Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
MAU_1/MAU4
Guy de MAUPASSANT
DES VERS
1868-1880
UNE CONQUÊTE
Un jeune homme marchait le long du boulevard 6+6 a
Et, sans songer à rien, il allait seul et vite, 6+6 b
N’effleurant même pas de son vague regard 6+6 a
Ces filles dont le rire en passant vous invite. 6+6 b
5 Mais un parfum si doux le frappa tout à coup 6+6 a
Qu’il releva les yeux. Une femme divine 6+6 b
Passait. A parler franc, il ne vit que son cou ; 6+6 a
Il était souple et rond sur une taille fine. 6+6 b
Il la suivit — pourquoi ? — Pour rien ; ainsi qu’on suit 6+6 a
10 Un joli pied cambré qui trottine et qui fuit, 6+6 a
Un bout de jupon blanc qui passe et se trémousse. 6+6 b
On suit ; c’est un instinct d’amour qui nous y pousse. 6+6 b
Il cherchait son histoire en regardant ses bas. 6+6 a
Élégante ? Beaucoup le sont. — La destie 6+6 b
15 L’avait-elle fait naître en haut ou bien en bas ? 6+6 a
Pauvre mais déshonnête, ou sage et fortue ? 6+6 b
Mais, comme elle entendait un pas suivre le sien, 6+6 a
Elle se retourna. C’était une merveille. 6+6 b
Il sentit en son cœur naître comme un lien 6+6 a
20 Et voulut lui parler, sachant bien que l’oreille 6+6 b
Est le chemin de l’âme. Ils furent séparés 6+6 a
Par un attroupement au détour d’une rue. 6+6 b
Lorsqu’il eut bien maudit les badauds désœuvrés 6+6 a
Et qu’il chercha sa dame, elle était disparue. 6+6 b
25 Il ressentit d’abord un véritable ennui, 6+6 a
Puis, comme une âme en peine, erra de place en place, 6+6 b
Se rafrchit le front aux fontaines Wallace, 6+6 b
Et rentra se coucher fort avant dans la nuit. 6+6 a
Vous direz qu’il avait l’âme trop ingénue ; 6+6 a
30 Si l’on ne rêvait point, que ferait-on souvent ? 6+6 b
Mais n’est-il pas charmant, lorsque gémit le vent, 6+6 b
De rêver, près du feu, d’une belle inconnue ? 6+6 a
De ce moment si court, huit jours il fut heureux. 6+6 a
Autour de lui dansait l’essaim brillant des songes 6+6 b
35 Qui sans cesse éveillait en son cœur amoureux 6+6 a
Les pensers les plus doux et les plus doux mensonges. 6+6 b
Ses rêves étaient sots à dormir tout debout ; 6+6 a
Il bâtissait sans fin de grandes aventures. 6+6 b
Lorsque l’âme est naïve et qu’un sang jeune bout, 6+6 a
40 Notre espoir se nourrit aux folles impostures. 6+6 b
Il la suivait alors aux pays étrangers ; 6+6 a
Ensemble ils visitaient les plaines de l’Hellade, 6+6 b
Et comme un chevalier d’une ancienne ballade 6+6 b
Il l’arrachait toujours à d’étranges dangers. 6+6 a
45 Parfois au flanc des monts, au bord d’un précipice, 6+6 a
Ils allaient échangeant de doux propos d’amour ; 6+6 b
Souvent même il savait saisir l’instant propice 6+6 a
Pour ravir un baiser qu’on lui rendait toujours. 6+6 b
Puis, les mains dans les mains, et penchés aux portières 6+6 a
50 D’une chaise de poste emportée au galop, 6+6 b
Ils restaient là songeurs durant des nuits entières, 6+6 a
Car la lune brillait et se mirait dans l’eau. 6+6 b
Tantôt il la voyait, rêveuse châtelaine, 6+6 a
Aux balustres sculptés des gothiques balcons ; 6+6 b
55 Tantôt folle et légère et suivant par la plaine 6+6 a
Le lévrier rapide ou le vol des faucons. 6+6 b
Page, il avait l’esprit de se faire aimer d’elle ; 6+6 a
La dame au vieux baron était vite infidèle. 6+6 a
Il la suivait partout, et dans les grands bois sourds 6+6 b
60 Avec sa châtelaine il s’égarait toujours. 6+6 b
Pendant huit jours entiers il rêva de la sorte, 6+6 a
A ses meilleurs amis il défendait sa porte ; 6+6 a
Ne recevait personne, et quelquefois, le soir, 6+6 b
Sur un vieux banc désert, seul, il allait s’asseoir. 6+6 b
65 Un matin, il était encore de bonne heure, 6+6 a
Il s’éveillait, bâillant et se frottant les yeux ; 6+6 b
Une troupe d’amis envahit sa demeure 6+6 a
Parlant tous à la fois, avec des cris joyeux. 6+6 b
Le plan du jour était d’aller à la campagne, 6+6 a
70 D’essayer un canot et d’errer dans les bois, 6+6 b
De scandaliser fort les honnêtes bourgeois, 6+6 b
Et de dîner sur l’herbe avec glace et champagne. 6+6 a
