Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LFT_2/LFT313
Jean de LA FONTAINE
CONTES ET NOUVELLES
1668-1694
LIVRE CINQUIÈME 1682 ‒ 1685
III
LA CONFIDENTE SANS LE SAVOIR,
OU LE STRATAGÈME
Je ne connois | rhéteur ni maître ès arts 4+6 a
Tel que l’Amour ; | il excelle en bien dire : 4+6 b
Ses arguments, | ce sont de doux regards, 4+6 a
De tendres pleurs, | un gracieux sourire. 4+6 b
5 La guerre aussi | s’exerce en son empire : 4+6 b
Tantôt il met | aux champs ses étendards ; 4+6 a
Tantôt, couvrant | sa marche et ses finesses, 4+6 b
Il prend (les cœurs | entourés de remparts. 4+6 a
Je le soutiens : | posez deux forteresses ; 4+6 b
10 Qu’il en batte une ; | une autre, le dieu Mars : 4+6 a
Que celui-ci | fasse agir tout un monde, 4+6 a
Qu’il soit armé, | qu’il ne lui manque rien ; 4+6 b
Devant son fort, | je veux qu’il se morfonde : 4+6 a
Amour, tout nu, | fera rendre le sien. 4+6 b
15 C’est l’inventeur | des tours et stratagèmes. 4+6 a
J’en vais dire un | de mes plus favoris : 4+6 b
J’en ai bien lu, | j’en vois pratiquer mêmes, 4+6 a
Et d’assez bons, | qui ne sont rien au prix. 4+6 b
La jeune Aminte, | à Gérante donnée, 4+6 a
20 Méritoit mieux | qu’un si triste hyménée : 4+6 a
Elle avoit pris | en cet homme un époux 4+6 a
Mal gracieux, | incommode, et jaloux. 4+6 a
Il étoit vieux ; | elle, à peine en cet âge 4+6 a
Où, quand un cœurs | n’a point encore aimé, 4+6 b
25 D’un doux objet | il est bientôt charmé. 4+6 b
Celui d’Aminte | ayant sur son passage 4+6 a
Trouvé Cléon, | beau, bien fait, jeune et sage, 4+6 a
Il s’acquitta | de ce premier tribut, 4+6 a
Trop bien peut-être, | et mieux qu’il ne fallut : 4+6 a
30 Non toutefois | que la belle n’oppose 4+6 a
Devoir et tout | à ce doux sentiment ; 4+6 b
Mais lorsque Amour | prend le fatal moment, 4+6 b
Devoir, et tout, | et rien, c’est même chose. 4+6 a
Le but d’Aminte | en cette passion 4+6 a
35 Étoit, sans plus, | la consolation 4+6 a
D’un entretien | sans crime, où la pauvrette 4+6 a
Versât ses soins | en une âme discrète. 4+6 a
Je croirois bien | qu’ainsi l’on le prétend ; 4+6 a
Mais l’appétit | vient toujours en mangeant : 4+6 a
40 Le plus sûr est | ne se point mettre à table. 4+6 a
Aminte croit | rendre Cléon traitable : 4+6 a
Pauvre ignorante ! | elle songe au moyen 4+6 a
De l’engager | à ce simple entretien, 4+6 a
De lui laisser | entrevoir quelque estime, 4+6 a
45 Quelque amitié, | quelque chose de plus, 4+6 b
Sans y mêler | rien que de légitime : 4+6 a
Plutôt la mort | empêchât tel abus ! 4+6 b
Le point étoit | d’entamer cette affaire. 4+6 a
Les lettres sont | un étrange mystère ; 4+6 a
50 Il en provient | maint et maint accident ; 4+6 a
Le meilleur est | quelque sûr confident. 4+6 a
Où le trouver ? | Géronte est homme à craindre. 4+6 a
J’ai dit tantôt | qu’Amour savoit atteindre 4+6 a
À ses desseins, | d’une ou d’uneautre façon ; 4+6 a
55 Ceci me sert | de preuve et de leçon. 4+6 a
Cléon avoit | une vieille parente. 4+6 a
Sévère cl prude, | et qui s’attribuoit 4+6 b
Autorité | sur lui de gouvernante. 4+6 a
Madame Alis | (ainsi l’on l'appeloit), 4+6 b
60 Par un beau jour, | eut de la jeune Aminte 4+6 a
Ce compliment, | ou plutôt celle plainte : 4+6 a
« Je ne sais pas | pourquoi votre parent, 4+6 a
Qui m’est et fut | toujours indifférent, 4+6 a
Et le sera | tout le temps de ma vie, 4+6 a
