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LOR_2/LOR86
Jean LORRAIN
LA FORÊT BLEUE
1883
LA FORÊT BLEUE
LA RENCONTRE
A MADAME LOUISE HEUZÉ
Au fond du vieux jardin Louis Treize 8 a
Charmante, en mules de satin, 8 b
Un bout de sein montrant sa fraise, 8 a
Je fis sa rencontre un matin. 8 b
5 Le vieux domaine étant sans maître 8 a
Et le lieu réputé maudit, 8 b
Dans l'ombre en la voyant paraître, 8 a
J'eus d'abord un geste interdit. 8 b
Dans le morne ennui des quinconces 8 a
10 Et des massifs abandonnés, 8 b
Elle allait, écartant les ronces, 8 a
Blonde avec des yeux étonnés. 8 b
En long deshabillé jonquille, 8 a
Jonquille rayé de lilas, 8 b
15 Sans rouge, la canne à béquille 8 a
A la main, le geste un peu las, 8 b
Lente, elle arpentait les allées 8 a
Avec de longs regards marris 8 b
Devant les nymphes désolées 8 a
20 Du parc et les jets d'eau taris. 8 b
Au fond de la grande avenue, 8 a
Où des larges gueules d'airain 8 b
De dauphins cabrés sous la nue 8 a
Baillent autour d'un dieu marin. 8 b
25 Encombrant la vasque ébréchée 8 a
Et du dieu cassant une main, 8 b
Une souche d'arbre ébranchée 8 a
Gisait au travers du chemin ; 8 b
Et sous les neiges et les pluies 8 a
30 Moisis, lépreux, tachés de vert 8 b
Dieux et dauphins aux larges ouïes 8 a
Criaient vengeance de l'hiver. 8 b
Devant ce désastre effarée, 8 a
L'œil atone et le cœur chagrin, 8 b
35 L'enfant, la route étant barrée, 8 a
S'assit au pied du boulingrin. 8 b
Alors moi voyant sa tristesse 8 a
Et déplorant son embarras 8 b
Je lui dis, chapeau bas : « Altesse, 8 a
40 « Si vous daigniez prendre mon bras ! 8 b
Elle alors, comme ensommeillée, 8 a
Sans que mon offre la surprit, 8 b
Se leva de l'herbe mouillée, 8 a
Sourit tristement et le prit. 8 b
45 Dans le morne parc, en silence, 8 a
A mon bras, le profil altier, 8 b
Pensive et belle d'indolence, 8 a
Elle erra tout un jour entier. 8 b
Au fond des quinconces moroses, 8 a
50 Où sur des socles écroulés, 8 b
Dans leur chute écrasant des roses, 8 a
Rêvent des dieux jadis ailés ; 8 b
Autour des frêles colonnades 8 a
Emplissant de vagues blancheurs 8 b
55 L'azur profond des promenades, 8 a
Où passent les martins-pêcheurs ; 8 b
Elle allait toujours sans mot dire 8 a
Et moi, saisi d'un vague effroi 8 b
Devant cet éternel sourire 8 a
60 Et ces yeux ternis d'un bleu froid, 8 b
J'écoutais, la tête penchée, 8 a
Chuchotter,dans l'ombre et le noir 8 b
Une grêle feuille séchée 8 a
Prise aux longs plis de son peignoir 8 b
65 Auprès d'une urne surannée 8 a
De forme, ancien vase à parfums, 8 b
Une rose jaune fanée 8 a
Effeuillait ses pétales bruns 8 b
« Hélas ! depuis combien d'années 8 a
70 Dit-elle en s'y piquant les doigts, 8 b
« Fleurissez-vous, roses damnées, » 8 a
Et, tout pâle au son de sa voix, 8 b
Je vis que ses deux lèvres rèches, 8 a
S'écartant avec des raideurs, 8 b
75 Avaient le ton des roses sèches 8 a
Sous le rouge aux rances fadeurs. 8 b
« Oui, je m'appelais Corisandre, 8 a
« Lui Tancrède, c'était hier. » 8 b
Et dans le parc empli de cendre 8 a
80 Glissait un froid rayon d'hiver. 8 b
Envahissant l'âme et les choses, 8 a
Un charme étrange et suranné 8 b
D'ambre vieux et de vieilles roses 8 a
Montait, de sa lèvre émané. 8 b
85 Le soir au fond des avenues 8 a
Tombait, animant vaguement 8 b
Les blancheurs des déesses nues 8 a
Dans l'ombre, obscur enchantement 8 b
Et sous le rythme lent des arbres 8 a
