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LSR_1/LSR16
Daniel LESUEUR
(Jeanne LOISEAU)
POÉSIES
1986
VISIONS ANTIQUES
LA LÉGENDE DE SATNI-KHAMOÏS
CONTE DE L'ANCIENNE ÉGYPTE*
I
Satni, prince royal, qui porte sur la tempe, 6+6 a
Bien que père déjà, la tresse des enfants**, 6+6 b
Du grand temple de Phtah descend la large rampe. 6+6 a
Râ, l'éternel Soleil, dans les cieux triomphants, 6+6 b
5 Quittant, jeune et joyeux, le sein d'Isis sa mère, 6+6 c
Monte au fond des déserts aux sables étouffants. 6+6 b
Et l'antique Memphis, où rien n'est éphémère, 6+6 c
Plus haut que ses palais élève ses tombeaux, 6+6 d
Dont l'ombre inviolée enferme sa chimère. 6+6 c
10 Mais Satni-Khamoïs, aux traits calmes et beaux, 6+6 d
Soudain a vu passer sous les brillants portiques 6+6 e
Une femme aux yeux vifs ainsi que deux flambeaux. 6+6 d
Couverte de joyaux aux figures mystiques 6+6 e
Et de longs vêtements brodés d'un très grand prix, 6+6 f
15 Comme cortège elle a de nombreux domestiques. 6+6 e
Le prince, à son aspect, s'est arrêté, surpris : 6+6 f
Ses longs yeux sont si doux, sa bouche si hautaine, 6+6 h
Qu'un désir invincible entre en ce cœur épris. 6+6 f
Il est le fils du roi, la conquête est certaine. 6+6 h
20 Puis ce n'est, après tout, qu'un caprice léger. 6+6 i
Il suit la jeune femme en sa marche lointaine. 6+6 h
« Mon père à cette ville est, dit-elle, étranger. 6+6 i
C'est un homme puissant, grand-prêtre de Bubaste. 6+6 j
Je suis pure. A mon lit il ne faut point songer. » 6+6 i
25 Lui, qui vit dans l'orgueil, dans la pompe et le faste, 6+6 j
Et qui jamais encor n'éprouva de refus, 6+6 k
L'aime pour sa pudeur et sa fierté de caste. 6+6 j
Ce fils des Pharaons se trouble, tout confus. 6+6 k
Son front, qui sera ceint de la double couronne, 6+6 l
30 Rougit… Mais il proteste en longs propos diffus. 6+6 k
Elle, un éclair aux yeux, sourit et lui pardonne. 6+6 l
Ses lourds cheveux tressés tombent sur son col nu ; 6+6 k
Ses anneaux, en marchant, font un bruit monotone. 6+6 l
Elle dit simplement et d'un air ingénu : 6+6 m
35 « Je m'appelle Taïa. Viens dans notre demeure. 6+6 n
Tu me respecteras, puisque c'est convenu. » 6+6 m
Lui, sent qu'il va la vaincre ou qu'il faut qu'il en meure. 6+6 n
II
Dans un léger canot construit en papyrus 6+6 k
Tous deux ont traversé le large bras du fleuve, 6+6 o
40 Sur la rive duquel s'ouvrent les bleus lotus. 6+6 k
Taïa songe à conduire habilement l'épreuve ; 6+6 o
Sa lèvre rouge garde un pli mystérieux. 6+6 p
L'œil ardent de Satni de sa beauté s'abreuve. 6+6 o
Dans la riche maison il entre, curieux. 6+6 p
45 Les murs sont recouverts d'onyx et d'émeraude. 6+6 q
Il suit la chaste fille au doux front sérieux. 6+6 p
Elle va jusqu'en haut. L'atmosphère plus chaude 6+6 q
Se charge de parfums pénétrants et subtils. 6+6 g
Elle éloigne d'un geste une esclave qui rôde. 6+6 q
50 Ils sont seuls maintenant… Seuls ! Et que disent-ils ? 6+6 g
Satni n'ordonne point, il sanglote et supplie… 6+6 r
Elle, de son réseau tend et serre les fils. 6+6 g
Voici que s'ouvre enfin sa lèvre si jolie : 6+6 r
« Je suis pure. Il me faut, si je cède, tes biens, 6+6 s
55 Que tu me donneras pour ma honte accomplie. » 6+6 r
Et le prince répond : « Oui, si tu m'appartiens, 6+6 s
Tu posséderas tout, mon or, mes fines pierres, 6+6 t
Mes perles, mes émaux, mes coursiers syriens. 6+6 s
‒ « Signe-le, » dit Taïa sans baisser les paupières. 6+6 t
III
60 La jeune fille a fait préparer un repas. 6+6 u
Satni voit ces lenteurs d'un œil triste et farouche ; 6+6 v
Mais elle, rit toujours, et ne se livre pas. 6+6 u
