Métrique en Ligne
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Catulle MENDÈS
Contes Épiques
1872-1876
La Fille Du Domn
Les Mogols sont entrés dans les marches dalmates. 6+6 a
L'air roule une vapeur opaque d'aromates 6+6 a
A cause des forêts dont on a vu, trois jours, 6+6 b
Les arbres résineux fumer sous les cieux lourds ; 6+6 b
5 Et la plaine est en feu, vignes, blés et sésames, 6+6 a
Car les diables mogols aiment les grandes flammes. 6+6 a
Entre l'aïeul assis dans les cendres du toit 6+6 b
Et les petits-enfants mi-nus qui n'ont plus froid 6+6 b
Malgré le temps prochain des rafales d'automne, 6+6 a
10 Le vaincu voit d'un œil où la douleur s'étonne 6+6 a
L'incendie allumé par des torches de pin 6+6 b
Lui vendanger sa vigne et lui cuire son pain. 6+6 b
Aux cavaliers de l'Est, mangeurs de viandes crues, 6+6 a
Qui vinrent comme roule un fleuve au temps des crues, 6+6 a
15 Éliache, le Domn des Dalmates, n'a pu 6+6 b
Résister, mur branlant par d'anciens chocs rompu. 6+6 b
Maintenant le vieux chef tremble dans sa demeure, 6+6 a
Non pour lui (que peut-il craindre, pourvu qu'il meure ?) 6+6 a
Mais pour sa fille, enfant pareille aux fleurs de lin. 6+6 b
20 « Elle était le débile appui de mon déclin, 6+6 b
Et son trépas fidèle, hélas ! suivra ma perte ! » 6+6 a
Tel ce chêne tombé songe à sa branche verte. 6+6 a
Or un guerrier mogol, soudain, sans compagnon, 6+6 b
Paraît devant le Domn et dit : « Sais-tu mon nom ? 6+6 b
25 Je suis le Khan, seigneur de plus de têtes franches 6+6 a
Que ton champ n'eut d'épis et ta forêt de branches. 6+6 a
Fermes dans le vallon, maisons dans la cité, 6+6 b
Tes richesses étaient grandes, en vérité ! 6+6 b
Mes guerriers ont pillé la maison et la ferme. 6+6 a
30 Tes sept fils étaient beaux, d'un cœur fort, d'un bras ferme, 6+6 a
J'avais sept chiens : ce fut un corps pour chaque chien. 6+6 b
Mais, moi, qu'ai-je gagné dans la bataille ? rien. 6+6 b
Donc il est fort heureux que ta fille soit belle. 6+6 a
Fais-la venir.
— Jamais !
— Je suis le maître : appelle 6+6 a
Ta fille.
— Elle est si jeune !
— Obéis.
35 — Dix-sept ans ! » 6+6 b
Et le Domn se prosterne, et supplie, et longtemps 6+6 b
Pleure sur les genoux que son bras faible entoure. 6+6 a
Parfois, comme cherchant quelqu'un qui le secoure, 6+6 a
Il jette des regards furtifs autour de lui ; 6+6 b
40 Mais les braves sont morts et les lâches ont fui. 6+6 b
« Ta fille ! crie encor le Khan mogol, appelle 6+6 a
Ta fille, ou mes dix doigts à ton gosier rebelle 6+6 a
Arracheront un cri qui la fasse accourir ! » 6+6 b
Pendant qu'il parle, on voit une porte s'ouvrir. 6+6 b
45 Le seuil s'éclaire. Ayant derrière lui l'espace, 6+6 a
Les bois, les monts, le ciel où l'oiseau libre passe, 6+6 a
Et lumineux comme un divin justicier, 6−6 b
Quelqu'un est là, debout, dans un habit d'acier, 6+6 b
Appuyant les deux poings sur le bois d'une hache. 6+6 a
50 « Je suis le champion de ta fille, Éliache ! 6+6 a
— Qui ? toi ? » dit le Mogol, et vers cet inconnu 6+6 b
Il bondit, en grinçant des dents, le glaive nu. 6+6 b
Alors l'air retentit du fracas des armures. 6+6 a
Le tonnerre des coups se prolonge en murmures. 6+6 a
55 Puis les rivaux froissant entre eux l'acier bombé 6+6 b
S'enlacent. Un cri part. L'un des deux est tombé. 6+6 b
Le Khan lui met le pied sur le ventre, le glaive 6+6 a
Dans la gorge, et, d'un coup de gantelet, soulève 6+6 a
La visière.
O stupeur : une femme, une enfant ! 6+6 b
60 Son sang (le tien, vieux Domn !) bouillonne en l'étouffant, 6+6 b
Et dans ses yeux éteints, seule, une larme brille. 6+6 a
« Père, dit-elle, adieu. J'ai sauvé votre fille. » 6+6 a
mètre profil métrique : 6−6
forme globale type : suite de distiques
schéma : 31((aa))
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