Il répondit d’abord, plein d’un parfait dédain, 6+6 a
Que leur fête pour lui n’était guère attrayante ; 6+6 b
75 Mais quand il vit partir la cohorte bruyante, 6+6 b
Et qu’il se trouva seul, il réfléchit soudain 6+6 a
Qu’on est bien pour songer sur les berges fleuries, 6+6 a
Et que l’eau qui s’écoule et fuit en murmurant 6+6 b
Soulève mollement les tristes rêveries 6+6 a
80 Comme des rameaux morts qu’emporte le courant ; 6+6 b
Et que c’est une ivresse entrnante et profonde 6+6 a
De courir au hasard et boire à pleins poumons 6+6 b
Le grand air libre et pur qui va des prés aux monts, 6+6 b
L’âpre senteur des foins et la frcheur de l’onde ; 6+6 a
85 Que la rive murmure et fait un bruit charmant, 6+6 a
Qu’aux chansons des rameurs les peines sont bercées, 6+6 b
Et que l’esprit s’égare et flotte doucement, 6+6 a
Comme au courant du fleuve, au courant des penes. 6+6 b
Alors il appela son groom, sauta du lit, 6+6 a
90 S’habilla, déjeuna, se rendit à la gare, 6+6 b
Partit tranquillement en fumant un cigare, 6+6 b
Et retrouva bientôt tout son monde à Marly. 6+6 a
Des larmes de la nuit la plaine était humide ; 6+6 a
Une brume légère au loin flottait encor ; 6+6 b
95 Les gais oiseaux chantaient ; et le beau soleil d’or 6+6 b
Jetait mainte étincelle à l’eau fraîche et limpide. 6+6 a
Lorsque la sève monte et que le bois verdit, 6+6 a
Que de tous les côtés la grande vie éclate, 6+6 b
Quand au soleil levant tout chante et resplendit, 6+6 a
100 Le corps est plein de joie et l’âme se dilate. 6+6 b
Il est vrai qu’il avait noblement déjeuné, 6+6 a
Quelques vapeurs de vin lui montaient à la tête ; 6+6 b
L’air des champs pour finir lui mit le cœur en fête, 6+6 b
Quand au courant du fleuve il se vit entrné. 6+6 a
105 Le canot lentement allait à la dérive ; 6+6 a
Un vent léger faisait murmurer les roseaux, 6+6 b
Peuple frêle et chantant qui grandit sur la rive 6+6 a
Et qui puise son âme au sein calme des eaux. 6+6 b
Vint le tour des rameurs, et, suivant la coutume, 6+6 a
110 Leur chant rythmé frappa l’écho des environs ; 6+6 b
Et, conduits par la voix, dans l’eau blanche d’écume 6+6 a
De moment en moment tombaient les avirons. 6+6 b
Enfin, comme on songeait à gagner la cuisine, 6+6 a
D’autres canots soudain passèrent auprès d’eux ; 6+6 b
115 Un rire aigu partit d’une barque voisine 6+6 a
Et s’en vint droit au cœur frapper mon amoureux. 6+6 b
Elle ! dans une barque ! Étendue à l’arrière, 6+6 a
Elle tenait la barre et passait en chantant ! 6+6 b
Il resta consterné, pâle et le cœur battant, 6+6 b
120 Pendant que sa Beau fuyait sur la rivière. 6+6 a
Il était triste encore à l’heure du dîner ! 6+6 a
On s’arrêta devant une petite auberge, 6+6 b
Dans un jardin charmant, par des vignes borné, 6+6 a
Ombragé de tilleuls, et qui longeait la berge. 6+6 b
125 Mais d’autres canotiers étaient déjà venus ; 6+6 a
Ils lançaient des jurons d’une voix formidable, 6+6 b
Et, faisant un grand bruit, ils préparaient la table 6+6 b
Qu’ils soulevaient parfois de leurs bras forts et nus. 6+6 a
Elle était avec eux et buvait une absinthe ! 6+6 a
130 Il demeura muet. La drôlesse sourit, 6+6 b
L’appela. — Lui restait stupide. — Elle reprit : 6+6 b
« Çà, tu me prenais donc, nigaud, pour une Sainte ? » 6+6 a
Or il s’approcha d’elle en tremblant ; il dîna 6+6 a
A ses côtés, et même au dessert s’étonna 6+6 a
135 De l’avoir pu rêver d’une haute famille, 6+6 b
Car elle était charmante, et gaie, et bonne fille. 6+6 b
Elle disait : « Mon singe, » et « mon rat, » et « mon chat, » 6+6 a
Lui donnait à manger au bout de sa fourchette. 6+6 b
Ils partirent, le soir, tous les deux en cachette, 6+6 b
140 Et l’on ne sut jamais dans quel lit il coucha ! 6+6 a
Poète au cœur naïf il cherchait une perle ; 6+6 a
Trouvant un bijou faux, il le prit et fit bien. 6+6 b
J’approuve le bon sens de cet adage ancien : 6+6 b
« Quand on n’a pas de grive, il faut manger un merle. » 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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