Métrique en Ligne
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F = "e" féminin
| = césure
MEN_1/MEN5
Catulle MENDÈS
Contes Épiques
1872-1876
Les Imprécations D’Agar
Quand la centième année aggrava les vieux ans 6+6 a
D'Abraham (ainsi tombe une gerbe à la meule), 6+6 b
Sara fut mère enfin dans son âge d'aïeule, 6+6 b
Les Éloïm ayant béni ses flancs pesants. 6+6 a
5 « — Le Verbe du Seigneur, ô pasteur de chamelles, 6+6 a
« Germa durant neuf mois en mon ventre élargi, 6+6 b
« Et voici que ta race innombrable a vagi 6+6 b
« Dans le cri de l'enfant qui cherche mes mamelles. 6+6 a
« Un mâle étant sorti de moi, jusques à quand 6+6 a
10 « Garderas-tu le fils impur de l'étrangère, 6+6 b
« Qui, tout jaune du fiel que l'orgueil lui suggère, 6+6 b
« Cligne de l'œil dans l'ombre et rôde en se moquant ? 6+6 a
« Va, chasse avec le fils la mère égyptienne 6+6 a
« Comme on jette la branche avec son fruit gâté ; 6+6 b
15 « Sans doute il n'est pas bon qu'à ma fécondité 6+6 b
« Se confronte l'opprobre insolent de la sienne. 6+6 a
« Puisque l'on voit encor sous le lin gracieux 6+6 a
« Sa jeunesse mûrir en deux rondeurs égales, 6+6 b
« Qu'elle parte ! emportant des tentes conjugales 6+6 b
20 « La honte de ma face et l'amour de tes yeux ! 6+6 a
« Certes, le faon de la servante, qui put naître 6−6 a
« Sans lui rider les flancs ni lui creuser les seins, 6+6 b
« Avec l'homme que Dieu réserve à ses desseins 6+6 b
« Ne partagera pas l'héritage du maître. » 6+6 a
25 Ainsi parla la Vieille en son orgueil cruel ; 6+6 a
Et vers Beel-Sheba sans eau ni halte verte, 6+6 b
Agar, un cri muet dans sa bouche entr'ouverte, 6+6 b
Partit, morne, et menant par la main Ismaël. 6+6 a
Un pacifique vent sous le firmament calme 6+6 a
30 Refoulait l'ombre avec son astre décliné, 6+6 b
Comme si dans le vague orient eût plané 6+6 b
Le large battement d'une invisible palme. 6+6 a
Les tentes frémissaient dans le camp du pasteur ; 6+6 a
Sur les seuils gris, voiles de brouillards déjà roses, 4+8 b
35 Les femmes soulevaient la toile avec des poses 6+6 b
Où le sommeil récent a laissé sa lenteur. 6+6 a
Le tintement léger qui sort des bergeries 6+6 a
Fut doublé par un cri d'oiseau, grêle et charmant, 6+6 b
Dans le cèdre aux grands bras où tremblaient longuement 6+6 b
40 Les lents lambeaux de brume envolés des prairies. 6+6 a
Puis, brusque, et dans une âpre explosion d'éveil, 6+6 a
Comme un fauve lion se cabre hors de l'antre 6+6 b
De l'or dans la crinière et de la pourpre au ventre, 6+6 b
Au sanglant horizon surgit le beau soleil ! 6+6 a
45 Avec un grouillement de fourmilière en marche, 6+6 a
Les prospères loisirs et les labeurs contents 6+6 b
S'émurent, clairs et vifs, sous les cieux éclatants, 6+6 b
Autour des pavillons bénis du patriarche. 6+6 a
Sous les grands seaux d'argile où le lait ruissela, 6+6 a
50 Les servantes passaient, laissant pendre leurs manches ; 6+6 b
Des groupes d'enfants nus tétaient les chèvres blanches ; 6+6 b
Et les deux exilés, de loin, voyaient cela. 6+6 a
Alors Agar : « Malheur à ceux qui m'ont chassée ! 6+6 a
« Ils séjournent, pleins d'aise, au creux des gras vallons, 6+6 b
55 « Et moi, vers le désert aride, à reculons 6+6 b
« Je fuis, chienne battue et du pied repoussée ! 6+6 a
« Sur l'herbe fraîche où l'eau glisse et bruit sans fin, 6+6 a
« Il se partageront les pains de miel et d'orge ; 6+6 b
