Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
MEN_3/MEN33
Catulle MENDÈS
Hespérus
1872
III
Arcanes
Il reprit :
« O vous tous, mangeant, buvant, dormant 6+6 a
Sous le Ciel qui s’entr’ouvre impénétrablement, 6+6 a
Puissiez-vous, par cet homme à qui je la révèle, 6+6 b
Apprendre, ô surdités aveugles ! la Nouvelle 6+6 b
5 Que savent mon oreille et mes yeux revenus 6+6 a
Du voyage à travers les mondes inconnus ! 6+6 a
Au-dessus des Enfers, sous le Ciel triple et double, 6+6 b
Plane un Monde baigné d’une lumière trouble, 6+6 b
Ses astres n’étant pas ténébreux ni vermeils. 6+6 a
10 C’est là que, réveillés du plus court des sommeils, 6+6 a
Les hommes qu’on croit morts sont conduits par un ange. 6+6 b
Qu’ils soient hommes encor, cela leur semble étrange, 6+6 b
Et chacun d’eux, vêtu comme il était vêtu, 6+6 a
Entend ces mots : « Esprit ! qu’as-tu cru ? qu’aimais-tu ? » 6+6 a
15 Telle étant la contrée où l’Ange les amène 6+6 b
Qu’on n’y saurait mentir selon la mode humaine, 6+6 b
L’un répond : « Je croyais que le tombeau jaloux 6+6 a
Ne s’ouvrait qu’à la faim de l’hyène et des loups, 6+6 a
Et j’aimais, pour tromper mes funèbres détresses, 6+6 b
20 Les coupes et les yeux qui versent des ivresses. » 6+6 b
Un autre dit : « Je n’ai rien cru, je n’ai rien su, 6+6 a
Objectant à la Foi la peur d’être déçu ; 6+6 a
Mais j’amassai de l’or afin de faire envie. » 6+6 b
Un troisième répond : « J’ai désiré la vie 6+6 b
25 Et l’ai cherchée au fond du mystère hagard ; 6+6 a
Mais l’abîme était trop profond pour mon regard. » 6+6 a
Un quatrième dit : « J’étais Roi. Mes prophètes 6+6 b
S’écriaient : « Vous et Dieu, vous êtes les deux Faîtes : 6+6 b
Seigneurs, regardez-vous en face sans ennui, 6+6 a
30 Et que, si l’un de l’autre est jaloux, ce soit lui. » 6+6 a
Je les croyais. Je fus terrible et débonnaire. 6+6 b
Ayant l’Aigle, il fallait que j’eusse le tonnerre ; 6+6 b
Mais j’avais des pitiés au retour des combats. » 6+6 a
Un cinquième, qui fut dans l’Église ici-bas, 6+6 a
35 Dit : « J’étais catholique et croyais l’Évangile : 6+6 b
Que l’esprit survivrait mais que la chair fragile 6+6 b
Se mêlerait au vent qui fuit, je le prouvais ; 6+6 a
Et dans un célibat plein de rêves mauvais 6+6 a
J’ai connu longuement les affreuses délices 6+6 b
40 De la blême abstinence et des rouges cilices. » 6+6 b
Tels ils parlent, ayant la Couleuvre à leurs pieds. 6+6 a
Mais l’Interrogateur leur dit : « Vous vous trompiez ; 6+6 a
Et c’est de quoi le Cœur du Ciel soupire et saigne. » 6+6 b
Puis il les fait s’asseoir en cercle, et les enseigne. 6+6 b
45 Or, comme dans le monde aux douteuses clartés 6+6 a
Un ange très savant parle aux ressuscités, 6+6 a
Je vous parle ici-bas, vivants que l’heure presse. 6+6 b
Faites l’Œuvre, d’après l’Amour, par la Sagesse. 6+6 b
Mais quelle est la Sagesse et quel l’Amour ? Voici. 6+6 a
50 Les saints avertisseurs d’Israël endurci, 6+6 a
Les suscités de Dieu, disaient vrai ; les sibylles 6+6 b
Ne mentaient pas aux pieds des Baals immobiles, 6+6 b
Ni celle que Saül implora dans Endor, 6+6 a
Ni dans le carrefour d’un triple corridor 6+6 a
55 Les femmes d’Éleusis, de Delphes, ou de Cumes ; 6+6 b
Ces bouches ont ba du vrai dans leurs écumes, 6+6 b
Et, malgré soi prophète en sa rébellion, 6+6 a
