Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LFT_2/LFT318
Jean de LA FONTAINE
CONTES ET NOUVELLES
1668-1694
LIVRE CINQUIÈME 1682 ‒ 1685
VIII
LES QUIPROQUOS
Dame Fortune aime souvent à rire, 4+6 a
Et, nous jouant un tour de son métier, 4+6 b
Au lieu des biens où notre cœurs aspire, 4+6 a
D’un quiproquo se plaît à nous payer. 4+6 b
5 Ce sont ses jeux : j’en parle à juste cause : 4+6 a
Il m’en souvient ainsi qu’au premier jour. 4+6 b
Chloris et moi, nous nous aimions d’amour : 4+6 b
Au bout d’un an, la belle se dispose 4+6 a
À me donner quelque soulagement, 4+6 a
10 Foible et léger, à parler franchement ; 4+6 a
C’étoit son but ; mais, quoi qu’on se propose, 4+6 a
L’occasion et le discret amant 4+6 b
Sont à la fin les maîtres de la chose. 4+6 a
Je vais, un soir, chez cet objet charmant : 4+6 b
15 L’époux étoit aux champs heureusement ; 4+6 a
Mais il revint, la nuit à peine close. 4+6 b
Point de Chloris ! Le dédommagement 4+6 a
Fut que le sort en sa place suppose 4+6 b
Une soubrette, a mon commandement : 4+6 a
20 Elle paya cette fois pour la dame. 4+6 b
Disons un troc où réciproquement 4+6 a
Pour la soubrette on employa la femme. 4+6 b
De pareils traits tous les livres sont pleins : 4+6 a
Bien est-il vrai qu’il faut d’habiles mains, 4+6 a
25 Pour amener chose ainsi surprenante : 4+6 a
Il est besoin d’en bien fonder le cas, 4+6 b
Sans rien forcer et sans qu’on violente 4+6 a
Un incident, qui ne s’attendoit pas. 4+6 b
L’aveugle enfant, joueur de passe-passe, 4+6 a
30 Et qui voit clair à tendre maint panneau, 4+6 b
Fait de ces tours : celui-là, du berceau, 4+6 b
Lève la paille, à l’égard du Boccace ; 4+6 a
Car, quant à moi, ma main, pleine d’audace, 4+6 a
En mille endroits a peut-être gâ 4+6 b
35 Ce que la sienne a bien exécuté. 4+6 b
Or, il est temps de finir ma préface, 4+6 a
Et de prouver, par quelque nouveau tour, 4+6 a
Les quiproquos de Fortune et d’Amour. 4+6 a
On ne peut mieux établir cette chose, 4+6 a
40 Que par un fait, à Marseille arrivé : 4+6 b
Tout en est vrai, rien n’en est controuvé. 4+6 b
Là, Clidamant, que par respect je n’ose 4+6 a
Sous son nom propre introduire en ces vers, 4+6 a
Vivoit heureux, se pouvoit dire en femme 4+6 b
45 Mieux que pas un, qui fût en l’univers. 4+6 a
L’honnêteté, la vertu de la dame, 4+6 b
Sa gentillesse, et même sa beauté, 4+6 a
Devoient tenir Clidamant arrêté. 4+6 a
Il ne le fut. Le diable est bien habile, 4+6 a
50 Si c’est adresse et tour d’habileté, 4+6 b
Que de nous tendre un piége aussi facile 4+6 a
Que le désir d’un peu de nouveauté ! 4+6 b
Près de la dame étoit une personne, 4+6 a
Une suivante, ainsi qu’elle mignonne, 4+6 a
55 De même taille et de pareil maintien, 4+6 a
Gente de corps ; il ne lui manquoit rien 4+6 a
De ce qui plaît aux chercheurs d’aventures. 4+6 a
La dame avoit un peu plus d’agrément ; 4+6 b
Mais, sous le masque, on n’eût su bonnement 4+6 b
60 Laquelle élire entre ces créatures. 4+6 a
Le Marseillois, Provençal un peu chaud, 4+6 a
Ne manque pas d’attaquer au plus tôt 4+6 a
Madame Alix ; c’étoit cette soubrette. 4+6 a
Madame Alix ; encor qu’un peu coquette, 4+6 a
65 Renvoyoit l’homme. Enfin, il lui promet 4+6 a
Cent beaux écus bien comptés, clair et : net. 4+6 a
