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Catulle MENDÈS
Pagode
1866
Le Mystère du Lotus
Ta colère triomphe, ô Kâla ! nul refuge. 6+6 a
Bleue encor des poisons de l’océan lacté, 6+6 b
Ta sombre gorge avait amassé le déluge. 6+6 a
Telle qu’un grand ravin par Marût habité, 6+6 b
5 Ta narine profonde a soufflé la tourmente 6+6 c
Sur l’incendie issu de ton œil irrité. 6+6 b
Où sont les vastes cieux et la terre charmante ? 6+6 c
Hélas ! toute la vie et toute la beauté 6+6 a
Gisent sous l’onde morne où le vent se lamente. 6+6 c
10 Les vastes cieux, Indra, que baignait la clarté 6+6 a
Des étoiles, ont fui dans la tempête noire 6+6 b
Comme un pavillon d’or par la bise emporté. 6+6 a
Le Çwarga lumineux aux escaliers d’ivoire 6+6 b
N’est plus. Les seuils de jaspe et les chars de cristal 6+6 c
15 Sont brisés. O vainqueur, qu’as-tu fait de ta gloire ! 6+6 b
Les Gandharwîs, orgueil charmant du ciel natal, 6+6 c
Ont cessé d’agiter les nûpûras sonores 6+6 a
De leurs pieds que dorait la poudre de çantal. 6+6 c
Les Açwins éclatants comme des météores 6+6 a
20 Ne courbent plus au joug de leur char constellé 6+6 b
Les Vaches aux poils roux qui portaient les Aurores ; 6+6 a
Et la terre, Prisni, comme un bloc descellé, 6+6 b
Avec ses pics hautains et ses plaines fertiles, 6+6 c
On ne sait où, dans l’ombre, éperdue, a roulé, 6+6 b
25 Tandis que, hérissant sa tête de reptile 6+6 c
Et le pied sur les flancs des dragons, le Dieu noir 6+6 a
Brandissait le Çîras, destructeur des sept Iles ! 6+6 c
Maintenant l’arme auguste a rempli son devoir. 6+6 a
Au sein de l’Être unique, étang de quiétude, 6+6 b
30 Brahmâ s’est endormi, voyant tomber le soir. 6+6 a
Répudiant l’orgueil et la sollicitude 6+6 b
De l’œuvre, il goûte, après mille âges évolus, 6+6 c
L’anéantissement dans la béatitude. 6+6 b
L’universelle mer précipite ses flux 6+6 c
35 Ténébreux à travers l’horreur universelle, 6+6 a
Cherchant la grève absente et l’île qui n’est plus. 6+6 c
Chaque lame en bramant presse un flot qui harcèle 6+6 a
Une vague tandis que la vague poursuit 6+6 b
Une autre lame en pleurs qui vers un flot ruisselle ; 6+6 a
40 Et, sur la houle énorme au lamentable bruit, 6+6 b
Comme un vaste étendard que la tempête arbore, 6+6 c
Palpite l’épouvante obscure de la nuit. 6+6 b
Oh ! que d’âges suivis de tant d’âges encore 6+6 c
Traverseront l’effroi du gouffre illimité, 6+6 a
45 Sans souvenir de jour et sans espoir d’aurore ! 6+6 c
Hors du nombre, des lieux et de la qualité, 6+6 a
L’Être unique et total s’est abîmé soi-même 6+6 b
Dans l’informe infini de sa propre entité. 6+6 a
Tel se concentre et gît parmi la cendre blême 6+6 b
50 Le Feu rassasié des mystiques repas, 6+6 c
Tel se recueille, oisif, le Principe suprême. 6+6 b
Sous la forme du Temps, il est ce qui n’est pas. 6+6 c
Sa présence a son lieu dans toutes les absences 6+6 a
Et son réveil latent dort dans tous les trépas. 6+6 c
55 L’angoisse des espoirs et des réminiscences 6+6 a
Meurt au fond du Tîrtha sans rivage et stagnant 6+6 b
Fait du fleuve dompté des tristes renaissances ; 6+6 a
Et chaque âge divin se déroule, enchaînant 6+6 b
A d’innombrables nuits sa nuit démesurée, 6+6 c
60 Sans vaincre ce repos immense et permanent. 6+6 b
Mais enfin, du constant effort de la durée, 6+6 c
L’Amour est né. Bientôt, mystérieux ferment, 6+6 a
Sourdra la Force au sein de l’être demeurée. 6+6 c
Par le Temps qui s’amasse accrue infiniment, 6+6 a
65 La Passion pénètre en tout ce qui repose, 6+6 b
Avec un convulsif et chaud frémissement. 6+6 a
Tel se renforce Agni du çoma qui l’arrose, 6+6 b
Tel s’enfle, imbu d’amour, le germe originel ; 6+6 c
Le désir de l’effet s’empare de la cause. 6+6 b
70 Sous des voiles chargés d’influx passionnel 6+6 c
Et pareils à la brume où l’aurore va naître, 6+6 a
Flotte un contour étrange et vaguement charnel. 6+6 c
Palpitante, Mâyâ s’efforce d’apparaître ; 6+6 a
Le vide, d’une transe ineffable agité, 6+6 b
75 Voit s’accomplir l’hymen de la Forme avec l’Être ; 6+6 a
Et dans son adorable extériorité, 6+6 b
Parmi l’effarement des ombres, sur la face 6+6 c
De l’abîme sans bord, l’Esprit-Monde est porté ! 6+6 b
O Pûrûçha ! la houle incessante déplace 6+6 c
80 Et ramène ton lit souple, formé des nœuds 6+6 a
Que le Roi des serpents enlace et désenlace ! 6+6 c
Clairs et resplendissants de métaux lumineux, 6+6 a
Les mille chefs du grand Çécha, comme une ombrelle, 6+6 b
S’abaissent vers ton front qui se reflète en eux ! 6+6 a
85 Tu médites, auguste, à travers la querelle 6+6 b
Des noirs remous ! portant les œuvres dans ton flanc, 6+6 c
Tu sens frémir au loin ta forme corporelle ! 6+6 b
Et de ton pur nombril, mystérieux étang, 6+6 c
Le grand Lotus, berceau des trois Mondes, s’élève, 6+6 a
90 Doux comme le soleil des jours d’automne, et blanc ! 6+6 c
Il éclaire, il féconde, ayant l’amour pour sève ; 6+6 a
Il verse la candeur et la limpidité 6+6 b
De l’aube dans l’effroi de la nuit qui s’achève ; 6+6 a
Et de sa léthargie enfin ressuscité, 6+6 b
95 Brahmâ, pistil géant de ce calice énorme, 6+6 c
Détend ses membres faits de force et de bonté, 6+6 b
D’où se dérouleront l’Étendue et la Forme ! 6+6 c
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : terza rima classique
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