90 Nous touchions au grand escalier, 8 b
Où tout un Olympe de marbres 8 a
Rêve, aux balustres appuyé. 8 b
Les mains à sa taille ténue, 8 a
Le front dans ses cheveux poudrés, 8 b
95 J'aidais la pensive inconnue 8 a
A gravir ses deux cents degrés. 8 b
Des pavots et des digitales, 8 a
Tout un flot d'herbe envahissant, 8 b
Jailli du marbre usé des dalles, 8 a
100 Y roulait une mer de sang. 8 b
Au loin le parc et la vallée 8 a
Fuyaient dans les bleus infinis, 8 b
Et vaporeuse, comme ailée 8 a
Dans son peignoir aux tons jaunis, 8 b
105 Elle avait l'air sur la terrasse, 8 a
Au milieu des pavots en fleurs, 8 b
D'un papillon d'une autre race, 8 a
D'un prisme errant dans des couleurs… 8 b
L'énigmatique créature 8 a
110 Sous son grand feutre enrubanné 8 b
Rayonnait à cette heure obscure 8 a
D'un si tendre charme fané, 8 b
Qu'à moi l'attirant par la taille 8 a
Au fond des grands branchages roux 8 b
115 D'un banc scellé dans la muraille, 8 a
Les mains errantes, les yeux fous, 8 b
Je l'assis de force et, surprise, 8 a
Pâle et les yeux noyés de pleurs, 8 b
La possédai dans l'ombre grise 8 a
120 Du vieux banc perdu sous les fleurs. 8 b
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Nous étions auprès d'une brèche, 8 a
La grande route au pied du mur 8 b
Passait et dans l'ombre une bêche 8 a
Jetait son éclat froid et dur… 8 b
125 Dans un détail une heure est toute… 8 a
M on désir, lent à s'apaiser, 8 b
Écoutait les gens sur la route 8 a
Passer entre chaque baiser. 8 b
Fut-ce l'éclat de cette bêche 8 a
130 Luisant au revers du fossé, 8 b
Ou le froid de sa peau trop fraîche, 8 a
Sous mes lèvres resté glacé… ? 8 b
Pris soudain de soupçons funèbres, 8 a
Je me levai, l'écume aux dents, 8 b
135 En étreignant dans les ténèbres 8 a
Un peignoir vide aux plis pendants… 8 b
Dans le mur un battant de porte 8 a
Oscillait, et l'ayant poussé, 8 b
Je compris alors, où la morte 8 a
140 De mon étreinte avait passé… 8 b
Car l'humble route charretière, 8 a
Longeant le parc abandonné, 8 b
Avait un mur de cimetière 8 a
Juste à sa droite échelonné. 8 b
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
145 Fidèle, comme un autre porte 8 a
Un joyau du siècle passé, 8 b
J'ai gardé le baiser glacé 8 b
Et la dépouille de la morte. 8 a
A l'heure, où les dauphins verdis 8 a
150 Dorment autour du vieux Neptune, 8 b
Dans le vieux parc au clair de lune 8 b
J'erre, évoquant ses yeux maudits. 8 a
Mais c'est en vain, j'ai beau l'attendre, 8 a
L'amour passé ne revient pas 8 b
155 Et la pensive Corisandre 8 a
N'y vient plus rêver sur mes pas. 8 b
La vie est l'éternelle attente 8 a
Et, dans l'attente résigné, 8 b
J'attends que l'heure calme et lente, 8 a
160 Se pose où ma chair a saigné… 8 b
Qui touche à ta lèvre et se soûle 8 a
De tes baisers, poison tentant, 8 b
Est aussi l'amant d'une goule 8 a
Poésie, ô morte d'antan… ! 8 b
165 Quiconque t'aura rencontrée 8 a
Au fond du vieux parc enchanté 8 b
Restera, pauvre âme ulcérée, 8 a
Un misérable homme hanté… 8 b
Car tes beaux amours sont funèbres 8 a
170 Et, qui sur le banc croit s'asseoir 8 b
Seul avec toi dans les ténèbres, 8 a
N'étreint que du vide et du noir… 8 b
Au fond du vieux jardin Louis Treize 8 a
Charmante, en mules de satin, 8 b
175 Un bout de sein montrant sa fraise, 8 a
Je fis sa rencontre un matin. 8 b
mètre profil métrique : 8
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