Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LFT_2/LFT320
Jean de LA FONTAINE
CONTES ET NOUVELLES
1668-1694
LIVRE CINQUIÈME 1682 ‒ 1685
X
PHILÉMON ET BAUCIS
SUJET TIRE DES MÉTAMORPHOSES D’OVIDE
À M. LE DUC DE VENDOME
Ni l’or ni la grandeur ne nous rendent heureux. 6+6 a
Ces deux divinités n’accordent à nos vœux, 6+6 a
Que des biens peu certains, qu’un plaisir peu tranquille 6+6 b
Des soucis dévorants, c’est l’éternel asile ; 6+6 b
5 Véritables vautours, que le fils de Japet 6+6 a
Représente, ench sur son triste sommet. 6+6 a
L’humble toit est exempt d’un tribut si funeste. 6+6 b
Le sage y vit en paix, et méprise le reste : 6+6 b
Content de ses douceurs, errant parmi les bois, 6+6 a
10 Il regarde à ses pieds les favoris des rois ; 6+6 a
Il lit, au front de ceux qu’un vain luxe environne, 6+6 b
Que la Fortune vend ce qu’on croit qu’elle donne. 6+6 b
Approche-t-il du but, quitte-t-il ce séjour, 6+6 a
Rien ne trouble sa fin : c’est lé soir d’un beau jour. 6+6 a
15 Philémon et Baucis nous en offrent l’exemple : 6+6 b
Tous deux virent changer leur cabane en un temple. 6+6 b
Hyménée et l’Amour, par des désirs, constants, 6+6 a
Avoient uni leurs cœurss, dès leur plus doux printemps 6+6 a
Ni le temps ni l’hymen n’éteignirent leur flamme ; 6+6 b
20 Clothon prenoit plaisir à filer cette trame. 6+6 b
Ils surent cultiver, sans se’voir assistés, 6+6 a
Leur enclos et leur champ, par deux fois vingt étés. 6+6 a
Eux seuls ils composoient toute leur république : 6+6 b
Heureux de ne devoir à pas un domestique 6+6 b
25 Le plaisir ou le gré des soins qu’ils se rendoient ! 6+6 a
Tout vieillit : sur leur front les rides s’étendoient ; 6+6 a
L’amitié modéra leurs feux, sans les détruire, 6+6 b
Et par des traits d’amour sut encor se produire. 6+6 b
Ils’habitaient un bourg, plein de gens, dont le cœurs 6+6 a
30 Joignoit aux duretés un sentiment moqueur. 6+6 a
Jupiter résolut d’abolir cette engeance. 6+6 b
Il part avec son fils, le dieu de l’éloquence ; 6+6 b
Tous deux, en pèlerins, vont visiter ces lieux. 6+6 a
Mille logis y sont : un seul ne s’ouvre aux dieux. 6+6 a
35 Prêts enfin de quitter un séjour si profane, 6+6 b
Ils virent à l’écart une étroite cabane, 6+6 b
Demeure hospitalière, humble et chaste maison. 6+6 a
Mercure frappe ; on ouvre. Aussitôt Philémon 6+6 a
Vient au-devant des dieux, et leur tient ce langage ; 6+6 b
40 Vous me semblez tous deux fatigués du voyage ? 6+6 b
Reposez-vous. Usez du peu que nous avons ; 6+6 a
L’aide des dieux a fait que nous le conservons ; 6+6 a
Usez-en ! Saluez ces pénates d’argile : 6+6 b
Jamais le ciel ne fut aux humains si facile, 6+6 b
45 Que quand Jupiter même étoit de simple bois ; 6+6 a
Depuis qu’on l’a fait d’or, il est sourd à nos voix. 6+6 a
Baucis, ne tardez point, faites tiédir cette onde ? 6+6 b
Encor que le pouvoir au désir ne réponde, 6+6 b
Nos hôtes agréeront les soins qui leur sont dus. » 6+6 a
50 Quelques restes de feu, sous la cendre épandus, 6+6 a
D’un souffle haletant par Baucis s’allumèrent ; 6+6 b
Des branches de bois sec aussitôt s’enflammèrent. 6+6 b
L’onde tiède, on lava les pieds des voyageurs. 6+6 a
Philémon les pria d’excuser ces longueurs : 6+6 a
55 Et, pour tromper l’ennui d’une attente importune, 6+6 b
Il entretint les dieux, non pas sur la Fortune, 6+6 b
Sur ses jeux, sur la pompe et la grandeur des rois, 6+6 a
Mais sur ce que les champs, les vergers et les bois 6+6 a
Ont de plus innocent, de plus doux, de plus rare. 6+6 b
60 Cependant, par Baucis, le festin se prépare. 6+6 b
La table, où l’on servit le champêtre repas, 6+6 a
Fut d’ais non façonnés à l’aide du compas : 6+6 a
Encore assure-t-on, si l’histoire eu est crue, 6+6 b