Payer ainsi des marques de tendresse 4+6 a
D’une suivante, étoit, vu le pays, 4+6 b
Selon mon sons, un fort honnête prix. 4+6 b
70 Sur ce pied-là, qu’eût cté la mtresse ? 4+6 a
Peut-être moins ; car le hasard y fait. 4+6 a
Mais je me trompe ; et la dame étoit telle, 4+6 b
Que tout amant, et tant fût-il parfait, 4+6 a
Auroit perdu son latin auprès d’elle : 4+6 b
75 Ni dons, ni soins, rien n’auroit réussi. 4+6 a
Devrois-je y faire entrer les dons aussi ? 4+6 a
Las ! ce n’est plus le siècle de nos pères ! 4+6 a
Amour vend tout, et nymphes, et bergères ; 4+6 a
Il met le taux à maint objet charmant : 4+6 a
80 C’étoit un dieu ; ce n’est plus qu’un marchand. 4+6 a
O temps ! ô mœurs ! ô coutume perverse 4+6 a
Alix d’abord rejette un tel commerce ; 4+6 a
Fait l’irritée ; et puis s’apaise enfin, 4+6 a
Change de ton ; dit que le lendemain, 4+6 a
85 Comme Madame avoit dessein de prendre 4+6 b
Certain remède, ils pourroient, le matin, 4+6 a
Tout à loisir, dans la cave se rendre. 4+6 b
Ainsi fut dit, ainsi fut arrêté ; 4+6 a
Et la soubrette ayant le tout con 4+6 a
90 À sa mtresse, aussitôt les femelles 4+6 a
D’un quiproquo font le projet entre elles. 4+6 a
Le.pauvre époux n’y reconntroit rien, 4+6 a
Tant la suivante avoit l’air de la dame : 4+6 b
Puis, suppo qu’il reconnût sa femme, 4+6 b
95 Qu’en pouvoit-il arriver, que tout bien ? 4+6 a
Elle auroit lieu de lui chanter sa gamme. 4+6 b
Le lendemain, par hasard, Clidamant, 4+6 a
Qui ne pouvoit se contenir de joie, 4+6 b
Trouve un ami, lui dit étourdiment 4+6 a
100 Le bien qu’Amour à ses désirs envoie. 4+6 b
Quelle faveur ! Non qu’il n’eût bien voulu 4+6 a
Que le marché pour moins se fût conclu : 4+6 a
Les cent écus lui faisoient quelque peine. 4+6 a
L’ami lui dit : « Eh bien, soyons chacun 4+6 b
105 Et du plaisir et des frais en commun. » 4+6 b
L’époux n’ayant alors sa bourse pleine, 4+6 a
Cinquante écus à sauver étoient bons : 4+6 a
D’autre côté, communiquer la belle, 4+6 b
Quelle apparence ! Y consentiroit-elle ? 4+6 b
110 S’aller ainsi livrer à deux Gascons ! 4+6 a
Se tairoient-ils d’une telle fortune ? 4+6 a
Et devoit-on la leur rendre commune ? 4+6 a
L’ami leva cette difficulté, 4+6 a
Représentant que, dans l’obscurité, 4+6 a
115 Alix seroit fort aisément trompée. 4+6 a
Une plus fine y seroit attrapée : 4+6 a
Il suffirait que, tous deux, tour à tour, 4+6 a
Sans dire mot, ils entrassent en lice, 4+6 b
Se remettant du surplus à l’Amour, 4+6 a
120 Qui volontiers aideroit l’artifice. 4+6 b
Un tel silence en rien ne leur nuiroit ; 4+6 a
Madame Alix, sans manquer, le prendroit 4+6 a
Pour un effet de crainte et de prudence : 4+6 a
Les murs ayant des oreilles, dit-on, 4+6 b
125 Le mieux étoit de se taire ; à quoi bon 4+6 b
D’un tel secret leur faire confidence ? 4+6 a
Les deux galants, ayant de la façon 4+6 b
Réglé la chose, et disposés à prendre 4+6 a
Tout le plaisir qu’Amour leur promettoit, 4+6 b
130 Chez le mari d’abord ils se vont rendre. 4+6 a
Là dans le lit l’épouse encore étoit. 4+6 b
L’époux trouva près d’elle la soubrette, 4+6 a
Sans nuls atours qu’une simple cornette, 4+6 a
Bref, en état de ne lui point manquer. 4+6 a
135 Même un clin d’œil, qu’il put bien remarquer, 4+6 a
