Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
LFT_2/LFT303
Jean de LA FONTAINE
CONTES ET NOUVELLES
1668-1694
LIVRE QUATRIÈME
X
LE DIABLE EN ENFER
Qui craint d’aimer a tort, selon mon sens, 4+6 a
S’il ne fuit pas, dès qu’il voit une belle. 4+6 b
Je vous connois, objets doux et puissants ; 4+6 a
Plus ne m’irai brûler à la chandelle. 4+6 b
5 Une vertu sort de vous, ne sais quelle, 4+6 b
Qui dans le cœur s’introduit par les yeux. 4+6 a
Ce qu’elle y fait, besoin n’est de le dire : 4+6 b
On meurt d’amour, on languit, on soupire. 4+6 b
Pas ne tiendrait aux gens, qu’on ne fit mieux. 4+6 a
10 À tels périls, ne faut qu’on s’abandonne. 4+6 a
J’en vais donner pour preuve une personne 4+6 a
Dont la beauté fit trébucher Rustic. 4+6 a
Il en avint un fort plaisant trafic : 4+6 a
Plaisant fut-il, au péché près, sans faute ; 4+6 a
15 Car, pour ce point, je l’excepte et je l’ôte, 4+6 a
Et ne suis pas du goût de celle-là 4+6 a
Qui, buvant frais (ce fut, je pense, à Rome), 4+6 b
Disoit : « Que n’est-ce un péché que cela ! » 4+6 a
Je la condamne, et veux prouver, en somme, 4+6 b
20 Qu’il fait bon craindre, encor que l’on soit saint ; 4+6 a
Rien n’est plus vrai : si Rustic avait craint, 4+6 a
Il n’auroit pas retenu cette fille, 4+6 a
Qui, jeune et simple, et pourtant très-gentille, 4+6 a
Jusques au vif vous l’eût bientôt atteint. 4+6 a
25 Alibech fut son nom, si j’ai mémoire ; 4+6 b
Fille un peu neuve, à ce que dit l’histoire. 4+6 b
Lisant un jour comme quoi certains saints, 4+6 a
Pour mieux vaquer à leurs pieux desseins, 4+6 a
Se séquestroient, viraient comme des anges, 4+6 a
30 Qui çà, qui là, portant toujours leurs pas 4+6 b
En lieux cachés, choses qui, bien qu’étranges, 4+6 a
Pour Alibech avoient quelques appas : 4+6 b
« Mon Dieu ! dit-elle, il me prend une envie 4+6 a
D’aller mener une semblable vie. » 4+6 a
35 Alibech donc s’en va, sans dire adieu ; 4+6 a
Mère ni sœur, nourrice ni compagne 4+6 b
N’est avertie. Alibech en campagne 4+6 b
Marche toujours, n’arrête en pas un lieu ; 4+6 a
Tant court enfin, qu’elle entre en un bois sombre ; 4+6 a
40 Et dans ce bois elle trouve un vieillard, 4+6 b
Homme (possible) autrefois plus gaillard, 4+6 b
Mais n’étant lors qu’un squelette et qu’une ombre. 4+6 a
« Père, dit-elle, un mouvement m’a pris, 4+6 a
C’est d’être sainte, et mériter, pour prix, 4+6 a
45 Qu’on me révère, et qu’on chôme ma fête. 4+6 a
Oh ! quel plaisir j’aurois, si tous les ans, 4+6 b
La palme en main, les rayons sur la tête, 4+6 a
Je recevois des fleurs et des présents ! 4+6 b
Votre métier est-il si difficile ? 4+6 a
50 Je sais déjà jeûner plus d’à demi. 4+6 b
— Abandonnez ce penser inutile, 4+6 a
Dit le vieillard ; je vous parle en ami. 4+6 b
La sainteté n’est chose si commune 4+6 a
Que le jeûner suffise pour l’avoir. 4+6 b
55 Dieu gard de mal fille et femme qui jeûne, 4+6 a
Sans pour cela guère mieux en valoir ! 4+6 b
Il faut encor pratiquer d’autres choses, 4+6 a
D’autres vertus, qui me sont lettres closes, 4+6 a
Et qu’un ermite, habitant de ces bois, 4+6 a
60 Vous apprendra mieux que moi mille fois, 4+6 a
Allez le voir, ne tardez davantage ; 4+6 a
Je ne retiens tels oiseaux dans ma cage. » 4+6 a
Disant ces mots, le vieillard la quitta, 4+6 a
Ferma sa porte et se barricada. 4+6 a
65 Très-sage fut d’agir ainsi, sans doute, 4+6 a
Ne se fiant à vieillesse ni goutte, 4+6 a
