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LFT_2/LFT304
Jean de LA FONTAINE
CONTES ET NOUVELLES
1668-1694
LIVRE QUATRIÈME
XI
LA JUMENT DU COMPÈRE PIERRE
Messire Jean, c’étoit certain cu 4+6 a
Qui prêchoit peu, sinon sur la vendange ; 4+6 b
Sur ce sujet, sans être préparé, 4+6 a
Il triomphoit, vous eussiez dit un ange. 4+6 b
5 Encore un point étoit touché de lui, 4+6 c
Non si souvent qu’eût voulu le messire ; 4+6 d
En ce point-là, les enfants d’aujourd’hui 4+6 c
Savent que c’est ; besoin n’ai de le dire. 4+6 d
Messire Jean, tel que je le décris, 4+6 e
10 Faisoit si bien, que femmes et maris 4+6 e
Le recherchoient, estimoient sa science ; 4+6 f
Au demeurant, il n’étoit conscience 4+6 f
Un peu jolie et bonne à diriger, 4+6 a
Qu’il ne voulût lui-même interroger, 4+6 a
15 Ne s’en fiant aux soins de son vicaire. 4+6 g
Messire Jean auroit voulu tout faire, 4+6 g
S’entremettoit en zélé directeur, 4+6 h
Alloit partout, disant qu’un bon pasteur 4+6 h
Ne peut trop bien ses ouailles connoître, 4+6 i
20 Donc par lui-même instruit en vouloit être. 4+6 i
Parmi les gens de lui les mieux venus, 4+6 j
Il fréquentoit chez le compère Pierre, 4+6 g
Bon villageois, à qui pour toute terre, 4+6 g
Pour tout domaine et pour tous revenus, 4+6 j
25 Dieu ne donna que ses deux bras tout nus, 4+6 j
Et son louchet, dont, pour tout ustensile, 4+6 k
Pierre faisoit subsister sa famille. 4+6 k
Il avoit femme et belle et jeune encor, 4+6 l
Ferme surtout ; le hâle avoit fait tort 4+6 l
30 À son visage, et non à sa personne. 4+6 n
Nous autres gens peut-être aurions voulu 4+6 o
Du délicat ; ce rustic ne m’eût plu : 4+6 o
Pour des curés la pâte en étoit bonne 4+6 n
Et convenoit à semblables amours. 4+6 p
35 Messire Jean la regardoit toujours 4+6 p
Du coin de l’oeil, toujours tournoit la tête 4+6 q
De son côté, comme un chien qui fait fête 4+6 q
Aux os qu’il voit n’être pas trop chétifs. 4+6 e
Que s’il en voit : un de belle apparence, 4+6 f
40 Non décharné, plein encoreencor de substance, 4+6 f
Il tient dessus ses regards attentifs ; 4+6 e
I s’inquiète, il trépigne, il remue 4+6 r
Oreille et queue ; il a toujours la vue 4+6 r
Dessus cet os, et le ronge des yeux, 4+6 s
45 Vingt fois devant que son palais s’en sente. 4+6 t
Messire Jean tout ainsi se tourmente 4+6 t
À cet objet pour lui délicieux. 4+6 s
La villageoise étoit fort innocente, 4+6 t
Et n’entendoit, aux façons du pasteur, 4+6 h
50 Mystère aucun : ni son regard flatteur, 4+6 h
Ni ses présents ne touchoient Magdeleine ; 4+6 u
Bouquets de thym et pots de marjolaine 4+6 u
Tomboient à terre ; avoir cent menus soins, 4+6 v
C’étoit parler bas-breton tout au moins. 4+6 v
55 Il s’avisa d’un plaisant stratagème. 4+6 w
Pierre étoit lourd, sans esprit : je crois bien 4+6 x
Qu’il ne se fût précipité lui-même ; 4+6 w
Mais par-delà, de lui demander rien, 4+6 x
C’étoit abus et très-grande sottise. 4+6 y
60 L’autre lui dit : « Compère mon ami, 4+6 c