Astaroth, dans saint Jean, se nomme Apollyon. 6+6 a
Certe, il voulut séduire et tromper, mais le Traître, 6+6 b
60 S’efforçant d’être faux, ne put que le paraître, 6+6 b
Car le mensonge est mal aisé même aux satans ; 6+6 a
Et l’oracle d’Ephèse est sûr, si tu l’entends. 6+6 a
Donc, médite, et poursuis l’âme éparse du Verbe. 6+6 b
Le sang court dans la chair, la racine est sous l’herbe. 6+6 b
65 Quand il a dans sa cave enseveli de l’or, 6+6 a
L’avare, qui réserve à ses fils ce trésor, 6+6 a
Pour qu’ils sachent l’endroit, le marque d’une obole ; 6+6 b
Tel, Dieu mit sur le sens enfoui le symbole 6+6 b
Pour qu’aux yeux que n’a point aveuglés le Péché 6+6 a
70 La Lettre révélât où l’Esprit fut caché. 6+6 a
Fouillez profondément ; la trouvaille est certaine. 6+6 b
Est-ce que Raphidim n’est pas une fontaine, 6+6 b
Bien que nulle eau d’abord ne coule du rocher ? 6+6 a
Issachar dit : « Ma soif ne pourra s’étancher », 6+6 a
75 Et, lâche, pour mourir, se couche sur la terre. 6+6 b
Mais vous, frappez le roc profond qui désaltère ! 6+6 b
Que des sables d’Horeb sourde la vérité ; 6+6 a
Creusez, puisez, — l’effort, fût-il vain, est compté, — 6+6 a
Afin qu’ayant la vos erreurs dans l’eau saine, 6+6 b
80 Vous vous présentiez, purs, à l’éternelle Cène, 6+6 b
Et disiez : « Nul ne meurt. Dans le tombeau dormant, 6+6 a
La pourriture trompe et le squelette ment ; 6+6 a
Le néant du cadavre est la funèbre embûche 6+6 b
Du Jaloux qui, d’étoile en étoile, trébuche 6+6 b
85 Dans le décombre noir des Trônes vermoulus, 6+6 a
Et se dit Lucifer, sachant qu’il ne l’est plus. 6+6 a
Le front altier survit, et les basses entrailles 6+6 b
Survivent ; éternels, nions les funérailles. 6+6 b
L’espoir de fuir le corps étendu sur le dos 6+6 a
90 Peut sourire aux porteurs des immondes fardeaux ; 6+6 a
Tel qui souilla sa chair veut bien qu’on l’en délivre. 6+6 b
Mais quiconque, attentif au sens caché du Livre, 6+6 b
Vécut selon le Vrai du Bien, et le comprit, 6+6 a
Sait le Corps immortel à l’égal de l’Esprit. 6+6 a
95 Comment périrait-Il, étant l’unique forme ? 6+6 b
Dieu, c’est l’Homme divin ; le Ciel, c’est l’homme énorme, 6+6 b
Plus parfait, et mieux clos aux ruses du démon, 6+6 a
Mais ayant, comme l’Homme et la Femme, un Poumon : 6+6 a
L’Intelligence, un Cœur : la Charité suprême, 6+6 b
100 (Car le Poumon perçoit, et, plus chaud, le Cœur aime), 6+6 b
Un Front resplendissant de la sublimi 6+6 a
De Connaître, des Bras qui sont la volonté, 6+6 a
Des Lombes que sacra l’horreur de l’Adultère, 6+6 b
Des Pieds, enfin, plus vils, étant presque la Terre. 6+6 b
105 Et qui donc pourrait dire : il en est autrement, 6+6 a
Quand l’univers divin, qu’à notre entendement 6+6 a
Illustre le flambeau sacré des évidences, 6+6 b
Est le lieu des Accords et des Correspondances ? 6+6 b
Selon que tout existe, il existe, plus pur : 6+6 a
110 Ses horizons sont bleus, mais d’espoir, non d’azur ; 6+6 a
L’éternel Orient le baigne avec largesse, 6+6 b
Mais de quel jour ? du jour appelé la Sagesse ; 6+6 b
Ses fleuves, c’est la Foi, plus limpide qu’une eau ; 6+6 a
A-t-il un soleil ? oui. Mais quel soleil ? l’Agneau. » 6+6 a
115 Parlez ainsi devant la Porte occidentale, 6+6 b
A l’heure où le drap noir sur vos bières s’étale, 6+6 b
Pour que le serviteur du seuil, splendide et nu, 6+6 a
