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P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LFT_2/LFT312
Jean de LA FONTAINE
CONTES ET NOUVELLES
1668-1694
LIVRE CINQUIÈME 1682 ‒ 1685
II
LE FLEUVE SCAMANDRE
Me voilà prêt | à conter de plus belle ; 4+6 a
Amour le veut, | et rit de mon serment : 4+6 b
Hommes et dieux, | tout est sous sa tutelle, 4+6 a
Tout obéit, | tout cède à cet enfant. 4+6 b
5 J’ai désormais | besoin, en le chantant, 4+6 b
De traits moins forts | et déguisant la chose ; 4+6 a
Car, après tout, | je ne veux être cause 4+6 a
D’aucun abus ; | que plutôt mes écrits 4+6 a
Manquent de sel, | et ne soient d’aucun prix ! 4+6 a
10 Si, dans ces vers, | j’introduis et je chante 4+6 a
Certain trompeur | et certaine innocente, 4+6 a
C’est dans la vue | et dans l’intention, 4+6 a
Qu’on se méfie | en telle occasion. 4+6 a
J’ouvre l’esprit, | et rends le sexe habile 4+6 a
15 À se garder | de ces pièges divers. 4+6 b
Sotte ignorance | en fait trébucher mille, 4+6 a
Contre une seule | à qui nuiroient mes vers. 4+6 b
J’ai lu qu’un orateur, | estimé dans la Grèce, 6+6 a
Des beaux arts autrefois | souveraine maîtresse, 6+6 a
20 Banni de son pays, | voulut voir le séjour 6+6 a
Où subsistoient encor | les ruines de Troie ; 6+6 b
Cimon, son camarade, | eut sa part de la joie. 6+6 b
Du débris d’Ilion | s’étoit construit un bourg, 6+6 a
Noble par ses malheurs : | là, Priam et sa cour 6+6 a
25 N’étoient plus que des noms | dont le temps l’ait sa proie. 6+6 b
Ilion, ton nom seul | a des charmes pour moi ; 6+6 a
Lieu fécond en sujets | propres à notre emploi, 6+6 a
Ne verrai-je jamais | rien de toi, ni la place 6+6 a
De ces murs élevés | et détruits par les dieux, 6+6 b
30 Ni ces champs où couraient | la Fureur et l’Audace, 6+6 a
Ni des temps fabuleux | enfin la moindre trace, 6+6 a
Qui pût me présenter | l’image de ces lieux ? 6+6 b
Pour revenir au fait | et ne point trop m’étendre, 6+6 a
Cimon, le héros de ces vers, 8 b
35 Se promenoit près du Scamandre. 8 a
Une jeune ingénue, | en ce lieu, se vient rendre, 6+6 a
Et goûter la fraîcheur | sur ces bords toujours verts. 6+6 b
Son voile, au gré des vents, | va flottant dans les airs ; 6+6 b
Sa parure est sans art ; | elle a l’air de bergère, 6+6 c
40 Une beauté naïve, | une taille légère. 6+6 c
Cimon en est surpris, | et croit que sur ces bords 6+6 d
Vénus vient étaler | ses plus rares trésors. 6+6 d
Un antre étoit auprès ; | l’innocente pucelle 6+6 a
Sans soupçon y descend, | aussi simple que belle. 6+6 a
45 Le chaud, la solitude, | et quelque dieu malin, 6+6 a
L’invitèrent d’abord | à prendre un demi-bain. 6+6 a
Notre banni se cache ; | il contemple, il admire ; 6+6 a
Il ne sait quels charmes élire ; 8 a
Il dévore des yeux | et du cœurs cent beautés. 6+6 b
50 Comme on étoit rempli | de ces divinités 6+6 b
Que la Fable a dans son empire, 8 a
Il songe à profiler | de l’erreur de ces temps ; 6+6 a
Prend l’air d’un dieu des eaux, | mouille ses vêtements, 6+6 a
Se couronne de joncs | et d’herbe dégouttante, 6+6 b
55 Puis invoque Mercure | et le dieu des amants. 6+6 a
