Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
MAU_1/MAU20
Guy de MAUPASSANT
DES VERS
1868-1880
APPENDICE
VERS INÉDITS
DERNIÈRE SOIRÉE
PASSÉE AVEC MA MAÎTRESSE
Il fallait la quitter, | et pour ne plus me voir 6+6 a
Elle partait, mon Dieu, | c’était le dernier soir. 6+6 a
Elle me laissait seul ; | cette femme cruelle 6+6 b
Emportait mon amour | et ma vie avec elle. 6+6 b
5 Moi je voulus encore | errer comme autrefois 6+6 a
Dans les champs et l’aimer | une dernière fois. 6+6 a
La nuit nous apportait | et l’ombre et le silence, 6+6 b
Et pourtant j’entendais | comme une voix immense, 6+6 b
Tout semblait animé | par un souffle divin. 6+6 a
10 La nature tremblait, | j’écoutais et soudain 6+6 a
Un étrange frisson | troubla toute mon âme. 6+6 b
Haletant, un moment | j’oubliai cette femme 6+6 b
Que j’aimais plus que moi. | Le vent nous apportait 6+6 a
Mille sons doux et clairs | que l’écho répétait. 6+6 a
15 Ce n’était plus de l’air | le calme et frais murmure, 6+6 b
Mais c’était comme un souffle | étreignant la nature, 6+6 b
Un souffle, un souffle immense, | errant, animant tout 6+6 a
Qui planait et passait, | me rendant presque fou, 6+6 a
Un son mystérieux | et qui, sur son passage, 6+6 b
20 Réveillait et frappait | les échos du bocage. 6+6 b
Tout vivait, tout tremblait, | tout parlait dans les bois 6+6 a
Comme si, pour fêter | le plus puissant des rois, 6+6 a
Et l’insecte et l’oiseau | et l’arbre et le feuillage 6+6 b
Parlaient, quand tout dormait, | un sublime langage. 6+6 b
25 Je restai frémissant : | ce bruit mystérieux, 6+6 a
C’était Dieu descendu des cieux. 8 a
C’était ce Dieu puissant | si grand et solitaire 6+6 b
Qui venait oublier | sa grandeur sur la terre. 6+6 b
Dieu las et fatigué | de sa divinité, 6+6 a
30 Las d’honneur, de puissance | et d’immortalité, 6+6 a
Des éternels ennuis | où sa grandeur l’enchaîne, 6+6 b
Qui venait partager | notre nature humaine. 6+6 b
Il avait choisi l’heure | où tout dort et se tait, 6+6 a
Où l’homme, indifférent | à tout ce que Dieu fait, 6+6 a
35 Attaché seulement | à ses soins mercenaires, 6+6 b
Prend un peu de repos | qu’il dérobe aux affaires. 6+6 b
Car c’était aussi l’heure | où ce Dieu généreux 6+6 a
Peut bénir et donner | la main aux malheureux, 6+6 a
L’heure où celui qui souffre | et gémit en silence, 6+6 b
40 Qui craint pour son malheur | la froide indifférence, 6+6 b
Délivré du fardeau | de l’égoïsme humain, 6+6 a
Sans craindre la pitié | peut planer libre enfin. 6+6 a
Dieu vient le consoler, | il soutient sa misère, 6+6 b
Il rend ses pleurs plus doux, | sa douleur moins amère, 6+6 b
45 Il verse sur sa plaie | un baume bienfaisant. 6+6 a
D’autres craignent encore | un œil indifférent, 6+6 a
Et les regards de l’homme | et les bruits de la terre. 6+6 b
Ils cherchent aussi l’heure | où tout est solitaire, 6+6 b
Dieu les voit, il bénit | le bonheur des amants. 6+6 a
50 Invisible témoin, | il entend leurs serments. 6+6 a
Il aime cet amour | qu’il ne goûtera pas 6+6 b
Et dans les bois, la nuit, | il protège leurs pas. 6+6 b
Il était là, son souffle | errait sur la nature, 6+6 a
Paraissait éveiller | comme un vaste murmure, 6+6 a
55 Tout ce qu’il a formé | s’animait et, tremblant, 6+6 b
S’agitait au contact | de ce Dieu tout-puissant, 6+6 b
Et tout parlait de lui, | le vent sous le feuillage, 6+6 a
Et l’arbuste, et le flot | caressait le rivage, 6+6 a
Et tous ces bruits divers | ne formaient qu’une voix : 6+6 b
60 C’était Dieu qui parlait | au milieu des grands bois. 6+6 b
Tous deux nous l’écoutions | et nous versions des larmes ; 6+6 a
Quand on va se quitter, | l’amour a tant de charmes ! 6+6 a
Et nos pleurs, qui tombaient | comme des diamants, 6+6 b
Goutte à goutte brillaient | sur les herbes des champs. 6+6 b
65 Mais de cette belle soirée 8 a
Et de ma maîtresse adorée 8 a
Que restait-il le lendemain ? 8 b
Seul le pâtre de grand matin, 8 b
En conduisant au pâturage 8 a
70 Son gras troupeau, vit sur l’herbage 8 a
Les quelques gouttes de nos pleurs, 8 b
Seule marque de nos douleurs ; 8 b
Mais il les prit pour la rosée. 8 a
« L’herbe n’est point encor séchée, » 8 a
75 Se dit-il en pressant le pas. 8 b
Hélas ! il ne soupçonna pas 8 b
Que de chagrins et de misères 8 a
Cachait cette eau sur les bruyères. 8 a
Et ses brebis qui le suivaient 8 b
80 Broutaient les herbes et buvaient 8 b
Nos pleurs sans arrêter leur course, 8 a
Mais rien n’en a trahi la source. 8 a
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