Métrique en Ligne
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| = césure
LSR_1/LSR71
Daniel LESUEUR
(Jeanne LOISEAU)
POÉSIES
1986
PAROLES D'AMOUR
SILENTIUM
Nunquam aliud natura, aliud sapientia dicit.
Ami, dans un moment de doute et de détresse, 6+6 a
J'écrivis la boutade amère que voici. 6+6 b
Mon âme, où vous lisez, toujours vous intéresse, 6+6 a
Et des grands vers charmeurs vous aimez la caresse. 6+6 a
5 Sans trop hocher la tête écoutez donc ceci : 6+6 b
Le verbe ‒ notre orgueil ‒ nous égare et nous leurre ; 6+6 a
C'est dans un jour maudit qu'il nous fut révélé. 6+6 b
Le cœur n'a pas de mots : il chante ou bien il pleure, 6+6 a
Il vibre pour jamais d'un soupir qui l'effleure. 6+6 a
10 Hélas ! depuis Babel nous avons trop parlé. 6+6 b
Nous avons gravement prononcé des syllabes 6+6 a
Qui troublaient nos cerveaux et signifiaient peu ; 6+6 b
En caractères grecs, égyptiens, arabes, 6+6 a
Enfermant l'infini, comme nos astrolabes 6+6 a
15 En des chiffres crochus enferment le ciel bleu. 6+6 b
Nous avons profa dans nos langues vulgaires 6+6 a
Le secret de notre être, inexpressible et doux, 6+6 b
Ce secret que sans doute on a compris naguères 6+6 a
Lorsque, innocent encor de ses premières guerres, 6+6 a
20 L'homme sur son champ noir menait ses grands bœufs roux. 6+6 b
Le champ fumait d'amour sous l'aube rose et tendre ; 6+6 a
Un désir éperdu de produire gonflait 6+6 b
La lèvre des sillons, et l'on pouvait entendre 6+6 a
Comme un bruit de baisers s'élever et s'étendre 6+6 a
25 Sur la cime des bois, lorsque le vent soufflait. 6+6 b
On sentait palpiter la vie intense et neuve 6+6 a
Dans les veines du sol, les antres et les nids. 6+6 b
Le berger, près de l'onde où le troupeau s'abreuve, 6+6 a
Songeait à deux yeux clairs plus limpides qu'un fleuve 6+6 a
30 Qui le verraient rentrer de ses travaux finis. 6+6 b
Tout germait, tout croissait dans l'aurore doe, 6+6 a
Tout aimait. Par l'amour triomphant du néant, 6+6 b
La Nature venait de saisir la due : 6+6 a
La génération, formidable et sacrée, 6+6 a
35 Livrait au couple humain tout l'avenir béant. 6+6 b
Il nous fallait rester, rudes fils de la terre, 6+6 a
Purs, orgueilleux et nus, et soumis aux destins. 6+6 b
De l'univers profond respectant le mystère, 6+6 a
Il nous fallait, plongés dans un silence austère, 6+6 a
40 Devant l'immensi courber nos fronts hautains. 6+6 b
Mais nous avons parlé… Nos bouches sacrilèges 6+6 a
Ont fait des créateurs, des genèses, des dieux ; 6+6 b
Leur souffle a corrompu nos plus beaux privilèges 6+6 a
Et mêlé d'espoirs faux, d'erreurs, de sortilèges, 6+6 a
45 Même l'âpre grandeur des éternels adieux. 6+6 b
Notre rôle ici-bas, notre rôle superbe, 6+6 a
N'était-il pas de vivre et, vivant, d'adorer ?… 6+6 b
D'adorer le soleil, la femme et le brin d'herbe, 6+6 a
L'enfant, l'étoile d'or, les lis, le flot, la gerbe, 6+6 a
50 Les cieux ‒ mais sans jamais pourtant les implorer. 6+6 b
Qu'aurions-nous deman que la bonne Nature 6+6 a
N'eût pas placé dé sur nos riants chemins ? 6+6 b
Quand nos rêves risquaient l'immortelle aventure, 6+6 a
Nous ont-ils peint là-haut, pour l'extase future, 6+6 a
55 Quelque chose de mieux que nos bonheurs humains ? 6+6 b
Non !… Nous devions serrer sur nos chaudes poitrines, 6+6 a
Pendant le jour béni qui nous était prêté, 6+6 b
Nos charnelles amours, fragiles et divines, 6+6 a
Créatrices amours, où seules nos doctrines, 6+6 a
60 Malgré l'enfantement, ont mis l'impureté. 6+6 b
Puis nous devions mourir, fermer à la lumière 6+6 a
Si douce des matins nos yeux reconnaissants ; 6+6 b
D'un suprême regard, plein de candeur première, 6+6 a
Enveloppant les fils, l'épouse et la chaumière, 6+6 a
65 Tout ce qui fait nos cœurs joyeux et frémissants. 6+6 b