Qu’en un de ses supports le temps l’avoit rompue. 6+6 b
65 Baucis en égala les appuis chancelants 6+6 a
Du débris d’un vieux vase, autre injure des ans. 6+6 a
Un tapis tout u couvrit deux escabelles : 6+6 b
Il ne servoit pourtant qu’aux fêtes solennelles. 6+6 b
Le linge orné de fleurs fut couvert, pour tous mets, 6+6 a
70 D’un peu de lait, de fruits et des dons de Cérès. 6+6 a
Les divins voyageurs, altérés de leur course, 6+6 b
Mêloient au vin grossier le cristal d’une source. 6+6 b
Plus le vase versoit, moins il s’alloit vidant. 6+6 a
Philémon reconnut ce miracle évident ; 6+6 a
75 Baucis n’en fit pas moins : tous deux s’agenouillèrent ; 6+6 b
À ce signe d’abord leurs yeux se dessillèrent. 6+6 b
Jupiter leur parut avec ces noirs sourcils, 6+6 a
Qui font trembler les cieux sur leurs pôles assis. 6+6 a
« Grand Dieu, dit Philémon, excusez notre faute : 6+6 b
80 Quels humains auroient cru recevoir un tel hôte ? 6+6 b
Ces mets, nous l’avouons, sont peu délicieux : 6+6 a
Mais, quand nous serions rois, que donner à des dieux ? 6+6 a
C’est le cœur qui fait tout ! Que la terre et que l’onde 6+6 b
Apprêtent un repas pour les maîtres du monde : 6+6 b
85 Ils lui préféreront les seuls présents du cœur. » 6+6 a
Baucis sort, à ces mots, pour réparer.l’erreur. 6+6 a
Dans le verger couroit une perdrix privée, 6+6 b
Et par de tendres soins dès l’enfance élevée ; 6+6 b
Elle en veut faire un mets, et la poursuit en vain : 6+6 a
90 La volatile échappe à sa tremblante main ; 6+6 a
Entre les pieds des dieux elle cherche un asile. 6+6 b
Ce recours, à l’oiseau, ne fut pas inutile : 6+6 b
Jupiter intercède. El déjà les vallons 6+6 a
Voyoient l’ombre en croissant tomber du haut des monts. 6+6 a
95 Les dieux sortent enfin, et font sortir leurs hôtes. 6+6 b
« De ce bourg, dit Jupin, je veux punir les fautes : 6+6 b
Suivez-nous ! Toi, Mercure, appelle les vapeurs ? 6+6 a
O gens durs ! vous n’ouvrez vos logis ni vos cœurss ! 6+6 a
Il dit : et les autans troublent déjà la plaine. 6+6 b
100 Nos deux époux suivoient, ne marchant qu’avec peine ; 6+6 b
Un appui de roseau soulageoit leurs vieux ans : 6+6 a
Moitié secours des dieux, moitié peur, se hâtants, 6+6 a
Sur un mont assez proche enfin ils arrivèrent. 6+6 b
À leurs pieds aussitôt cent nuages crevèrent. 6+6 b
105 Dos ministres du dieu les escadrons flottants 6+6 a
Entrnèrent sans choix animaux, habitants, 6+6 a
Arbres, maisons, vergers, toute celte demeure ; 6+6 b
Sans vestiges du bourg, tout disparut sur l’heure, 6+6 b
Les vieillards déploroient ces sévères destins. 6+6 a
110 Les animaux périr ! car encor les humains, 6+6 a
Tous avoient dû tomber sous les célestes armes : 6+6 b
Baucis en répandit en secret quelques larmes. 6+6 b
Cependant l’humble toit devient temple, et ses murs 6+6 a
Changent leur frêle enduit aux marbres les plus durs ; 6+6 a
115 De pilastres massifs les cloisons revêtues, 6+6 b
En moins de deux instants, s’élèvent jusqu’aux nues ; 6+6 b
Le chaume devient or, tout brille en ce pourpris. 6+6 a
Tous ces événements sont peints sur le lambris. 6+6 a
Loin, bien loin les tableaux de Zeuxis et d’Apelle ! 6+6 b
120 Ceux-ci furent tracés d’une main immortelle. 6+6 b
Nos deux époux, surpris, étonnés, confondus, 6+6 a
Se crurent, par miracle, en l’Olympe rendus. 6+6 a
« Vous comblez, dirent-ils, vos moindres créatures ! 6+6 b
Aurions-nous bien le cœur et les mains assez pures 6+6 b
125 Pour présider ici sur les honneurs divins, 6+6 a
Et, prêtres, vous offrir les vœux des pèlerins ? » 6+6 a
Jupiter exauça leur prière innocente. 6+6 b
Hélas ! dit Philémon, si votre main puissante 6+6 b
Vouloit favoriser, jusqu’au bout, deux mortels, 6+6 a
