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LFT_2/LFT305
Jean de LA FONTAINE
CONTES ET NOUVELLES
1668-1694
LIVRE QUATRIÈME
XII
PÂTÉ D’ANGUILLE
Même beauté, tant soit exquise, 8 a
Rassasie et soûle à la fin. 8 b
Il me faut d’un et d’autre pain : 8 b
Diversité, c’est ma devise. 8 a
5 Cette maîtresse, un tantet bise, 8 a
Rit à mes yeux : pourquoi cela ? 8 a
C’est qu’elle est neuve ; et celle-là, 8 a
Qui depuis longtemps m’est acquise, 8 a
Blanche qu’elle est, en nulle guise 8 a
10 Ne me cause d’émotion : 8 b
Son cœur dit oui, le mien dit non, 8 b
D’où vient ? En voici la raison : 8 b
Diversité, c’est ma devise. 8 a
Je l’ai jà dit d’autre façon ; 8 a
15 Car il est bon que l’on déguise, 8 b
Suivant la loi de ce dicton : 8 a
Diversité, c’est ma devise. 8 b
Ce fut celle aussi d’un mari, 8 a
De qui la femme étoit fort belle. 8 b
20 Il se trouva bientôt guéri 8 a
De l’amour qu’il avoit pour elle : 8 b
L’hymen et la possession 8 a
Éteignirent sa passion. 8 a
Un sien valet avoit pour femme 8 b
25 Un petit bec assez mignon : 8 a
Le maître, étant bon compagnon, 8 a
Eut bientôt empaumé la dame. 8 b
Cela ne plut pas au valet, 8 a
Qui, les ayant pris sur le fait, 8 a
30 Vendiqua son bien de couchette, 8 a
À sa moitié chanta goguette, 8 a
L’appela tout net et tout franc 8 a
Bien sot de faire un bruit si grand 8 a
Pour une chose si commune ! 8 a
35 Dieu nous gard de plus grand’fortune ! 8 a
Il fit à son maître un sermon : 8 a
« Monsieur, dit-il, chacun la sienne, 8 b
Ce n’est pas trop ; Dieu et raison 8 a
Vous recommandent celle antienne. 8 b
40 Direz-vous : « Je suis sans chrétienne ? » 8 c
Vous en avez à la maison 8 a
Une qui vaut cent, fois la mienne. 8 c
Ne prenez donc plus tant de peine. 8 c
C’est pour ma femme trop d’honneur ; 8 a
45 Il ne lui faut si gros monsieur. 8 b
Tenons-nous chacun à la nôtre ; 8 c
N’allez point à l’eau chez un autre, 8 c
Ayant plein puits de ces douceurs : 8 b
Je m’en rapporte aux connoisseurs. 8 a
50 Si Dieu m’avoit fait tant de grâce 8 a
Qu’ainsi que vous je disposasse 8 a
De Madame, je m’y tiendrois, 8 a
Et d’une reine ne voudrais. 8 a
Mais, puisqu’on ne sauroit défaire 8 a
55 Ce qui s’est fait, je voudrais bien’ 8 b
(Ceci soit dit sans vous, déplaire) 8 a
Que, content de votre ordinaire, 8 a
Vous né goûtassiez plus du mien. » 8 b
Le patron ne voulut lui dire 8 a
60 Ni oui ni non sur ce discours, 8 b
Et commanda que tous lés jours 8 b
On mît au repas près du sire 8 a
Un pâté d’anguille. Ce mets 8 a
Lui chatouilloit fort le palais. 8 a
65 Avec un appétit extrême 8 a
Une et deux fois il en mangea, 8 b
Mais, quand ce vint à la troisième, 8 a
La seule odeur le dégoûta. 8 b
Il voulut sur une autre viande 8 c
70 Mettre la main ; on l’empêcha. 8 b
« Monsieur, dit-on, nous le commande ; 8 c
Tenez-vous-en à ce mets-là. 8 b
Vous l’aimez : qu’avez-vous à dire’ 8 a
