homme et Femme toujours,mais à Dieu même égaux, 6+6 a
Dans l’âme et dans la chairchastement conjugaux, 6+6 a
Nous percevons enfinles délices complexes, 6+6 b
De la communionangélique des sexes, 6+6 b
Et, livrés en espritaux plaisirs de la chair, 6+6 a
430 Sous l’enveloppementd’un immuable éclair 6+6 a
Nous possède à jamaisl’heureuse frénésie 6+6 b
D’être ceux qu’illumine,embrase et rassasie 6+6 b
L’Amour, soleil sacré,feu plus pur que le feu, 6+6 a
En qui brûle, au zénithde la sagesse, Dieu ! » 6+6 a
435 Criant ainsi, le nainlevait des bras augustes. 6+6 b
Sur les rocs écroulés,dans les branches d’arbustes, 6+6 b
Forme noire, il rouladu haut de l’Abendthor, 6+6 a
Se perdit dans la nuit,se laissa voir encor, 6+6 a
De rocher en rocher,de racine en racine, 6+6 b
440 Gagnant le fte claird’une côte voisine, 6+6 b
Mais, là, d’un bond si brefdisparut à mes yeux 6+6 a
Que je crus qu’il s’étaitenvolé dans les cieux ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6−6
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