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LFT_2/LFT336
Jean de LA FONTAINE
CONTES ET NOUVELLES
1668-1694
CONTES ET NOUVELLES ATTRIBUÉS A LA FONTAINE
XVI
LE COUP DE CORNE
Il n’est cabane ni palais, 8 a
Où l’Amour ne lance ses traits ; 8 a
Il n’est fort, ni château, ni maison bien cloîtrée, 6+6 a
Où l’Amour n’ait entrée. 6 a
5 Parcourez l’univers de l’un à l’autre bout, 6+6 a
L’Amour est bienvenu partout. 8 a
Belles, à qui ce dieu, peut-être, ne peut plaire 6+6 a
Qu’enveloppé d’un voile épais, 8 b
Je ne puis aujourd’hui l’offrir avec ces traits, 6+6 b
10 Que sous une gaze très-claire : 8 a
S’il m’eût fallu représenter l’Amour 4+6 a
Tel qu’on le voit à la ville, à la cour, 4+6 a
Je n’aurois pu vous le faire paraître 4+6 a
Sans un peu de déguisement ; 8 b
15 Mais il est ici sous un hêtre : 8 a
Vous l’allez voir tout naturellement. 4+6 b
Lucas, avec gentille et tendre ménagère, 6+6 a
Vivoit content dans sa chaumière. 8 a
Ils avoient une vache : elle donnoit du lait, 6+6 a
20 Et sur le produit du laitage, 8 b
Ainsi que celui du vêlage, 8 b
Les bonnes gens, aidés d’un seul valet, 4+6 a
Trouvaient assez de quoi faire aller le ménage ; 6+6 b
Bien entendu, que Nature parfois 4+6 a
25 Les secourait encor de raisins et de noix. 6+6 a
Il faut savoir qu’en cet endroit champêtre 4+6 a
Nul n’habitoit séparément : 8 b
La vache, le valet, la maîtresse, le maître, 6+6 a
Tous avoient même logement. 8 b
30 « O gens de cour, dont la fortune est belle, 4+6 a
S’écrioit quelquefois Lucas, 8 b
Vous croyez posséder tous les biens d’ici-bas ; 6+6 b
Erreur ! J’ai plus que vous, dessus mon escabelle, 6+6 a
Car j’ai femme fidèle, 6 a
35 Et vous ne l’avez pas. » 6 b
Sur ces réflexions, notre époux, d’ordinaire, 6+6 a
Se couchoit et ronfloit auprès de sa moitié. 6+6 b
Blaise, leur bon valet, gaillard, vigoureux frère, 6+6 a
Du conjugal lien n’ayant nulle pitié, 6+6 b
40 Au premier ronflement, enfiloit la ruelle, 6+6 a
Et, de concert, venoit jouir de Péronnelle, 6+6 a
Sans parler : un seul mot eût troublé leurs plaisirs. 6+6 a
Que le sexe est prudent au fort de ses désirs ! 6+6 a
Il a raison ; dans l’amoureux mystère, 4+6 a
45 Tout gît en ces deux points : se prêter et se taire. 6+6 a
Mais, comme de tels passe-temps 8 a
Ne règnent pas toujours sans quelques accidents, 6+6 a
Et que l’amour, d’une ardeur indiscrète, 4+6 a
S’exprime quelquefois trop haut, 8 b
50 Lucas, au bruit de la couchette, 8 a
Une nuit, s’éveille en sursaut : 8 b
« Que, diable ! faites-vous ? dit-il à Péronnelle ; 6+6 a
Vous remuez sans cesse, et depuis quelque temps 6+6 b
J’entends toujours pareils trémoussements. 4+6 b
55 — C’est la vache, répondit-elle, 8 a
Qui, chaque nuit, se plaît à me lécher le eu : 6+6 a
Toutes les fois que sa langue elle passe, 4+6 b
C’est un chatouillement qui rend mon cœur ému. 6+6 a
— Parbieu ! de ce plaisir je serai convaincu ! 6+6 a
60 Dit aussitôt Lucas ; mettez-vous à ma place ? » 6+6 b
Péronnelle obéit ; mais, hélas ! en tremblant. 6+6 a
Elle ne put du cas avertir son amant, 6+6 a