L’en assura. Les amis disputèrent. 4+6 a
Touchant le pas, et longtemps contestèrent. 4+6 a
L’époux ne fit l’honneur de la maison, 4+6 b
Tel compliment n’étant là de saison. 4+6 b
140 À trois beaux dés, pour le mieux ils réglèrent 4+6 a
Le précurseur, ainsi que de raison. 4+6 b
Ce fut l’ami. L’un et l’autre s’enferme 4+6 a
Dans cette cave, attendant de pied ferme 4+6 a
Madame Alix, qui ne vient nullement : 4+6 a
145 Trop bien la daine, en son lieu, s’en vint faire 4+6 b
Tout doucement le signal nécessaire. 4+6 b
On ouvre, on entre ; et ; sans retardement, 4+6 a
Sans lui donner le temps de reconnoître 4+6 c
Ceci, cela, l’erreur, le changement, 4+6 a
150 La différence enfin qui pouvoit être 4+6 c
Entre l’époux et son associé, 4+6 d
Avant qu’il pût aucun change paraître, 4+6 c
Au dieu d’amour il fut sacrifié. 4+6 d
L’heureux ami n’eut pas toute la joie 4+6 a
155 Qu’il aurait eue en connoissant sa proie. 4+6 a
La dame avoit un peu plus de beauté, 4+6 a
Outre qu’il faut compter la qualité. 4+6 a
À peine fut cette scène achevée, 4+6 a
Que l’autre acteur, par sa prompte arrivée, 4+6 a
160 Jette la dame en quelque étonnement ; 4+6 a
Car, comme époux, comme Clidamant même, 4+6 b
Il ne montrait toujours si fréquemment 4+6 a
De cette ardeur l’emportement extrême. 4+6 b
On imputa cet excès de fureur 4+6 a
165 À la soubrette, et la dame, en sou cœurs, 4+6 a
Se proposa d’en dire sa pensée. 4+6 a
La fête étant de la sorte passée, 4+6 a
Du noir séjour ils n’eurent qu’à sortir. 4+6 a
L’associé des frais et du plaisir 4+6 a
170 S’en court en haut, en certain vestibule ; 4+6 a
Mais quand l’époux vit sa femme monter, 4+6 b
Et qu’elle eut vu l’ami se présenter, 4+6 b
On peut juger quel soupçon, quel scrupule, 4+6 a
Quelle surprise, eurent les pauvres gens ; 4+6 a
175 Ni l’un ni l’autre, ils n’avoient eu le temps 4+6 a
De composer leur mine et leur visage. 4+6 a
L’époux vit bien qu’il falloit être sage ; 4+6 a
Mais sa moitié pensa tout découvrir. 4+6 a
J’en suis surpris ; la plus sotte à mentir 4+6 a
180 Est très-habile, et sait cette science. 4+6 a
Aucuns ont dit qu’Alix fit conscience 4+6 a
De n’avoir pas mieux gagné son argent, 4+6 a
Plaignant l’époux, et le dédommageant, 4+6 a
Et voulant bien mettre tout sur son compte : 4+6 a
185 Tout cela n’est que pour rendre le conte 4+6 a
Un peu meilleur. J’ai vu les gens mouvoir 4+6 a
Deux questions : l’une, c’est à savoir 4+6 a
Si l’époux fut du nombre des confrères, 4+6 a
À mon avis n’a point de fondement, 4+6 b
190 Puisque la dame et l’ami nullement 4+6 b
No prétendoient vaquer à ces mystères. 4+6 a
L’autre point est touchant le talion ; 4+6 a
Et l’on demande, en cette occasion, 4+6 a
Si, pour user d’une juste vengeance, 4+6 a
195 Prétendre erreur et cause d’ignorance, 4+6 a
À cette dame aurait été permis. 4+6 a
Bien que ce soit assez là mon avis, 4+6 a
La dame fut toujours inconsolable. 4+6 a
Dieu gard’de mal celles qu’en cas semblable 4+6 a
200 Il ne faudrait nullement consoler ! 4+6 a
J’en connois bien qui n’en feraient que rire : 4+6 b
De celles-là je n’ose plus parler, 4+6 a
Et je ne vois rien des autres à dire. 4+6 b
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