— M’en voilà soûl, reprit le sire. 8 a
75 Eh’quoi ! toujours pâtés au bec ! 8 a
Pas une anguille de rôtie’ 8 b
Pâtés tous les jours de ma vie ! 8 b
J’aimerais mieux du pain tout sec. 8 a
Laissez-moi prendre un peu du vôtre ? 8 a
80 Pain de par Dieu ou de par l’autre ; 8 a
Au diable ces pâtés maudits ! 8 a
Ils me suivront en paradis, 8 a
Et par-delà, Dieu me pardonne ! » 8 a
Le maître accourt soudain au bruit ; 8 b
85 Et prenant sa part du déduit : 8 b
« Mon ami, dit-il, je m’étonne 8 a
Que d’un mets si plein de bonté 8 a
Vous soyez sitôt dégoûté. 8 a
Ne vous ai-je pas ouï dire 8 a
90 Que c’étoit votre grand ragoût ? 8 b
Il faut qu’en peu de temps, beau sire, 8 a
Vous ayez bien changé de goût. 8 b
Qu’ai-je fait qui fût plus étrange ? 8 a
Vous me blâmez, lorsque je change 8 a
95 Un mets que vous croyez friand, 8 a
Et vous en faites tout autant ! 8 a
Mon doux ami, je vous apprends 8 a
Que ce n’est pas une sottise, 8 a
En fait de certains appétits, 8 b
100 De changer son pain blanc en bis : 8 b
Diversité, c’est ma devise. » 8 a
Quand le maître eut ainsi parlé, 8 a
Le valet fut tout consolé. 8 a
Non que ce dernier n’eût à dire 8 a
105 Quelque chose encor là-dessus : 8 b
Car, après tout, doit-il suffire 8 a
D’alléguer son plaisir, sans plus ? 8 b
— J’aime le change. — A la bonne heure ! 8 a
On vous l’accorde ; mais gagnez, 8 b
110 S’il se peut, les intéressés ; 8 b
Cette voie est bien la meilleure : 8 a
Suivez-la donc ! À dire vrai, 8 a
Je crois que l’amateur du change 8 b
De ce conseil tenta l’essai. 8 a
115 On dit qu’il parloit comme un ange, 8 b
De mots dorés usant toujours. 8 a
Mots dorés font tout en amours : 8 a
C’est une maxime constante. 8 a
Chacun sait quelle est mon entente : 8 a
120 J’ai rebattu cent et cent fois 8 a
Ceci dans cent et cent endroits ; 8 a
Mais la chose est si nécessaire 8 a
Que je ne puis jamais m’en taire, 8 a
Et redirai jusques au bout : 8 a
125 Mots dorés en amours font tout. 8 a
Ils persuadent la donzelle, 8 a
Son petit chien, sa demoiselle, 8 a
Son époux quelquefois aussi. 8 a
C’est le seul qu’il falloit ici 8 a
130 Persuader : il n’avoit l’Âme 8 a
Sourde à celle éloquence ; et, dame ! 8 a
Les oral ours du temps jadis 8 a
N’en ont de telle en leurs écrits. 8 b
Notre jaloux devint commode : 8 c
135 Même on dit qu’il suivit la mode 8 c
De son maître, et toujours depuis 8 b
Changea d’objets en ses déduits. 8 a
Il n’étoit bruit que d’aventures 8 a
Du chrétien et de créatures. 8 a
140 Les plus nouvelles, sans manquer, 8 a
Étoient pour lui les plus gentilles : 8 b
Par où le drôle en put croquer, 8 a
Il en croqua ; femmes et filles, 8 b
Nymphes, grisettes, ce qu’il put ; 8 a
145 Toutes étoient de bonne prise ; 8 b
Et, sur ce point, tant qu’il vécut, 8 a
Diversité fut sa devise. 8 b
mètre profil métrique : 8
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