|
J'avois cru jusqu'ici bien connoître l'amour. |
12 |
|
Je me trompois, Clymène ; et ce n'est que d'un jour |
12 |
|
Que je sais à quel point peuvent monter ses peines. |
12 |
|
Non pas qu'ayant brûlé pour beaucoup d'inhumaines, |
12 |
5 |
Un esclavage dur ne m'ait assujetti ; |
12 |
|
Mais je compte pour rien tout ce que j'ai senti. |
12 |
|
Des douleurs qu'on endure en servant une belle |
12 |
|
Je n'avois pas encor souffert la plus cruelle. |
12 |
|
La jalousie aux yeux incessamment ouverts, |
12 |
10 |
Monstre toujours fécond en fantômes divers, |
12 |
|
Jusque-là, grâce aux dieux, n'en avoit pu produire |
12 |
|
Que mon cœur eût trouvés capables de lui nuire. |
12 |
|
Pour les autres tourments, ils m'étoient fort communs : |
12 |
|
Je nourrissois chez moi les soucis importuns, |
12 |
15 |
La folle inquiétude en ses plaisirs légère, |
12 |
|
Des lieux où l'on la porte hôtesse passagère ; |
12 |
|
J'y nourrissois encor les désirs sans espoir, |
12 |
|
Les soins toujours veillants, le chagrin toujours noir, |
12 |
|
Les peines que nous cause une éternelle absence. |
12 |
20 |
Tous ces poisons mêlés composoient ma souffrance ; |
12 |
|
La jalousie y joint à présent son ennui. |
12 |
|
Hélas ! je ne connois l'amour que d'aujourd'hui. |
12 |
|
Un mal qui m'est nouveau s'est glissé dans mon âme ; |
12 |
|
Je meurs. Ah ! si c'étoit seulement de ma flamme ! |
12 |
25 |
Si je ne périssois que par mon seul tourment ! |
12 |
|
Mais le vôtre me perd : Clymène, un autre amant, |
12 |
|
Même après son trépas, vit dans votre mémoire. |
12 |
|
Il y vivra longtemps ; vos pleurs me le font croire. |
12 |
|
Un mort a dans la tombe emporté votre foi ! |
12 |
30 |
Peut-être que ce mort sut mieux aimer que moi. |
12 |
|
Certes ! il en donna des marques bien certaines, |
12 |
|
Quand pour le soulager de l'excès de ses peines, |
12 |
|
Vous lui voulûtes bien conseiller, par pitié, |
12 |
|
De réduire l'amour aux termes d'amitié. |
12 |
35 |
Il vous crut ; et pour moi, je n'ai d'obéissance |
12 |
|
Que quand on veut que j'aime avecque violence. |
12 |
|
Tant d'ardeur semblera condamnable à vos yeux ; |
12 |
|
Mais n'aimez plus ce mort, et vous jugerez mieux. |
12 |
|
Comment ne l'aimer plus ? on y songe à toute heure, |
12 |
40 |
On en parle sans cesse, on le plaint, on le pleure ; |
12 |
|
Son bonheur avec lui ne saurait plus vieillir : |
12 |
|
Je puis vous offenser ; il ne peut plus faillir. |
12 |
|
O trop heureux amant ! ton sort me fait envie. |
12 |
|
Vous l'appelez ami : je crois qu'en votre vie |
12 |
45 |
Vous n'en fîtes un seul qui le fût à ce point. |
12 |
|
J'en sais qui vous sont chers, vous ne m'en parlez point : |
12 |
|
Pour celui-ci, sans cesse il est dans votre bouche. |
12 |
|
Clymène, je veux bien que sa perte vous touche ; |
12 |
|
Pleurez-la, j'y consens : ce regret est permis ; |
12 |
50 |
Mais ne confondez point l'amant et les amis. |
12 |
|
Votre cœur juge mal du motif de sa peine ; |
12 |
|
Ces pleurs sont pleurs d'amour : je m'y connois, Clymène. |
12 |
|
Des amis si bien faits méritent, entre nous, |
12 |
|
Que sous le nom d'amants ils soient pleures par vous. |
12 |
55 |
Ne déguisez donc plus la cause de vos larmes ; |
12 |
|
Avouez que ce mort eut pour vous quelques charmes. |
12 |
|
Il joignoit les beautés de l'esprit et du corps : |
12 |
|
Ce n'étoient cependant que ses moindres trésors ; |
12 |
|
Son âme l'emportoit. Quoiqu'on prise la mienne, |
