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LFT_4/LFT446
Jean de LA FONTAINE
ŒUVRES DIVERSES II
1656-1696
ÉPITRES
XII
SUR L'OPÉRA
À M. DE NIERT
Niert, qui, pour charmer le plus juste des rois, 6+6 a
Inventas le bel art de conduire la voix, 6+6 a
Et dont le goût sublime à la grande justesse 6+6 b
Ajouta l'agrément et la délicatesse ; 6+6 b
5 Toi qui sais mieux qu'aucun le succès que jadis 6+6 a
Les pièces de musique eurent dedans Paris, 6+6 a
Que dis-tu de l'ardeur dont la cour échauffée 6+6 b
Frondoit en ce temps-là les grands concerts d'Orphée, 6+6 b
Les longs passages d'Atto et de Léonora, 6+6 a
10 Et ce déchnement qu'on a pour l'opéra ? 6+6 a
De machines d'abord le surprenant spectacle 6+6 b
Éblouit, le bourgeois, et fit crier miracle ; 6+6 b
Mais la seconde fois il ne s'y pressa plus ; 6+6 a
Il aima mieux le Cid, Horace, Héraclius. 6+6 a
15 Aussi de ces objets l'âme n'est point émue, 6+6 b
Et même rarement ils contentent la vue. 6+6 b
Quand j'entends le sifflet, je ne trouve jamais 6+6 a
Le changement si prompt que je me le promets. 6+6 a
Souvent au plus beau char le contre-poids résiste ; 6+6 b
20 Un dieu pend à la corde, et crie au machiniste ; 6+6 b
Un reste de forêt demeure clans la mer, 6+6 a
Ou la moitié du ciel au milieu de l'enfer. 6+6 a
Quand le théâtre seul ne réussirait guère, 6+6 b
La comédie au moins, me diras-tu, doit plaire. 6+6 b
25 Les ballets, les concerts, se peut-il rien de mieux 6+6 a
Pour contenter l'esprit et réveiller les yeux ? 6+6 a
Ces beautés, néanmoins, toutes trois sépaes, 6+6 b
Si tu veux l'avouer, seraient mieux savoues. 6+6 b
De genres si divers le magnifique appas 6+6 a
30 Aux règles de chaque art ne s'accommode pas. 6+6 a
Il ne faut point, suivant les préceptes d'Horace, 6+6 b
Qu'un grand nombre d'acteurs le théâtre embarrasse ; 6+6 b
Qu'en sa machine un dieu vienne tout ajuster. 6+6 a
Le bon comédien ne doit jamais chanter. 6+6 a
35 Le ballet fut toujours une action muette. 6+6 b
La voix veut le téorbe, et non pas la trompette ; 6+6 b
Et la viole, propre aux plus tendres amours, 6+6 a
N'a jamais jusqu'ici pu se joindre aux tambours. 6+6 a
Mais en cas de vertus, Louis, qui, par pratique, 6+6 b
40 Sait que, pour en avoir une seule héroïque, 6+6 b
Il faut en avoir mille, et toutes à la fois, 6+6 a
Veut voir si, comme il est le plus puissant des rois, 6+6 a
En joignant, comme il fait, mille plaisirs de même, 6+6 b
Il en peut avoir un dans le degré suprême. 6+6 b
45 Comme il porte au dehors la terreur et l'amour, 6+6 a
Humain dans son armée autant que dans sa cour, 6+6 a
Il veut, sur le théâtre ainsi qu'à la campagne, 6+6 b
La foule qui le suit, l'éclat qui l'accompagne 6+6 b
Grand en tout, il veut mettre en tout de la grandeur 6+6 a
50 La guerre fait sa joie et sa plus forte ardeur ; 6+6 a
Ses divertissements ressentent tous la guerre : 6+6 b
Ses concerts d'instruments ont le bruit du tonnerre, 6+6 b
Et ses concerts de voix ressemblent aux éclats 6+6 a
Qu'en un jour de combat font les cris des soldats. 6+6 a
55 Les danseurs, par leur nombre, éblouissent la vue, 6+6 b
Et le ballet, paraît exercice, revue, 6+6 b
Jeu de gladiateurs, et tel qu'au champ de Mars 6+6 a
En leurs jours de triomphe en donnoient les Césars. 6+6 a
Glorieux, tous les ans, de nouvelles conquêtes, 6+6 b
60 À son peuple il fait part de ses nouvelles fêtes ; 6+6 b
Et son peuple, qui l'aime et suit tous ses désirs, 6+6 a
Se conforme à son goût, ne veut que ses plaisirs. 6+6 a
Ce n'est plus la saison de Raymon ni d'Hilaire ; 6+6 b
Il faut vingt clavecins, cent violons, pour plaire, 6+6 b
65 On ne va plus chercher au fond de quelques bois 6+6 a
Des amoureux bergers la flûte et le hautbois. 6+6 a
Le téorbe charmant, qu'on ne vouloit entendre 6+6 b
Que dans une ruelle avec une voix tendre, 6+6 b
Pour suivre et soutenir par des accords touchants 6+6 a