130 Ensemble nous mourrions, en servant vos autels ; 6+6 a
Clothon feroit d’un coup ce double sacrifice ; 6+6 b
D’autres mains nous rendraient un vain et triste office : 6+6 b
Je ne pleurerais point celle-ci, ni ses yeux 6+6 a
Ne troubleraient non plus de leurs larmes ces lieux. » 6+6 a
135 Jupiter, à ce voeu, fut encor favorable. 6+6 b
Mais oserai-je dire un fait presque incroyable ? 6+6 b
Un jour qu’assis tous deux dans le sacré parvis, 6+6 a
Ils contoient cette histoire aux pèlerins ravis, 6+6 a
La troupe, à l’entour d’eux, debout, prêtait l’oreille ; 6+6 b
140 Philémon leur disoit : « Ce lieu plein de merveille 6+6 b
N’a pas toujours servi de temple aux immortels ; 6+6 a
Un bourg étoit autour, ennemi des autels : 6+6 a
Gens barbares, gens durs, habitacle d’impies, 6+6 b
Du céleste courroux tous furent les hosties. 6+6 b
145 Il ne resta que nous d’un si triste débris ; 6+6 a
Vous en verrez tantôt la suite en nos lambris : 6+6 a
Jupiter l’y peignit. » En contant ces annales, 6+6 b
Philémon regardoit Baucis par intervalles ; 6+6 b
Elle devenoit arbre, et lui tendoit les bras : 6+6 a
150 Il veut lui tendre aussi les siens, et ne peut pas. 6+6 a
Il veut parler : l’écorce a sa langue pressée. 6+6 b
L’un et l’autre se dit adieu de la pensée, 6+6 b
Le corps n’est tantôt plus que feuillage et que bois. 6+6 a
D’étonnement, la troupe, ainsi qu’eux, perd la voix. 6+6 a
155 Même instant, même sort, à leur fin les entraîne : 6+6 b
Baucis devient tilleul, Philémon devient chêne. 6+6 b
On les va voir encore, afin de mériter 6+6 a
Les douceurs qu’en hymen Amour leur fit gter. 6+6 a
Ils courbent sous le poids des offrandes sans nombre. 6+6 b
160 Pour peu que des époux séjournent sous leur ombre, 6+6 b
Ils s’aiment jusqu’au bout, malgré l’effort des ans. 6+6 a
Ah ! si…. Mais, autre part, j’ai porté mes présents. 6+6 a
Célébrons seulement cette métamorphose. 6+6 b
De fidèles témoins m’ayant conté la chose, 6+6 b
165 Clio me conseilla de l’étendre en ces vers, 6+6 a
Qui pourront quelque jour l’apprendre à l’univers. 6+6 a
Quelque jour on verra chez les races futures, 6+6 b
Sous l’appui d’un grand nom, passer ces aventures. 6+6 b
Vendôme, consentez au los que j’en attends ; 6+6 a
170 Faites-moi triompher de l’Envie et du Temps ; 6+6 a
Enchnez ces démons : que sur nous ils n’attentent, 6+6 b
Ennemis des héros et de ceux qui les chantent ! 6+6 b
Je voudrois pouvoir dire, en un style.assez haut, 6+6 a
Qu’ayant mille vertus, vous n’avez nul défaut. 6+6 a
175 Toutes les célébrer, seroit oeuvre infinie ; 6+6 b
L’entreprise demande un plus vaste génie : 6+6 b
Car quel mérite enfin ne vous fait estimer ? 6+6 a
Sans parler de celui qui force à vous aimer, 6+6 a
Vous joignez à ces dons l’amour des beaux ouvrages ; 6+6 b
180 Vous y joignez un goût plus sûr que nos suffrages ; 6+6 b
Don du ciel, qui peut seul tenir lieu des présents 6+6 a
Que nous font à regret le travail et les ans. 6+6 a
Peu de gens élevés, peu d’autres encor même, 6+6 b
Font voir, par ces faveurs, que Jupiter les aime. 6+6 b
185 Si quelque enfant des dieux les possède, c’est vous ! 6+6 a
Je l’ose dans ces vers soutenir devant tous. 6+6 a
Clio, sur son giron, à l’exemple d’Homère, 6+6 b
Vient de les retoucher, attentive à vous plaire : 6+6 b
On dit qu’elle et ses sœurs, par l’ordre d’Apollon, 6+6 a
190 Transportent dans Anet tout le sacré vallon : 6+6 a
Je le crois. Puissions-nous chanter sous les ombrages 6+6 b
Des arbres dont ce lieu va border ses rivages ! 6+6 b
Puissent-ils tout d’un coup élever leurs sourcils, 6+6 a
Comme on vit autrefois Philémon et Baucis ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
logo du CRISCO logo de l'université