Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LSR_1/LSR64
Daniel LESUEUR
(Jeanne LOISEAU)
POÉSIES
1986
PAROLES D'AMOUR
LETTRE ÉCRITE EN AUTOMNE
Vous nous avez quittés, | nous laissant la tristesse 6+6 a
De l'hiver qui déjà | frissonne sur nos fronts 6+6 b
Et des lugubres soirs | tombant brusques et prompts. 6+6 b
Le soleil, qui s'enfuit | dans sa morne vitesse, 6+6 a
5 Ouvre au sein des brouillards | des trous sanglants et ronds. 6+6 b
Les peupliers jaunis | et les grands ormes chauves 6+6 a
Se dressent sur un ciel | d'ardoise au dur reflet. 6+6 b
Leurs fronts touffus, vers qui | le passereau volait, 6+6 b
Ne sont plus qu'un horrible | amas de feuilles fauves 6+6 a
10 Où le vent furieux | joue ainsi qu'il lui plaît. 6+6 b
Les sentiers sont jonchés | de leurs dépouilles sèches, 6+6 a
Qui sous le pied distrait | grincent sinistrement ; 6+6 b
Nul n'entend sans frémir | leur sourd gémissement. 6+6 b
Les livides matins, | voilés de brumes fraîches, 6+6 a
15 Dans les cieux, à regret, | montent tardivement. 6+6 b
Nous suivons le vol fou | des nuages rapides. 6+6 a
Mais vous, vers l'équateur | avançant chaque jour, 6+6 b
Vous voyez s'élever | de la mer, tour à tour, 6+6 b
Des constellations | nouvelles et splendides, 6+6 a
20 Promontoires de flamme | au scintillant contour. 6+6 b
Vous saluez, tandis | que nos chairs se hérissent 6+6 a
De douleur et de froid, | un éternel été. 6+6 b
Vers la rive immuable | où vous êtes porté 6+6 b
L'espoir tourne vos yeux. | Les bonheurs qui périssent, 6+6 a
25 Seuls, captivent encor | notre cœur attristé. 6+6 b
Nous pensons au passé | durant le crépuscule, 6+6 a
Mais votre âme éblouie | embrasse l'avenir. 6+6 b
Nous nous disons : « Ceci | n'a pu le retenir… » 6+6 b
Vous, devant l'horizon | qui sans cesse recule, 6+6 a
30 Vous songez que l'exil | est court et doit finir. 6+6 b
Car la Nature ainsi | dirige nos pensées ; 6+6 a
Nul ne soustrait son cœur | à l'effet souverain. 6+6 b
Que le ciel soit d'azur | ou bien qu'il soit d'airain, 6+6 b
Que les étoiles d'or | y brillent balancées, 6+6 a
35 Notre rêve aussitôt | devient sombre ou serein. 6+6 b
Notre être intérieur, | qu'un aspect calme ou blesse, 6+6 a
S'offre comme un sensible | et frémissant miroir 6+6 b
Où l'énorme univers | se penche pour se voir. 6+6 b
L'Infini redoutable | emplit notre faiblesse ; 6+6 a
40 Son ombre y devient joie | exquise ou désespoir. 6+6 b
De son reflet changeant | se forment nos idées, 6+6 a
Ses mystères profonds | ont créé nos douleurs, 6+6 b
Ses océans amers | semblent des flots de pleurs ; 6+6 b
Nos âmes, par des yeux | pleins d'amour obsédées, 6+6 a
45 Dans leur gouffre attirant | retrouvent ses couleurs. 6+6 b
Sphinx éternel et beau | dont le sourire enivre, 6+6 a
Il siège en sa puissance | au fond même du Moi. 6+6 b
Quand mon sein se soulève | et palpite d'émoi, 6+6 b
Et que j'y veux descendre | et me regarder vivre, 6+6 a
50 C'est lui que j'y découvre | en reculant d'effroi. 6+6 b
Où suis-je ?… Il me reprend | et m'enlève à moi-même. 6+6 a
Ce que je fus hier, | le serai-je demain ? 6+6 b
Dans quel creuset brûlant | me jettera sa main ? 6+6 b
Je voudrais bien savoir | pourquoi je souffre ou j'aime, 6+6 a
55 Je voudrais à mon gré | poursuivre mon chemin. 6+6 b
Je ne le saurai pas, | je marche à l'aventure : 6+6 a
Tout l'univers circule | en mes veines de feu, 6+6 b
Dans mes moindres frissons | ses Forces sont en jeu ; 6+6 b
J'accomplis les destins | de l'immense Nature 6+6 a
60 Aussi fatalement | que l'atome et que Dieu. 6+6 b
Moi qu'emplit la pitié, | je me sais implacable : 6+6 a
Implacable aussi bien | pour me laisser souffrir 6+6 b
Que pour briser des cœurs | que j'ai voulu chérir. 6+6 b
L'affreuse vision | du mal inévitable 6+6 a
65 M'épouvante, et parfois | je souhaite mourir. 6+6 b
Car je redeviendrais | une poussière inerte, 6+6 a
Sans nerfs, sans yeux, sans cœur, | sans amour et sans soins ; 6+6 b
Insensible instrument, | j'ignorerais du moins 6+6 b
L'horreur de consommer | jour après jour ma perte ; 6+6 a
70 Les maux que je ferais | auraient d'autres témoins. 6+6 b
Et vous, que berce au loin | la mer étincelante, 6+6 a
Quand le soleil rougit | les vagues de cristal, 6+6 b
Que vous dit la splendeur | du monde oriental ? 6+6 b
Nul désir n'émeut-il | votre âme vigilante ? 6+6 a
75 Vous courbez-vous sans plainte | au joug du sort fatal ? 6+6 b
Pénétrer le secret | des Forces souveraines 6+6 a
Vous suffit-il ?… D'un œil | tranquille et d'un cœur fier, 6+6 b
Les verriez-vous étreindre | et broyer votre chair ? 6+6 b
Ah ! du fond du néant | j'aime insulter ces reines, 6+6 a
80 Et pleurer longuement | sur tout ce qui m'est cher. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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