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LFT_4/LFT451
Jean de LA FONTAINE
ŒUVRES DIVERSES II
1656-1696
ÉPITRES
XVI
DISCOURS À MADAME DE LA SABLIÈRE
Désormais que ma muse, aussi bien que mes jours, 6+6 a
Touche de son déclin l'inévitable cours, 6+6 a
Et que de ma raison le flambeau va s'éteindre, 6+6 b
Irai-je en consumer les restes à me plaindre, 6+6 b
5 Et, prodigue d'un temps par la Parque attendu, 6+6 a
Le perdre à regretter celui que j'ai perdu ? 6+6 a
Si le ciel me réserve encor quelque étincelle 6+6 b
Du feu dont je brillois en ma saison nouvelle, 6+6 b
Je la dois employer, suffisamment instruit 6+6 a
10 Que le plus beau couchant est voisin de la nuit. 6+6 a
Le temps marche toujours ; ni force, ni prière, 6+6 b
Sacrifices ni vœux, n'allongent la carrière : 6+6 b
Il faudroit ménager ce qu'on va nous ravir. 6+6 a
Mais qui vois-je que vous sagement s'en servir ? 6+6 a
15 Si quelques-uns l'ont fait, je ne suis pas du nombre ; 6+6 b
Des solides plaisirs je n'ai suivi que l'ombre ; 6+6 b
J'ai toujours abu du plus cher de nos biens. 6+6 a
Les pensers amusants, lés vagues entretiens, 6+6 a
Vains enfants du loisir, délices chimériques ; 6+6 b
20 Les romans et le jeu, peste des républiques, 6+6 b
Par qui sont dévoyés les esprits les plus droits, 6+6 a
Ridicule fureur qui se moque des lois ; 6+6 a
Cent autres passions, des sages condamnées, 6+6 b
Ont pris comme à l'envi la fleur de mes années. 6+6 b
25 L'usage des vrais biens répareroit ces maux, 6+6 a
Je le sais, et je cours encore à des biens faux. 6+6 a
Je vois chacun me suivre : on se fait une idole 6+6 b
De trésors, ou de gloire, ou d'un plaisir frivole. 6+6 b
Tantales obstinés, nous ne portons les yeux 6+6 a
30 Que sur ce qui nous est interdit par les cieux. 6+6 a
Si faut-il qu'à la fin de tels pensers nous quittent : 6+6 b
Je ne vois plus d'instants qui ne m'en sollicitent. 6+6 b
Je recule, et peut-être attendrai-je trop tard : 6+6 a
Car, qui sait les moments prescrits à son départ ? 6+6 a
35 Quels qu'ils soient, ils sont courts ; à quoi les emploierai-je ? 6+6 b
Si j'étois sage, Iris (mais c'est un privilége 6+6 b
Que la nature accorde à bien peu d'entre nous), 6+6 a
Si j'avois un esprit aussi réglé que vous, 6+6 a
Je suivrois vos leçons, au moins en quelque chose : 6+6 b
40 Les suivre en tout, c'est trop ; il faut qu'on se propose 6+6 b
Un plan moins difficile à bien exécuter, 6+6 a
Un chemin dont sans crime on se puisse écarter. 6+6 a
Ne point errer est chose au-dessus de mes forces : 6+6 b
Mais aussi, de se prendre à toutes les amorces, 6+6 b
45 Pour tous les faux brillants courir et s'empresser, 6+6 a
J'entends que l'on me dit : Quand donc veux-tu cesser ? 6+6 a
Douze lustres et plus ont roulé sur ta vie : 6+6 b
De soixante soleils la course entresuivie 6+6 b
Ne t'a pas vu gter un moment de repos. 6+6 a
50 Quelque part que tu sois, on voit à tous propos 6+6 a
L'inconstance d'une âme en ses plaisirs légère, 6+6 b
Inquiète, et partout hôtesse passagère ; 6+6 b
Ta conduite et tes vers, chez toi tout s'en ressent : 6+6 a
On te veut là-dessus dire un mot en passant. 6+6 a
55 Tu changes tous les jours de manière et de style : 6+6 b
Tu cours en un moment de Térence à Virgile ; 6+6 b
Ainsi rien de parfait n'est sorti de tes mains. 6+6 a
Eh bien prends, si tu veux, encor d'autres chemins : 6+6 a
Invoque des neuf Sœurs la troupe tout entière ; 6+6 b
60 Tente tout, au hasard de gâter la matière : 6+6 b
On le souffre, excepté tes contes d'autrefois. 6+6 a
J'ai presque envie, Iris, de suivre cette voix ; 6+6 a
J'en trouve l'éloquence aussi sage que forte. 6+6 b
Vous ne parleriez pas ni mieux, ni d'autre sorte : 6+6 b
65 Seroit-ce point de vous qu'elle viendroit aussi ? 6+6 a
Je m'avoue, il est vrai, s'il faut parler ainsi, 6+6 a
Papillon du Parnasse, et semblable aux abeilles 6+6 b
À qui le bon Platon compare nos merveilles : 6+6 b
Je suis chose légère, et vole à tout sujet ; 6+6 a
70 Je vais de fleur en fleur, et d'objet en objet ; 6+6 a
À beaucoup de plaisirs je mêle un peu de gloire. 6+6 b
J'irois plus haut peut-être au temple de Mémoire, 6+6 b
Si dans un genre seul j'avois usé mes jours ; 6+6 a
Mais, quoi ! je suis volage en vers comme en amours. 6+6 a
75 En faisant mon portrait, moi-même je m'accuse, 6+6 b
Et ne veux point donner mes défauts pour excuse ; 6+6 b
Je ne prétends ici que dire ingénument 6+6 a
L'effet bon ou mauvais de mon tempérament. 6+6 a
À peine la raison vint éclairer mon âme, 6+6 b
80 Que je sentis l'ardeur de ma première flamme. 6+6 b
Plus d'une passion a depuis dans mon cœur 6+6 a
Exercé tous les droits d'un superbe vainqueur : 6+6 a
Tel que fut mon printemps, je crains que l'on ne voie 6+6 b
Les plus chers de mes jours aux vains désirs en proie. 6+6 b
85 Que me servent ces vers avec soin composés ? 6+6 a
N'en attends-je autre fruit que de les voir prisés ? 6+6 a
C'est peu que leurs conseils, si je ne sais les suivre, 6+6 b
Et qu'au moins vers ma fin je ne commence à vivre ; 6+6 b
Car je n'ai pas vécu : j'ai servi deux tyrans : 6+6 a
90 Un vain bruit et l'amour ont partagé mes ans. 6+6 a
Qu'est-ce que vivre, Iris ? vous pouvez nous l'apprendre. 6+6 b
Votre réponse est prête ; il me semble l'entendre : 6+6 b
C'est jouir des vrais biens avec tranquillité ; 6+6 a
Faire usage du temps et de l'oisiveté ; 6+6 a
95 S'acquitter des honneurs dus à l'Être suprême ; 6+6 b
Renoncer aux Phyllis en faveur de soi-même ; 6+6 b
Bannir le fol amour et les vœux impuissants, 6+6 a
Comme hydres dans nos cœurs sans cesse renaissants. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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