« J'ai, dit-il, tout à l'heure apposé mon cartouche 6+6 v
Sur la donation que de moi tu voulais, 6+6 w
65 Viens, ne résiste plus, car j'ai soif de ta bouche. » 6+6 v
Elle reprit : « Là-bas, dans tes lointains palais, 6+6 w
Tu possèdes, je crois, des enfants légitimes ; 6+6 x
Et les miens, si j'en ai, deviendront leurs valets. 6+6 w
‒ « Non, dit Satni, je puis combler tous les abîmes. 6+6 x
70 Je serai roi, Taïa, je serai maître un jour. 6+6 y
Tes fils ne ntront point pour être des victimes. » 6+6 x
Alors Taïa lui fit jurer par son amour 6+6 y
Grondant au fond de lui comme un fauve qui râle, 6+6 z
Qu'il ferait de leurs fils des princes à sa cour. 6+6 y
75 Et Satni le jura, les yeux fous, le front pâle. 6+6 z
IV
Dans le riant boudoir ils sont tous deux assis. 6+6 g
Leurs sièges ont pour pieds des griffes de panthère, 6+6 c
Et dans leurs coupes d'or coulent des vins choisis. 6+6 g
Taïa contraint Satni haletant à se taire. 6+6 c
80 Lente, elle prend des fruits et prétend avoir faim ; 6+6 a
Son grand œil sombre est plein d'un irritant mystère. 6+6 c
Un souple aspic d'argent orne son poignet fin. 6+6 a
Son pied foule un tapis qui vient de Babylone. 6+6 l
Ce repas, il faudra pourtant qu'il prenne fin ! 6+6 a
85 Près de cet homme au sang jeune et vif qui bouillonne 6+6 l
Elle garde un visage impassible et très froid, 6+6 b
Comme un masque d'Hathor en haut d'une colonne. 6+6 l
Lui, qui souffre, pourtant l'aime ainsi, car il croit 6+6 b
Qu'elle ignore encor tout de l'ivresse insensée ; 6+6 d
90 Et la force lui manque, et son désir s'accroît… 6+6 b
Alors Taïa sourit à sa propre pensée. 6+6 d
V
Du jardin tout à coup montent des sons joyeux. 6+6 p
« Tes enfants, dit Taïa, sont venus de la ville. 6+6 e
‒ Mes enfants ?… » Il tressaille et s'étonne, anxieux. 6+6 p
95 Elle, dont le beau corps cache une âme très vile, 6+6 e
Sait qu'enfin le moment décisif est venu 6+6 m
De dompter tout à fait l'amant lâche et servile. 6+6 e
Elle ouvre sa tunique et montre son sein nu, 6+6 m
Puis son bras merveilleux sort de la mousseline ; 6+6 f
100 Tout son vêtement glisse, à peine retenu. 6+6 m
Ce qu'il recouvre encor, le prince le devine… 6+6 f
Alors l'infortuné, muet, tombe à genoux, 6+6 g
Ne pouvant qu'adorer cette forme divine. 6+6 f
Et Taïa, se penchant, lui dit d'un ton très doux : 6+6 g
105 « Fais mourir tous tes fils, les miens auront ton trône… 6+6 h
Puis ôte, si tu veux, tous ces voiles jaloux. » 6+6 g
Il crie, et tend les mains comme pour une aumône. 6+6 h
VI
Sur le grand lit d'ébène et d'ivoire ajourés, 6+6 i
Parmi les draps soyeux que son corps souple froisse, 6+6 j
110 Taïa met la splendeur de ses membres nacrés. 6+6 i
Satni, n'espérant plus que son amour décroisse, 6+6 j
Pour l'assouvir enfin n'a prononcé qu'un mot… 6+6 k
A présent du jardin montent des cris d'angoisse. 6+6 j
Blême, le prince laisse échapper un sanglot ; 6+6 k
115 Mais Taïa le regarde, impérieuse et tendre… 6+6 l
Sous sa prunelle aiguë il s'apaise aussitôt. 6+6 k
Tout se tait… Aucun bruit ne se fait plus entendre. 6+6 l
VII
C'est ainsi que Satni fit mourir ses enfants, 6+6 b
Qui portaient comme lui la tresse sur la tempe, 6+6 a
120 Pour la femme qu'il vit, sous les cieux triomphants, 6+6 b
Du grand temple de Phtah gravir la large rampe. 6+6 a
D'après un papyrus du Musée de Boulaq.
**  Les fils et petits-fils du roi, dans l'ancienne Égypte, portaient une grosse tresse de leurs cheveux pendante sur la tempe, comme coiffure distinctive.
mètre profil métrique : 6+6
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