70 De quelques airs choisis les mélodieux chants, 6+6 a
Bsset, Gaultier, Hémon, Chambonnière, La Rarre. 6+6 b
Tout cela seul déplaît, et n'a plus rien de rare. 6+6 b
On laisse là Du Rut, et Lambert, et Camus ; 6+6 a
On ne veut plus qu'Alceste, ou Thésée, ou Cadmus. 6+6 a
75 Que l'on n'y trouve point de machines nouvelles, 6+6 b
Que les vers soient mauvais, que les voix soient cruelles ; 6+6 b
De Baptiste épui les compositions 6+6 a
Ne sont, si vous voulez, que répétitions ; 6+6 a
Le François, pour lui seul contraignant sa nature, 6+6 b
80 N'a que pour l'opéra de passion qui dure. 6+6 b
Les jours de l'opéra, de l'un à l'autre bout, 6+6 a
Saint-Honoré, rempli de carrosses partout, 6+6 a
Voit, malgré la misère à tous états commune, 6+6 b
Que l'opéra tout seul fait leur bonne fortune. 6+6 b
85 Il a l'or de l'abbé, du brave, du commis ; 6+6 a
La coquette s'y fait mener par ses amis ; 6+6 a
L'officier, le marchand, tout son rôti retranche, 6+6 b
Pour y pouvoir porter tout son gain le dimanche ; 6+6 b
On ne va plus au bal, on ne va plus au Cours : 6+6 a
90 Hiver, été, printemps, bref, opéra toujours ; 6+6 a
Et quiconque n'en chante, ou bien plutôt n'en gronde 6+6 b
Quelque récitatif, n'a pas l'air du beau monde. 6+6 b
Mais que l'heureux Lully ne s'imagine pas 6+6 a
Que son mérite seul fasse tout ce fracas ; 6+6 a
95 Si Louis l'abandonne à ce rare mérite, 6+6 b
Il verra si la ville, et la cour, ne le quitte. 6+6 b
Ce grand prince a voulu tout écouter, tout voir ; 6+6 a
Mais il sait de nos sens jusqu'où va le pouvoir, 6+6 a
Et que, si notre esprit a trop peu de portée, 6+6 b
100 Leur puissance est encor beaucoup plus limie ; 6+6 b
Que lorsqu'à quelque objet l'un d'eux est attaché, 6+6 a
Aucun autre de rien ne peut être touché. 6+6 a
Si les yeux sont charmés, l'oreille n'entend guères ; 6+6 b
Et tel, quoiqu'en effet il ouvre les paupières, 6+6 b
105 Suit attentivement un discours sérieux, 6+6 a
Qui ne discerne pas ce qui frappe ses yeux. 6+6 a
Car ne vaut-il pas mieux, dis-moi ce qu'il t'en semble, 6+6 b
Qu'on ne puisse saisir tous les plaisirs ensemble, 6+6 b
Et que, pour en gter les douceurs purement, 6+6 a
110 Il faille les avoir chacun séparément ? 6+6 a
La musique en sera d'autant mieux concertée ; 6+6 b
La grave tragédie, à son point remone, 6+6 b
Aura les beaux sujets, les nobles sentiments, 6+6 a
Les vers majestueux, les heureux dénouements ; 6+6 a
115 Les ballets reprendront leurs pas, et leurs machines, 6+6 b
Et le bal éclatant de cent nymphes divines, 6+6 b
Qui de tout temps des cours a fait la majesté, 6+6 a
Reprendra de nos jours sa première beauté. 6+6 a
Ne crois donc pas que j'aie une douleur extrême 6+6 b
120 De ne pas voir Isis pendant tout ce carême. 6+6 b
Si nous ne pouvons pas de l'auguste Louis 6+6 a
Savoir encor sitôt les projets inouïs, 6+6 a
Le jour de son départ, sa marche, et quelles places 6+6 b
Foudroyent ses canons, embrasent ses carcasses, 6+6 b
125 Avec mille autres biens le jubilé fera 6+6 a
Que nous serons un temps sans parler d'opéra, 6+6 a
Mais aussi, de retour de mainte et mainte église, 6+6 b
Nous irons, pour causer de tout avec franchise, 6+6 b
Et donner du relâche à la dévotion, 6+6 a
130 Chez l'illustre Certain faire une station : 6+6 a
Certain, par mille endroits également charmante, 6+6 b
Et dans mille beaux arts également savante, 6+6 b
Dont le rare génie et les brillantes mains 6+6 a
Surpassent Chambonnière, Hardel, les Couperains. 6+6 a
135 De cette aimable enfant le clavecin unique 6+6 b
Me touche plus qu'Isis et toute sa musique. 6+6 b
Je ne veux rien de plus, je ne veux rien de mieux 6+6 a
Pour contenter l'esprit, et l'oreille, et les yeux ; 6+6 a
Et si je puis la voir une fois la semaine, 6+6 b
140 À voir jamais Isis je renonce sans peine. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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