Te voilà pauvre et n’ayant à demi 4+6 c
Ce qu’il te faut : si je t’apprends la guise 4+6 y
Et le moyen d’être un jour plus content 4+6 z
Qu’un petit roi, sans te tourmenter tant, 4+6 z
65 Que me veux-tu donner pour mes étrennes ? » 4+6 a
Pierre répond : « Parbleu ! messire Jean, 4+6 z
Je suis à vous, disposez de mes peines ; 4+6 a
Car vous savez que c’est tout mon vaillant. 4+6 z
Notre cochon ne vous faudra pourtant ; 4+6 z
70 Il a man plus de son, par mon âme ! 4+6 c
Qu’il n’en tiendrait trois fois dans ce tonneau ; 4+6 d
Et d’abondant la vache à notre femme 4+6 c
Nous a promis qu’elle feroit un veau ; 4+6 d
Prenez le tout. — Je ne veux nul salaire, 4+6 g
75 Dit le pasteur ; obliger mon compère, 4+6 g
Ce m’est assez. Je te dirai comment : 4+6 z
Mon dessein est de rendre Magdeleine 4+6 u
Jument le jour, par art d’enchantement, 4+6 z
Lui redonnant sur le soir forme humaine. 4+6 u
80 Très-grand profit pourra certainement 4+6 z
T’en revenir ; car ton âne est si lent, 4+6 z
Que du marché l’heure est presque passée, 4+6 e
Quand il arrive ; ainsi, tu ne vends pas, 4+6 f
Comme tu veux, tes herbes, ta dene, 4+6 e
85 Tes choux, tes aulx, enfin tout ton tracas. 4+6 f
Ta femme, étant jument forte et membrue, 4+6 r
Ira plus vite ; et sitôt que chez toi 4+6 g
Elle sera du marché revenue, 4+6 r
Sans pain ni soupe, un peu d’herbe menue. 4+6 r
90 Lui suffira. » Pierre dit : « Sur ma foi ! 4+6 g
Messire Jean, vous êtes un sage homme. 4+6 h
Voyez que c’est d’avoir étudié ! 4+6 a
Vend-on cela ? Si j’avois grosse somme, 4+6 h
Je vous l’aurois, parbleu ! bientôt payé, » 4+6 a
95 Jean poursuivit : « Or çà, je t’apprendrai 4+6 a
Les mots, la guise, et toute la manière 4+6 g
Par où jument bien faite et poulinière 4+6 g
Auras de jour, belle femme de nuit. 4+6 j
Corps, tête, jambe, et tout ce qui s’ensuit 4+6 j
100 Lui reviendra ; tu n’as qu’à me voir faire. 4+6 g
Tais-toi surtout, car un mot seulement 4+6 z
Nous gâterait tout notre enchantement ; 4+6 z
Mous ne pourrions revenir au mystère, 4+6 g
De notre vie : encore un coup, motus, 4+6 j
105 Bouche cousue : ouvre les yeux sans plus : 4+6 j
Toi-même après, pratiqueras la chose. ». 4+6 k
Pierre promet de se taire, et Jean dit : 4+6 j
« Sus, Magdeleine, il se faut, et pour cause, 4+6 k
Dépouiller nue et quitter cet habit. 4+6 j
110 Dégrafez-moi cet atour des dimanches ? 4+6 l
Fort bien ! Otez ce corset et ces manches ? 4+6 l
Encore mieux ! Défaites ce jupon ? 4+6 m
Très-bien cela ! » Quand vint à la chemise, 4+6 y
La pauvre épouse eut, en quelque façon, 4+6 m
115 De la pudeur. Être nue ainsi mise 4+6 y
Aux yeux des gens ! Magdeleine aimoit mieux 4+6 s
Demeurer femme, et juroit ses grands dieux 4+6 s
De ne souffrir une telle vergogne 4+6 n
Pierre lui dit : « Voilà grande besogne ! 4+6 n
120 Eh bien ! tous deux nous saurons comme quoi 4+6 g
Vous êtes faite : est-ce, par votre foi, 4+6 g
De quoi tant craindre ? Et la, la, Magdeleine, 4+6 u
Vous n’avez pas toujours eu tant de peine 4+6 u