Jeûne ni haire, enfin à rien qui soit. 4+6 a
Non loin de là, notre sainte aperçoit 4+6 a
Celui de qui ce bon vieillard parloit, 4+6 a
70 Homme ayant l’âme en Dieu toute occupée, 4+6 a
Et se faisant tout blanc de son épée. 4+6 a
C’étoit Rustic, jeune saint très-fervent : 4+6 a
Ces jeunes-là s’y trompent bien souvent. 4+6 a
En peu de mots, l’appétit d’être sainte 4+6 a
75 Lui fut d’abord par la belle expliqué ; 4+6 b
Appétit tel, qu’Alibech avoit crainte 4+6 a
Que quelque jour son fruit n’en fût marqué. 4+6 b
Rustic sourit d’une telle innocence : 4+6 c
« Je n’ai, dit-il, que peu de connoissance 4+6 c
80 En ce métier ; mais ce peu-là que j’ai, 4+6 b
Bien volontiers vous sera partagé ; 4+6 a
Nous vous rendrons la chose familière. » 4+6 b
Maître Rustic eût dû donner congé, 4+6 a
Tout dès l’abord, à semblable écolière. 4+6 b
85 Il ne le fit ; en voici les effets. 4+6 a
Comme il vouloit être des plus parfaits, 4+6 a
Il dit en soi : « Rustic, que sais-tu faire ? 4+6 a
Veiller, prier, jeûner, porter la haire. 4+6 a
Qu’est-ce cela ? Moins que rien ; tous le font. 4+6 a
90 Mais d’être seul auprès de quelque belle, 4+6 b
Sans la toucher, il n’est victoire telle ; 4+6 b
Triomphes grands chez les anges en sont : 4+6 a
Méritons-les ; retenons cette fille : 4+6 a
Si je résiste à chose si gentille, 4+6 a
95 J’atteins le comble, et me lire du pair. » 4+6 a
Il la retint, et fut si téméraire, 4+6 b
Qu’outre Satan il défia la chair, 4+6 a
Deux ennemis toujours prêts à mal l’aire. 4+6 b
Or sont nos saints logés sous même toit : 4+6 a
100 Rustic apprête, en un petit endroit, 4+6 a
Un petit lit de joncs pour la novice ; 4+6 a
Car, de coucher sur la dure d’abord, 4+6 b
Quelle apparence ? Elle n’étoit encor 4+6 b
Accoutumée à si rude exercice. 4+6 a
105 Quant au souper, elle eut, pour tout service, 4+6 a
Un peu de fruit, du pain non pas trop beau. 4+6 a
Faites état que la magnificence 4+6 b
De ce repas ne consista qu’en l’eau, 4+6 a
Claire, d’argent, belle par excellence. 4+6 b
110 Rustic jeûna ; la fille eut appétit. 4+6 a
Couchés à part, Alibech s’endormit ; 4+6 a
L’ermite non. Une certaine bête, 4+6 b
Diable nommée, un vrai serpent maudit, 4+6 a
N’eut point de paix qu’il ne fût de la fête 4+6 b
115 On l’y reçoit. Rustic roule en sa tête, 4+6 b
Tantôt les traits de la jeune beauté, 4+6 a
Tantôt sa grâce et sa naïveté, 4+6 a
Et ses façons, et sa manière douce, 4+6 a
L’âge, la taille, et surtout l’embonpoint, 4+6 b
120 Et certain sein ne se reposant point, 4+6 b
Allant, venant ; sein qui pousse et repousse 4+6 a
Certain corset, en dépit d’Alibech 4+6 a
Qui tâche en vain de lui clore le bec, 4+6 a
Car toujours parle ; il va, vient et respire : 4+6 a
125 C’est son patois ; Dieu sait ce qu’il veut dire. 4+6 a
Le pauvre ermite, ému de passion, 4+6 a
Fit de ce point sa méditation. 4+6 a
Adieu la haire, adieu la discipline ! 4+6 b
Et puis voilà de ma dévotion ! 4+6 a
130 Voilà mes saints ! Celui-ci s’achemine 4+6 b
Vers Alibech, et l’éveille en sursaut : 4+6 a
« Ce n’est bien fait que de dormir sitôt, 4+6 a
Dit le frater ; il faut, au préalable, 4+6 a
Qu’on fasse une œuvre à Dieu fort agréable, 4+6 a
135 Emprisonnant en enfer le malin : 4+6 a
Créé ne fut pour aucune autre fin : 4+6 a
Procédons-y. » Tout à l’heure il se glisse 4+6 a
Dedans le lit. Alibech, sans malice, 4+6 a