Qui, dès qu’il eut ouï son maître, 8 b
Adroitement avoit su disparaître ; 4+6 b
65 Mais il revint au bruit du ronflement 4+6 a
(Car c’étoit le signal du serviteur fidèle). 6+6 a
Il s’approche du lit, sent une croupe à l’air, 6+6 b
La croit à Péronnelle, 6 a
Et plus prompt qu’un éclair, 6 b
70 L’attaque de plus belle. 6 a
« Ah ! s’écria Lucas, au diable l’animal ! 6+6 a
— Eh ! qu’as-tu donc ? lui répondit sa femme, 4+6 b
Qui de frayeur trembloit dans l’âme ; 8 b
C’est de sa langue un coup… Est-ce qu’il t’a fait mal ? 6+6 a
75 — Oh ! de pardieu ! dit-il, ce coup est trop brutal : 6+6 a
C’est bien un coup de corne, et non un coup de langue. 6+6 a
Mais, continua-t-il, finissons la harangue ; 6+6 a
Reprends la place auprès de l’animal velu : 6+6 a
Je ne prétends jouter avec de telle espèce ; 6+6 b
80 Souffre, si tu le peux, la corne entre tes fesses, 6+6 b
Je ne veux plus l’avoir au cu. » 8 a
Péronnelle reprit sa place en diligence ; 6+6 a
Sans demander pourquoi, ni sans mordre ses doigts ; 6+6 b
Car, pour se faire dire une chose deux fois, 6+6 b
85 Elle avoit trop dé complaisance. 8 a
Blaise, au cri de Lucas, connoissant son erreur, 6+6 a
Demeura dans un trouble extrême ; 8 b
Mais, jugeant bien que quelque stratagème 4+6 b
Avoit pu donner jour à ce coup de malheur, 6+6 a
90 Ainsi qu’au changement de place, 8 a
Il fut atteint d’une nouvelle audace, 4+6 a
Et voulant regagner ce qu’il avoit perdu, 6+6 a
Il s’achemine à la ruelle, 8 b
Et tâte et reconnoît sa chère Péronnelle, 6+6 b
95 Dont la moitié du corps au bord du lit tendu, 6+6 a
Et la chemise avec soin relevée, 4+6 c
Lui firent aisément voir, à son arrivée, 6+6 c
Qu’avec impatience il étoit attendu. 6+6 a
C’est alors que l’Amour, piquant à toute bride, 6+6 a
100 Des plaisirs égarés vient ramener le guide ; 6+6 a
Tout cède aux efforts de ce dieu : 8 a
Il tonne, il met en feu 6 a
La rustique ruelle : 6 a
Le lit semble fendre en éclats, 8 b
105 Et la tête dé Péronnelle 8 a
Donne dans le dos de Lucas. 8 b
Lui se réveillant, dit : « Parbieu ! j’en suis bien aise ! 6+6 a
Sur mon honneur ! la corne a fait jouer son jeu. 6+6 b
— Je n’en sens point de mal, reprit notre niaise. 6+6 a
110 — C’est jouer de bonheur, dit-il. Bonsoir, adieu ! » 6+6 b
C’est de cette façon que Blaise et Péronnelle 6+6 a
Prirent ensemble leurs ébats ; 8 b
Et lorsqu’au remûment se réveilloit Lucas : 6+6 b
« C’est la vache, lui disoit — elle. 8 a
115 — Prends bien garde à la corne ? — Oh ! je ne la crains pas. » 6+6 b
Lucas, vous pouvez bien, avec seigneurs et princes, 6+6 a
Vous mettre à présent de niveau, 8 b
À leur richesse près, témoin votre escabeau ; 6+6 b
Mais, sans tous leurs châteaux et toutes leurs provinces, 6+6 a
120 Je vous estime autant heureux : 8 a
Vous avez des cornes comme eux. 8 a
mètre profils métriques : 8, 6, 6+6, 4+6
forme globale type : suite de strophes
schéma : 15[aa] 6[abba] 6[abab] 2[abbab] 1[abbaab] 1[abaab] 1[aabba] 1[ababa] 1[abbaa] 1[abbacca]
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