65 A de m’aimer | conçu la fantaisie. 4+6 a
Sous ma fenêtre | il passe incessamment ; 4+6 a
Je ne saurois | faire un pas seulement, 4+6 a
Que je ne l’aie | aussitôt à mes trousses ; 4+6 a
Lettres, billets, | pleins de paroles douces, 4+6 a
70 Me sont donnés | par une dont le nom 4+6 a
Vous est connu : | je le tais, pour raison. 4+6 a
Faites cesser, | pour Dieu ! cette poursuite ; 4+6 a
Elle n’aura | qu’une mauvaise suite : 4+6 a
Mon mari peut | prendre feu là-dessus. 4+6 a
75 Quant à Cléon, | ses pas sont superflus : 4+6 a
Dites-le-lui | de ma part, je vous prie. 4+6 a
Madame Alis | la loue, et lui promet 4+6 b
De voir Cléon, | de lui parler si net, 4+6 b
Quede l’aimer | il n’aura plus d’envie ; 4+6 a
80 Cléon va voir | Alis le lendemain : 4+6 c
Elle lui parle, | et le pauvre homme nie, 4+6 a
Avec serment, | qu’il eût un tel dessein. 4+6 c
Madame Alis | l’appelle enfant du diable. 4+6 a
« Tout vilain cas, | dit-elle, est reniable ; 4+6 a
85 Ces serments vains | et peu dignes de foi 4+6 a
Mériteroient | qu’on vous fit votre sauce 4+6 b
Laissons cela : | la chose est vraie ou fausse ; 4+6 b
Mais, fausse ou vraie, | il faut, et croyez-moi, 4+6 a
Vous mettre bien | dans la tête, qu’Aminte 4+6 a
90 Est femme sage, | honnête, et hors d’atteinte : 4+6 a
Renoncez-y. | — Je le puis aisément ! » 4+6 a
Reprit Cléon. | Puis, au même moment, 4+6 a
Il va chez lui | songer à cette affaire : 4+6 a
Rien ne lui peut | débrouiller le mystère. 4+6 a
95 Trois jours n’étoient | passés entièrement, 4+6 a
Que revoici | chez Alis notre belle. 4+6 b
« Vous n’avez pas, | madame, lui dit-elle, 4+6 b
Encore vu, | je pense, noire amant ? 4+6 a
De plus en plus, | sa poursuite s’augmente. » 4+6 a
100 Madame Alis | s’emporte, se tourmente : 4+6 a
« Quel malheureux ! | » Puis, l’autre la quittant, 4+6 a
Elle le mande. | Il vient tout à l’instant. 4+6 a
Dire eu quels mots | Alis fit sa harangue, 4+6 a
Il me faudrait | une langue de fer ; 4+6 b
105 Et quand de fer | j’aurois même la langue, 4+6 a
Je n’y pourrois | parvenir : tout l’enfer 4+6 b
Fut employé | dans cette réprimande. 4+6 c
« Allez, Satan ! | allez, vrai Lucifer, 4+6 b
Maudit de Dieu ! | » La fureur fut si grande, 4+6 c
110 Que le pauvre homme, | étourdi dès l’abord, 4+6 a
Ne sut que dire. | Avouer qu’il eût tort, 4+6 a
C’étoit trahir | par trop sa conscience. 4+6 a
Il s’en retourne, | il rumine, il repense, 4+6 a
Il rêve tant, | qu’enfin il dit en soi : 4+6 a
115 « Si c’étoit là | quelque ruse d’Aminte ! 4+6 b
Je trouve, hélas ! | mon devoir dans sa plainte. 4+6 b
Elle me dit : | O Cléon ! aime-moi, 4+6 a
Aime-moi donc ! | en disant que je l’aime. 4+6 c
Je l’aime aussi, | tant pour son stratagème, 4+6 c
120 Que pour ses traits. | J’avoue en bonne foi 4+6 a
Que mon esprit | d’abord n’y voyoit goutte ; 4+6 a
Mais, à présent, | je ne fais aucun doute : 4+6 a
Aminte veut | mon cœurs assurément. 4+6 a
Ah ! si j’osois, | dès ce même moment. 4+6 a
125 Je l’irois voir ; | et plein de confiance, 4+6 a
Je lui dirois | quelle est la violence, 4+6 a
Quel est le feu | dont je me sens épris’… 4+6 b
Pourquoi n’oser ? | Offense pour offense, 4+6 a
L’amour vaut mieux | encor que le mépris. 4+6 b
130 Mais si l’époux | m’attrapoit au logis !… 4+6 b
Laissons-la faire, | et laissons-nous conduire. » 4+6 a
Trois autres jours | n’étoient passés encor, 4+6 b