Contre tant de trompeurs, | qu’eût fait une innocente ? 6+6 b
La belle enfin découvre | un pied, dont la blancheur 6+6 a
Aurait fait honte à Galatée, 8 b
Puis le plonge en l’onde argentée, 8 b
60 Et regarde ses lis, | non sans quelque pudeur. 6+6 a
Pendant qu’à cet objet | sa vue est arrêtée, 6+6 b
Cimon approche d’elle ; | elle court se cacher 6+6 a
Dans le plus profond du rocher. 8 a
« Je suis, dit-il, le dieu | qui commande à cette onde ; 6+6 a
65 Soyez-en la déesse, | et régnez avec moi : 6+6 b
Peu de fleuves pourroient | dans leur grotte profonde 6+6 a
Partager avec vous | un aussi digne emploi. 6+6 b
Mon cristal est très-pur ; | mon cœurs l’est davantage : 6+6 a
Je couvrirai pour vous | de fleurs tout ce rivage : 6+6 a
70 Trop heureux si vos pas | le daignent honorer, 6+6 a
Et qu’au fond de mes eaux | vous daigniez vous mirer ! 6+6 a
Je rendrai toutes vos compagnes 8 a
Nymphes aussi, soit aux montagnes, 8 a
Soit aux eaux, soit aux bois ; | car j’étends mon pouvoir 6+6 a
75 Sur tout ce que votre œil, | à la ronde, peut voir. » 6+6 a
L’éloquence du dieu, | la peur de lui déplaire, 6+6 a
Malgré quelque pudeur | qui gâtoit le mystère, 6+6 a
Conclurent tout en peu de temps. 8 b
La superstition | cause mille accidents. 6+6 b
80 On dit même qu’Amour | intervint à l’affaire. 6+6 a
Tout fier de ce succès, | le banni dit adieu. 6+6 a
« Revenez, dit-il, en ce lieu ! 8 a
Vous garderez que l’on ne sache 8 a
Un hymen qu’il faut que je cache : 8 a
85 Nous le déclarerons, | quand j’en aurai parlé 6+6 a
Au conseil qui sera | dans l’Olympe assemblé. » 6+6 a
La nouvelle déesse, | à ces mots, se retire ; 6+6 a
Contente ? Amour le sait. | Un mois se passe, et deux, 6+6 b
Sans que pas un du bourg | s’aperçût de leurs jeux. 6+6 b
90 O mortels ! est-il dit | qu’à force d’être heureux, 6+6 b
Vous ne le soyez plus ? | Le banni, sans rien dire, 6+6 a
Ne va plus visiter | cet antre si souvent. 6+6 a
Une noce enfin arrivant, 8 a
Tous, pour la voir passer, | sous l’orme se vont rendre. 6+6 a
95 La belle aperçoit l’homme, | et crie en ce moment : 6+6 b
« Ah ! voilà le fleuve Scamandre ! » 8 a
On s’étonne, on la presse ; | elle dit bonnement 6+6 b
Que son hymen se va | conclure au firmament. 6+6 b
On en rit ; car que faire ? | Aucuns, à coups de pierre, 6+6 a
100 Poursuivirent le dieu, | qui s’enfuit à grand’erre ; 6+6 a
D’autres rirent, sans plus. | Je crois qu’en ce temps-ci 6+6 a
L’on feroit au Scamandre | un très-méchant parti. 6+6 a
En ce temps-là, semblables crimes 8 a
S’excusoient aisément : | tous temps, toutes maximes. 6+6 a
105 L’épouse du Scamandre | en fut quitte, à la fin, 6+6 a
Pour quelques traits de raillerie : 8 b
Même un de ses amants | l’en trouva plus jolie. 6+6 b
C’est un goût : il s’offrit | à lui donner la main. 6+6 a
Les dieux ne gâtent rien : | puis, quand ils seraient cause 6+6 a
110 Qu’une fille en valût | un peu moins, dotez-la, 6+6 b
Vous trouverez qui la prendra : 8 b
L’argent répare toute chose. 8 a
mètre profils métriques : 8, 4+6, 6+6
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