Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
MAU_1/MAU1
Guy de MAUPASSANT
DES VERS
1868-1880
LE MUR
Les fenêtres étaient ouvertes. Le salon 6+6 a
Illuminé jetait des lueurs d’incendies, 6+6 b
Et de grandes clartés couraient sur le gazon. 6+6 a
Le parc, là-bas, semblait répondre aux mélodies 6+6 b
5 De l’orchestre, et faisait une rumeur au loin. 6+6 a
Tout chargé des senteurs des feuilles et du foin, 6+6 a
L’air tiède de la nuit, comme une molle haleine, 6+6 a
S’en venait caresser les épaules, mêlant 6+6 b
Les émanations des bois et de la plaine 6+6 a
10 A celles de la chair parfumée, et troublant 6+6 b
D’une oscillation la flamme des bougies. 6+6 a
On respirait les fleurs des champs et des cheveux. 6+6 b
Quelquefois, traversant les ombres élargies, 6+6 a
Un souffle froid, tom du ciel criblé de feux, 6+6 b
15 Apportait jusqu’à nous comme une odeur d’étoiles. 6+6 a
Les femmes regardaient, assises mollement, 6+6 b
Muettes, l’œil noyé, de moment en moment 6+6 b
Les rideaux se gonfler ainsi que font des voiles, 6+6 a
Et rêvaient d’un départ à travers ce ciel d’or, 6+6 a
20 Par ce grand océan d’astres. Une tendresse 6+6 b
Douce les oppressait, comme un besoin plus fort 6+6 a
D’aimer, de dire, avec une voix qui caresse, 6+6 b
Tous ces vagues secrets qu’un cœur peut enfermer. 6+6 a
La musique chantait et semblait parfue ; 6+6 b
25 La nuit embaumant l’air en paraissait rythmée, 6+6 b
Et l’on croyait entendre au loin les cerfs bramer. 6+6 a
Mais un frisson passa parmi les robes blanches ; 6+6 a
Chacun quitta sa place et l’orchestre se tut, 6+6 b
Car derrière un bois noir, sur un coteau pointu, 6+6 b
30 On voyait s’élever, comme un feu dans les branches, 6+6 a
La lune énorme et rouge à travers les sapins. 6+6 a
Et puis elle surgit au faîte, toute ronde, 6+6 b
Et monta, solitaire, au fond des cieux lointains, 6+6 a
Comme une face pâle errant autour du monde. 6+6 b
35 Chacun se dispersa par les chemins ombreux 6+6 a
Où, sur le sable blond, ainsi qu’une eau dormante, 6+6 b
La lune clairsemait sa lumière charmante. 6+6 b
La nuit douce rendait les hommes amoureux, 6+6 a
Au fond de leurs regards allumant une flamme. 6+6 a
40 Et les femmes allaient, graves, le front penché, 6+6 b
Ayant toutes un peu de clair de lune à l’âme. 6+6 a
Les brises charriaient des langueurs de péché. 6+6 b
J’errais, et sans savoir pourquoi, le cœur en fête. 6+6 a
Un petit rire aigu me fit tourner la tête, 6+6 a
45 Et j’aperçus soudain la dame que j’aimais, 6+6 a
Hélas ! d’une façon discrète, car jamais 6+6 a
Elle n’avait cessé d’être à mes vœux rebelle : 6+6 a
« Votre bras, et faisons un tour de parc », dit-elle. 6+6 a
Elle était gaie et folle et se moquait de tout, 6+6 a
50 Prétendait que la lune avait l’air d’une veuve : 6+6 b
« Le chemin est trop long pour aller jusqu’au bout, 6+6 a
Car j’ai des souliers fins et ma toilette est neuve ; 6+6 b
Retournons. » Je lui pris le bras et l’entrnai. 6+6 a
Alors elle courut, vagabonde et fantasque, 6+6 b
55 Et le vent de sa robe, au hasard promené, 6+6 a
Troublait l’air endormi d’un souffle de bourrasque. 6+6 b
Puis elle s’arrêta, soufflant ; et doucement 6+6 a
Nous marchâmes sans bruit tout le long d’une allée. 6+6 b
Des voix basses parlaient dans la nuit, tendrement, 6+6 a
60 Et, parmi les rumeurs dont l’ombre était peuplée, 6+6 b
On distinguait parfois comme un son de baiser. 6+6 a
Alors elle jetait au ciel une roulade ! 6+6 b
Vite tout se taisait. On entendait passer 6+6 a
Une fuite rapide ; et quelque amant maussade 6+6 b
65 Et resté seul pestait contre les indiscrets. 6+6 a
Un rossignol chantait dans un arbre, tout près, 6+6 a
Et dans la plaine, au loin, répondait une caille. 6+6 a
Soudain, blessant les yeux par son reflet brutal, 6+6 b
Se dressa, toute blanche, une haute muraille, 6+6 a
70 Ainsi que dans un conte un palais de métal. 6+6 b
Elle semblait guetter de loin notre passage. 6+6 a