Qu’Aminte va | chez Alis, pour instruire 4+6 a
Son cher Cléon | du bonheur de son sort. 4+6 b
135 « Il faut, dit-elle, | enfin que je déserte ; 4+6 a
Votre parent | a résolu ma perte ; 4+6 a
Il me prétend | avoir, par des présents… 4+6 a
Moi, des présents ! | C’est bien choisir sa femme ! 4+6 b
Tenez, voilà | rubis et diamants ; 4+6 a
140 Voilà bien pis ; | c’est mon portrait, madame ; 4+6 b
Assurément, | de mémoire, on l’a fait, 4+6 a
Car mon époux | a tout seul mon portrait. 4+6 a
À mon lever, | cette personne honnête, 4+6 a
Que vous savez, | et dont je tais le nom, 4+6 b
145 S’en est venue, | et m’a laissé ce don. 4+6 b
Votre parent | mérite qu’à la tête 4+6 a
On le lui jette, | et s’il étoit ici… 4+6 a
Je ne me sens | presque pas de colère. 4+6 b
Oyez le reste ; | il m’a fait dire aussi 4+6 a
150 Qu’il sait fort bien | qu’aujourd’hui pour affaire 4+6 b
Mon mari couche | à sa maison des champs ; 4+6 a
Qu’incontinent | qu’il croira que mes gens 4+6 a
Seront couchés | et dans leur premier somme, 4+6 a
Il se rendra | devers mon cabinet. 4+6 b
155 Qu’espère-t-il ? | Pour qui me prend cet homme ? 4+6 a
Un rendez-vous ! | Est-il fol en effet ? 4+6 b
Sans que je crains | de commettre Géronte, 4+6 a
Je poserais | tantôt un si bon guet, 4+6 b
Qu’il serait pris, | ainsi qu’au trébuchet, 4+6 b
160 On s’enfuiroit | avec sa courte honte. » 4+6 a
Ces mots finis, | madame Aminte sort. 4+6 a
Une heure après, | Cléon vint ; et d’abord 4+6 a
On lui jeta | les joyaux et la boîte : 4+6 a
On l’aurait pris | à la gorge, au besoin. 4+6 b
165 Eh bien, cela | vous semble-t-il honnête ? 4+6 a
Mais ce n’est rien, | vous allez bien plus loin. 4+6 b
Alis dit lors, | mot pour mot, ce qu’Aminte 4+6 a
Venoit de dire | en sa dernière plainte. 4+6 a
Cléon se tint | pour dûment averti. 4+6 a
170 « J’aimois, dit-il, | il est vrai, cette belle ; 4+6 b
Mais, puisqu’il faut | ne rien espérer d’elle, 4+6 b
Je me retire, | et prendrai ce parti. 4+6 a
— Vous ferez bien : | c’est celui qu’il faut prendre ! » 4+6 a
Lui dit Alis. | Il ne le prit pourtant. 4+6 b
175 Trop bien, minuit | à grand’peine sonnant, 4+6 b
Le compagnon, | sans faute, se va rendre 4+6 a
Devers l’endroit | qu’Aminte avoit marqué. 4+6 a
Le rendez-vous | étoit bien expliqué ; 4+6 a
Ne doutez pas | qu’il n’y fut sans escorte. 4+6 a
180 La jeune Aminte | attendoit à la porte : 4+6 a
Un profond somme | occupoit tous les yeux ; 4+6 a
Même ceux-là, | qui brillent dans les cieux, 4+6 a
Étoient voilés | par une épaisse nue. 4+6 a
Comme on avoit | toute chose prévue, 4+6 a
185 Il entre vite, | et sans autre discours 4+6 a
Ils vont… ils vont | au cabinet d’amours. 4+6 a
Là le galant, | dès l’abord, se récrie, 4+6 a
Comme la dame | étoit jeune et jolie, 4+6 a
Sur sa beauté ; | la bonté vint après ; 4+6 b
190 Et celle-ci | suivit l’autre de près. 4+6 b
« Mais dites-moi, | de grâce, je vous prie, 4+6 a
Qui vous a fait | aviser de ce tour ? 4+6 a
Car jamais tel | ne se fit en amour : 4+6 a
Sur les plus fins, | je prétends qu’il excelle, 4+6 a
195 Et vous devez | vous-même l’avouer, » 4+6 b
Elle rougit, | et n’en fut que plus belle. 4+6 a
Sur son esprit, | sur ses traits, sur son zèle, 4+6 a
Il la loua. | Ne fit-il que louer ? 4+6 b
mètre profil métrique : 4+6
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