N’entendoit rien à ce mystère-là ; 4+6 a
140 Et ne sachant ni ceci ni cela, 4+6 a
Moitié forcée, et moitié consentante, 4+6 a
Moitié voulant combattre ce désir, 4+6 b
Moitié n’osant, moitié peine et plaisir, 4+6 b
Elle crut faire acte de repentante ; 4+6 a
145 Bien humblement rendit grâce au frater ; 4+6 c
Sut ce que c’est que le diable en enfer. 4+6 c
Désormais faut qu’Alibech se contente 4+6 a
D’être martyre, en cas que sainte soit. 4+6 a
Frère Rustic peu de vierges faisoit. 4+6 a
150 Celte leçon ne fut la plus aisée, 4+6 a
Dont Alibech, non encoreencor déniaisée, 4+6 a
Dit : « Il faut bien que le diable, en effet, 4+6 a
Soit une chose étrange et bien mauvaise ; 4+6 b
Il brise tout ; voyez le mal qu’il fait 4+6 a
155 À sa prison : non pas qu’il m’en déplaise, 4+6 b
Mais il mérite, en bonne vérité, 4+6 a
D’y retourner. — Soit fait ! ce dit le frère, » 4+6 b
Tant s’appliqua Rustic à ce mystère, 4+6 b
Tant prit de soin, tant eut de charité, 4+6 a
160 Qu’enfin l’enfer, s’accoutumant au diable, 4+6 a
Eût eu toujours sa présence agréable, 4+6 a
Si l’autre eût pu toujours en faire essai. 4+6 a
Sur quoi la belle : « On dit encor bien vrai, 4+6 a
Qu’il n’est prison si douce, que son hôte 4+6 a
165 En peu de temps ne s’y lasse sans faute. » 4+6 a
Bientôt nos gens ont noise sur ce point. 4+6 a
En vain l’enfer son prisonnier rappelle ; 4+6 b
Le diable est sourd, le diable n’entend point. 4+6 a
L’enfer s’ennuie ; autant en fait la belle. 4+6 b
170 Ce grand désir d’être sainte s’en va. 4+6 c
Rustic voudroit être dépêtré d’elle ; 4+6 b
Elle pourvoit d’elle-même à cela. 4+6 c
Furtivement elle quitte le sire, 4+6 a
Par le plus court s’en retourne chez soi. 4+6 b
175 Je suis en soin de ce qu’elle put dire 4+6 a
À ses parents ; c’est ce qu’en bonne foi 4+6 b
Jusqu’à présent je n’ai bien su comprendre. 4+6 a
Apparemment, elle leur fit entendre 4+6 a
Que son cœur, mû d’un appétit d’enfant, 4+6 a
180 L’avoit portée à tâcher d’être sainte : 4+6 b
Ou l’on la crut, ou l’on en fit semblant. 4+6 a
Sa parenté prit pour argent comptant 4+6 a
Un tel motif : non que de quelque atteinte 4+6 b
À son enfer on n’eût quelque soupçon ; 4+6 a
185 Mais cette chartre est faite de façon, 4+6 a
Qu’on n’y voit goutte, et maint geôlier s’y trompe. 4+6 a
Alibech fut festinée en grand’pompe. 4+6 a
L’histoire dit que par simplicité 4+6 a
Elle conta la chose à ses compagnes. 4+6 b
190 « Besoin n’étoit que votre sainteté, 4+6 a
Ce lui dit-on, traversât ces campagnes ; 4+6 b
On vous auroit, sans bouger du logis, 4+6 a
Même leçon, même secret appris. 4+6 a
— Je vous aurois, (lit l’une, offert mon frère. 4+6 a
195 — Vous auriez eu, dit l’autre, mon cousin ; 4+6 b
Et Néherbal, notre prochain voisin, 4+6 b
N’est pas non plus novice en ce mystère : 4+6 a
Il vous recherche ; acceptez ce parti, 4+6 a
Devant qu’on soit d’un tel cas averti. » 4+6 a
200 Elle le fit. Néherbal n’étoit homme 4+6 a
À cela près. On donna telle somme, 4+6 a
Qu’avec les traits de la jeune Alibech, 4+6 a
Il prit pour bon un enfer très-suspect, 4+6 a
Usant des biens que l’hymen nous envoie. 4+6 a
205 À tous époux Dieu doint pareille joie ! 4+6 a
Ne plus ne moins qu’employoit au désert 4+6 a
Rustic son diable, Alibech son enfer. 4+6 a
mètre profil métrique : 4+6
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