« Comme un bœuf ruminant le vide dans sa gorge, 6+6 b
60 « Moi, je boirai ma soif et mangerai ma faim ! 6+6 a
« Et si, lasse, et n'ayant que le sable pour couche, 6+6 a
« Je défaille en mordant le vent dans un long cri, 6+6 b
« Mon fils, rampant vers moi, mon fils, hâve et maigri, 6+6 b
« D'un baiser affamé menacera ma bouche ! 6+6 a
65 « O centenaire chef des errantes tribus ! 6+6 a
« Puisque dans la famine et les deuils tu m'exiles, 6+6 b
« Moi qui, belle, et courbant mes pudeurs indociles, 6+6 b
« Toujours te fis plaisir autant que je le pus, 6+6 a
« Tremble en ton double espoir, ancêtre des deux races ! 6+6 a
70 « Car la haine va naître et jamais ne mourra 6+6 b
« Entre les fils d'Agar — et les fils de Sara 6+6 b
« Vil bétail lourd de graisse en proie aux loups voraces ! 6+6 a
« Tremble ! ils seront hardis, et forts, et violents, 6+6 a
« Et libres sous les deux, les bâtards de l'esclave ! 6+6 b
75 « La revanche, comme un ruissellement de lave, 6−6 b
« Jaillira du cratère antique de mes flancs. 6+6 a
« Tes Isaacs repus, souvent, d'un œil oblique, 6+6 a
« Regarderont parmi les vapeurs du festin 6+6 b
« S'ils ne voient pas surgir à l'horizon lointain 6+6 b
80 « Les maigres cavaliers du désert famélique ! 6+6 a
« Puis, sans nombre, et debout sous le ciel insulté, 6+6 a
« Tous les vaincus pour qui les défaites sont belles 6+6 b
« Et tous les vagabonds avec tous les rebelles 6+6 b
« Peupleront l'infini de ma postérité. 6+6 a
85 « Vainqueurs ! craignez leur rage et leur joie encor pire ! 6+6 a
« Gais, ils ricaneront vers Dieu : Non, tu n'es pas ! 6+6 b
« Dans l'énorme édifice humain, du haut en bas, 6+6 b
« Se tordra la lézarde affreuse de leur rire. 6+6 a
« Et mes filles seront plus fortes que mes fils ! 6+6 a
90 « Maîtresse au corps flétri, qui chassas ta servante 6+6 b
« A cause de sa bouche ouverte en fleur vivante 6+6 b
« Et de son jeune sein ferme et frais comme un lys, 6+6 a
« Austère épouse, aïeule auguste des familles, 6+6 a
« Loin de vanter, crédule en l'avenir peu sûr, 6+6 b
95 « Ton nouveau-né pareil au ver d'un fruit trop mûr, 6+6 b
« Lamente-toi sur lui, Sara !… J'aurai des filles ! 6+6 a
« Blanches, aux grands cheveux lourds et doux et flottants, 6+6 a
« En longues robes d'or toujours mal refermées, 6+6 b
« Elles iront, laissant dans les foules charmées, 6+6 b
100 « Un sillage d'odeur et de chaleur, longtemps ! 6+6 a
« Pour l'amour de leur gorge entrevue, et de l'ombre 6+6 a
« Que font les duvets fins sous les beaux bras levés, 6+6 b
« Les plus forts ramperont, lâchement énervés, 6+6 b
« Les plus purs connaîtront les bassesses sans nombre, 6+6 a
105 « Et tous, furtifs, cachant sous leurs doigts leur rougeur, 6+6 a
« Pleins encor du regret des débauches jalouses, 6+6 b
« Rapporteront au lit des pleurantes épouses 6+6 b
« Des corps vidés de sang par le baiser vengeur ! » 6+6 a
Telle, sous l'épouvante éparse des nuées 6+6 a
110 Que déchirait le vent dans le désert du ciel, 6+6 b
Prophétisait la grande Agar pleine de fiel, 6+6 b
Mère des révoltés et des prostituées ; 6+6 a
Et vers les lieux lointains où seront les Sions, 6+6 a
Les opulentes Tyrs, les Romes triomphales, 6+6 b
115 Les souffles, emportant sa voix dans leurs rafales, 6+6 b
Fuyaient, sombres semeurs de malédictions ! 6+6 a
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