12 |
60 |
Je la réformerais de bon cœur sur la sienne. |
12 |
|
Exceptez-en un point qui fait seul tous mes biens : |
12 |
|
Je ne changerois pas mes feux contre les siens. |
12 |
|
Puisqu'il n'étoit qu'ami, je le surpasse en zèle ; |
12 |
|
Et mon amour vaut bien l'amitié la plus belle. |
12 |
65 |
Je n'en puis relâcher. N'engagez point mon cœur |
12 |
|
A tenter les moyens d'en être le vainqueur : |
12 |
|
Je me l'arracherais ; et vous en seriez cause. |
12 |
|
Moi cesser d'être amant ! et puis-je être autre chose ? |
12 |
|
Puis-je trouver en vous ce que j'ai tant loué. |
12 |
70 |
Et vouloir pour ami sans plus être avoué ? |
12 |
|
Non, Clymène, ce bien, encor qu'inestimable, |
12 |
|
N'a rien de votre part qui me soit agréable : |
12 |
|
D'une autre que de vous je pourrais l'accepter ; |
12 |
|
Mais quand vous me l'offrez, je dois le rejeter. |
12 |
75 |
Il ne m'importe pas que d'autres en jouissent ; |
12 |
|
Gardez votre présent à ceux qui me haïssent : |
12 |
|
Aussi bien ne m'est-il réservé qu'à demi. |
12 |
|
Dites, me traitez-vous encor comme un ami ? |
12 |
|
Tâchez-vous de guérir mon cœur de sa blessure ? |
12 |
80 |
On dirait que ma mort vous semble trop peu sûre. |
12 |
|
Depuis que je vous vois, vous m'offrez tous les jours |
12 |
|
Quelque nouveau poison forgé par les Amours. |
12 |
|
C'est tantôt un clin d'œil, un mot, un vain sourire, |
12 |
|
Un rien ; et pour ce rien nuit et jour je soupire ! |
12 |
85 |
L'ai-je à peine obtenu, vous y joignez un mal |
12 |
|
Qu'après moi l'on peut dire à tous amants fatal. |
12 |
|
Vous me rendez jaloux ; et de qui ? Quand j'y songe, |
12 |
|
Il n'est excès d'ennuis où mon cœur ne se plonge. |
12 |
|
J'envie un rival mort ! M'ajoutera-t-on foi, |
12 |
90 |
Quand je dirai qu'un mort est plus heureux que moi ? |
12 |
|
Cependant il est vrai. Si mes tristes pensées |
12 |
|
Vous sont avec quelque art sur le papier tracées, |
12 |
|
Cléandre, dites-vous, avoit cet art aussi. |
12 |
|
Si par de petits soins j'exprime mon souci, |
12 |
95 |
Il en faisoit autant, mais avec plus de. grace. |
12 |
|
Enfin, si l'on vous croit, en rien je ne le passe. |
12 |
|
Vous vous représentez tout ce qui vient de lui, |
12 |
|
Tandis que dans mes yeux vous lisez mon ennui. |
12 |
|
Ce n'est pas tout encor ; vous voulez que je voie |
12 |
100 |
Son portrait, où votre âme a renfermé sa joie. |
12 |
|
Remarquez, me dit-on, cet air rempli d'attraits : |
12 |
|
J'en remarque après vous jusques aux moindres traits. |
12 |
|
Je fais plus : je les loue, et souffre que vos larmes |
12 |
|
Arrosent à mes yeux ce portrait plein de charmes. |
12 |
105 |
Quelquefois je vous dis : C'est trop parler d'un mort. |
12 |
|
A peine on s'en est tu, qu'on en reparle encor. |
12 |
|
Je porte, dites-vous, malheur à ceux que j'aime : |
12 |
|
Le ciel, dont la rigueur me fut toujours extrême, |
12 |
|
Leur fait, à tous la guerre, et sa haine pour moi |
12 |
110 |
S'étendra sur quiconque engagera ma foi. |
12 |
|
Mon amitié n'est pas un sort cligne d'envie : |
12 |
|
Cléandre, tu le sais, il t'en coûte la vie. |
12 |
|
Hélas ! il m'a long-temps aimée éperdument : |
12 |
|
En présence des dieux il en faisoit serment. |
12 |
115 |
Je n'ai réduit son feu qu'avec beaucoup de peine. |
12 |
|
Si vous l'avez réduit, avouez-moi, Clymène, |
12 |
|
Que le mien, dont l'ardeur augmente tous les jours, |
12 |
|
Mieux que celui d'un mort mérite vos amours. |
12 |