À tout ôter. Gomment donc faites-vous, 4+6 o
125 Quand vous cherchez vos puces ? dites-nous ? 4+6 o
Messire Jean, est-ce quelqu’un d’étrange ? 4+6 b
Que craignez-vous ? Eh quoi ! qu’il ne vous mange 4+6 b
Çà, dépêchons ; c’est par trop marchandé ; 4+6 a
Depuis le temps, monsieur notre cu 4+6 a
130 Auroit dé parfait, son entreprise. ». 4+6 y
Disant ces mots, il ôte la chemise, 4+6 y
Regardé faire et ses lunettes prend. 4+6 z
Messire Jean par le nombril commence, 4+6 f
Pose dessus une main, en disant 4+6 z
135 « Que ceci soit beau poitrail de jument ! » 4+6 z
Puis, cette main dans le pays s’avance. 4+6 f
L’autre s’en va transformer ces deux monts 4+6 q
Qu’en nos climats des gens nomment tétons, 4+6 q
Car, quant à ceux qui sur l’autre hémisphère’ 4+6 g
140 Sont étendus, plus vastes en leur tour, 4+6 r
Par révérence on ne les nomme guère. 4+6 g
Messire Jean leur fait aussi sa cour, 4+6 r
Disant toujours, pour la cérémonie : 4+6 s
« Que ceci soit telle ou telle partie, 4+6 s
145 Ou belle croupe, ou beaux flancs, tout enfin ! » 4+6 x
Tant de façons mettoient Pierre en chagrin ; 4+6 x
Et, ne voyant nul progrès à la chose, 4+6 k
Il prioit Dieu pour la métamorphose. 4+6 k
C’étoit en vain ; car, de l’enchantement 4+6 z
150 Toute la force et l’accomplissement 4+6 z
Gisoit à mettre une queue à la bête. 4+6 q
Tel ornement est chose fort honnête : 4+6 q
Jean, ne voulant un tel point oublier, 4+6 a
L’attache donc. Lors Pierre de crier 4+6 a
155 Si haut, qu’on l’eût entendu d’une lieue : 4+6 t
« Messire Jean, je n’y veux point de queue ! 4+6 t
Vous l’attachez trop bas, messire Jean ! » 4+6 z
Pierre à crier ne fut si diligent, 4+6 z
Que bonne part de la cérémonie 4+6 s
160 Ne fût dé par le prêtre accomplie. 4+6 s
À bonne fin le reste auroit été, 4+6 a
Si, non content d’avoir déjà parlé, 4+6 a
Pierre encor n’eût tiré par la soutane 4+6 u
Le curé Jean, qui lui dit : « Foin de toi ! 4+6 g
165 T’avois-je pas recommandé, gros âne, 4+6 u
De ne rien dire, et de demeurer coi ! 4+6 g
Tout est gâté ; ho t’en prends qu’à toi-même ! » 4+6 w
Pendant ces mots, l’époux gronde à part soi. 4+6 g
Magdeleine est en un courroux extrême, 4+6 w
170 Querelle Pierre, et lui dit : « Malheureux ! 4+6 s
Tu ne seras qu’un misérable gueux 4+6 s
Toute ta vie ! Et puis, viens-t’en me braire ! 4+6 g
Viens me conter ta faim et fa douleur ! 4+6 h
Voyez un peu ! Monsieur notre pasteur 4+6 h
175 Veut de sa grâce, à ce traîne-malheur, 4+6 h
Montrer de quoi finir notre misère : 4+6 g
Mérite-t-il le bien qu’on veut lui faire ? 4+6 g
Messire Jean, laissons là cet oison ? 4+6 m
Tous les matins, tandis que ce veau lie 4+6 s
180 Ses choux, ses aulx, ses herbes, son oignon, 4+6 m
Sans l’avertir, venez à la maison ; 4+6 m
Vous me rendrez une jument polie. » 4+6 s
Pierre reprit : « Plus de jument, ma mie ; 4+6 s
Je suis content de n’avoir qu’un grison. » 4+6 m
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