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Catulle MENDÈS
Contes Épiques
1872-1876
La Femme Adultère
Un vieillard est assis dans l’ombre sur un banc. 6+6 a
Autour de lui la salle est immense et déserte. 6+6 b
On pourrait voir au loin par la fenêtre ouverte 6+6 b
Jérusalem rougir sous le soleil tombant. 6+6 a
5 L’œil clos, les bras croisés, et sans qu’un poil ne bouge 6+6 a
De sa barbe touffue ou de ses blancs sourcils. 6+6 b
Cet homme a l’air d’un mort qui se tiendrait assis, 6+6 b
Tant sa forme est rigide en sa tunique rouge. 6+6 a
Mais sous la dureté livide de la chair 6+6 a
10 Se débat en hurlant l’angoisse intérieure, 6+6 b
Comme un chacal captif qui miaule et qui pleure 6+6 b
Bondit sans l’ébranler dans sa cage de fer. 6+6 a
Il voit en son esprit, Dieu voulant qu’il le voie, 6+6 a
Hommes, femmes, enfants que l’on tient par la main, 6+6 b
15 Tout un peuple courir sur le même chemin 6+6 b
Avec des cris de haine et des clameurs de joie. 6+6 a
Devant la multitude une femme s’enfuit, 6+6 a
Frissonnante, éperdue, et courbant vers la terre 6+6 b
Le front déshonoré de la femme adultère 6+6 b
20 Que lapident déjà la menace et le bruit. 6+6 a
Elle fuit, demie nue, et sa pudeur tardive 6+6 a
Sous des lambeaux pressés de ses voiles épars 6+6 b
Voudrait cacher aux yeux braqués de toutes parts 6+6 b
La beauté déplorable où leur fureur s’avive. 6+6 a
25 Parfois elle s’arrête et tombe à deux genoux, 6+6 a
Tendant les mains, criant, plus morte que vivante, 6+6 b
Les suprêmes appels que la détresse invente ; 6+6 b
Mais le peuple hideux amasse des cailloux. 6+6 a
Le vieillard voit cela sans lever la paupière. 6+6 a
30 Son chef n’a point tremblé. Son sein ne s’enfle pas. 6+6 b
Seulement, de sa manche il tire un maigre bras, 6+6 b
Comme pour ramasser et lancer une pierre. 6+6 a
Alors la porte s’ouvre, et, debout sur le seuil, 6+6 a
Ayant le flamboiement du couchant derrière elle, 6+6 b
35 Une femme apparaît, blanche et surnaturelle, 6+6 b
Le sourire à la lèvre et l’extase dans l’œil. 6+6 a
Le vieillard, en sursaut, se dresse vers la porte ! 6+6 a
Il regarde et s’étonne, il touche et ne croit pas ; 6+6 b
Puis, les deux bras au ciel, et reculant d’un pas : 6+6 b
40 « Dieu de Jacob, dit-il, que nous veut cette morte ? 6+6 a
— Morte ? non, prêtez-moi l’oreille, ouvrez les yeux. 6+6 a
J’étais morte en naissant, mais ce jour me délivre, 6+6 b
Et mille nouveaux-nés ont moins d’heures à vivre 6+6 b
Que je ne compterai de siècles dans les cieux ! 6+6 a
45 — Tu vis ! qui l’a permis ? Par quels juges absoute. 6+6 a
Offenses-tu mon seuil de ton pied criminel ? 6+6 b
Ô Seigneur ! n’est-il plus de lois dans Israël ? 6+6 b
Ô peuple ! n’est-il plus de pierres sur la route ? 6+6 a
— Un nouveau laboureur ensemence les champs 6+6 a
50 Le Fils pardonne à ceux, que le Père châtie, 6+6 b
Et pour que son Église, un jour, en soit bâtie. 6+6 b
Les cailloux du chemin ne seront plus méchants. 6+6 a
Il a dit : « Qu’il lui jette une première pierre, 6+6 a
« Celui-là d’entre vous qui vécut sans péché ! » 6+6 b
55 Un scribe qui tenait un pavé l’a lâché ; 6+6 b
Et sur les pieds du Christ j’ai béni la poussière. 6+6 a
— Le Christ, dis-tu ! Quel est ce prophète subtil 6+6 a
Qui du péché de l’un l’ait à l’autre un refuge ! 6+6 b
C’est la Loi qui condamne, et, parce que le juge 6+6 b
60 N’était pas innocent, le coupable l’est il ! 6+6 a