Quel désir, quelle crainte eût ébranlé notre âme ? 6+6 a
Quel juge ou quel sauveur pouvions-nous invoquer ? 6+6 b
Nos devoirs ‒ ceux qu'un ordre universel proclame 6+6 a
Ont, pour l'esprit subtil et pour les sens de flamme, 6+6 a
70 Des charmes si puissants qu'on n'y saurait manquer. 6+6 b
La Nature n'a pas commis à nos morales 6+6 a
Le pouvoir de hâter son auguste action. 6+6 b
Nos gestes sont les siens. Les ombres sépulcrales 6+6 a
N'ont point de rouge enfer au bas de leurs spirales : 6+6 a
75 L'œuvre utile avec soi porte sa sanction. 6+6 b
Ce qui doit être fait est bon et simple à faire ; 6+6 a
De quoi serions-nous donc alors récompensés ? 6+6 b
Et puisque la douleur suit le mal qu'on préfère 6+6 a
Et qu'elle est pour nous seuls, par delà cette sphère 6+6 a
80 Quel courroux frapperait de pauvres insensés ? 6+6 b
O superstitions obscures et sanglantes ! 6+6 a
Sacrifices hideux fumant au bord des flots, 6+6 b
Longues processions de victimes dolentes, 6+6 a
Chaînes, croix et carcans et chastetés brûlantes, 6+6 a
85 Vous avez pour toujours éveillé nos sanglots ! 6+6 b
Comment vous effacer jamais de nos mémoires ? 6+6 a
Il nous faut remonter tous vos sentiers maudits, 6+6 b
Saigner tous vos tourments, lire tous vos grimoires, 6+6 a
Car vos crosses, vos clefs, vos chasubles de moires 6+6 a
90 Cachent encor le seuil de nos vieux paradis. 6+6 b
O Nature, Nature, oh ! dis, tes bras de mère 6+6 a
S'ouvriront-ils encor pour tes fils révoltés ? 6+6 b
Nous voulions t'arracher notre vie éphémère ; 6+6 a
Mais nous y renonçons… L'épreuve est trop amère, 6+6 a
95 Et nous tombons, martyrs de nos divinités ! 6+6 b
Pour naître, nous quittons tes entrailles fécondes ; 6+6 a
Pour vivre, il faut ton air qui joue en nos poumons, 6+6 b
Il faut tes fruits, ton blé, la frcheur de tes ondes ; 6+6 a
Pour aimer, il nous faut les caresses fécondes ; 6+6 a
100 C'est aussi sur ton sein que nous nous endormons. 6+6 b
Avons-nous tant parlé pour découvrir ces choses ? 6+6 a
Cent siècles ont passé, le jour est-il plus beau ? 6+6 b
Part-il dans les nids plus de métamorphoses, 6+6 a
Plus d'étoiles au ciel, plus de feuilles aux roses, 6+6 a
105 Depuis que nous restons penchés sur un tombeau ? 6+6 b
Quoi ! mourir est-il donc un problème si sombre ? 6+6 a
N'est-il point de splendeur dans un couchant vermeil ? 6+6 b
Tout s'éteint, douce loi. Pendant les nuits sans nombre, 6+6 a
Alors que nous fermions nos paupières dans l'ombre, 6+6 a
110 Nous est-il arri de craindre le sommeil ? 6+6 b
Apprendrons-nous enfin à garder le silence, 6+6 a
A demeurer muets devant les morts pensifs ? 6+6 b
A quoi bon tant de mots ? Lorsque avec violence 6+6 a
La passion en nous se déchaîne et s'élance, 6+6 a
115 Nos plus informes cris sont les plus expressifs. 6+6 b
Que valent nos discours ? En supposant un être 6+6 a
Un monstre, un malheureux ‒ qui n'eût jamais aimé, 6+6 b
Et qui, voulant un jour à cette aurore naître, 6+6 a
Dans des livres choisis chercherait à connaître 6+6 a
120 Les douloureux bonheurs dont le monde est charmé : 6+6 b
Sentirait-il, du chœur confus de nos paroles, 6+6 a
Monter le frisson fou qui dévore la chair, 6+6 b
Et l'éblouissement qui met des auréoles 6+6 a
Blanches autour du front riant de nos idoles ? 6+6 a
125 Saurait-il tout le prix de ce qui nous est cher ? 6+6 b
Non : ceci ne s'apprend qu'au fond des yeux sans voiles, 6+6 a
Dans les bras enlacés et dans les cœurs unis, 6+6 b
Dans les torrents de feu qui parcourent nos moelles. 6+6 a
Pour savoir ce qu'on doit savoir sous les étoiles, 6+6 a
130 Fermons le livre obscur et regardons les nids. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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