« La lumière est propice à qui veut rester sage, 6+6 a
Me dit-elle. Les bois sont trop sombres, la nuit. 6+6 a
Asseyons-nous un peu devant ce mur qui luit. » 6+6 a
75 Elle s’assit, riant de me voir la maudire. 6+6 a
Au fond du ciel, la lune aussi me sembla rire ! 6+6 a
Et toutes deux d’accord, je ne sais trop pourquoi, 6+6 a
Paraissaient s’apprêter à se moquer de moi. 6+6 a
Donc, nous étions assis devant le grand mur blême ; 6+6 a
80 Et moi, je n’osais pas lui dire : « Je vous aime ! » 6+6 a
Mais comme j’étouffais, je lui pris les deux mains. 6+6 a
Elle eut un pli léger de sa lèvre coquette 6+6 b
Et me laissa venir comme un chasseur qui guette. 6+6 b
Des robes, qui passaient au fond des noirs chemins, 6+6 a
85 Mettaient parfois dans l’ombre une blancheur douteuse. 6+6 a
La lune nous couvrait de ses rayons pâlis 6+6 b
Et, nous enveloppant de sa clarté laiteuse, 6+6 a
Faisait fondre nos cœurs à sa vue amollis. 6+6 b
Elle glissait très haut, très placide et très lente, 6+6 a
90 Et pénétrait nos chairs d’une langueur troublante. 6+6 a
J’épiais ma compagne, et je sentais grandir 6+6 a
Dans mon être crispé, dans mes sens, dans mon âme, 6+6 b
Cet étrange tourment où nous jette une femme 6+6 b
Lorsque fermente en nous la fièvre du désir ! 6+6 a
95 Lorsqu’on a, chaque nuit, dans le trouble du rêve, 6+6 a
Le baiser qui consent, le « oui » d’un œil fermé, 6+6 b
L’adorable inconnu des robes qu’on soulève, 6+6 a
Le corps qui s’abandonne, immobile et pâmé, 6+6 b
Et qu’en réali la dame ne nous laisse 6+6 a
100 Que l’espoir de surprendre un moment de faiblesse ! 6+6 a
Ma gorge était aride ; et des frissons ardents 6+6 a
Me vinrent, qui faisaient s’entre-choquer mes dents, 6+6 a
Une fureur d’esclave en révolte, et la joie 6+6 a
De ma force pouvant saisir, comme une proie, 6+6 a
105 Cette femme orgueilleuse et calme, dont soudain 6+6 a
Je ferais sangloter le tranquille dédain ! 6+6 a
Elle riait, moqueuse, effrontément jolie ; 6+6 a
Son haleine faisait une fine vapeur 6+6 b
Dont j’avais soif. Mon cœur bondit ; une folie 6+6 a
110 Me prit. Je la saisis en mes bras. Elle eut peur, 6+6 b
Se leva. J’enlaçai sa taille avec colère, 6+6 a
Et je baisai, ployant sous moi son corps nerveux, 6+6 b
Son œil, sont front, sa bouche humide et ses cheveux ! 6+6 b
La lune, triomphant, brillait de gaieté claire. 6+6 a
115 Déjà je la prenais, impétueux et fort, 6+6 a
Quand je fus repoussé par un suprême effort. 6+6 a
Alors recommença notre lutte éperdue 6+6 a
Près du mur qui semblait une toile tendue. 6+6 a
Or, dans un brusque élan nous étant retournés, 6+6 a
120 Nous vîmes un spectacle étonnant et comique. 6+6 b
Traçant dans la clarté deux corps désordonnés, 6+6 a
Nos ombres agitaient une étrange mimique, 6+6 b
S’attirant, s’éloignant, s’étreignant tour à tour. 6+6 a
Elles semblaient jouer quelque bouffonnerie, 6+6 b
125 Avec des gestes fous de pantins en furie, 6+6 b
Esquissant drôlement la charge de l’Amour. 6+6 a
Elles se tortillaient farces ou convulsives, 6+6 a
Se heurtaient de la tête ainsi que des béliers ; 6+6 b
Puis, redressant soudain leurs tailles excessives, 6+6 a
130 Restaient fixes, debout comme deux grands piliers. 6+6 b
Quelquefois, déployant quatre bras gigantesques, 6+6 a
Elles se repoussaient, noires sur le mur blanc, 6+6 b
Et, prises tout à coup de tendresses grotesques, 6+6 a
Paraissaient se pâmer dans un baiser brûlant. 6+6 b
135 La chose étant très gaie et très inattendue, 6+6 a
Elle se mit à rire. — Et comment se fâcher, 6+6 b
Se débattre et défendre aux lèvres d’approcher 6+6 b
Lorsqu’on rit ? Un instant de gravité perdue 6+6 a
Plus qu’un cœur embra peut sauver un amant ! 6+6 a
140 Le rossignol chantait dans son arbre. La lune 6+6 b
Du fond du ciel serein recherchait vainement 6+6 a
Nos deux ombres au mur et n’en voyait plus qu’une. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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