— Aux yeux du Rédempteur ineffable qui donne 6+6 a
À notre antique nuit l’aube d’un nouveau jour. 6+6 b
Et qui, haï de tous, offre à tous son amour, 6+6 b
Le pardon est meilleur que l’équité n’est bonne. 6+6 a
65 — Moi seul, à qui justice était due en effet, 6+6 a
J’aurais pu pardonner. Mais lui, d’où vient qu’il l’ose ? 6+6 b
De quel droit se fait-il arbitre dans ma cause, 6+6 b
Puisqu’il n’a pas souffert du mal que tu m’as fait ! 6+6 a
Est ce lui qui t’aima, jeune et belle, de sorte 6+6 a
70 Qu’ayant livré la charge en or de trois chameaux, 6+6 b
Il posséda l’épouse avec qui plus de maux 6+6 b
Qu’il n’avait de deniers entrèrent par sa porte ! 6+6 a
A-t-il, pendant quatre ans savouré le poison 6+6 a
De ta voix qui mentait, et béni le mensonge ! 6+6 b
75 A-t-il, quand vint le jour où le soupçon nous ronge, 6+6 b
Comme on traque un renard, guetté la trahison ? 6+6 a
Non, c’est moi qui, jaloux, furtif, l’œil aux serrures, 6+6 a
T’ai vue enfin livrer aux plaisirs d’un amant 6+6 b
Et ta ceinture d’or, et ton beau vêtement. 6+6 b
80 Et ton flanc découvert plus beau que les parures. 6+6 a
C’est à moi que, féconde en des bras dissolus. 6+6 a
Cependant que, vieillard étonné d’être père, 6+6 b
Je m’enorgueillissais de notre lit prospère, 6+6 b
Tu donnas des enfants que je n’embrasse plus ! 6+6 a
85 Ah ! quand tous mes agneaux bêlent dans mon étable, 6+6 a
Quand il ne manque pas à ma vigne un raisin. 6+6 b
Au larron qui pilla les trésors du voisin 6+6 b
Je puis facilement me montrer charitable ! 6+6 a
Mais ils sont moins cléments, ceux à qui l’on fit tort ; 6+6 a
90 Le voleur subira la prison et l’amende. 6+6 b
Donc, plus dépouillé qu’eux, j’approuve et je demande 6+6 b
Que, pesant le dommage, on m’accorde ta mort. 6+6 a
On me doit, au milieu des femmes indignées, 6+6 a
Sous les pavés tombant drus comme des grêlons. 6+6 b
95 Ta belle chair qui saigne et tes beaux cheveux longs, 6+6 b
Aux mains de tes bourreaux, dispersés par poignées ! 6+6 a
Et ton nom exécrable au souvenir humain. 6+6 a
Et tes os sans sépulcre, aux chairs évanouies, 6+6 b
Écrasés par la roue et blanchis par les pluies, 6+6 b
100 Devenus des jouets aux enfants du chemin ! 6+6 a
— Hélas ! pardonnez-la, comme il l’a pardonnée. 6+6 a
L’injure que j’ai faite à lui bien plus qu’à vous ! 6+6 b
Puisqu’il vous a montré l’exemple d’être doux. 6+6 b
Laissez au repentir ma jeune destinée. 6+6 a
105 — Le péché qu’une femme a commis contre lui. 6+6 a
Il peut le pardonner, si telle est sa pensée. 6+6 b
Mais puisqu’enfin sa loi n’est pas seule offensée, 6+6 b
Qu’il laisse agir en paix la justice d’autrui ! » 6+6 a
À ces mots, assemblant sa force rajeunie, 6+6 a
110 Vers l’épouse qui fuit blême en ses voiles blancs 6+6 b
Il marche, et ses vieux bras qui ne sont pas tremblants 6+6 b
Emportent d’un effort l’adultère impunie. 6+6 a
La fenêtre est ouverte et le gouffre apparaît. 6+6 a
« Les pierres de la route en des mains infidèles 6+6 b
115 N’osèrent pas aller jusqu’à toi, va vers elles ! 6+6 b
Dit le vieillard, et meurs selon l’antique arrêt. » 6+6 a
Le vide ayant reçu le corps de l’adultère. 6+6 a
Il revient sur ses pas sans paraître attristé. 6+6 b
Et, s’asseyant dans l’ombre avec tranquillité : 6+6 b
120 « Qu’Il soit clément au ciel ! je fus juste sur terre. » 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite périodique
schéma : 30(abba)
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