Dise : « Ils peuvent entrer, parce qu’ils ont connu. » 6+6 a
Aimez aussi. L’Amour, c’est la vigueur sacrée. 6+6 b
120 La Sagesse délivre et guide, lui seul crée 6+6 b
Et ressuscite, auguste assassin du trépas : 6+6 a
L’Amour n’existant point, Dieu n’existerait pas. 6+6 a
Mais quelle est son Essence et quels sont ses Usages ? 6+6 b
« Aimez, disent les Bons de ce monde, les Sages, 6+6 b
125 Aimez avec l’ardeur des feux invétérés 6+6 a
L’Homme que fut Jésus, Jésus que vous serez ; 6+6 a
Penchez-vous vers la bête obscure avec tendresse : 6+6 b
C’est dans les fronts courbés que l’esprit se redresse ; 6+6 b
De votre pain, de vos propres chairs, s’il le faut, 6−6 a
130 Nourrissez le requin, l’hyène et le gerfaut, 6+6 a
Croyant la chari d’autant plus saine à l’âme 6+6 b
Que l’effort est plus dur et l’objet plus infâme ; 6+6 b
Aimez la plante ; aimez les vieux chênes tremblants, 6+6 a
Car les branchages roux valent les cheveux blancs ; 6+6 a
135 Des bénédictions tombent des bras du hêtre, 6+6 b
Et la vieille forêt pensive est une ancêtre ! » 6+6 b
Mais moi, le compagnon des anges, je vous dis 6+6 a
Qu’un autre Amour, seigneur des chastes paradis, 6+6 a
Trône, au zénith divin, dans sa candeur ignée, 6+6 b
140 Et que tous les amours ne sont que sa lignée. 6+6 b
Pur, même dans la chair, suprême et radical, 6+6 a
Intime, il est celui qu’on nomme conjugal ; 6+6 a
Il veut l’hymen ; il prend deux Esprits et les mêle 6+6 b
Au point qu’ils seront un quoique mâle et femelle, 6+6 b
145 Ainsi que les deux yeux ne sont qu’un seul regard. 6+6 a
Aucun ange n’est seul. Satan vit à l’écart. 6+6 a
Humains, soyez époux 1 Des froideurs et des haines, 6+6 b
Comme un captif se fait un bon engin des chaînes 6+6 b
Et de l’anneau de fer à sa jambe rivés, 6+6 a
150 Faites-vous de l’Amour afin d’être sauvés ! 6+6 a
Foyer dévorateur du mal, pas d’immondice 6+6 b
Dont il ne se renforce et ne se ragrandisse ! 6+6 b
Sur les monts, dans le lit desséché d’un torrent, 6+6 a
Quand un pâtre, au milieu de son bétail errant, 6+6 a
155 Active un large feu dont la nuit s’épouvante, 6+6 b
Il lance à pleines mains dans la splendeur vivante 6+6 b
Des, racines, de noirs lichens, des troncs pourris, 6+6 a
Et pourtant, de ce tas immonde de débris, 6+6 a
Tant de jour envahit le vieux mont taciturne 6+6 b
160 Qu’au loin, dans les vallons, le voyageur nocturne 6+6 b
Croit rêver, et, criant : Quelle est cette aube, ô Cieux ! 6+6 a
De peur d’être aveuglé met la main sur ses yeux. 6+6 a
Alimentez sans fin le vorace incendie ! 6+6 b
A l’Amour, tous les faux amours, sa parodie, 6+6 b
165 La mauvaise action et le mauvais dessein, 6+6 a
L’embûche du voleur, le guet de l’assassin, 6+6 a
L’audace de mentir, la ruse de se taire, 6+6 b
A l’Amour la luxure, à l’Amour l’adultère ! 6+6 b
Tant qu’épurée enfin par l’adorable feu 6+6 a
170 Cette Bête qui fut l’Humanité soit Dieu, 6+6 a
Et démesurément s’extasie, incarnée 6+6 b
Par couples en l’immense et céleste hymée ! » 6+6 b
A ces mots, dans la nuit claire autour de son front, 6+6 a
Comme un pâtre qui vient d’escalader un mont 6+6 a
175 Et dont l’élan suprême en un soupir s’achève, 6+6 b
Le nain reprit haleine au faite de son rêve. 6+6 b
mètre profil métrique : 6−6
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